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19/01/2024 | FRANCE | N°23LY02267

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 19 janvier 2024, 23LY02267


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société CGI France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé 716 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 214 800 euros, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces amendes administratives.



Par un jugement n°

1708598 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a ramené le montant de ces amendes à un monta...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CGI France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé 716 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 214 800 euros, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces amendes administratives.

Par un jugement n° 1708598 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a ramené le montant de ces amendes à un montant total de 107 400 euros.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 août 2020 et 12 avril 2021, la société CGI France, représentée par Me Vuidard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 juin 2020 en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions d'annulation de la décision du 4 octobre 2017 et d'annuler ladite décision, à titre subsidiaire, de diminuer le montant de l'amende restant à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 4 octobre 2017 est insuffisamment motivée et il n'a pas été procédé à un examen particulier de la situation des différents salariés du site ;

- la sanction en litige est entachée d'une erreur dans ses motifs en ce qu'il est produit la preuve de la notification du message d'information concernant la modification du rythme de saisie des temps décidée le 6 mars 2017 ;

- son outil de décompte du temps de travail est conforme aux exigences du code du travail en matière de décompte et d'enregistrement du temps de travail des salariés ; le prétendu manque de fiabilité n'est pas démontré ;

- les salariés travaillant selon la modalité de temps de travail " réalisation de mission " auraient dû être exclus du champ de la décision de sanction.

Par un mémoire enregistré le 10 mars 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Une note en délibéré présentée par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a été enregistrée le 24 juin 2022 et des notes en délibéré présentées pour la société CGI France ont été enregistrées le 4 juillet 2022.

Par un arrêt n° 20LY02212 du 13 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement précité, annulé la décision du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes et condamné l'État à verser à la société CGI France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une décision n° 467553 du 30 juin 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt précité et a renvoyé l'affaire à la cour où elle a été enregistrée sous le n° 23LY02267.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire, enregistré le 10 août 2023, et un mémoire complémentaire non communiqué, enregistré avant clôture le 11 octobre 2023, la société CGI France, représentée par Me Vuidard, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708598 du 2 juin 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé 716 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 214 800 euros, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces amendes administratives ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 4 octobre 2017 est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de la situation de chacun des salariés concernés ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle méconnait le principe du contradictoire ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que son outil de décompte du temps de travail est conforme aux exigences du code du travail posées par les articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail et qu'il est d'une fiabilité suffisante ;

- les salariés travaillant selon la modalité de temps de travail " réalisation de mission " auraient dû être exclus du champ de la décision de sanction.

Par une ordonnance du 25 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 octobre 2023 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Charrier, substituant Me Vuidard, représentant la société CGI France.

Considérant ce qui suit :

1. La société CGI France, spécialisée dans les services et le conseil en technologie de l'information, a fait l'objet le 20 septembre 2016, d'un contrôle de l'inspection du travail portant sur la conformité de son outil de décompte de la durée du travail au sein de son établissement situé à Lyon. Par une décision du 4 octobre 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 214 800 euros sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail, sanctionnant l'absence de décompte de la durée de travail conforme aux prescriptions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, pour sept cent seize de ses salariés. Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a ramené le montant de cette amende à un montant de 107 400 euros. Par un arrêt du 13 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, saisie par la société CGI France, a annulé ce jugement et annulé la décision du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes. Par une décision du 30 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour pour qu'il y soit statué à nouveau.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 2° Infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". D'autre part, l'article L. 8115-5 du code du travail dispose, concernant l'amende prévue à l'article L. 8115-1 de ce code pour manquement à l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application, que la décision de prononcer cette amende prise par l'autorité administrative doit être motivée.

3. La décision du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes vise les dispositions applicables du code du travail, ainsi que les rapports de contrôle établis les 16 décembre 2016 et 9 juin 2017 par les agents de contrôle de l'inspection du travail ayant constaté des manquements en matière de décompte de la durée de travail pour les 435 salariés soumis au régime " modalité standard " et les 281 salariés soumis au régime " modalité réalisation mission " de l'établissement de la société CGI France situé à Lyon. Elle rappelle qu'en application de l'article L. 3171-2 du code du travail, l'employeur doit établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail pour chacun des salariés qui ne sont pas occupés selon un horaire collectif et que, pour satisfaire à cette obligation, l'employeur doit, en application de l'article D. 3171-8 du même code et selon la modalité qu'il a choisie, procéder soit à l'enregistrement quotidien, par tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail, soit au relevé quotidien du nombre d'heures de travail accomplies. Elle expose que le décompte du temps de travail des salariés soumis à chacun des deux régimes précités au sein de l'établissement est réalisé au moyen de l'outil automatisé PSA Time par auto déclaration anticipée effectuée par les salariés et validation a posteriori par les chefs de services. Elle indique que le dispositif de rectifications a posteriori des déclarations de temps de travail journalier validées par les chefs de service ne permet pas de satisfaire aux dispositions réglementaires d'enregistrement quotidien des temps de travail effectivement accomplis et que l'enregistrement par anticipation de l'horaire quotidien conventionnel n'est pas compatible avec la gestion d'un dispositif d'horaires individualisés. Elle mentionne en outre qu'il a été constaté des écarts importants entre les temps de présence sur le site de certains salariés et les temps de travail quotidiens figurant sur les documents de suivi de leur temps de travail. Ainsi, cette décision, qui n'avait pas à procéder à l'examen individuel de la situation de chaque salarié, comportait les éléments de faits suffisamment précis pour permettre, à sa seule lecture, à la société CGI France de connaître les griefs qui lui étaient reprochés et de discuter tant de la réalité des manquements relevés que de la situation des salariés concernés. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige doit donc être écarté.

4. En deuxième lieu, dès lors que l'administration a prononcé la sanction litigieuse en remettant en cause, au vu des constats effectués, les modalités de décompte du temps de travail et, par suite, la fiabilité du système de décompte mis en place pour l'ensemble des salariés de l'établissement de Lyon relevant des deux régimes horaires " modalité standard " et " modalité réalisation mission ", lesquels étaient identifiés avec suffisamment de certitude en étant désignés par la modalité d'organisation du temps de travail à laquelle ils étaient soumis, et non en raison des seules saisies individuelles non conformes, et qu'elle ne vise pas des salariés travaillant en forfait jour, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de chacun des salariés doit également être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 8115-5 du code du travail : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses observations (...) " et aux termes de l'article R. 8115-2 de ce code : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l'intéressé par l'intermédiaire du représentant de l'employeur mentionné au II de l'article L. 1262-2-1 le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / A l'expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l'intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 22 août 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes a informé à la société CGI France des manquements qui lui étaient reprochés et de l'amende envisagée et l'a invitée à présenter ses observations ; que ce courrier mentionne la présence en pièce jointe du rapport du 9 juin 2017 et de ses 21 annexes clairement dénommées, précisant que l'annexe 15, à raison de son caractère volumineux, était tenue à sa disposition dans le service. Si la société requérante a entendu faire valoir qu'elle n'aurait pas eu connaissance de l'ensemble de ces annexes, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle en aurait demandé la communication ou sollicité la consultation et qu'un refus lui aurait été opposé. Dans ces conditions, la société requérante a été mise à même de présenter toute observation utile préalablement à l'édiction de la sanction et, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. " En vertu de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. " et aux termes de l'article L. 8115-1 dudit code : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) / 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ".

8. Il résulte des dispositions citées au point précédent que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible.

9. En premier lieu, aux termes de l'article D. 3171-9 de ce code : " Les dispositions de l'article D. 3171-8 ne sont pas applicables : 1° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de travail prévoyant des conventions de forfait en heures lorsque ces conventions ou accords fixent les modalités de contrôle de la durée du travail ;(...) ". L'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail conclu le 30 juin 2008, applicable à l'établissement de Lyon, prévoit trois modalités de travail pour les salariés à temps complet, parmi lesquelles la modalité " réalisation de mission " dont les bénéficiaires sont régis par une convention de forfait en heures. L'article 3.3 de cet accord prévoit que les salariés relevant de cette modalité sont régis par l'article 3 du chapitre 2 de l'accord de réduction du temps de travail de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil. L'article 3.4 de ce même accord dispose que " conformément aux dispositions du chapitre 7 de l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail de la convention collective SYNTEC du 22 juin 1999, le dispositif permettant d'assurer la mesure du temps de travail effectif est constitué d'un document auto-déclaratif mensuel établi à la journée, renseigné par le salarié et visé par sa hiérarchie ". Le chapitre VII de cette convention, relatif à la mesure du temps de travail effectif, prévoit qu'" en cas d'horaire individualisé et de document déclaratif, la récapitulation hebdomadaire est effectuée conformément à l'article D. 212-21 du code du travail, le contrôle hiérarchique restant en général mensuel. "

10. Dès lors que les dispositions du chapitre VII de l'accord du 22 juin 1999 ne font que se référer aux dispositions de l'article D. 212-21 du code du travail, qui figurent désormais aux articles D. 3171-8 et D. 3171-9 de ce même code, et ne déterminent pas de modalités de contrôle de la durée du travail distinctes de celles prévues à ces mêmes articles, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes était fondé à relever les manquements de la société CGI France pour les salariés soumis à ce régime. Le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article D. 3171-9 du code du travail s'agissant des salariés soumis au régime " modalité réalisation mission " doit, par suite, être écarté.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les 435 salariés soumis au régime " modalité standard " et les 281 salariés soumis au régime " modalité réalisation mission " de l'établissement de la société CGI France situé à Lyon devaient déclarer, à la date du contrôle de l'inspection du travail, les heures travaillées chaque semaine en utilisant le logiciel " PSA Time ". A ce titre, jusqu'en mars 2017, un formulaire devait être rempli chaque semaine, avant le jeudi midi, portant sur les heures travaillées entre le dimanche et le samedi de la semaine en cours, les heures effectuées entre le jeudi et le samedi devant être déclarées de manière anticipée, le salarié ayant ensuite la possibilité de rectifier la durée du travail initialement déclarée. À compter du 6 mars 2017, les heures travaillées entre le dimanche et le samedi de la semaine en cours devaient être déclarées avant le vendredi à 17h. Quand un salarié souhaitait déclarer un nombre d'heures supérieur à la durée quotidienne de travail prévue à son contrat, un message s'affichait indiquant : " Votre déclaration dépasse le nombre d'heures attendu. Toute heure supplémentaire doit avoir été validée au préalable et ensuite être renseignée avec la sous-catégorie adéquate pour être payée. Merci de corriger le cas échéant ". Par ailleurs, l'inspection du travail a constaté, à l'occasion de plusieurs visites dans les locaux de l'établissement, que le taux de déclaration d'heures supplémentaires par les salariés employés dans l'établissement était quasiment nul et que les données relatives à la présence dans l'établissement issues de la comparaison des heures d'entrée et de sortie faisaient ressortir des écarts importants par rapport à la durée du temps de travail comptabilisée. Aucun élément versé aux débats par la société requérante ne permet de remettre en cause la réalité des constats ainsi opérés par les services de l'inspection du travail.

12. Les modalités de décompte de la durée du travail ainsi mises en œuvre par la société CGI France dans son établissement de Lyon pour les salariés relevant des deux régimes conventionnels " modalité standard " ou " modalité réalisation mission " ne permettent pas de les regarder comme assurant une " récapitulation " du nombre d'heures de travail telle qu'exigée par les dispositions de l'article D. 3171-8 du code du travail, faute de garantir, par un système objectif, fiable et accessible, que les éventuelles discordances entre la déclaration anticipée imposée à chaque salarié et le nombre d'heures effectivement accomplies soient assurées d'être corrigées. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entachée la décision litigieuse doit également être écarté.

13. Par ailleurs si la décision litigieuse mentionne que la société CGI France n'est pas en mesure de produire les notifications adressées aux salariés concernant la modification du rythme de saisie des temps décidée le 6 mars 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes ne s'est pas fondé sur ce motif pour prononcer la sanction contestée. Par suite le moyen tiré de l'erreur de fait sera également écarté.

En ce qui concerne le quantum :

14. Aux termes de l'article L. 8115-3 du code du travail dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-4 du code du travail applicable à la date de cette décision : " Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. (...) ".

15. Aux termes de l'article L. 8115-4 du code du travail : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. " Ces dernières dispositions relatives au choix des sanctions, en ce qu'elles prévoient la possibilité d'infliger seulement un avertissement, constituent des dispositions répressives plus douces dès lors applicables au présent litige.

16. Si la société CGI France fait valoir qu'à compter de mars 2017, afin de prendre en compte les constatations opérées par l'inspection du travail et avant la décision attaquée, elle a modifié son dispositif de décompte du temps de travail en reportant au vendredi 17 heures au plus tard le moment où la feuille de temps de la semaine devait faire l'objet d'une déclaration, il résulte de ce qui a été dit aux points 11 et 12 que les modalités ainsi mises en place ne permettaient pas de considérer que les temps de travail effectivement accomplis faisaient l'objet d'un enregistrement quotidien à la date de la décision contestée. Si par ailleurs, la société CGI France se prévaut de sa bonne foi et soutient que depuis le 5 mars 2018, elle a amélioré le logiciel " PSA Time ", l'inspecteur du travail ayant estimé, par courrier du 5 juillet 2018, que cet outil apparaissait comme conforme à la réglementation et que l'enregistrement des heures n'était plus anticipé, cette mise en conformité est intervenue un peu moins de deux ans après les premiers contrôles. Eu égard à la gravité des manquements et au nombre de salariés en cause, et alors que la société CGI France n'établit ni même n'allègue connaître de difficultés financières, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes n'a pas prononcé une sanction disproportionnée en fixant l'amende à la somme de 214 800 euros, soit 300 euros par salarié, alors que cette amende pouvait aller jusqu'à 2 000 euros par salarié à la date de la décision en litige.

17. Il résulte de ce qui précède que la société CGI France n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a ramené le montant de l'amende à 150 euros par salarié, soit un montant total de 107 400 euros.

Sur les frais d'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société CGI France demande au titre des frais liés à l'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société CGI France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société CGI France et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02267


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02267
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03 Travail et emploi. - Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : LINKLATERS LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;23ly02267 ?
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