Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme totale de 41 767,36 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices consécutifs aux complications de la chirurgie digestive pratiquée le 29 juin 2016.
Par un jugement n° 1909936 du 6 octobre 2020, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'ONIAM à verser à Mme E... une somme de 20 291,24 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 2019, sous déduction de la somme de 20 076 euros allouée à titre provisionnel par l'ordonnance n° 1907933 du 30 mars 2020 du juge des référés de ce tribunal.
Procédure devant la cour :
Par un arrêt avant dire droit du 20 mai 2022, la cour, d'une part, a retenu que l'intégralité des dommages subis par Mme E... dans les suites de l'intervention consistant en la réalisation d'un court-circuit gastrique pratiquée le 29 juin 2016 à l'hôpital Edouard Herriot remplissait les conditions d'indemnisation par la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, a constaté que Mme E... ne demande à être indemnisée qu'à hauteur de 45 % du dommage qu'elle a subi au regard des seules conséquences en lien avec l'ulcère anastomotique et, d'autre part, a décidé, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme E..., qu'il serait procédé à une expertise contradictoire en présence de Mme E..., des caisses primaires d'assurance maladie de l'Ain et de la Loire et de l'ONIAM.
Le rapport d'expertise établi par le docteur C..., expert désigné par une ordonnance du 6 mars 2023, a été enregistré au greffe de la cour le 3 juin 2023.
Par une ordonnance du 8 juin 2023 le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 1 901,47 euros.
Par un mémoire enregistré le 21 juillet 2023, et un mémoire non communiqué enregistré le 5 octobre 2023, Mme E..., représentée par la SELAS Agis agissant par Me Rossi, conclut aux mêmes fins que ses écritures précédentes et demande à la cour de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité totale de 80 736,16 euros, avec intérêts au taux légal, au titre de ses préjudices actuels.
Elle soutient que :
- son état de santé n'est pas consolidé ;
- elle peut prétendre, pour une fraction de 45 % de l'ensemble de ses préjudices, à :
* la somme de 19 571,85 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
* la somme de 13 500 euros au titre des souffrances endurées ;
* la somme de 2 700 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
* la somme de 28 596,01 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels ;
* la somme de 16 368,30 euros au titre de l'aide par une tierce personne.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, agissant par Me Ravaut, demande à ce que les conclusions indemnitaires de Mme E... soient ramenées à de plus justes proportions.
Il soutient que :
- l'indemnisation au titre de la perte de revenus, qui ne peut débuter qu'à compter du 45ème jour après l'intervention du 29 juin 2016 afin de tenir compte de la période de convalescence normale, ne saurait excéder la somme de 14 788,35 euros ;
- l'existence du besoin d'assistance par une tierce personne n'est pas établie ; à titre subsidiaire, l'indemnisation due au titre de ce poste de préjudice ne saurait excéder la somme de 501,93 euros ;
- l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire ne saurait excéder la somme de 5 251,50 euros ;
- l'indemnité allouée au titre des souffrances endurées ne saurait excéder la somme de 6 975 euros ;
- l'indemnité allouée au titre du préjudice esthétique temporaire ne saurait excéder, compte tenu de la part imputable à l'ulcère anastomotique, la somme de 315 euros ;
- les indemnités mises à la charge de l'ONIAM ne sauraient produire intérêts au taux légal avant la date de saisine du juge des référés, soit le 11 octobre 2019.
Par une ordonnance du 4 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Fournier, substituant Me Rossi, représentant Mme E... et celles de Me Renard, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt avant dire droit du 20 mai 2022, la cour, d'une part, a retenu que l'intégralité des dommages subis par Mme E... dans les suites de l'intervention consistant en la réalisation d'un court-circuit gastrique pratiquée le 29 juin 2016 à l'hôpital Edouard Herriot remplissait les conditions d'indemnisation par la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, a constaté que Mme E... ne demande à être indemnisée qu'à hauteur de 45 % du dommage qu'elle a subis au regard des seules conséquences en lien avec un ulcère anastomotique et, d'autre part, a décidé, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme E..., qu'il serait procédé à une expertise contradictoire pour l'évaluation de ses préjudices. L'expert a déposé son rapport le 3 juin 2023. Mme E..., dans l'attente de la consolidation de son état de santé, demande à la cour de condamner l'ONIAM à lui verser une somme de 80 736,16 euros en réparation de ses préjudices actuels à hauteur d'une fraction de 45 % imputable aux conséquences de l'ulcère anastomotique survenu dans les suites de l'intervention du 29 juin 2016.
2. Il résulte de l'instruction que l'ulcère anastomotique à l'origine de la fraction des dommages dont Mme E... demande à être indemnisée doit être regardé comme ayant produit des effets certains sur son état de santé à compter du 1er octobre 2016, date à laquelle il a été diagnostiqué. Dans ces circonstances et au regard des conclusions de Mme E..., seuls les préjudices postérieurs à cette date pourront être indemnisés.
Sur les préjudices patrimoniaux :
En ce qui concerne l'assistance par tierce personne :
3. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise des 23 décembre 2018 et 25 mai 2023, que Mme E..., qui ne peut plus s'alimenter normalement, est victime, pour cette raison, de nombreux malaises et crises d'hypoglycémie, et souffre d'un syndrome dépressif sévère, en lien avec la chirurgie bariatrique et ses complications comme indiqué dans un certificat médical établi par le Dr D..., psychiatre, ayant conduit à plusieurs tentatives d'autolyse, a subi un déficit fonctionnel temporaire de 50 % pour la période du 1er octobre 2016 au 11 août 2022, puis un déficit fonctionnel de 70 % à compter du 31 août 2022, à raison de la lésion du nerf sciatique gauche provoquée par l'acte d'autolyse d'août 2022. Dans ces conditions, le besoin d'assistance par une tierce personne pourra être évalué à 1 heure par jour à compter du 1er octobre 2016. En conséquence, il y a lieu de fixer l'indemnisation due à Mme E... au titre de l'assistance par tierce personne, à partir d'un taux horaire moyen de 14,80 euros, tenant compte de l'ensemble des charges patronales et majorations pour travail dominical et d'une année de 412 jours pour tenir compte des droits à congés, à une somme de 36 807,60 euros pour la période du 1er octobre 2016 à la date du présent arrêt.
En ce qui concerne la perte de revenus temporaire :
4. Il résulte de l'instruction qu'avant l'intervention chirurgicale du 29 juin 2016, Mme E... était employée d'une agence d'aide à domicile, et percevait en moyenne une rémunération annuelle de 14 702 euros, ainsi qu'en attestent les relevés d'imposition produits à l'instance. Il en résulte que, pour la période courant du 1er octobre 2016 à la date du présent arrêt, la perte de revenu estimée de Mme E..., qui n'a pas repris d'activité professionnelle et a été déclaré inapte, s'élève à la somme de 107 814,67 euros.
5. Pour l'évaluation de la perte de gains professionnels subie par la requérante, il convient de déduire, d'une part, les sommes allouées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain au titre des indemnités journalières de sécurité sociale soit, du 1er octobre 2016 au 1er juin 2019, une somme de 18 574 euros, d'autre part, l'allocation adulte handicapée versée par la caisse d'allocations familiales perçue pour la période du 1er novembre 2016 au 30 mai 2019, soit 16 004,40 euros, et enfin la pension d'invalidité de 910,96 euros par mois versée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain à compter du 2 juin 2019, soit une somme de 50 102,80 euros jusqu'à la date du présent arrêt.
6. Il résulte de ce qui précède que la perte de revenus temporaires de Mme E... pour la période allant du 1er octobre 2016 à la date du présent arrêt doit être évaluée à la somme totale de 23 133,47 euros.
Sur les préjudices extra patrimoniaux :
En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :
7. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise des 23 décembre 2018 et 25 mai 2023, que Mme E... a subi un déficit fonctionnel temporaire total de 254 jours entre le 1er octobre 2016 et le 24 mai 2023 correspondant au total de ses jours d'hospitalisation sur cette période. Il en résulte également qu'en dehors des périodes d'hospitalisation, elle a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 50 % jusqu'au 31 août 2022, date à laquelle l'expertise du 25 mai 2023 a évalué son déficit fonctionnel temporaire à 70 % du fait de l'incidence de la lésion du nerf sciatique gauche imputable à l'acte d'autolyse ayant justifié son hospitalisation en août 2022. Dans ces circonstances, il sera fait une juste évaluation du préjudice subi à ce titre par Mme E... en l'évaluant à une somme de 25 000 euros.
En ce qui concerne le préjudice esthétique temporaire :
8. Aux termes des rapports d'expertise des 23 décembre 2018 et 25 mai 2023 le préjudice esthétique temporaire de Mme E... a été évalué à 3 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 4 000 euros.
En ce qui concerne les souffrances endurées :
9. Aux termes des rapports d'expertise des 23 décembre 2018 et 25 mai 2023, sur une échelle de 1 à 7, les souffrances endurées par Mme E... ont été évaluées à 5,5 jusqu'au 23 décembre 2018 puis à 5 à compter de cette date. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en l'évaluant à une somme de 30 000 euros.
10. Il résulte de tout de ce qui précède que les préjudices actuels subis par Mme E... du 1er octobre 2016 à la date du présent arrêt doivent être évalués à la somme totale de118 941,07 euros. Par suite, il y a lieu, compte tenu de la fraction évaluée à 45 % de l'ensemble de ces préjudices imputables à l'ulcère anastomotique survenu dans les suites de l'intervention du 29 juin 2016 et non contestée, de porter le montant de la somme due par l'ONIAM à Mme E... à la somme de 53 523,48 euros, sous déduction de la somme de 20 076 euros allouée à titre provisionnel par l'ordonnance n° 1907933 du 30 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Conformément aux termes de l'article 1153 du code civil, les intérêts moratoires ne courent qu'à compter de la sommation de payer. L'avis rendu le 14 février 2019 par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux ne constitue pas une sommation de payer adressée par Mme E... à l'ONIAM. En l'espèce, les intérêts au taux légal peuvent seulement courir à compter du 11 octobre 2019, date d'enregistrement de la requête formée devant le juge des référés en vue de l'octroi d'une provision. Par application de l'article 1343-2 du code civil, ils seront capitalisés à compter du 11 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les dépens :
12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
13. Les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit du 20 mai 2022 de la cour ont été taxés et liquidés à la somme de 1 901,47 euros par une ordonnance du président de la cour du 8 juin 2023. En l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais d'expertise à la charge de l'ONIAM.
Sur les frais d'instance :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros qui sera versée à Mme E... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 20 291,24 euros que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été condamné à verser à Mme E... est portée à un montant de 53 523,48 euros, sous déduction de la somme de 20 076 euros allouée à titre provisionnel par l'ordonnance n° 1907933 du 30 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 2019, capitalisés à compter du 11 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1909936 du 6 octobre 2020 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 901,47 euros, sont mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Article 4 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire. Copie en sera adressée au Dr A... C....
Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
F. PournyLa greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY03552