Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le préfet de la Haute-Savoie a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté n° PC07427522X0016 du 10 janvier 2023 par lequel le maire de la commune de Talloires-Montmin a délivré à la SAS Louis 11 Capital un permis de construire pour la réalisation de cinq logements et l'arrêté n° PC07427522 X0015 du 10 janvier 2023 par lequel le maire de Talloires-Montmin a délivré à cette même société un permis de construire pour la réalisation de huit logements.
Le préfet de la Haute-Savoie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, repris à l'article L. 554-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de ces deux arrêtés.
Par une ordonnance n° 2303031 du 1er juin 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande du préfet de la Haute-Savoie tendant à la suspension de l'exécution de ces arrêtés du 10 janvier 2023.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 juin et 7 juillet 2023, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 1er juin 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de suspendre l'exécution des permis de construire délivrés le 10 janvier 2023 par le maire de la commune de Talloires-Montmin à la SAS Louis 11 Capital.
Il soutient que :
- les projets, pris isolément ou ensemble, par leurs dimensions importantes et leur situation sur de petites parcelles dans un secteur peu construit et aéré, constituent une extension de l'urbanisation du hameau d'Angon, constitué pour l'essentiel de maisons individuelles et ne comprenant que peu de constructions resserrées formant un noyau dur ;
- les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme sont méconnues ; qu'en effet le secteur concerné, qui n'est pas en continuité avec un village ou une agglomération existantes, ne peut être qualifié de village ; il s'agit d'un hameau, et donc, depuis la loi ELAN, d'un " autre espace urbanisé " ; le SCOT du bassin annécien approuvé le 26 février 2014 n'identifie ni ne détermine les critères d'identification de ces formes urbaines, qui ne sont pas plus délimitées par le PLU, et l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme n'autorise, dans ces conditions, pas les constructions dans cet " autre espace urbanisé " ;
- qu'au surplus ce même " autre espace déjà urbanisé " est situé dans un " espace proche " des rives du lac au sens de l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme, s'agissant de terrains situés entre 260 et 270 mètres de ce lac, et séparés de ce dernier par des espaces à dominante naturelle, le PLU évoquant un site plat des rives de Talloires et qualifiant le secteur de partie littorale ; que le PLU qualifie lui-même tout le territoire communal " d'espaces proches ", cette délimitation ayant été faite conformément aux préconisations du SCOT du bassin annécien ; ce même article L. 121-8 du même code n'y autorise dès lors pas les constructions, que le projet entraîne ou non une extension de l'urbanisation ; qu'en tout état de cause, au sein de tels espaces urbanisés, les projets ne pouvaient étendre l'urbanisation sans méconnaître ces mêmes dispositions de l'article L. 121-8 dudit code ;
- l'article L. 121-13 du code de l'urbanisme est également méconnu ; que cet article subordonne l'extension d'urbanisation à une justification spéciale du PLU, à défaut pour le SCOT du bassin annécien de comprendre des modalités d'application de la loi littoral suffisamment précises ; qu'à supposer que ce SCOT puisse être regardé comme comprenant de telles modalités, les permis en litige méconnaîtraient l'article L. 121-13 de ce code en ce qu'ils ne s'inscrivent pas dans les préconisations d'urbanisation raisonnable de ce SCOT et ne se trouvent pas dans les secteurs identifiés par le PLU pour accueillir la majorité de la capacité d'accueil, le PADD visant à revitaliser la centralité du bourg et n'évoquant pas le secteur d'Angon ; qu'en second lieu, l'extension ainsi autorisée pour la construction n° 15 ne peut être regardée comme limitée.
Par un mémoire, enregistré le 3 juillet 2023, la commune de Talloires-Montmin, représentée par Me Duraz, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 7 juillet 2023, la société Louis 11 Capital, représentée par Me Chopineaux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision par laquelle le président de la cour a, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, désigné Mme Mehl-Schouder, présidente de chambre, comme juge des référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 juillet 2023 à 14 heures :
- le rapport de Mme Mehl-Schouder, juge des référés,
- les observations de Me Duraz, représentant la commune de Talloires-Montmin, qui reprend les moyens et arguments de ses écritures,
- et les observations de Me Chopineaux, représentant la société Louis 11 Capital, qui reprend les moyens et arguments de ses écritures,
- le préfet de la Haute-Savoie n'étant ni présent, ni représenté.
Après avoir prononcé la clôture de l'instruction à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2023, a été présentée par la société Louis 11 Capital.
Une note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2023, a été présentée par la commune de Taloires-Montmin.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3. - Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. " (...) ".
2. Par un arrêté n° PC07427522X0016 du 10 janvier 2023, le maire de la commune de Talloires-Montmin a délivré à la SAS Louis 11 Capital un permis de construire portant sur la réalisation de cinq logements pour une surface de plancher de 720 m², sur un terrain situé 41 Clos Derrière, à Talloires, au lieu-dit Angon, et cadastré section AL n° 114. Par un arrêté n° PC07427522 X0015 du 10 janvier 2023 le maire de la commune de Talloires-Montmin a délivré à la SAS Louis 11 Capital un permis de construire portant sur la réalisation de huit logements avec un parking souterrain, pour une surface de plancher de 800 m², sur un terrain situé 19 rue de Nant d'Oy et cadastré section AL n° 80, situé dans le même lieu-dit. Le préfet de la Haute-Savoie a déféré ces permis au tribunal administratif de Grenoble, et a assorti son recours d'une demande de suspension de leur exécution. Par une ordonnance du 1er juin mai 2023, dont le préfet de la Haute-Savoie relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de suspension de l'exécution de ces permis de construire.
3. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme : " Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l'environnement, des particularités locales et de la capacité d'accueil du territoire, les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l'article L. 121-8, et en définit la localisation ". Aux termes de l'article L. 121-8 de ce code : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants./ Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dont les dispositions sont applicables à tout terrain situé sur le territoire d'une commune littorale, que ce terrain soit ou non situé à proximité du rivage. Ces dispositions prévoient que l'extension de l'urbanisation ne peut se réaliser qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants ainsi que, en dehors des espaces proches des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13 et de la bande littorale de cent mètres, dans les autres secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, déjà identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme.
5. En l'espèce, en premier lieu, les projets de construction, qui portent sur la réalisation de constructions, respectivement, de 8 logements pour 797 m² de surface hors œuvre et une hauteur de 13 mètres et de 5 logements pour 525 m² de surface hors œuvre et une hauteur de 13 mètres, sur des terrains vierges et en bordure du secteur bâti du hameau d'Angon, constituent une extension de l'urbanisation soumise au principe de continuité exposé au point précédent, au sens de l'article L. 121-18 du code de l'urbanisme, alors même que l'une des constructions jouxterait, sans lien fonctionnel, un bâtiment existant.
6. En deuxième lieu, les projets en litige ne sont pas situés en continuité avec une agglomération ou avec le bourg existant. Si, d'une part, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer de la conformité d'une autorisation d'urbanisme avec l'article L. 121-8 de ce code compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale applicable, déterminant les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissant leur localisation, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral, il ne ressort pas des pièces produites que le SCOT du bassin annécien approuvé le 26 février 2014 aurait déterminé ces critères d'identification. Ce hameau d'Angon s'inscrit au sein d'une zone naturelle. Celle-ci se poursuit, de l'autre côté de la route départementale, jusqu'au lac, et supporte deux campings ouverts au public et quelques équipements, plus particulièrement, de restauration, qui y sont liés. Bien que qualifié d'historique et d'ancien village vigneron, le centre de ce hameau ne comprend que quelques constructions d'habitation resserrées autour, essentiellement, une voie de circulation principale, ainsi, un peu à l'extérieur, un restaurant. Ces campings ne peuvent, en l'état de l'instruction et alors même qu'ils comprendraient des restaurants et quelques commerces, être qualifiés de village ou d'agglomération existants. Dans ces conditions, le hameau d'Angon ne présente pas un nombre et une densité de constructions suffisamment significatifs pour caractériser lui-même un village ou un agglomération existants au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, et doit, par suite, être qualifié de " secteur urbanisé " au sens de ce même article.
7. En troisième lieu, d'une part, l'absence d'identification par le SCOT annécien des secteurs urbanisés autres que les agglomérations et villages fait obstacle à une extension de leur urbanisation dans ces secteurs, alors même que ce SCOT a été approuvé antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi ° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). D'autre part, les projets de construction sont situés à une faible distance du lac d'Annecy, se situant autour de 250 mètres des rives, l'ensemble s'inscrivant dans une zone à forte dominante naturelle, alors même qu'elle comprend des campings et quelques constructions constituant le hameau d'Argon. Il est constant que les parcelles sont situées à quelques mètres au-dessus du lac et l'absence de visibilité sur le lac d'Annecy, ou, au demeurant, du lac vers le projet, n'est établie par les pièces produites que pour les étages bas des bâtiments projetés, qui auront une hauteur de 13 mètres, sans prise en compte des vues des constructions situées à l'arrière, et elle n'est au demeurant principalement due qu'à la densité de la végétation des haies séparatives actuelles. Le hameau d'Angon, de petite taille, s'inscrivant dans cette zone naturelle, la route départementale n° 909, elle-même très proche du rivage, ne peut être regardée comme constituant une coupure physique avec la zone naturelle allant jusqu'au lac. Le secteur d'implantation des constructions doit, dans ces conditions, être regardé comme situé dans un " espace proche " des rives, qualification au demeurant retenue par le rapport de présentation du PLU de Talloires lui-même, ce qui fait obstacle, aux termes mêmes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, à ce que ce secteur urbanisé puisse admettre une extension d'urbanisation, alors même qu'elle tendrait à améliorer l'offre de logements et que le PLU approuvé le 15 novembre 2018 classe ce hameau en zone UH*.
8. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des permis de construire en litige.
9. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, seul ce moyen est de nature à justifier la suspension de l'exécution des arrêtés du maire de la commune de Talloires-Montmin.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le premier juge a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de ces permis de construire et, par suite, à demander que cette ordonnance soit annulée et que cette suspension des permis de construire soit prononcée.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme que demandent la société SAS Louis 11 Capital d'une part, et la commune de Talloires-Montmin, d'autre part, l'Etat n'étant pas partie perdante.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 1er juin 2023 est annulée.
Article 2 : L'exécution des permis de construire délivrés à la société SAS Louis 11 Capital par le maire de Talloires-Montmin est suspendue.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société SAS Louis 11 Capital et la commune de Talloires-Montmin tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Haute-Savoie, à la commune de Talloires-Montmin et à la société SAS Louis 11 Capital.
Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Fait à Lyon, le 18 août 2023
La juge des référés
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02009