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26/01/2023 | FRANCE | N°21LY01735

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 26 janvier 2023, 21LY01735


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La métropole de Lyon a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux à lui verser la somme de 2 121 733,60 euros en réparation du préjudice que lui a causé un éboulement survenu le 4 décembre 2013.

A... un jugement n° 1904778 du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête enregistrée le 28 mai 2021, la métropole de Lyon, représentée A... la SE

LARL Carnot avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1904778 du 30 mars 2021 du tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La métropole de Lyon a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux à lui verser la somme de 2 121 733,60 euros en réparation du préjudice que lui a causé un éboulement survenu le 4 décembre 2013.

A... un jugement n° 1904778 du 30 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête enregistrée le 28 mai 2021, la métropole de Lyon, représentée A... la SELARL Carnot avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1904778 du 30 mars 2021 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux à lui verser la somme de 2 121 733,60 euros, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé un éboulement survenu le 4 décembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La métropole de Lyon soutient que :

- la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux est responsable à son égard sur le fondement des articles 9, 24-3, 24-4 quinquies et 60 du contrat d'affermage du service de la distribution publique d'eau potable ;

- subsidiairement, la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux est responsable à son égard sur le fondement du régime des dommages de travaux publics causés à des tiers.

A... un mémoire en défense enregistré le 16 février 2022, la SCA Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux, représentée A... la SCP Ducrot et associés DPA, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la métropole de Lyon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux soutient que :

- l'article 24 quinquies, 4°, du contrat d'affermage mettait le renouvellement des canalisations à la charge de la métropole ;

- l'article 60 du même contrat ne met pas à sa charge une obligation générale de couvrir tout dommage ;

- la métropole, liée à elle A... contrat, ne peut invoquer la responsabilité extracontractuelle et n'a en outre pas le statut de tiers A... rapport au réseau ;

- très subsidiairement, le dommage doit être imputé à un cas de force majeure ou à un cas fortuit ;

- infiniment subsidiairement, les montants demandés sont excessifs, le surcoût A... rapport aux évaluations de l'expert, soit le montant total de 1 981 192,90 euros, n'étant pas justifié.

A... ordonnance du 24 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 24 février 2022 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Leroy, représentant la métropole de Lyon ;

- et les observations de Me Kankar, représentant la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux.

Considérant ce qui suit :

1. Un éboulement de terrain s'est produit le 4 décembre 2013, montée de l'Observance, dans le 9ème arrondissement de Lyon. Il s'est prolongé le 6 décembre d'un glissement de terrain. La métropole de Lyon demande la condamnation de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux à lui rembourser les frais de réparation de la voirie endommagée, à hauteur d'un montant total de 2 121 733,60 euros. A... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Sur le fondement de la responsabilité :

2. Des cocontractants ne peuvent exercer l'un contre l'autre d'autre action que celle procédant du contrat, dès lors que le dommage subi se rattache à l'exécution de ce contrat.

3. D'une part, la métropole de Lyon, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Lyon, est liée à la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux, succédant elle-même à la Compagnie générale des eaux, A... un contrat d'affermage du service public de distribution de l'eau potable, conclu le 6 octobre 1970, reconduit et en vigueur au moment de l'accident. Ce contrat délimite spécialement les obligations des parties dans la construction, l'entretien, la surveillance et le renouvellement des installations, ainsi que les responsabilités en résultant. D'autre part, il est constant que le dommage trouve son origine dans la rupture d'une canalisation du réseau d'eau, qui a affecté les sols et entrainé des mouvements et glissements de terrain. La canalisation en cause ne se situait pas sous la voie endommagée, mais traversait une propriété privée qui borde la voie, cette dernière ayant été endommagée du fait du glissement du terrain et du déversement de débris.

4. Il résulte de ces circonstances que le dommage dont la métropole de Lyon demande réparation doit être regardé comme trouvant son origine dans l'exécution du contrat d'affermage. Si la métropole de Lyon est, en conséquence, susceptible de rechercher la responsabilité contractuelle de la société, elle ne peut en revanche utilement se prévaloir du régime extracontractuel des dommages de travaux publics.

Sur les conditions de la responsabilité contractuelle :

5. Il résulte des stipulations des articles 1er, 2, 4 et 5 du traité d'affermage que les installations nécessaires au service, dont les canalisations, sont remises au fermier, qui en assure la surveillance et l'entretien. Il est tenu de signaler le cas échéant à la métropole les travaux de premier établissement, d'amélioration, d'extension et de renouvellement qui apparaissent nécessaires et dont l'ampleur excède les missions qui lui ont été confiées. L'article 14 le charge de tenir à jour un plan des canalisations. Aux termes de l'article 9 : " L'entretien normal de tous les ouvrages sera assuré A... la Compagnie et à ses frais ". Aux termes de l'article 24 ter : " Le renouvellement des ouvrages est régi A... les principes suivants : / (...) / 3°) Canalisations : / Les travaux de renouvellement des canalisations de distribution, des vannes et des équipements hydrauliques vétustes ou présentant une usure anormale pour quelque raison que ce soit, ainsi que les travaux de grosses réparations du canal sud du champ captant, sont à la charge de la Compagnie (...). / (...) / Tous les autres travaux de renouvellement sont à la charge de la Communauté (...) ". Aux termes de l'article 24 quinquies : " En fonction des obligations de renouvellement incombant à la Compagnie en application de l'article 24 ter ci-avant, les travaux d'entretien et de grosses réparations, d'une part, de renouvellement, d'autre part, seront répartis ainsi qu'il suit : / (...) / 4°) Canalisations et accessoires : / a - Travaux d'entretien et de grosses réparations (à la charge de la Compagnie) : / - surveillance générale des réseaux, recherches et réparations de fuites et de ruptures ; / (...) / - réparation, réhabilitation ou remplacement d'un élément de canalisation d'une longueur inférieure ou égale à 12 m, y compris les éventuelles réfections de voirie ; / (...) / b - Travaux de renouvellement : / - remplacement de canalisations sur une longueur supérieure à 12 m, A... une canalisation de diamètre identique, immédiatement supérieur ou immédiatement inférieur (y compris les éventuelles réfections de voirie) ; / (...) / - réhabilitation du réseau sur une longueur supérieure à 12 m, A... des techniques agréées A... la Communauté : / (...) / Ces travaux sont à la charge de la Communauté, conformément aux dispositions de l'article 24 ter (rubrique 3) du présent cahier des charges. La Compagnie y participe toutefois (à l'exception des travaux de réfection de voirie communautaire), dans les conditions et limites fixées à ce même article (...) ". Enfin, aux termes de l'article 60, consacré aux responsabilités : " Dès la prise en charge des installations, la Compagnie est responsable du bon fonctionnement du service dans le cadre des dispositions du présent cahier des charges. / (...) / La Compagnie assumera : / - la responsabilité civile des dommages pouvant résulter de l'exploitation des ouvrages affermés (...) ; / - les risques d'incendie ou de détérioration A... phénomène naturels de ces mêmes ouvrages, dans le cadre de garanties globales souscrites A... la Compagnie à l'échelon national ".

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 10 juillet 2015 réalisé en exécution d'ordonnances du juge des référés du tribunal des 14 janvier et 25 juin 2014, que des mouvements de terrain, survenus le 4 décembre 2013, ont provoqué, dans une montée, le déversement de matériaux, puis le 6 décembre, l'effondrement d'un mur de soutènement et d'une partie de la chaussée. L'origine en a été identifiée comme provenant de l'effet de l'eau déversée après la rupture d'une canalisation du réseau de distribution. Il est précisé que cette canalisation, en fonte, datant des années 50 et sérieusement corrodée, a deux mètres de longueur et un mètre de diamètre. Après s'être rapproché de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux, l'expert a noté, après plusieurs demandes, l'absence de toute trace d'intervention réalisée sur la canalisation depuis au moins une quinzaine d'années. Le rapport d'expertise relève deux précédents sinistres survenus dans le secteur, du fait d'une rupture de canalisation, le 19 février 1988 et le 2 janvier 1989. Il indique également qu'à la suite immédiate de ces sinistres, une demande de surveillance particulière a été formée A... la commission des Balmes le 2 février 1989, qui a souligné les pressions particulières subies A... les canalisations dans cette zone de remblais, impliquant la nécessité d'une vigilance accrue.

7. Il en résulte que, en méconnaissance de son obligation contractuelle de surveillance du réseau, et alors que la fragilisation particulière des canalisations dans le secteur en cause était pourtant connue, la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux n'avait pas, depuis au moins quinze ans, procédé à la vérification de la canalisation, qui était en outre extrêmement ancienne. A... ailleurs, compte tenu de la faible longueur de l'élément de canalisation en cause, très sensiblement inférieur à 12 mètres, son remplacement relevait contractuellement de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux, qui était au surplus en charge du remplacement des éléments de canalisation vétustes ou présentant une usure anormale pour quelque raison que ce soit. En supposant même que l'élément de canalisation corrodé qui s'est rompu doive être regardé comme faisant partie d'un ensemble plus important, dont le renouvellement relèverait de la métropole, il n'est en tout état de cause pas établi que celle-ci aurait été prévenue A... Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux de cette nécessité, en méconnaissance de l'obligation contractuelle de surveillance et d'information résultant du contrat d'affermage. La métropole de Lyon est, dès lors, fondée à soutenir que la rupture de la canalisation, et les dommages qui en découlent, sont de nature à engager à son égard la responsabilité contractuelle de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux.

8. L'expert a estimé que la rupture de la canalisation résulte de sa fragilisation A... une corrosion avancée, alors qu'elle date des années 50 et qu'elle est située dans un secteur difficile, soumis à des pressions de terrain importantes. Plus particulièrement, l'expert a relevé que la rupture de la canalisation résulte très probablement, en dernier lieu, d'un mouvement localisé de terrain ou d'un phénomène de tassement différé, ou tout phénomène localisé de roulement ou de vibration, qui a pu suffire à entrainer une rupture. Ce phénomène, qui n'était, ni imprévisible à cet endroit, ni irrésistible, mais n'a provoqué une rupture qu'en raison d'un défaut de suivi et de remplacement de cet élément de canalisation, ne peut être regardé, ni comme un cas de force majeure, ni comme un cas fortuit. La société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'elle devrait être exonérée de sa responsabilité, même partiellement.

Sur les préjudices :

9. L'expert a évalué le coût des différentes charges supportées A... la métropole du fait des destructions entrainées A... les mouvements de terrain entrainés A... la rupture de la canalisation d'eau. Il a tout d'abord relevé des travaux nécessaires de remise en état de la Montée de l'Observance, pour un coût total évalué à 1 604 255,03 euros. Il a réservé un coût complémentaire, à parfaire sur devis, de 376 937,87 euros. Il enfin identifié des coûts divers, essentiellement de contrôle topographiques, pour un montant total de 47 828,30 euros. Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux ne conteste pas les évaluations précises et circonstanciées de l'expert, relatives au coût prévisible des opérations de remise en état de la Montée de l'Observance, à hauteur du montant total de 1 981 192,90 euros.

10. La métropole demande une majoration de ces montants, purement évaluatifs, au motif que les frais réellement exposés ont été supérieurs. Elle produit à cet effet des factures réglées, correspondant aux travaux utiles engagés pour la réparation de la Montée de l'Observance, qui ne sont d'ailleurs pas sérieusement contestées. Elle justifie ainsi du montant total demandé de 2 121 733,60 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

11. La métropole a demandé l'indemnisation de son préjudice à la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux, A... courrier daté du 21 février 2019 et reçu le 22 février. Elle peut donc prétendre à ce que la somme qui lui est allouée soit assortie d'intérêts au taux légal à compter du 22 février 2019. Ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés au 22 février 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la métropole de Lyon est fondée à soutenir que c'est à tort que, A... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. La société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux doit être condamnée à verser à la métropole de Lyon la somme de 2 121 733,60 euros, assortie d'intérêts capitalisés, dans les conditions qui viennent d'être exposés.

Sur les dépens :

13. Ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, la charge des dépens liés à l'expertise ordonnée A... le juge des référés du tribunal a déjà été attribuée définitivement A... l'arrêt précité de la Cour n° 18LY04216 du 17 décembre 2020.

Sur les frais de l'instance :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux le paiement d'une somme de 1 500 euros à la métropole de Lyon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux étant partie perdante dans la présente instance, ses conclusions présentées sur le même fondement doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1904778 du 30 mars 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux est condamnée à verser à la métropole de Lyon la somme de 2 121 733,60 euros. Cette somme sera assortie d'intérêts au taux légal à compter du 22 février 2019. Ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés au 22 février 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Article 3 : La somme de 1 500 euros, à verser à la métropole de Lyon, est mise à la charge de la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées A... la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole de Lyon et à la société Veolia Eaux - Compagnie générale des eaux.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public A... mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet du Rhône, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 21LY01735


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