La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/2023 | FRANCE | N°21LY04261

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 29 juin 2023, 21LY04261


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1°) M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 613 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2019, en réparation des préjudices qu'il impute à l'illégalité de l'alinéa 2 de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.

Par une ordonnance n° 2007580 du 4 juin 2020, le président du tribunal administratif de Paris a transmis le dossier au tribunal administratif de Lyon, où il a été enregistré sou

s le n° 2003613.

2°) M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1°) M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 613 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2019, en réparation des préjudices qu'il impute à l'illégalité de l'alinéa 2 de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.

Par une ordonnance n° 2007580 du 4 juin 2020, le président du tribunal administratif de Paris a transmis le dossier au tribunal administratif de Lyon, où il a été enregistré sous le n° 2003613.

2°) M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser à titre de provision une somme de 613 500 euros en réparation des préjudices qu'il impute à l'illégalité de l'alinéa 2 de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique.

Par une ordonnance n° 2104781 du 18 mai 2021, le président du tribunal administratif de Paris a transmis le dossier au tribunal administratif de Lyon, où il a été enregistré sous le n° 2103706.

Par un jugement n° 2003613-2103706 du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande n° 2003613 et constaté le non-lieu à statuer sur la demande n° 2103706.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 décembre 2021, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 18 août 2022, M. B... A..., représenté par la SELARL Di Vizio, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2003613-2103706 du 26 octobre 2021 du tribunal administratif de Lyon, en tant qu'il a rejeté sa demande n° 2003613 ;

2°) de condamner le ministre de la santé à lui verser la somme de 613 500 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2019, en réparation du préjudice qu'il impute à l'article R. 4127-19 du code de la santé publique en ce qu'il interdit toute publicité aux médecins ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

* la juridiction disciplinaire l'a sanctionné sur le fondement de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique en ce qu'il interdit toute publicité aux médecins ;

* c'est à tort que la juridiction disciplinaire s'est fondée sur ce texte, qui est illégal en tant qu'il méconnait le droit de l'Union ;

* cette sanction disciplinaire l'a conduit à engager des frais pour sa défense et lui a fait perdre des revenus professionnels ;

* sa créance n'est pas prescrite.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2022, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

* la sanction disciplinaire se fonde sur l'interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce ;

* subsidiairement, les préjudices ne résultent pas directement de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, dès lors que la même sanction aurait pu être prononcée sur le fondement de l'interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce ;

* l'article R. 4127-19 du code de la santé publique n'était pas illégal au moment où la sanction a été prononcée ;

* la requête vise à remettre en cause la décision juridictionnelle définitive lui infligeant une sanction disciplinaire et méconnait l'autorité de la chose jugée ; les conditions de la responsabilité du fait d'une décision juridictionnelle pour méconnaissance du droit de l'Union ne sont pas réunies ;

* le préjudice allégué n'est pas établi ;

* subsidiairement, la créance invoquée est prescrite.

Par ordonnance du 25 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

* le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ensemble les arrêts préjudiciels de la cour de justice de l'Union européenne C-446/05 du 13 mars 2008, C-500/06 du 17 juillet 2008, C-475/11 du 12 septembre 2013 et C-339/15 du 4 mai 2017 ;

* le code de la santé publique ;

* le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience, à laquelle elles n'étaient ni présentes ni représentées.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

* et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 16 février 2012 devenue définitive, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a infligé à M. A..., alors médecin ophtalmologiste exerçant à Lyon, la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un an, dont six mois fermes et six mois avec sursis, la partie ferme de la sanction s'appliquant du 1er juillet 2012 inclus au 31 décembre 2012 inclus. Cette sanction se fonde sur les dispositions du code de déontologie médicale insérées à l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, selon lesquelles : " La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ".

2. Le requérant soutient que le second alinéa de cet article, qui a été ultérieurement abrogé par le décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle, était illégal en tant qu'il méconnaissait le droit de l'Union. Il recherche la responsabilité de l'Etat au titre de l'illégalité de ce texte réglementaire. Dès lors toutefois que les seuls préjudices invoqués par le requérant sont ceux résultant de la procédure disciplinaire et de la décision juridictionnelle disciplinaire d'interdiction d'exercer, il doit être regardé comme recherchant en réalité la responsabilité de l'Etat du fait de cette dernière décision, dont il conteste d'ailleurs le bien-fondé.

3. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Il y a lieu, pour le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée du fait d'une violation manifeste du droit de l'Union à raison du contenu d'une décision d'une juridiction administrative devenue définitive, de rechercher si cette décision a manifestement méconnu le droit de l'Union au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de cette décision.

4. D'une part, à la date de la décision ordinale en litige, aucune décision n'avait établi l'incompatibilité du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, avec le droit de l'Union. Au contraire, dans un arrêt préjudiciel C-446/05 du 13 mars 2008, la cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que " L'article 81 CE, lu conjointement avec les articles 3, paragraphe 1, sous g), CE et 10, deuxième alinéa, CE, ne s'oppose pas à une législation nationale, telle que la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité en matière de soins dentaires, qui interdit à quiconque et à des prestataires de soins dentaires, dans le cadre d'une profession libérale ou d'un cabinet dentaire, de se livrer à quelque publicité que ce soit dans le domaine des soins dentaires ". Au point 38 de l'arrêt préjudiciel C-500/06 du 17 juillet 2008, la cour de justice de l'Union européenne a exposé que " la réglementation de la publicité télévisée relative aux traitements médicaux et chirurgicaux dispensés par les établissements médicaux privés est susceptible d'être justifiée au regard de l'objectif de protection de la santé publique ". Au point 57 de l'arrêt préjudiciel C-475/11 du 12 septembre 2013, la cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs précisé d'office que " l'application de manière non discriminatoire, à un professionnel de la médecine établi dans un autre État membre, de règles nationales ou régionales encadrant, au regard d'un critère relatif à l'éthique professionnelle, les conditions dans lesquelles un tel professionnel peut promouvoir ses activités dans le domaine concerné peut être justifiée par des considérations impérieuses d'intérêt général tenant à la santé publique et à la protection des consommateurs, pour autant que, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, l'application éventuelle de sanctions à l'égard d'un professionnel faisant usage de la libre prestation de services est proportionnée au regard du comportement reproché à l'intéressé ". Par une décision n° 383548 du 4 mai 2016, le Conseil d'Etat, saisi d'un refus d'abrogation des dispositions de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, a d'ailleurs jugé, au vu notamment de ces arrêts de la cour de justice de l'Union européenne, que les dispositions de cet article, qui prohibent le recours aux procédés publicitaires par les médecins et sont indistinctement applicables à tous les praticiens exerçant sur le territoire national, poursuivent un objectif d'intérêt général de bonne information des patients et, par suite, de protection de la santé publique. Il a précisé qu'elles sont propres à garantir la réalisation de cet objectif et n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour l'atteindre, dès lors qu'elles ne font pas obstacle à la délivrance d'informations médicales à caractère objectif et à finalité scientifique, préventive ou pédagogique et d'informations à caractère objectif sur les modalités d'exercice, destinées à faciliter l'accès aux soins. Il en a dès lors déduit qu'elles ne sont ainsi pas contraires aux stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatives à la liberté d'établissement.

5. D'autre part, ce n'est que par l'arrêt préjudiciel C-339/15 du 4 mai 2017 que la cour de justice de l'Union européenne a fait évoluer sa jurisprudence. Elle a tout d'abord dit pour droit que la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ne s'oppose pas à une législation nationale qui protège la santé publique et la dignité de la profession de dentiste en interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et en fixant certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires, confirmant ainsi la pertinence de la justification envisagée au regard de l'objectif de protection de la santé publique. Elle a en revanche dit pour droit que la directive 2000/31 du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur s'oppose à une législation nationale qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d'un site Internet créé par un dentiste. Mais les publicités en cause dans la décision ordinale en litige dans la présente instance ne reposaient pas sur ce support. Enfin, la cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) s'oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires. Elle n'a toutefois apporté cette réponse à la question préjudicielle qu'après avoir, aux points 53 à 57 de son arrêt, spécialement recherché si l'article invoqué était opérant. Elle a à cet égard rappelé que " selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du traité garantissant les libertés de circulation ne sont pas applicables à une situation dans laquelle tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre ", et n'a admis l'applicabilité de l'article qu'après avoir relevé qu'en l'espèce " il ressort de la décision de renvoi qu'une partie de la clientèle de M. C... vient d'autres États membres ", circonstance qui ne ressort pas de l'instruction concernant la situation de M. A.... La cour de justice de l'Union européenne a également relevé aux points 68 et 69 de son arrêt que " l'usage intensif de publicités ou le choix de messages promotionnels agressifs, voire de nature à induire les patients en erreur sur les soins proposés, est susceptible, en détériorant l'image de la profession de dentiste, en altérant la relation entre les dentistes et leurs patients, ainsi qu'en favorisant la réalisation de soins non appropriés ou non nécessaires, de nuire à la protection de la santé et de porter atteinte à la dignité de la profession de dentiste " et que " dans ce contexte, une interdiction générale et absolue de la publicité est apte à garantir la réalisation des objectifs poursuivis en évitant tout usage, par les dentistes, de publicités et de messages promotionnels ". Elle a enfin relevé au point 71 de son arrêt que " s'agissant de la nécessité d'une restriction à la libre prestation des services telle que celle en cause au principal, il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité et qu'il appartient, en principe, aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Celui-ci pouvant varier d'un État membre à l'autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d'appréciation ". L'interprétation finalement retenue par cet arrêt, qui a été rendu sur conclusions contraires de l'avocat général indiquant être " d'avis que les États membres sont en droit d'interdire aux prestataires de soins dentaires de faire de la publicité auprès du public pour leurs prestations, dès lors que cette interdiction se limite effectivement à la promotion de celles-ci ", n'était donc pas manifestement prévisible et ne s'inscrivait pas dans une jurisprudence bien établie de la cour de justice de l'Union européenne en la matière.

6. Il ressort de l'ensemble des éléments qui viennent d'être exposés qu'à la date où la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a infligé à M. A... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un an, l'inapplicabilité du second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique, en raison de sa contrariété avec un article utilement invocable du TFUE, n'était pas manifeste. M. A... n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'Etat aurait engagé sa responsabilité en raison de cette décision juridictionnelle devenue définitive.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de la santé et de la prévention. Copie en sera adressée à l'ordre national des médecins.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY04261


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY04261
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Application du droit de l’Union européenne par le juge administratif français - Prise en compte des arrêts de la Cour de justice.

Juridictions administratives et judiciaires - Responsabilité du fait de l'activité des juridictions.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL DI VIZIO LAW

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-06-29;21ly04261 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award