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29/02/2024 | FRANCE | N°22LY02747

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 29 février 2024, 22LY02747


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'ordonner une expertise au contradictoire du centre hospitalier régional de Grenoble et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) aux fins d'évaluer ses préjudices résultant des complications de sa prise en charge par le centre hospitalier régional de Grenoble le 26 mai 2017.



Par un jugement n° 2000900 d

u 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise médicale confiée à u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'ordonner une expertise au contradictoire du centre hospitalier régional de Grenoble et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) aux fins d'évaluer ses préjudices résultant des complications de sa prise en charge par le centre hospitalier régional de Grenoble le 26 mai 2017.

Par un jugement n° 2000900 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise médicale confiée à un médecin spécialiste en chirurgie cardiaque et à un médecin infectiologue.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 9 septembre 2022 et le 13 octobre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par l'AARPI Jasper avocats, agissant par Me Saumon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement avant-dire droit n° 2000900 du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) à titre principal de le mettre hors de cause, en rejetant les conclusions de M. D... dirigées à son encontre, et de condamner la partie perdante aux dépens ;

3°) subsidiairement d'ordonner une mesure d'expertise qui soit complète, en réservant les dépens.

L'ONIAM soutient que :

- les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies en l'absence de lien entre les dommages dont la réparation est demandée et un acte de diagnostic, de prévention ou de soins ;

- une éventuelle expertise, par de nouveaux experts, devra décrire les mécanismes d'apparition des complications hémorragiques et infectieuses, se prononcer sur leur caractère fautif ou non et déterminer les préjudices qui leur sont imputables.

Par mémoires enregistrés le 9 novembre 2022 et le 2 octobre 2023, M. A... D..., représenté par Me Bessy, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de confirmer le jugement du 12 juillet 2022 en toutes ses dispositions ;

2°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier universitaire de Grenoble et de l'ONIAM une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. D... fait valoir que :

- ses séquelles cardiaques et cognitives sont consécutives à un accident médical et à une infection nosocomiale, complications dérivant de l'intervention chirurgicale subie le 26 mai 2017 ;

- la condition de gravité posée pour l'engagement de l'indemnisation par l'ONIAM est remplie ;

- ses séquelles, qui sont imputables à 90 % à l'accident médical, doivent dans cette mesure être prises en charge par l'ONIAM, le centre hospitalier universitaire de Grenoble devant quant à lui prendre en charge les 10 % de séquelles imputables à l'infection nosocomiale ;

- une expertise contradictoire présente un caractère d'utilité pour évaluer ses préjudices.

Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2023, le centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble-Alpes, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête de l'ONIAM.

Le CHU fait valoir qu'il n'appartient pas aux experts de se prononcer sur la question d'une faute commise par l'établissement, déjà tranchée par l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI).

La clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2023, par une ordonnance du 16 octobre précédent.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 12 février 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Goldnadel, représentant le CHU Grenoble-Alpes.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., né le 11 décembre 1951, souffrant d'un trouble du rythme cardiaque, a subi, le 26 mai 2017, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble, une nouvelle intervention chirurgicale consistant en une ablation d'un flutter auriculaire, par cryothérapie et radiofréquence. Le lendemain, 27 mai, un saignement au niveau du péritoine, révélé par scanner, conduit à des interventions chirurgicales successives par laparotomie. M. D... a ensuite été affecté par une orchi-épididymite droite et un lymphocèle gauche, causés par la bactérie Escherichia. Dans son avis du 13 décembre 2018, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI), saisie par M. D..., estime que sa demande ne relève pas de la solidarité nationale, l'accident hémorragique, non fautif, étant, selon elle, dépourvu de lien avec l'intervention chirurgicale du 26 mai 2017, et les séquelles de l'orchi-épididymite n'atteignant pas un degré de gravité suffisant pour que les préjudices correspondants soient indemnisés au titre de cette même solidarité nationale. Après un premier rejet d'une demande d'expertise formulée dans le cadre d'une procédure de référé, le tribunal administratif de Grenoble, siégeant en formation collégiale, a ordonné une expertise avant-dire droit. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) relève appel de ce jugement du 12 juillet 2022.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ". Aux termes de l'article R. 621-2 du même code : " Il n'est commis qu'un seul expert à moins que la juridiction n'estime nécessaire d'en désigner plusieurs (...) ".

3. La recevabilité d'une requête dirigée contre un jugement avant-dire droit se bornant, comme en l'espèce, à prescrire une expertise est limitée à la contestation de l'utilité de cette expertise et à la contestation des motifs de ce jugement qui constituent le soutien nécessaire du dispositif ordonnant cette mesure d'instruction.

4. Après avoir reconnu que l'hémorragie intra abdominale identifiée par un scanner du 27 mai 2017 était constitutive d'un accident médical non fautif puis énoncé que M. D... avait contracté une infection nosocomiale dans les mêmes suites de l'intervention chirurgicale du 26 mai 2017, le tribunal, par l'article 1er du jugement attaqué, a ordonné une expertise confiée à un médecin spécialiste en chirurgie cardiaque et à un médecin infectiologue. Par l'article 3 du même jugement, il a confié à ces experts la mission d'évaluer, selon la nomenclature Dintilhac, les préjudices subis par M. D..., en distinguant ceux imputables à l'accident médical et ceux imputables à l'infection nosocomiale.

5. Il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que l'ONIAM doit, quand certaines conditions sont remplies, assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages qui, sans être fautifs, résultent directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins.

6. Dans leur rapport daté du 5 juillet 2018, les experts missionnés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux ont estimé que " L'hémorragie intra abdominale après ablation par radiofréquence était une complication, bien qu'inhabituelle, voir exceptionnelle ", de l'intervention pratiquée, qu'elle n'était pas imputable à un état antérieur du patient ni à une faute de l'équipe médicale, s'agissant de l'indication thérapeutique et de l'anticoagulation, et que cette hémorragie relevait d'un accident médical non fautif ou d'un aléa thérapeutique. En effet, aucune pièce du dossier ne révèle que M. D... présentait, au moment de son admission au CHU de Grenoble, un état de santé susceptible à lui seul de déclencher une telle hémorragie née, selon les experts d'un trouble de la coagulation et ces derniers ont affirmé que l'arrêt du traitement anticoagulant de M. D... 48 heures avant l'intervention et sa reprise au soir de l'intervention du 26 mai 2017, répondaient aux recommandations de la société française de cardiologie et aux recommandations de la société française d'anesthésie réanimation. L'absence, que déplore l'ONIAM, de production de ces recommandations et d'une étude des dosages INR (International Normalized Ratio), examens biologiques d'évaluation de la coagulation sanguine, n'est pas susceptible de remettre en cause le constat des experts qui ne discernent pas de faute du centre hospitalier génératrice de l'hémorragie intra-abdominale en cause. De la sorte, l'accident médical que constitue cette hémorragie, non fautif, doit être regardé comme présentant un lien avec l'intervention chirurgicale réalisée la veille, une ablation d'un flutter auriculaire, même si les réseaux sanguins concernés sont distincts. Le mécanisme d'indemnisation par la solidarité nationale étant ainsi susceptible d'être déclenché, c'est à bon droit que le tribunal a ordonné une expertise en vue d'évaluer l'ensemble des préjudices de M. D..., résultant de l'accident médical comme de l'infection nosocomiale, utile en ce que l'expertise du 5 juillet 2018 se cantonnait à l'évaluation des préjudices temporaires, avant consolidation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise telle que définie par l'article 3 du dispositif de son jugement. Eu égard à ce qui a été exposé au point 6, les conclusions de l'ONIAM tendant à ce que soit ordonnée une expertise aux missions élargies doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM, partie perdante, le versement à M. D... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.

Article 2 : L'ONIAM versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Une copie en sera adressée pour information au docteur C... et au professeur B..., experts désignés tant par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que par le tribunal administratif de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 12 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02747


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02747
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité sans faute. - Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : JASPER AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;22ly02747 ?
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