Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 à 2011, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1801500 du 31 août 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2020, M. B..., représenté par Me Thouvenot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'administration a manqué à son obligation de loyauté en l'incitant à se désister de sa demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au profit d'un règlement gracieux de son dossier ;
- il n'a pas été reçu, malgré sa demande, par l'interlocutrice départementale ;
- certains éléments de la comptabilité de sa société doivent être considérés comme probants de sorte qu'elle ne pouvait être rejetée ;
- la reconstitution de chiffre d'affaires opérée par l'administration, fondée sur une extrapolation qui n'est pas pertinente et qui retient un taux de marge erroné, n'a pas pris en compte les conditions d'exercice de l'activité de l'entreprise et présente ainsi un caractère sommaire ;
- l'administration n'a pas tenu compte de dépenses qui étaient susceptibles de minorer l'actif net de l'entreprise ;
- ses enfants majeurs, qui étaient à sa charge, faisaient partie de son foyer fiscal au titre des années 2010 et 2011 ; leur défaut de rattachement à ce foyer procède d'une simple erreur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juillet 2022.
Un mémoire, présenté pour M. B..., a été enregistré le 12 octobre 2022 et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,
- et les observations de Me Thouvenot, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui exploite à titre individuel un établissement de restauration rapide à l'enseigne Le Bosphore, à Gaillard (Haute-Savoie), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, portant sur la période correspondant aux exercices clos en 2009, 2010 et 2011, à l'issue de laquelle sa comptabilité a été rejetée et ses chiffres d'affaires reconstitués. A la suite de ce contrôle, M. B... a été assujetti à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 ainsi qu'à des compléments d'impôt sur le revenu résultant du rehaussement de ses bénéfices industriels et commerciaux des années 2009 à 2011, notifiés selon la procédure contradictoire. M. B... relève appel du jugement du 31 août 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis (...) de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article R. 59-1 du même livre : " Le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour présenter la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 59. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration n'est tenue, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, de donner suite à une demande formulée par le contribuable dans le délai prescrit et tendant à la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires que lorsque persiste entre elle-même et le contribuable, à cette étape de la procédure, un désaccord entrant dans le champ de compétence de cette commission.
3. Si M. B... a demandé, le 18 mars 2013, la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, il s'est désisté de cette demande par un courrier du 28 mai 2013. Il soutient que son désistement est la conséquence d'un engagement pris par l'administration, lors de l'entretien du 3 avril 2013 avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, d'aboutir à un accord transactionnel et que l'administration n'ayant pas tenu son engagement, il a été induit en erreur et aurait ainsi été privé de la possibilité de saisir effectivement cette commission. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas du compte rendu de cet entretien établi le 8 avril 2013, qu'à cette occasion, le supérieur hiérarchique se serait engagé à conclure, avec le contribuable, une transaction conditionnée à ce qu'il se désiste de sa saisine de la commission. Au demeurant, M. B... évoque lui-même, dans son courrier du 28 mai 2013 évoqué ci-dessus, le caractère hypothétique d'une " solution gracieuse de sortie du litige ". Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il a été induit en erreur par le comportement de l'administration et privé ainsi de son droit à solliciter la saisine de la commission.
4. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dans sa version en vigueur à la date du contrôle : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Il résulte des dispositions du paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dans sa version applicable, d'une part, qu'en cas de désaccord persistant avec le vérificateur, des éclaircissements supplémentaires peuvent être fournis au contribuable si nécessaire par l'inspecteur départemental ou principal et, d'autre part, que si après ces contacts, des divergences importantes subsistent, le contribuable peut faire appel à l'interlocuteur départemental spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur.
5. Après que le supérieur hiérarchique a, le 8 avril 2013, confirmé les rectifications envisagées à l'issue de la vérification de comptabilité, l'avocat de M. B..., par un courrier du 24 septembre 2013, a sollicité un entretien avec l'interlocutrice départementale afin " d'évoquer l'hypothèse d'une solution transactionnelle (...) permettant une sortie du litige et la pérennité de l'entreprise ". Lorsque le contribuable demande le bénéfice d'une transaction, une telle demande présente un caractère gracieux. Ce courrier, qui, au demeurant, a été adressé au service postérieurement à la mise en recouvrement le 10 juin 2013 des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ne saurait, par sa formulation, être regardé comme tendant à ce que le différend opposant M. B... à l'administration fiscale soit porté devant l'interlocutrice départementale. Par suite, l'administration n'a en l'espèce pas entaché d'irrégularité la procédure d'établissement de l'impôt en s'abstenant de donner suite à une telle demande de transaction organisée à titre gracieux.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne les bénéfices industriels et commerciaux et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
S'agissant de la charge de la preuve :
6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...). ".
7. Il résulte de ces dispositions qu'à défaut de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, ou, comme en l'espèce, dans l'hypothèse d'un désistement de cette saisine, et lorsque le contribuable n'a pas accepté les rehaussements qui lui avaient été notifiés dans le cadre de la procédure contradictoire, il incombe à l'administration d'apporter la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt.
S'agissant du rejet de la comptabilité :
8. L'absence de présentation des pièces justificatives de recettes suffit pour que la comptabilité d'une entreprise soit regardée comme dépourvue de valeur probante. Il résulte de l'instruction que l'administration a établi que M. B... n'a, au cours de la période vérifiée, produit aucun justificatif de recettes, lesquelles n'étaient comptabilisées qu'à partir des remises en banque. En outre, il résulte des constatations effectuées par le vérificateur que des achats étaient réglés par le prélèvement direct d'espèces sur les recettes encaissées, que certaines factures n'ont pas été présentées lors des opérations de vérification ou n'ont pas été comptabilisées et que l'analyse des achats de viande et de frites a révélé des incohérences. M. B... n'apporte aucun élément probant à l'encontre de ces constatations. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, de ce que la comptabilité de l'entreprise individuelle de M. B... était entachée de graves irrégularités.
S'agissant de la reconstitution des chiffres d'affaires :
9. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'établissement, le vérificateur a procédé au dépouillement des achats de viandes, frites, pâtisseries et boissons, à partir des factures présentées par le contribuable et des éléments communiqués par celui-ci. En l'absence de justificatifs de recettes sur la période vérifiée, l'administration a demandé à la société de procéder à une ventilation de son chiffre d'affaires pendant deux semaines, sur la période du 24 septembre 2012 au 8 octobre 2012. Un pourcentage de ventes de chaque produit reconstitué a ainsi été déterminé. Le nombre total des différents plats vendus a été calculé à partir des quantités totales de viandes à kebab achetées, divisées par le poids de la viande servi à l'unité, selon la nature des différents plats, soit une moyenne de 183 grammes, après correction des consommations du personnel, des pertes liées à la cuisson et à la découpe de la viande, et des offerts. Si M. B... fait valoir que l'augmentation des achats de viande au cours de l'année 2011, consécutive à la fermeture d'un établissement de restauration rapide situé à proximité, a entraîné une augmentation des pertes liées à la péremption des invendus, il résulte de l'instruction que le service a tenu compte de cette circonstance en fixant à 15 % le taux de perte de viande pour 2011 contre 10 % les années précédentes et en démontrant, ainsi qu'il résulte de la réponse aux observations du contribuable, que l'utilisation par M. B... de boules de viande congelée se périmaient moins vite et présentaient une moindre déperdition à la cuisson que la viande fraîche. En outre, l'administration a retenu les affirmations de M. B..., au demeurant non justifiés, en ce qui concerne les frites, pâtisseries et boissons servies. L'administration n'était pas, contrairement à ce que soutient M. B..., tenue de démontrer qu'il ne se serait pas enrichi au cours de la période vérifiée. Enfin, alors que le taux de marge brute déclaré par M. B... était particulièrement faible au regard de la nature de l'activité exercée, le taux ressortissant du chiffre d'affaires reconstitué s'établit à 3,61 pour l'année 2009, 3,65 pour l'année 2010 et 4,10 pour l'année 2011, ce dernier coefficient résultant, selon les explications du ministre, de l'augmentation du volume d'achats de viande et des prix de vente constatée cette année.
10. Il suit de là que l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que la méthode de reconstitution appliquée par le service, qui tient compte des conditions d'exploitation de la société et ne repose pas sur une extrapolation des recettes réalisées entre le 24 septembre 2012 et le 8 octobre 2012 à la période vérifiée, n'est pas radicalement viciée dans son principe ni excessivement sommaire.
S'agissant de la minoration d'actif nef :
11. M. B... reprend en appel le moyen qu'il avait invoqué en première instance tiré de ce que l'administration a commis une erreur dans le montant de l'actif net lié à l'acquisition d'un fonds de commerce le 2 mai 2011 qu'il avait omis de comptabiliser à l'actif de son bilan. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Grenoble.
S'agissant du quotient familial :
12. Aux termes de l'article 6 du code général des impôts : " (...) 3. Toute personne majeure âgée de moins de vingt et un ans, ou de moins de vingt-cinq ans lorsqu'elle poursuit ses études (...) peut opter, dans le délai de déclaration et sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du 2° du II de l'article 156, entre : / 1° L'imposition de ses revenus dans les conditions de droit commun ; / 2° Le rattachement au foyer fiscal dont elle faisait partie avant sa majorité, si le contribuable auquel elle se rattache accepte ce rattachement et inclut dans son revenu imposable les revenus perçus pendant l'année entière par cette personne (...) ". Aux termes de l'article 170 du même code : " 1. En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toute personne imposable audit impôt est tenue de souscrire et de faire parvenir à l'administration une déclaration détaillée de ses revenus et bénéfices et de ses charges de famille (...) ".
13. Il résulte de ces dispositions qu'une personne majeure entrant dans le champ d'application du 3 de l'article 6 du code général des impôts peut opter, dans le délai de déclaration, pour l'année entière et pour l'ensemble de ses revenus, entre une imposition de ses revenus dans les conditions de droit commun et le rattachement, avec l'accord du contribuable, au foyer fiscal de ses parents ou de l'un de ses parents, selon le cas et en suivant les règles fixées par ces dispositions. A l'expiration du délai de déclaration, l'option exercée est irrévocable pour l'année au titre de laquelle elle a été souscrite.
14. Par un courrier du 20 juin 2013, M. et Mme B... ont, pour la première fois, expressément demandé le rattachement à leur foyer fiscal, au titre des années 2010 et 2011, de deux de leurs enfants, devenus majeurs au cours de ces années. Toutefois, cette demande, qui a été formulée après l'expiration du délai de déclaration des revenus des années en litige, était tardive au regard des dispositions du 3 de l'article 6 du code général des impôts. Il ne résulte pas de l'instruction que l'omission par les intéressés de leurs enfants majeurs, qui n'ont par eux-mêmes pas procédé à une déclaration autonome ni sollicité leur rattachement au foyer fiscal de leurs parents, procéderait d'une erreur commise de bonne foi. Par suite, l'administration était fondée à refuser de prendre en compte cette demande de rattachement formulée après l'expiration du délai de déclaration et à appliquer à M. et Mme B... un quotient familial de 3 parts au titre de l'année 2010 et de 2,5 parts au titre de l'année 2011.
15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.
Le rapporteur,
F.-X. Pin
Le président,
D. PruvostLa greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY03150