La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2023 | FRANCE | N°21LY01562

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 28 juin 2023, 21LY01562


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Forestiers du Monde a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 septembre 2019 portant dérogation à l'interdiction de détruire et de dégrader des sites de reproduction et des aires de repos de spécimens d'espèces animales protégées et d'enlever des spécimens d'espèces végétales protégées dans le cadre d'un projet de plantation de vigne, sur la commune de Pernand-Vergelesses, ainsi que la décision implicite de r

ejet de son recours contre cet arrêté.

Par un jugement n° 2000189 du 18 mars 2021,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Forestiers du Monde a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 2 septembre 2019 portant dérogation à l'interdiction de détruire et de dégrader des sites de reproduction et des aires de repos de spécimens d'espèces animales protégées et d'enlever des spécimens d'espèces végétales protégées dans le cadre d'un projet de plantation de vigne, sur la commune de Pernand-Vergelesses, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours contre cet arrêté.

Par un jugement n° 2000189 du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour

I) Par une requête, enregistrée le 19 mai 2021, sous le n° 21LY01562, et un mémoire complémentaire, enregistré le 6 juin 2023, qui n'a pas été communiqué, la commune de Pernand-Vergelesses, représentée par la SCP du Parc, agissant par Me Geslain, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 18 mars 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'association Forestiers du Monde devant ce tribunal ;

3°) de mettre une somme de 1 000 euros à la charge de l'association Forestiers du Monde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'existence d'un intérêt public majeur compte tenu de la situation financière de la commune, justifiant la recherche de revenus fonciers indispensables à l'entretien de son patrimoine ; l'intérêt social que représente le projet a bien fait partie des considérations prises en compte par le préfet dans son arrêté du 2 septembre 2019 ; le secteur viticole local est le plus gros employeur de la commune, de sorte qu'augmenter les surfaces à cultiver constitue une solution pérenne de maintien de l'emploi et contribue à créer des activités pour les viticulteurs, ainsi que leurs fournisseurs et leurs sous-traitants ; le projet présente également un intérêt éducatif pour les écoliers ;

- subsidiairement, l'intérêt pédagogique et patrimonial du projet, dans le cadre de la promotion d'une AOP protégée et d'une relance de la tradition viticole dans le contexte de l'inscription des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l'humanité, peut être substitué au motif invoqué dans l'arrêté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2022, l'association Forestiers du Monde Association forestiers du monde, représentée par Me Lagarde, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la commune de Pernand-Vergelesses en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par ordonnance du 5 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 mai 2022.

II) Par une requête, enregistrée le 18 août 2022, sous le n° 22LY02562, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 18 mars 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'association Forestiers du Monde devant ce tribunal.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ne lui a pas été notifié ;

- c'est à tort que les premiers juges se sont abstenus de lire l'argument avancé en défense par le préfet, tiré de ce que la promotion du patrimoine viticole constituait à elle seule une raison impérative d'intérêt public majeur suffisante, comme une demande de substitution de motif, laquelle n'a pas à faire l'objet d'une demande expresse de la part de l'administration ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'existence d'un intérêt public majeur compte tenu de la situation financière de la commune ;

- subsidiairement, la préservation et la promotion du patrimoine viticole de la commune constitue une raison impérative d'intérêt public majeur ; la valeur patrimoniale et économique et des climats de Bourgogne est reconnue au niveau national et international.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2022, l'association Forestiers du Monde, représentée par Me Lagarde, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive pour avoir été introduite au-delà du délai raisonnable d'un an ;

- les moyens soulevés sont infondés.

Par ordonnance du 3 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 mars 2023.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- les observations de Me Dandon pour la commune de Pernand-Vergelesses.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 décembre 2018, la commune a présenté une demande de dérogation pour la destruction de sites de reproduction et d'aires de repos d'espèces animales protégées ainsi qu'une demande d'enlèvement de spécimens d'espèces végétales protégées. Après consultation publique, organisée du 18 avril au 4 mai 2019, le préfet de la Côte-d'Or a, par arrêté du 2 septembre 2019, accordé l'autorisation demandée.

2. Par le jugement dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté comme procédant d'une inexacte application des dispositions de l'article L. 411-2 du code l'environnement.

3. Les requêtes ont fait l'objet d'une instruction commune et sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité d'appel du ministre :

4. Aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : " Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige. Copie de la décision est adressée au préfet ainsi que, s'il y a lieu, à l'autorité qui assure la défense de l'Etat devant la juridiction. (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que le jugement attaqué n'a été pas été notifié au ministre dont relève l'administration intéressée au litige mais au seul préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'Or. Ce jugement ne relève pas des cas, visés au deuxième alinéa de l'article R. 751-8 du code de justice administrative, dans lesquels la notification doit être faite au préfet et non au ministre concerné qui n'en reçoit alors qu'une copie. Dans ces conditions, et sans qu'y puisse faire obstacle la circonstance que le ministre aurait eu connaissance de la décision litigieuse plus de deux mois avant de former le présent recours, le délai d'appel n'a pas couru à son encontre. Par suite, l'association Forestiers du Monde n'est pas fondée à soutenir que le recours du ministre de la transition écologique et solidaire serait tardif.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir, sans qu'une demande expresse de substitution de motifs soit requise, que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Devant le tribunal administratif, le préfet de la Côte-d'Or a soutenu que la préservation et la promotion du patrimoine viticole de la commune constituent une raison impérative d'intérêt public majeur. Il doit, ce faisant, être regardé comme ayant demandé que ce motif soit substitué à celui initialement retenu. En se bornant à relever que ces considérations ne sont pas au nombre de celles qui motivent l'arrêté en litige et en estimant, à tort, qu'aucune substitution de motifs n'était demandée, le tribunal administratif de Dijon ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé de cette demande. Dans ces conditions, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit donc être annulé.

8. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'association Forestiers du Monde devant le tribunal administratif de Dijon.

Sur la légalité de l'arrêté du 2 septembre 2019 :

9. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

11. D'une part, quelle que soit la situation financière de la commune de Pernand-Vergelesses et même en l'absence d'opportunité foncière, l'objectif de recherche de ressources financières ne saurait caractériser, par sa nature, une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

12. D'autre part, les défendeurs de première instance invoquent la préservation et la promotion du patrimoine viticole de la commune, dans le cadre d'une relance de la tradition viticole dans le contexte de l'inscription des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l'humanité, sans démontrer par des éléments concrets et probants en quoi elles constitueraient, en l'espèce, une raison impérative d'intérêt public majeur. La demande de substitution de motif présentée à ce titre doit, par suite, être rejetée.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, que l'association Forestiers du Monde est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 2 septembre 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent arrêt, qui confirme l'annulation de l'arrêté du 2 septembre 2019, laquelle est sans effet sur la légalité de l'autorisation de défrichement accordée pour la même opération, n'implique pas, en tout état de cause, la remise des lieux en leur état initial. Les conclusions présentées en ce sens par l'association Forestiers du Monde doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'association Forestiers du Monde, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel, verse à la commune de Pernand-Vergelesses la somme qu'elle demande au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'association Forestiers du Monde au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 18 mars 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 2 septembre 2019 du préfet de la Côte-d'Or portant dérogation à l'interdiction de détruire et de dégrader des sites de reproduction et des aires de repos de spécimens d'espèces animales protégées et d'enlever des spécimens d'espèces végétales protégées dans le cadre d'un projet de plantation de vigne sur le territoire de la commune de Pernand-Vergelesses est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la commune de Pernand-Vergelesses et à l'association Forestiers du Monde.

Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

M. Gilles Fédi, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Gilles Fédi

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01562-22LY02562


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01562
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FEDI
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SELARL DU PARC

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-06-28;21ly01562 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award