La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/02/2024 | FRANCE | N°22LY01296

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 29 février 2024, 22LY01296


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux à lui verser la somme totale de 108 167,22 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'inondation de la cave et du hall d'entrée de son immeuble.



Par un jugement n° 2007678 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a condamné solidairement Saint-Etienne Métropole et la société Stép

hanoise des eaux à verser à M. B... la somme totale de 53 675,66 euros, a mis solidairement à leur charge d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux à lui verser la somme totale de 108 167,22 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'inondation de la cave et du hall d'entrée de son immeuble.

Par un jugement n° 2007678 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a condamné solidairement Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux à verser à M. B... la somme totale de 53 675,66 euros, a mis solidairement à leur charge définitive une somme de 5 923 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 avril 2022 et des mémoires enregistrés les 18 novembre et 7 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Michel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 2007678 du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner solidairement Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux à lui verser la somme de 151 963,22 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'inondation de la cave et du hall d'entrée de son immeuble ;

3°) de mettre à la charge solidaire de Saint-Etienne Métropole et de la société Stéphanoise des eaux, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 7 260 euros au titre des frais exposés en première instance et une somme de 5 000 euros au titre de frais exposés en appel.

Il soutient que :

- sa requête d'appel est recevable ;

- la responsabilité sans faute de Saint-Etienne Métropole et de son gestionnaire la société Stéphanoise des eaux est pleinement engagée pour les dommages résultant de la capacité insuffisante du réseau d'assainissement de la rue ... pour prendre en charge les eaux usées et les eaux pluviales de son immeuble ;

- s'agissant de dommage accidentel, il n'a pas à démontrer le caractère anormal et spécial de son préjudice ; en tout état de cause les critères d'anormalité et de spécialité sont remplis en l'espèce ;

- il n'avait pas connaissance de la situation antérieurement à l'acquisition de l'immeuble et aucune faute exonératoire ne lui est imputable ;

- aucune prescription ne saurait lui être opposable ;

- si les devis présentés ou les estimations effectuées par l'expert judiciaire étaient estimés insuffisants pour justifier des travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres, il conviendra de désigner un nouvel expert pour chiffrer ses préjudices, les chiffrages invoqués en défense n'étant pas justifiés ;

- le montant des travaux préconisés par l'expert devra être actualisé au regard des derniers devis produits ;

- contrairement à ce qui a été préconisé par l'expert, seuls des travaux de surélévation du hall d'entrée sont de nature à éviter de nouvelles inondations, l'installation d'un batardeau n'étant qu'une solution provisoire ; à titre subsidiaire, il pourra être envisagé l'installation d'une porte étanche pour un montant de 8 170 euros et des travaux dans le hall de l'immeuble ;

- le tribunal a écarté à tort le chef de préjudice résultant de travaux de reprise du parquet du local commercial ainsi que le chef de préjudice résultant de l'impossibilité de louer ses caves ;

- il est fondé à solliciter une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la gestion du sinistre et de la procédure qui relève du même fait générateur.

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 octobre et 7 décembre 2022, la société Stéphanoise des eaux, représentée par la SELARL ADK agissant par Me Laurendon conclut, par la voie de l'appel incident :

1°) à titre principal, à ce que le jugement du tribunal administratif de Lyon du 1er mars 2022 soit annulé et au rejet des demandes de M. B... ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que les demandes indemnitaires de M. B... soient limitées à la somme de 34 235,30 euros pour les travaux visant à éviter l'auto-inondation de la cave et à la somme de 6 690 euros pour les travaux visant à éviter l'inondation de ladite cave par surverse du hall d'entrée et à ce qu'un partage de responsabilité entre elle-même et Saint-Etienne métropole soit prononcé ;

3°) à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à ce que M. B... soit condamné aux dépens.

Elle soutient que :

- sa responsabilité ne peut pas être engagée dès lors que les préjudices dont M. B... demande la réparation, qui ne sont pas accidentels, ne présentent pas un caractère anormal et spécial ;

- M. B... ne pouvait ignorer les risques d'inondation et il a commis des fautes exonératoires en effectuant des travaux de modification de l'entrée principale de l'immeuble ;

- à titre subsidiaire, si le tribunal devait retenir sa responsabilité, les préjudices résultant des travaux visant à éviter l'auto-inondation de la cave et l'inondation de ladite cave par surverse du hall d'entrée ne sauraient excéder les sommes de 34 235,30 euros et 6 690 euros ;

- les chefs de préjudice résultant des travaux de reprise du parquet du local commercial et de l'impossibilité de louer les caves devront être écartés ;

- les conclusions tendant au versement de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros devront être rejetées comme étant irrecevables ;

- aucune conséquence ne pourra être tirée des nouvelles inondations dès lors que M. B... disposait des sommes permettant de financer les travaux de détournement des eaux pluviales de l'immeuble vers un autre collecteur ;

- en tout état de cause, il conviendra de retenir un partage de responsabilité avec Saint-Etienne Métropole.

Par des mémoires en défense enregistrés les 2 novembre, 18 novembre et 9 décembre 2022, Saint-Etienne Métropole, représentée par la SELARL Reflex Droit public agissant par Me Bonicatto, conclut dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal à l'irrecevabilité de la requête ;

2°) à défaut et par la voie de l'appel incident, à ce que le jugement du tribunal administratif de Lyon du 1er mars 2022 soit annulé et au rejet des demandes de M. B... ;

3°) à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel, qui se borne à reprendre les conclusions et moyens présentés en première instance, est irrecevable ;

- les prétentions présentées en appel sont irrecevables en tant qu'elles excèdent le quantum de l'indemnisation sollicitée en première instance ;

- les conclusions tendant à la condamnation de Saint-Etienne Métropole et de la société Stéphanoise des eaux à verser à M. B... la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice correspondant au temps passé à gérer la présente procédure, qui ne relèvent pas du fait générateur invoqué dans la demande préalable, sont irrecevables et, en tout état de cause, infondées ;

- sa responsabilité ne peut pas être engagée, dès lors que les préjudices en cause, qui ne sont pas accidentels mais permanents, ne répondent pas aux conditions d'anormalité et de spécialité ;

- la faute de la victime résultant de la méconnaissance des articles 29, 42 et 44 du règlement sanitaire départemental de la Loire est directement à l'origine des dommages ;

- les conclusions présentées en appel ne sont pas fondées ;

- aucune conséquence ne pourra être tirée des nouvelles inondations dès lors que M. B... disposait des sommes permettant de financer les travaux de détournement des eaux pluviales de l'immeuble vers un autre collecteur ;

- en tout état de cause, les nouvelles inondations qu'auraient subies la cave de l'immeuble sont insusceptibles d'être imputées au collecteur public de la rue ....

La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par une ordonnance du 15 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Michel, représentant M. B..., de Me Bonicatto, représentant Saint-Etienne Métropole, et de Me Laurendon, représentant la société Stéphanoise des eaux.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... est propriétaire depuis le 11 mai 2007 d'un immeuble situé au ... de la rue ... à Saint-Etienne et assure la gestion directe de la location des appartements et du local professionnel qui le composent. Suite aux inondations récurrentes de la cave de son immeuble, M. B... a sollicité, le 2 août 2018, la désignation d'un expert sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative. L'expert, désigné par une ordonnance du 1er octobre 2018 du président du tribunal administratif de Lyon, a remis son rapport le 28 septembre 2019. Estimant les désordres subis par son immeuble imputables au réseau d'assainissement de la ville de Saint-Etienne, M. B... a présenté une demande d'indemnisation préalable à Saint-Etienne Métropole et à la société Stéphanoise des eaux par un courrier du 30 janvier 2020. Cette demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 1er mars 2022, dont M. B... interjette appel, le tribunal administratif de Lyon a condamné solidairement Saint-Etienne métropole et la société Stéphanoise des eaux à verser à M. B... la somme totale de 53 675,66 euros, a mis solidairement à leur charge définitive une somme de 5 923 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. M. B... interjette appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses conclusions indemnitaires. Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux, par la voie de l'appel incident, en interjettent appel en tant qu'il a fait partiellement droit à la demande indemnitaire de M. B....

Sur la recevabilité de la requête :

3. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

4. Il résulte de l'instruction que la requête d'appel de M. B..., qui n'est pas la reproduction intégrale et exclusive de ses écritures de première instance, comporte une critique du jugement attaqué. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par Saint-Etienne Métropole et tirée du défaut de motivation de la requête d'appel doit être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires de la requête :

En ce qui concerne la responsabilité :

5. En premier lieu, le maître de l'ouvrage, ou le cas échéant son concessionnaire, sont responsables, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont ils ont la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ils ne peuvent dégager leur responsabilité que s'ils établissent que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

6. Il résulte du rapport d'expertise du 28 septembre 2019 que l'émissaire du réseau public unitaire d'assainissement de la ville de Saint-Etienne situé rue ... reçoit les eaux de la voierie, dans les sens montant et descendant, les eaux de la ligne de tramway et toutes les évacuations d'eaux pluviales et d'eaux usées des immeubles riverains et est, en outre, perturbé en aval par les collecteurs de la rue ... et de la rue .... L'expert indique qu'ainsi, en cas de gros orages ou de pluies abondantes, cet émissaire monte rapidement en charge sollicitant mécaniquement le clapet anti-retour de la canalisation de l'immeuble appartenant à M. B..., situé au point bas de la rue, empêchant ainsi toute évacuation des eaux usées ou pluviales en provenance de l'immeuble vers le collecteur de la rue .... Il mentionne qu'en conséquence, les eaux usées et pluviales de l'immeuble et de la cour, toutes collectées par le regard situé dans la cave, mettent en pression le tampon béton et se déversent alors dans la cave, provoquant son inondation. Il résulte également de l'expertise que les phénomènes d'inondations récurrents constatés dans le quartier et notamment au point bas de la rue ... sont concomitants à la modification des branchements d'évacuation des eaux usées se jetant auparavant dans le Furan qui ont été canalisées et ramenées vers l'émissaire unitaire de la ... qui n'est pas suffisamment dimensionné et se trouve très rapidement saturé en cas de fortes précipitations. En outre, l'expert note que l'entrée de l'immeuble et l'entrée du local commercial sont susceptibles d'être inondées par débordement avec, pour la première, un phénomène de déversoir dans la cave constaté en juillet 2019.

7. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les inondations subies par l'immeuble de M. B... sont liées au sous dimensionnement de l'émissaire unitaire de collecte des eaux pluviales et des eaux usées et surviennent en cas de pluies abondantes. Elles présentent ainsi le caractère de dommage accidentel. Dans ces circonstances, M. B..., qui a la qualité de tiers à l'ouvrage public en cause, est bien fondé à rechercher la responsabilité de Saint-Etienne Métropole en sa qualité de maitre de l'ouvrage et de la société Stéphanoise de eaux, concessionnaire du réseau d'assainissement, sans être tenu de démontrer le caractère grave et spécial des préjudices subis.

En ce qui concerne les causes exonératoires :

S'agissant de l'exposition au risque :

8. Lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments.

9. Si la société Stéphanoise des eaux soutient que M. B... a acquis l'immeuble en connaissant les risques d'inondation, il résulte toutefois du rapport d'expertise qu'à la date à laquelle il est devenu propriétaire de cet immeuble, le 11 mai 2007, un seul épisode pluvieux survenu en 2006 avait provoqué d'importantes inondations dans la rue .... Cet unique événement n'est pas suffisant, à lui seul, pour considérer qu'il s'est exposé, en connaissance de cause, au risque dont la réalisation a causé les dommages.

S'agissant des travaux de modification de l'entrée de l'immeuble :

10. Il résulte de l'instruction qu'en juillet 2019, à raison d'un épisode de pluvieux de caractère exceptionnel, l'inondation subie par la cave a été aggravée par le fait que l'eau a franchi directement le seuil de l'entrée principale de l'immeuble, située au droit d'un abaissement du trottoir. Cependant, contrairement à ce qu'affirme la société Stéphanoise des eaux, la transformation de l'ancienne entrée charretière donnant sur la cour de l'immeuble en hall principal de l'immeuble, qui est imputable à des travaux réalisés à une date indéterminée, ne revêt aucun caractère fautif dès lors qu'aucun risque d'inondation n'était alors identifié. Par suite, aucune faute exonératoire n'est susceptible d'être retenue du fait de ces travaux.

S'agissant de la conformité des installations privatives au règlement sanitaire départemental :

11. Selon l'article 42 du règlement sanitaire départemental : " (...)/ Il est interdit d'évacuer des eaux vannes dans les ouvrages d'évacuation d'eaux pluviales et réciproquement. Par dérogation de l'autorité sanitaire seule l'évacuation d'eaux ménagères peut être tolérée dans lesdits ouvrages lorsque le système d'égout public le permet. ". Aux termes de l'article 44 de ce même règlement : " En vue d'éviter le reflux des eaux d'égout dans les caves, sous-sols et cours lors de l'élévation exceptionnelle de leur niveau jusqu'à celui de la voie publique desservie, les canalisations d'immeubles en communication avec les égouts et notamment leurs joints sont établis de manière à résister à la pression correspondante. De même tous regards situés sur des canalisations à un niveau inférieur à celui de la voie vers laquelle se fait l'évacuation doivent être normalement obturés par un tampon étanche résistant à ladite pression. Lorsque des appareils d'utilisation sont installés à un niveau tel que leur orifice d'évacuation se trouve situé au-dessous de ce niveau critique, toutes dispositions doivent être prises pour s'opposer à tout reflux d'eaux usées provenant de l'égout en cas de mise en charge de celui-ci. "

12. En premier lieu, dès lors qu'il est constant que le réseau d'assainissement de la ville de Saint-Etienne ne dispose pas d'un dispositif séparé de collecte des eaux usées et des eaux pluviales, la circonstances que les installations privatives de l'immeuble de M. B... ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 42 du règlement sanitaire départemental qui interdisent aux riverains d'évacuer les eaux vannes, qui sont des eaux usées, dans les ouvrages d'évacuation des eaux pluviales est sans incidence et ne saurait constituer une cause exonératoire de responsabilité.

13. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment des opérations d'expertise, que si la canalisation d'évacuation raccordant l'immeuble de M. B... à l'émissaire de collecte du réseau public est équipée d'un clapet anti-retour empêchant tout reflux des eaux en provenance de l'égout, le regard situé dans la cave, qui collecte toutes les eaux usées et pluviales de l'immeuble et de la cour, n'est pas équipé d'un tampon étanche et les canalisations d'évacuation des eaux vannes des logements ne sont pas équipées de clapets anti retour. Ainsi que le confirme l'expert, les installations privatives de l'immeuble ne sont donc pas conformes aux dispositions de l'article 44 du règlement sanitaire départemental et il appartiendra à M. B... d'effectuer les travaux de mise en conformité nécessaires. Cependant, si l'absence d'un tel dispositif favorise la remontée des eaux de l'immeuble dans la cave et entraine, par suite, son inondation, l'expert indique expressément, sans être utilement contredit, que la cause première des désordres réside dans le sous dimensionnement de l'ouvrage public et sa mise en charge très rapide lors des épisodes pluvieux, le fonctionnement du clapet anti-retour de la canalisation de l'immeuble s'opposant alors à toute évacuation des eaux de l'immeuble vers l'émissaire de la rue .... Il indique en outre que la situation de non-conformité a permis d'éviter l'aggravation des désordres affectant l'immeuble, notamment en évitant que les eaux usées de l'immeuble ne remontent dans les appartements, et précise que les travaux de mise en conformité ne pourront être envisagés qu'après la mise en œuvre des travaux de détournement des eaux pluviales de l'immeuble vers l'émissaire de la rue ..., préconisés pour remédier définitivement aux désordres. Dans ces conditions, la faute résultant de la non-conformité des installations privatives aux dispositions de l'article 44 du règlement sanitaire départemental n'est pas susceptible d'exonérer les défendeurs de leur responsabilité.

En ce qui concerne le quantum des conclusions indemnitaires :

14. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle. Saint-Etienne Métropole n'est dès lors pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées en appel par M. B... seraient irrecevables en tant qu'elles excèdent le quantum des demandes indemnitaires présentées en première instance.

En ce qui concerne les préjudices liés aux travaux préconisés pour mettre fin aux désordres :

15. En premier lieu, pour mettre fin aux désordres résultant de l'inondation de la cave, l'expert préconise de procéder au détournement du réseau d'évacuation des eaux pluviales de l'immeuble, d'une part, en détournant vers l'émissaire de la rue ..., par la création d'un réseau à partir de la grille située dans la cour de l'immeuble, les eaux pluviales en provenance de la moitié de la toiture de l'immeuble donnant sur la cour ainsi que les eaux pluviales en provenance de la cour et de la toiture de l'appentis de cette dernière et, d'autre part, en créant, rue ..., un regard de branchement au pied de la descente d'eaux pluviales reliée à l'évacuation de l'immeuble voisin pour l'évacuation des eaux pluviales de la seconde moitié de la toiture de l'immeuble. Il a chiffré l'ensemble de ces travaux, y compris les frais de maitrise d'œuvre, la mise en place de bouchons dans la cave sur les réseaux venant de l'extérieur et le raccordement, rue ..., de la descente d'eaux pluviales dans un regard commun à l'immeuble voisin, à 44 000 euros TTC. Si un économiste mandaté par la société Stéphanoise des eaux a estimé le montant de ces mêmes travaux à 34 235,30 euros, d'une part de détail de ce chiffrage n'a pas été produit à l'instance et, d'autre part, l'expert n'a pas modifié son évaluation au vu de ce chiffrage.

16. M. B..., qui ne remet pas en cause la solution technique préconisée par l'expert, soutient que le coût des travaux en cause a été sous-évalué par ce dernier et, qu'en outre, il convient de tenir compte de l'augmentation du coût des travaux depuis la date de l'expertise. Cependant, d'une part, M. B... n'établit pas, par les seules pièces produites, avoir été dans l'impossibilité d'obtenir des devis depuis la remise de l'expertise, ni, par suite avoir été dans l'impossibilité de faire effectuer les travaux préconisés depuis cette date. D'autre part, il n'est fondé ni à se prévaloir des devis produits par ses soins au moment des opérations d'expertise, qui ont été écartés au motif qu'ils ne correspondaient pas aux travaux préconisés et étaient sur évalués, ni du devis établi par l'entreprise Colas le 17 novembre 2022 pour un montant de 80 916 euros TTC dès lors que ce dernier ne prévoit pas les travaux de détournement du réseau d'évacuation des eaux pluviales de l'immeuble préconisés par l'expert, mais des travaux de raccordement de la totalité du réseau d'assainissement de l'immeuble au collecteur de la rue ... après déconnexion total de ce réseau du collecteur de la rue ....

17. Dans ces conditions, faute d'éléments de nature à établir que le coût des travaux préconisés pour le détournement du réseau d'évacuation des eaux pluviales de l'immeuble aurait été mal évalué par l'expert, le montant du préjudice correspondant à ces travaux sera fixé à 44 000 euros TTC, conformément à l'évaluation expertale.

18. En second lieu, pour mettre fin aux désordres affectant le hall de l'immeuble, dont l'inondation n'est survenue qu'une seule fois en juillet 2019 dans des conditions de pluviosité qualifiées d'exceptionnelles, et éviter l'inondation de la cave par surverse, l'expert a préconisé des travaux consistant à créer une porte étanche, faisant office de batardeau, pour protéger l'entrée de la cave et à étanchéifier le bas des murs du hall de l'immeuble sur une hauteur de 50 à 60 cm, travaux qu'il a estimé à un montant total de 6 960 euros TTC.

19. Pour justifier du montant demandé au titre de ce chef de préjudice, qu'il évalue à une somme totale de 31 130, 88 euros TTC, M. B... s'appuie sur un devis établi par la société Eiffage qui n'a pas été retenu par l'expert, incluant des travaux de surélévation du sol et de réfection du carrelage non préconisés aux termes des conclusions expertales. S'il produit par ailleurs un devis d'un montant de 8 170,27 euros, établi le 9 novembre 2022, pour le remplacement de la porte d'entrée de l'immeuble par une porte étanche, M. B... ne peut cependant pas se prévaloir d'un tel poste de préjudice compte tenu du caractère exceptionnel de l'inondation du hall de l'immeuble. Au demeurant, le remplacement de la porte d'entrée de l'immeuble n'a pas été envisagé par l'expert qui n'a préconisé que le remplacement de la porte de la cave. S'agissant des travaux relatifs au changement de la porte de la cave et à l'étanchéification des murs du hall d'entrée, M. B... produit un devis établi par un artisan le 14 novembre 2022 chiffrant ces travaux à hauteur de 10 900 euros HT, mentionnant par ailleurs, pour un montant de 6 050 euros HT, des travaux de reprise de l'ensemble des murs de l'immeuble pour des raisons esthétiques. Le montant du préjudice tel qu'évalué par l'expert n'étant assorti d'aucun devis et ne comportant aucune précision sur le chiffrage, le montant du devis produit par M. B... pourra être retenu, à l'exception toutefois des travaux de nature purement esthétique qui n'ont pas de lien direct avec la cause des désordres. Dans ces conditions, le préjudice résultant des travaux visant à mettre fin aux désordres affectant le hall de l'immeuble et au risque d'inondation de la cave par surverse sera évalué, après application d'un taux de TVA de 10 %, à la somme de 11 990 euros TTC.

En ce qui concerne les autres préjudices matériels :

20. En premier lieu, M. B... demande le remboursement des frais engagés en 2019, 2020 et 2021 pour le nettoyage de la cave et du hall d'entrée de l'immeuble. L'expert indique que les travaux de nettoyage de la cave ont été rendus nécessaires pour les besoins de l'expertise et demandés par lui. Il a retenu à ce titre une facture établie le 4 janvier 2019 par la société Iso Déco d'un montant de 3 924 euros. Par ailleurs, il a retenu une facture d'un montant de 1 374 euros établie par la même société correspondant aux frais de nettoyage du hall d'entrée, indiquant que l'inondation du mois de juillet 2019 a rendu nécessaire ces travaux. Si M. B... soutient qu'il s'est acquitté d'une somme de 1 068 euros pour une nouvelle prestation de nettoyage suite aux inondations de 2021, il ne produit aucune facture de nature à en attester. Dans ces conditions, une somme de 5 298 euros lui sera allouée en réparation de ce chef de préjudice.

21. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise que M. B... a dû engager des frais en raison des opérations de pompage correspondant aux huit inondations ayant eu lieu depuis 2013 dont le coût a été estimé à la somme forfaitaire de 4 000 euros. Ce montant n'étant pas remis en cause en défense, il sera fait droit à la demande présentée pour ce chef de préjudice à hauteur du montant retenu par l'expert.

22. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et notamment d'un courriel du 5 août 2020 que M. B... a réglé une somme de 2 078,66 euros TTC pour faire établir des constats d'huissier à la suite des inondations de son immeuble. Il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en retenant ce montant de 2 078,66 euros.

23. En quatrième lieu, le requérant demande le remboursement des frais exposés pour la réfection du parquet du local commercial situé dans son immeuble. Il résulte toutefois du rapport d'expertise que si ce local comporte quelques traces d'inondation, ces dernières sont discrètes et l'ensemble du local commercial est dans un état de " normalité d'usage ". En outre si M. B... soutient que ce local a subi plusieurs inondations, il ne produit aucune pièce de nature à l'établir, pas plus qu'il n'établit l'état de dégradation du parquet. Par suite, la demande présentée pour ce chef de préjudice doit être écartée.

24. En cinquième lieu, si M. B... sollicite une somme de 5 000 euros au titre de la perte des revenus locatifs résultant de l'impossibilité de mettre en location les caves de son immeuble, il résulte du rapport d'expertise que la cave n'était pas en état d'être louée en l'absence, notamment, de travaux de séparation et, que l'absence de cave était sans incidence sur le prix de location des logements. En outre, si M. B... fait valoir que les travaux de séparation n'ont pu être réalisés en raison des inondations récurrentes, il ne produit aucun élément de nature à établir qu'il aurait envisagé de tels travaux ou cherché à mettre en location cette cave. La perte de chance invoquée n'est donc pas établie. L'indemnisation demandée au titre de ce chef de préjudice doit donc également être écartée.

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

25. M. B... demande l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant des inondations récurrentes affectant son immeuble et de la nécessité de gérer les conséquences des sinistres en résultant. Ce chef de préjudice, qui se rattache au même fait générateur de responsabilité, est recevable quand bien même il n'aurait pas été évoqué dans la demande d'indemnisation préalable du 30 janvier 2020. Les fins de non-recevoir présentées en défense seront donc écartées. Dans les circonstances de l'espèce, il pourra être fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en allouant à ce titre à M. B... une somme de 1 000 euros.

26. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de porter le montant de l'indemnisation due au titre de l'ensemble des préjudices résultant pour M. B... des inondations récurrentes affectant son immeuble à la somme de 68 366,66 euros, qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2020, date de présentation de sa demande d'indemnisation préalable. En l'absence de conclusion à fin d'appel en garantie, il n'y a pas lieu en l'espèce de procéder à un partage de responsabilité et le montant de l'indemnité ainsi allouée à M. B... en réparation de l'ensemble de ses préjudices sera mise à la charge solidaire de Saint-Etienne Métropole, maitre de l'ouvrage, et de la société Stéphanoise des eaux, concessionnaire du réseau d'assainissement à la date du dommage.

Sur les dépens :

27. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ".

28. Compte tenu de ce qui a précédemment été exposé, les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme 5 923 euros par une ordonnance du 13 janvier 2020 du président du tribunal administratif de Lyon resteront à la charge solidaire de Saint-Etienne Métropole et de la société Stéphanoise des eaux.

Sur les frais de l'instance :

29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de Saint-Etienne Métropole et de la société Stéphanoise des eaux, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés en appel. M. B... n'est pas fondé à demander la réformation du montant de la somme 2 000 euros qui lui a été allouée au titre des frais exposés en première instance. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux, parties perdantes.

DECIDE :

Article 1er : Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux sont condamnées solidairement à verser à M. B... une somme de 68 366,66 euros au titre de l'indemnisation de l'ensemble de ses préjudices. Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2020.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 2007678 du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Lyon est réformé en tant qu'il est de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les dépens sont maintenus à la charge solidaire de Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux.

Article 4 : Saint-Etienne Métropole et la société Stéphanoise des eaux verseront une somme de1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Saint-Etienne Métropole et à la société Stéphanoise des eaux. Copie en sera adressée à M. A... D..., expert.

Délibéré après l'audience du 12 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet de la Loire, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01296


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01296
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03-02 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics. - Conception et aménagement de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : DESCHODT KUNTZ & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;22ly01296 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award