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28/06/2023 | FRANCE | N°22LY00837

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 28 juin 2023, 22LY00837


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux demandes distinctes, Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les arrêtés du 9 novembre 2021 par lesquels le préfet de la Côte-d'Or a ordonné, respectivement, son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, et son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2102916, 2102919 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé les arrêtés du 9 novembre 2021, et mis à la charge de l'Etat le versement à Me Lu

kec de la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux demandes distinctes, Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les arrêtés du 9 novembre 2021 par lesquels le préfet de la Côte-d'Or a ordonné, respectivement, son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, et son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2102916, 2102919 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé les arrêtés du 9 novembre 2021, et mis à la charge de l'Etat le versement à Me Lukec de la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2022, le préfet de la Côte-d'Or, représenté par la Selarl Centaure Avocats, agissant par Me Cano, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 22 février 2022 ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... C... épouse E... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la mesure d'expulsion porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée, qui continue de représenter une menace grave pour l'ordre public, compte tenu de la gravité des faits pour lesquels elle a été condamnée, qu'elle ne reconnaît pas et dont elle n'a pas pris la mesure ; sa présence habituelle en France depuis 2011 n'est pas établie ; la cellule familiale peut se reconstituer au Maroc ; s'agissant de son fils, il n'est pas démontré la nécessité de la présence de sa mère au quotidien ; elle ne dispose que d'un droit de visite médiatisé ; elle ne démontre pas d'intégration sociale ou professionnelle suffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2022, et un mémoire en production de pièce enregistré le 2 septembre 2022, Mme B... C... épouse E..., représentée par Me Lukec, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public ; elle est protégée contre une mesure d'expulsion en application de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'arrêté porte atteinte à son droit à mener une vie familiale normale.

Par une décision du 13 avril 2022, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme B... C... épouse E....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et, les observations de Me D'Ovidio pour le préfet de la Côte-d'Or.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante marocaine, est entrée régulièrement sur le territoire français, au titre du regroupement familial, au cours du mois de mai 2011. Par deux arrêtés du 9 novembre 2021, le préfet de la Côte d'Or a prononcé à l'encontre de Mme C... une mesure d'expulsion du territoire français et l'a assignée à résidence dans le département de la Côte-d'Or pour une durée de quarante-cinq jours. Le préfet de la Côte-d'Or relève appel du jugement du 22 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé ces arrêtés.

Sur le bien-fondé de l'annulation prononcée par le jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été condamnée par le tribunal correctionnel de Dijon à une peine d'emprisonnement de trois ans ferme pour des faits de violence sans incapacité sur un mineur de 15 ans, commis entre le 14 mai 2011 et le 18 juin 2012, sur les deux enfants de son époux, M. D.... Cette peine a été portée à quatre ans d'emprisonnement ferme par un arrêt de la Cour d'appel de Dijon du 22 mars 2018, compte tenu de la particulière gravité des sévices physiques, dont certains à caractère sexuel et psychologique exercés sur de très jeunes enfants, répétés quotidiennement pendant au moins un an et de l'absence de questionnement de la prévenue sur l'origine de son comportement. Interrogée sur sa perception des faits dix ans après, devant la commission d'expulsion, Mme C... persiste à nier leur matérialité pourtant définitivement acquise compte tenu de la condamnation prononcée par le juge pénal. La Cour d'appel de Dijon a relevé par des constatations de fait ayant autorité de chose jugée que les examens médicaux réalisés ont objectivé l'origine de multiples lésions, que le retard de croissance de l'aîné des enfants, les témoignages et la saisie d'objets au domicile corroborent les privations et maltraitances. En estimant, sur la base de l'ensemble de ces éléments, compte tenu de la gravité des faits à l'origine de sa condamnation, et en dépit de leur ancienneté et de leur caractère isolé, que la présence sur le territoire de Mme C... constituait une menace grave à l'ordre public justifiant une mesure d'expulsion, le préfet de la Côte d'Or n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée en France à l'âge de 24 ans, au bénéfice du regroupement familial pour rejoindre son époux. Elle est divorcée de M. D... depuis le 11 janvier 2016. Leur fils A..., né le 3 septembre 2012, a vécu séparé de sa mère durant ses deux ans et demi en détention. A la date de l'arrêté en litige, s'il réside au domicile de son père, il est également proche de sa demi-sœur, désormais majeure. Il souffre de problèmes scolaires et alimentaires et fait l'objet d'un suivi par les services de l'aide sociale à l'enfance. Mme C... dispose d'un droit de visite le mercredi et un droit de communication téléphonique deux fois par semaine. Même si son fils exprime le besoin de voir sa mère plus souvent, leur relation demeure complexe. Mme C... s'est remariée le 4 février 2017 avec M. E..., également ressortissant marocain, avec lequel elle a eu un enfant né le 21 mai 2020. Le couple est séparé à la date de la décision attaquée, en raison de violences conjugales que M. E... a reconnues dans une composition pénale, de sorte que la requérante vit seule avec son fils. Mme C... n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résident sa mère et ses trois sœurs. Ses deux enfants sont de nationalité marocaine. Dans ces circonstances et eu égard à la gravité des faits pour lesquels elle a été condamnée, l'arrêté d'expulsion n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts de défense de l'ordre public en vue desquels cette mesure a été prise.

5. Il suit de là que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les arrêtés du 9 novembre 2021. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C....

En ce qui concerne l'expulsion :

6. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par M. Christophe Marot, secrétaire général de la préfecture, qui disposait par arrêté n° 983/SG du 25 septembre 2020 publié au recueil des actes administratifs n° 21-2020-067 du 28 septembre 2020 d'une délégation de signature à l'effet de signer tous arrêtés relevant des attributions de l'État dans le département de la Côte-d'Or. Il n'est, dès lors, pas entaché d'incompétence.

7. En deuxième lieu, l'arrêté en litige, qui comporte l'énoncé des circonstances de fait et de droit qui en sont le fondement, est, par suite, suffisamment motivé.

8. En troisième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté en litige que le préfet de la Côte-d'Or n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme C... avant de prononcer son expulsion.

9. En quatrième lieu, Mme C..., entrée en France en 2011, fait valoir qu'elle réside France depuis plus de 10 ans, de sorte qu'elle ne pourrait légalement faire l'objet d'une mesure d'expulsion en application du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, les années passées en détention en exécution d'une peine privative de liberté ne peuvent être prises en compte au titre des dix ans de résidence régulière en France mentionnés par ces dispositions. Ce moyen ne peut, dans ces conditions, qu'être écarté.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de ce que M. Christophe Marot ne serait pas compétent pour prendre à l'encontre de Mme C... une mesure d'assignation à résidence ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, la décision d'assignation à résidence en litige comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent et est, ainsi, suffisamment motivée.

12. En troisième lieu, l'assignation à résidence prévue par les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constitue une mesure alternative au placement en rétention lorsque l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que son éloignement demeure une perspective raisonnable. Les circonstances dont Mme C... fait état, tirées de ce qu'elle justifie de garanties de représentation et d'un domicile ne permettent pas de considérer que l'assignation à résidence dont elle a fait l'objet serait dépourvue, en l'espèce, de justification.

13. En quatrième lieu, le préfet de la Côte-d'Or a fait obligation à Mme C... de se présenter quotidiennement, de 8 heures à 9 heures, au commissariat de police de Dijon. Dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de présentation quotidienne qui assortit l'assignation à résidence en litige ne présente pas un caractère disproportionné et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

14. Il résulte de ce tout qui précède que le préfet de la Côte-d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé les arrêtés du 9 novembre 2021. Les conclusions de l'intimée tendant à la mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais liés au litige doivent par voie de conséquence être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme C... la somme demandée au même titre par l'État.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2102916, 2102919 du 22 février 2022 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : Les conclusions des demandes de Mme C... et le surplus des conclusions des parties en appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... C... épouse E....

Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

M. Gilles Fédi, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Gilles Fédi

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00837


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00837
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDI
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-06-28;22ly00837 ?
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