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27/04/2023 | FRANCE | N°22LY02462

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 27 avril 2023, 22LY02462


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 13 avril 2022 par lequel la préfète de l'Ain, d'une part, a retiré son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'autre part, a rejeté la demande de regroupement familial qu'il avait présentée au profit de son épouse, Mme B... A....

Par un jugement n° 2203544 du 27 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé cet ar

rêté, a enjoint à la préfète de l'Ain de procéder au réexamen de la demande de regro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 13 avril 2022 par lequel la préfète de l'Ain, d'une part, a retiré son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'autre part, a rejeté la demande de regroupement familial qu'il avait présentée au profit de son épouse, Mme B... A....

Par un jugement n° 2203544 du 27 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète de l'Ain de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial présentée par M. A..., dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. A..., d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

I. Par une requête, enregistrée le 5 août 2022, sous le numéro 22LY02642, la préfète de l'Ain demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M. A....

Elle soutient que :

- M. A... a délibérément indiqué de manière inexacte ne plus avoir de liens avec les membres de sa famille, aux seules fins d'être admis au séjour, de sorte que la fraude est établie ;

- la délivrance à l'intéressé d'un titre de séjour en qualité de salarié n'étant que la conséquence de l'injonction qui lui a été faite par le jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 mars 2020, les premiers juges ont commis une erreur de fait en relevant que les circonstances relatives à l'activité salariée de M. A... devaient être regardées comme ayant déterminé la délivrance d'un titre en cette qualité ;

- la décision de retrait de titre de séjour est suffisamment motivée ;

- la circonstance que ce retrait, pris en considération de la fraude commise par l'intéressé, ne vise aucune base légale est sans incidence sur sa légalité ;

- l'intention frauduleuse de M. A... était de nature à justifier le retrait du titre de séjour ;

- elle a pu légalement relever, en sollicitant une substitution de base légale, une méconnaissance de l'article L. 412-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que l'acte de mariage de l'intéressé, établi au Sénégal, mentionne qu'il opte pour la polygamie ;

- la procédure contradictoire préalable au retrait du titre de séjour a été respectée ;

- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu ;

- la décision de retrait du titre de séjour étant légale, elle était fondée à refuser à M. A..., pour ce motif, le bénéfice du regroupement familial ;

- la décision de retrait de titre de séjour étant légale, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas de ce fait entachée d'illégalité ;

- la mesure d'éloignement n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Zoccali, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la préfète de l'Ain ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 décembre 2022.

Un mémoire présenté par la préfète de l'Ain a été enregistré le 17 mars 2023, postérieurement à la clôture d'instruction et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

II. Par une requête, enregistrée le 5 août 2022, sous le numéro 22LY02463, la préfète de l'Ain demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution de ce jugement.

Elle soutient qu'elle a présenté des moyens sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et soulève les mêmes moyens que dans sa requête n° 22LY02462.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, M. A..., représenté par Me Zoccali, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 22 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2023.

Un mémoire présenté par la préfète de l'Ain a été enregistré le 17 mars 2023, postérieurement à la clôture d'instruction et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention du 1er août 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal sur la circulation et le séjour des personnes ;

- l'accord du 23 septembre 2006 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires et l'avenant à cet accord signé le 25 février 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- et les observations de Me Zoccali, représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant sénégalais né le 6 janvier 2001 et entré en France le 7 août 2017, a été confié à au service de l'aide sociale à l'enfance de l'Ain le 9 octobre 2017, jusqu'à sa majorité. Le 9 janvier 2019, le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 9 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et a enjoint au préfet de l'Ain de réexaminer la situation de M. A.... A la suite de ce réexamen, le préfet de l'Ain a, le 10 septembre 2019, confirmé le refus qu'il avait opposé à l'intéressé et l'a obligé à quitter le territoire français. Saisi par M. A..., le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 17 mars 2020, annulé ces décisions et a enjoint au préfet de l'Ain de délivrer à l'intéressé un titre de séjour en qualité de salarié. Le 16 juin 2021, il a sollicité le regroupement familial au bénéfice de son épouse, Mme B... A..., avec laquelle il s'est marié au Sénégal le 11 décembre 2020. Après avoir mis en œuvre une procédure contradictoire, la préfète de l'Ain a, par un arrêté du 13 avril 2022, retiré le titre de séjour de M. A... au motif qu'il n'avait été pris qu'à raison des manœuvres frauduleuses de l'intéressé, a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi. Par un jugement du 27 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et a enjoint à la préfète de l'Ain de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par M. A... dans un délai de quatre mois. Par deux requêtes distinctes, qu'il y a lieu de joindre, la préfète de l'Ain relève appel de ce jugement et demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution.

Sur la requête n° 22LY02462 :

2. Le préfet peut légalement faire usage du pouvoir général qu'il détient, même en l'absence de texte, pour retirer une décision individuelle créatrice de droits obtenue par fraude. Il appartient cependant à l'administration, et non à l'intéressé dont la bonne foi se présume, d'apporter la preuve de la fraude.

3. Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 433-1, elle est prolongée d'un an si l'étranger se trouve involontairement privé d'emploi. Lors du renouvellement suivant, s'il est toujours privé d'emploi, il est statué sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits qu'il a acquis à l'allocation d'assurance mentionnée à l'article L. 5422-1 du code du travail ".

4. Pour justifier la décision de retrait du titre de séjour accordé à M. A..., en qualité de salarié le 25 juin 2021, la préfète de l'Ain fait valoir que l'intéressé a obtenu, le 25 juin 2020, le titre de séjour portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " prévu à l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable délivré " dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. (...) " sur le fondement de fausses déclarations quant à ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. Toutefois, le titre de séjour accordé à M. A... en qualité de salarié, le 25 juin 2021, retiré par l'arrêté en litige, n'a pas été délivré sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, repris à l'article L. 435-3, qui n'était pas applicable à sa situation compte tenu de son âge à la date de délivrance de ce titre. Le titre de séjour accordé aux étrangers salariés sous contrat de travail à durée indéterminée, régi par l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas subordonné à la condition d'une absence de liens entre l'étranger et sa famille dans son pays d'origine. Dès lors, la préfète de l'Ain ne peut utilement se prévaloir des déclarations faites par l'intéressé dans le cadre de l'instruction de la demande d'admission au séjour ayant donné lieu à la délivrance du titre de séjour du 25 juin 2020 pour retirer le titre de séjour qui lui avait été délivré par la suite en qualité de salarié. Au demeurant, si M. A... a épousé, le 11 décembre 2020, dans la localité dont il est originaire au Sénégal, une compatriote qu'il connaissait depuis l'enfance, il ne saurait résulter de cette seule circonstance qu'il entretenait encore des liens avec les membres de sa famille vivant dans ce pays dans l'année qui a suivi son dix-huitième anniversaire pour l'application de l'article L. 313-15, soit en 2019. Si la préfète soutient que la conclusion d'un mariage coutumier au Sénégal implique nécessairement la présence de membres de la famille de M. A..., elle n'apporte aucun élément circonstancié de nature à justifier son allégation. De même, si la préfète se prévaut de ce que l'intéressé porte le même patronyme que son épouse, d'ailleurs très répandu au Sénégal, cette circonstance est en soi sans incidence pour caractériser les liens entretenus par l'intimé avec sa famille. Enfin, si la préfète produit le formulaire de demande de renouvellement de titre de séjour en qualité de salarié, complété par M. A... indiquant qu'il est célibataire, cette seule circonstance, alors au demeurant que ce formulaire n'est pas daté, ne saurait révéler une intention frauduleuse à l'obtention du titre de séjour en cause. Dans ces conditions, les éléments avancés par la préfète de l'Ain ne sont pas de nature à contredire les indications qu'avait fournies M. A... au soutien de sa première demande de titre de séjour selon lesquelles son père est décédé alors qu'il était très jeune et qu'il n'avait plus de contact avec sa mère, demeurée dans son pays d'origine. Par suite, et en tout état de cause, la préfète de l'Ain n'établit pas que M. A... a fourni de fausses indications à l'appui de sa demande initiale de titre de séjour dans une intention frauduleuse en vue de régulariser sa situation administrative.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. La préfète de l'Ain a sollicité en première instance une substitution de motifs, qu'elle réitère en appel, fondée sur le fait que M. A... s'est marié sous le régime polygamique dans son pays d'origine, en méconnaissance de l'article L. 421-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon lequel " Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui vit en France en état de polygamie. Tout document de séjour détenu par un étranger dans une telle situation est retiré. (...) ". Toutefois, le choix d'une telle option matrimoniale, alors que la monogamie de fait de M. A... n'est pas contestée, n'est pas de nature à justifier le retrait du titre de séjour litigieux.

7. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 13 avril 2022 retirant le titre de séjour délivré à M. A..., et, par voie de conséquence, la décision refusant le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, l'obligation de quitter le territoire français dont ce retrait était assorti ainsi que la décision fixant le pays de renvoi, lui a enjoint de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 22LY02463 :

9. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 27 juillet 2022, les conclusions de la requête n° 22LY02463 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 22LY02462 de la préfète de l'Ain est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22LY02463.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... A.... Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.

Le rapporteur,

F.-X. Pin

Le président,

D. PruvostLa greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

Nos 22LY02462,22LY02463


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02462
Date de la décision : 27/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : ZOCCALI

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-27;22ly02462 ?
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