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13/02/2024 | FRANCE | N°22LY03237

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 février 2024, 22LY03237


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



I- M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 juin 2022 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.



II- Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 juin 2022 par lesquelles

le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

I- M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 juin 2022 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

II- Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 juin 2022 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par un jugement nos 2205280 et 2205282 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 novembre 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Morel, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 octobre 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 14 juin 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône, à titre principal, de délivrer à chacun d'eux un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à titre subsidiaire de statuer sur leurs droits au séjour dans un délai d'un mois à compter de la même date, et de leur délivrer dans un délai de quinze jours à compter de la même date des autorisations provisoires de séjour les autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne les décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

- ces décisions méconnaissent l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien, l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces décisions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :

- ces décisions sont illégales en raison de l'illégalité des décisions de refus de titre de séjour ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elles violent l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- ces décisions doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation des obligations de quitter le territoire français.

La requête a été communiquée à la préfète du Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller,

- et les observations de Me Morel, avocate des époux B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1975, titulaire d'une carte de séjour portant la mention " travailleur saisonnier " valable jusqu'au 31 mai 2019, a sollicité le 17 avril 2019 un changement de statut et la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou le renouvellement de son titre. Mme B..., ressortissante tunisienne née en 1983, est venue rejoindre son époux en France en juin 2018 avec les deux enfants mineurs du couple, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de type C valable trente jours. Elle a sollicité le 18 février 2020 la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un jugement du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision implicite de rejet née du silence conservé sur la demande de titre de séjour de M. B..., faute pour l'administration d'en avoir communiqué les motifs dans un délai d'un mois suivant sa demande en ce sens, et a enjoint au préfet de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois. Par des décisions du 14 juin 2022, le préfet du Rhône a refusé aux deux époux de leur délivrer des titres de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de ces mesures d'éloignement. Les époux B... relèvent appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants tunisiens en vertu de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien visé ci-dessus, dispose par ailleurs que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

3. Les pièces produites par les époux B... justifient tout au plus la présence ponctuelle de M. B... en France entre les années 2005 et 2010, mais non qu'il y aurait alors résidé durablement ou à titre habituel. Par ailleurs, s'il est établi que durant les années 2010 à 2017, M. B... a travaillé dans le Vaucluse en qualité d'ouvrier agricole, il ressort des pièces du dossier qu'il y résidait alors et n'y était employé que six mois par an, comme l'imposait le titre portant la mention " saisonnier " dont il était titulaire. Ce n'est qu'à compter de l'année 2018 que M. B..., désormais employé en qualité d'opérateur polyvalent dans une agence d'intérim, a résidé de manière permanente en France, où il a été rejoint par son épouse et leurs deux premiers enfants qui y ont été scolarisés. Le troisième enfant du couple est né en France en 2019 et était pré-inscrit en petite section de maternelle à la date des décisions attaquées. Les époux B... disposent de leur propre logement, un appartement T3 dont ils sont locataires à Vaulx-en-Velin. Ils invoquent leurs liens avec le frère et la sœur de M. B..., ainsi que le père et deux frères de Mme B.... Enfin, les requérants font valoir que le cadet de leurs enfants souffre d'une diplégie spastique ainsi que de syndromes évocateurs de troubles du spectre de l'autisme à l'origine d'un handicap lourd et d'un retard sévère dans les champs psychomoteur, du langage et du comportement, nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire disponible en France, mais non en Tunisie. Toutefois, à la date des décisions attaquées, l'enfant ne disposait pas encore d'une place dans le type d'établissement médico-éducatif vers lequel il avait été orienté par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Par ailleurs, les certificats établis par des médecins tunisiens postérieurement à la notification des décisions attaquées ne précisent pas quels soins seraient indisponibles en Tunisie, se bornant à déplorer en termes généraux l'absence de capacités et de structures pluridisciplinaires permettant une prise en charge " optimale ". De même, les observations présentées par le Défenseur des droits en 2020 devant un tribunal administratif concernant la prise en charge en Tunisie des enfants autistes souffrant d'un handicap psychique et cognitif ne sauraient démontrer l'indisponibilité en Tunisie des soins nécessaires au fils des requérants, qui est atteint d'un handicap différent. Par ailleurs, les requérants ne sont pas dépourvus d'attaches en Tunisie, où vivent notamment la mère, les quatre frères et les cinq sœurs de M. B.... Dans ces circonstances, et compte tenu du caractère récent de l'installation des intéressés en France avec leurs enfants, le refus de leur délivrer un titre de séjour n'a pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit dès lors être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".

5. Les époux B... se prévalent des circonstances déjà mentionnées pour soutenir que des cartes de séjour portant la mention " vie privée et familiale " auraient à tout le moins dû leur être délivrées sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 3 du présent arrêt, le préfet du Rhône, en estimant qu'ils ne faisaient état d'aucune considération humanitaire ni d'aucun motif exceptionnel justifiant leur admission au séjour à titre exceptionnel, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que les époux B... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des refus de leur délivrer un titre de séjour à l'encontre des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français.

7. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus mentionnés, les époux B..., qui n'ont pas développé d'autres arguments, ne sont pas fondés à soutenir que les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. Rien ne fait obstacle à ce que les enfants des requérants quittent la France avec eux, et il n'est pas établi qu'ils ne pourront poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Au demeurant, ainsi que cela a été exposé au point 3, à la date des décisions attaquées, leur fils cadet ne disposait pas encore en France d'une place dans un établissement médico-éducatif du type vers lequel il avait été orienté, et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pouvait avoir accès à la prise en charge médicale dont il a besoin en Tunisie.

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :

10. Il découle de ce qui vient d'être exposé que les époux B... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre des décisions fixant le pays de destination de leur éloignement.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

12. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des époux B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Mme C... A... épouse B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03237


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03237
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : MOREL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22ly03237 ?
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