Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2010.
Par un jugement n° 1701367 du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a, dans un article 1er, déchargé M. et Mme C... de ces impositions et des majorations correspondantes.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a demandé à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a déchargé les intéressés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à leur charge qui procèdent de l'imposition, dans la catégorie des traitements et salaires, de l'avantage consenti à M. C... par l'achat d'actions de la SA Prosol Gestion à prix préférentiel le 17 décembre 2010.
Le ministre soutenait que :
- le tribunal s'est mépris sur l'année d'imposition du gain réalisé en vertu des articles 79 et 82 du code général des impôts ;
- M. C... a perçu en 2010 un avantage constitué par l'acquisition d'actions de la SA Prosol Gestion à un prix préférentiel, lequel constitue un complément de rémunération imposable dans la catégorie des traitements et salaires en raison de sa qualité de cadre salarié du groupe Prosol ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu de maintenir l'imposition de la fraction de ce gain se rapportant aux actions cédées par la SARL Charly sur le fondement de l'article 111 c) du code général des impôts, qu'il convient de substituer à la base légale notifiée.
Par un mémoire, enregistré le 29 juillet 2019, M. et Mme C..., ont conclu au rejet de la requête, à la restitution des sommes versées à tort assorties des intérêts moratoires et à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutenaient que :
- le tribunal a, à bon droit, estimé que l'avantage relevé par l'administration n'était pas imposable dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l'année 2010 ;
- la proposition de rectification méconnaît les articles L. 17 et L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- la méthode utilisée par l'administration pour évaluer la valeur vénale des titres acquis est erronée, dès lors qu'elle ne pouvait pas se fonder sur des éléments postérieurs à la date de cession et qu'elle ne démontrait pas d'écart entre le prix d'achat unitaire de l'action Prosol Gestion le 17 décembre 2010 et la valeur réelle des titres à cette date par une évaluation qui ressortirait du jeu normal de l'offre et de la demande ;
- il n'existe pas d'avantage imposable dans la catégorie des traitements et salaires, en l'absence de lien de subordination ou de contrat de travail entre M. C... et Mme B... ou la SARL Charly, ou entre la SA Prosol Gestion et M. C... ;
- l'administration ne démontre pas l'absence ou l'existence d'un aléa suffisant caractérisant le risque économique pris ;
- le revenu en litige n'était pas imposable en 2010, en l'absence de perception du prix de cession au cours de cette année, dès lors que la vente de la société Prosol Gestion n'était pas certaine en 2010 et que M. C... était en outre soumis à un pacte d'actionnaire qui l'empêchait de céder ses titres en dehors de la volonté de l'actionnaire majoritaire ;
- la pénalité pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par un arrêt n° 19LY01234 du 15 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement en tant qu'il a accordé à M. et Mme C... la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, dans la catégorie des traitements et salaires, à raison de l'avantage consenti à M. C... par l'achat d'actions de la SA Prosol Gestion à un prix préférentiel auprès de la SARL Charly (article 1er), remis ces cotisations à la charge de M. et Mme C... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (article 2) et rejeté le surplus des conclusions des parties (article 3).
Par une décision n° 456671 du 19 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annulé l'article 3 de cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la Cour après renvoi
Les parties ont été informées, le 22 juillet 2022, de la reprise de l'instance après cassation et de la possibilité qui leur était offerte de produire, dans le délai d'un mois, de nouveaux mémoires ou observations.
Par un mémoire, enregistré le 9 août 2022, M. et Mme C..., représentés par Me Colin, demandent à la cour :
1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, dans la catégorie des traitements et salaires, à raison de l'avantage consenti à M. C... par l'achat d'actions de la SA Prosol Gestion à un prix préférentiel en 2010 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'acquisition des titres à un prix préférentiel ne constitue pas une rémunération correspondant à la définition des traitements et salaires, liée à sa qualité de manager, aucun élément ne venant le démontrer en l'espèce, d'autant qu'il n'est ni salarié de Prosol Gestion, ni salarié de la société Charly ;
- l'imposition les revenus en cause en tant que traitements et salaires, qui aboutit à une imposition beaucoup plus élevée, est contraire à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- les impositions doivent être établies dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts, et non l'article 111-c comme l'a retenu la cour, et rattachées à l'année 2011, au cours de laquelle a eu lieu la cession des titres acquis par M. C... et qui caractérise l'appréhension de l'avantage en résultant.
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 décembre 2018 en tant qu'il a prononcé la décharge de l'imposition, dans la catégorie des traitements et salaires, de l'avantage consenti à M. C... par l'achat d'actions de la société anonyme (SA) Prosol Gestion à un prix préférentiel en 2010 ;
2°) de prononcer, à titre principal, le rétablissement de ces impositions, correspondant à la taxation d'un complément de salaire de 920 224 euros au titre de l'année 2010 et, à titre subsidiaire, le rétablissement partiel de ces impositions, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, à concurrence d'une base de 257 587 euros au titre de l'année 2010 ;
Il fait valoir que :
- la convention de cession d'actions des 15, 16 et 17 décembre 2010 prévoit expressément qu'elle a pour objet de céder des actions à des cadres-clés du groupe et que le paiement est assuré, pour M. C..., par un crédit du vendeur sur cinq ans, de sorte que c'est sa qualité de cadre clé du groupe qui lui a permis d'acquérir à prix minoré les actions de la SA Prosol Gestion, et ce alors qu'il est bien salarié du groupe et cadre dirigeant de plusieurs sociétés de ce groupe ;
- à titre subsidiaire, il entend se référer à ses écritures dans l'instance d'appel n° 19LY01234 ;
Par ordonnance du 13 janvier 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 6 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention conclue le 17 décembre 2010, la SARL Charly, membre du groupe dont la société mère est la SA Prosol Gestion et Mme B..., actionnaire du groupe familial contrôlant cette société, ont cédé à M. C..., responsable logistique salarié d'une autre filiale de cette société mère et par ailleurs mandataire social de plusieurs entités du même groupe, des actions de la SA Prosol Gestion au prix unitaire de 850 euros. Au terme d'un contrôle sur pièces, l'administration, estimant que la valeur vénale unitaire des titres cédés était de 3 938 euros, a considéré que M. C... avait bénéficié, à hauteur de l'écart entre la valeur des titres et le prix convenu, d'un avantage accordé en raison de son appartenance au groupe et de son statut de cadre-clé qu'elle a soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires. Par un jugement du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles M. et Mme C... ont été assujettis au titre de l'année 2010 du chef de l'imposition de cet avantage ainsi que des pénalités correspondantes. Par un arrêt du 15 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Lyon, faisant partiellement droit à l'appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé le jugement en tant seulement qu'il a accordé à M. et Mme C... la décharge des impositions auxquelles ils avaient été assujettis à raison de l'avantage consenti à M. C... par l'achat d'actions de la SA Prosol Gestion à un prix préférentiel auprès de la SARL Charly, rétabli l'imposition de cet avantage dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et les majorations correspondantes et rejeté le surplus des conclusions des parties (article 3). Par une décision n° 456671 du 19 juillet 2022, le Conseil d'Etat, sur pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance contre cet arrêt, a annulé l'article 3 de cet arrêt et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.
2. Eu égard à la cassation prononcée par le Conseil d'Etat énoncée au point 1 ci-dessus, et au dispositif de l'arrêt de la cour du 15 juillet 2021, éclairé par ses motifs, la cour est à nouveau saisie, dans la présente instance, d'une part, des conclusions principales du ministre tendant à ce que soit remise à la charge de M. et Mme C... la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, dans la catégorie des traitements et salaires, à raison de l'acquisition à prix préférentiel des actions de la SA Prosol Gestion provenant tant de Mme B... que de la SARL Charly, et d'autre part, des conclusions de M. et Mme C... présentées au titre des frais liés au litige.
3. Aux termes de l'article 79 du code général des impôts : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (...) ".
4. La circonstance que des actions ont été acquises à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition est de nature à révéler l'existence d'un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur. Un tel avantage, lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l'année d'acquisition des actions dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts.
5. Il résulte de l'instruction que, par une convention conclue le 17 décembre 2010, les trois actionnaires principaux de la SA Prosol Gestion, à savoir la société HPL, actionnaire majoritaire qui détenait 51 441 actions, Mme B..., sœur du fondateur du groupe Prosol, qui détenait 5 590 actions et la SARL Charly, membre du groupe Prosol, qui détenait 2 176 actions ont cédé à onze cadres salariés du groupe Prosol un total de 2 393 actions de la SA Prosol Gestion (2 079 cédées par la société HPL, 226 par Mme B... et 88 par la SARL Charly), à un prix préférentiel de 850 euros l'action. M. C... a, dans ce cadre, acquis 210 actions de Mme B... et 88 actions de la SARL Charly, moyennant un prix global de 253 300 euros, payable au moyen d'un crédit vendeur en une ou plusieurs échéances, dans un délai de cinq ans, sans intérêts. Cette convention, par laquelle les trois actionnaires principaux de la SA Prosol Gestion ont cédé simultanément, de manière concertée et dans des proportions reflétant un équilibre, des actions de cette société, à un prix préférentiel, à onze salariés identifiés comme des " cadres clés du groupe ", dont seulement deux étaient actionnaires de la SA Prosol Gestion, a eu pour objet de leur accorder un avantage trouvant essentiellement sa source dans l'exercice par les intéressés de fonctions de dirigeants et de salariés de sociétés appartenant au groupe Prosol. Ainsi c'est par une exacte application des articles 79 et 82 du code général des impôts que l'administration a imposé l'avantage accordé à M. C... dans la catégorie des traitements et salaires, au titre de l'année 2010, année au cours de laquelle les actions ont été acquises, quand bien même il était actionnaire minoritaire de la SA Prosol Gestion.
6. La circonstance que l'avantage octroyé à M. C... lors de l'acquisition à titre préférentiel d'actions de la SA Prosol Gestion soit imposable dans la catégorie des traitements et salaires ne saurait, en tout état de cause, caractériser une atteinte à la liberté d'entreprise protégée par les stipulations de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors, d'une part, que l'incidence économique d'une imposition ne permet pas, à elle seule, de caractériser une telle atteinte et, d'autre part, que l'imposition en litige n'a pas pour effet d'empêcher M. C... d'exercer pleinement ses fonctions d'actionnaire et, en particulier, de céder, en cette qualité, les titres acquis à prix préférentiel.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a déchargé M. et Mme C..., en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010 afférente à l'imposition, dans la catégorie des traitements et salaire, de l'avantage consenti à M. C... lors de l'acquisition, le 17 décembre 2010, d'actions de la SA Prosol Gestion à prix préférentiel auprès de Mme B... et de la SARL Charly.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. et Mme C... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La base imposable de M. et Mme C... à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2010, correspondant à l'imposition de l'avantage consenti à M. C... lors de l'acquisition, le 17 décembre 2010, d'actions de la SA Prosol Gestion à prix préférentiel auprès de Mme B... et de la SARL Charly, est portée à 920 224 euros dans la catégorie des traitements et salaires.
Article 2 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme C... ont été assujettis au titre de l'année 2010, à raison de cet avantage, est rétablie, en droits et pénalités, à concurrence de la différence entre l'imposition, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, d'une base de 257 587 euros et celle qui résulte de l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1701367 du 11 décembre 2018, en tant qu'il a déchargé M. et Mme C... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, résultant de l'imposition de l'avantage consenti à M. C... lors de l'acquisition, le 17 décembre 2010, d'actions de la SA Prosol Gestion à prix préférentiel auprès de Mme B... et de la SARL Charly dans la catégorie des traitements et salaires, est annulé.
Article 4 : Les conclusions à fin de décharge et les conclusions au titre des frais liés au litige présentées par M. et Mme C... sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
Mme Caraës, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.
La rapporteure,
A. Courbon
Le président,
D. PruvostLa greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02237