Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2013.
Par un jugement n° 1805478 du 14 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 février 2021 et 10 mars 2022, M. B..., représenté par Me Ben Salem, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de maintenir le bénéfice du sursis de paiement ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de rejet de sa réclamation préalable n'est pas motivée, en violation des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'administration n'ayant donné aucune suite à la demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet qui lui a été opposée ;
- l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, en n'informant pas la SARL Les Négociants Ginger Man de l'origine et de la teneur d'informations obtenues de tiers dans l'exercice de son droit de communication et utilisées pour opérer la reconstitution de son chiffre d'affaires ;
- les rectifications notifiées à la SARL Les Négociants Ginger Man étant infondées, elles ne peuvent donner lieu à une quelconque distribution ;
- seule la société peut être regardée comme bénéficiaire de ces revenus ;
- aucune pénalité ne peut être mise à la charge de la société en application de l'article 117 du code général des impôts ;
- c'est à tort que la comptabilité de la SARL Les Négociants Ginger Man a été écartée comme non probante, dès lors que l'absence de production des données de caisse sur support informatique procède d'un dysfonctionnement informatique et que l'absence de production de 9 319 tickets papier résulte d'un dégât des eaux, circonstances constitutives d'un cas de force majeure ;
- la reconstitution du chiffre d'affaires de la société afférent à la vente de café est erronée, en l'absence, notamment, de prise en compte effective du taux de perte de 4 % évoqué par le service vérificateur, d'une prise en compte insuffisante des offerts et de la consommation du personnel et d'une quantité de café retenue par dose inférieure aux usages de la profession ;
- les intérêts de retard sont infondés, étant assis sur des rehaussements eux-mêmes infondés ;
- l'administration n'établit pas le caractère délibéré des manquements qui lui sont reprochés, ce qui fait obstacle à l'application de la pénalité de 40 % prévue à l'article 1729-a du code général des impôts.
Par deux mémoires, enregistrés les 13 août 2021 et 30 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au prononcé d'un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- il n'y a pas lieu de statuer à hauteur des dégrèvements prononcés par décision du 22 août 2022 ;
- la requête est, pour le surplus irrecevable, en l'absence de moyens d'appel ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, il sollicite une substitution de base légale, tendant à ce que les rectifications en litige soient fondées sur les dispositions du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts, au lieu du c de l'article 111 du même code, M. B... étant le seul maître de l'affaire.
Par ordonnance du 25 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 6 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Viavant, suppléant Me Ben Salem, représentant M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Les négociants Ginger Man, qui exploite un bar à l'enseigne Ginger Man à Valence (Drôme) et dont M. B... était le gérant et l'associé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2013. A l'issue de ce contrôle, qui a notamment donné lieu à la réintégration, dans ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés des exercices clos de 2011 à 2013, de recettes omises, l'administration a, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, imposé entre les mains de M. B..., désigné comme bénéficiaire des distributions par la société en application de l'article 117 du code général des impôts, les revenus distribués correspondants à ces minorations de recettes dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement de l'article 111 c. du code général des impôts et l'a, en conséquence, assujetti, selon la procédure contradictoire, à des suppléments d'impôt sur le revenu au titre des années 2011 à 2013. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, des contributions sociales mises à sa charge et des majorations correspondantes.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 22 août 2022, l'administration a prononcé un dégrèvement, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2013, à hauteur de 117 euros. Les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur le surplus des conclusions :
En ce qui concerne les suppléments d'impôt sur le revenu et les contributions sociales :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".
4. M. B... s'étant abstenu de présenter des observations en réponse à la proposition de rectification qui lui a été adressée le 10 décembre 2014 et ayant, par conséquent, tacitement accepté les redressements qui lui ont été notifiés, il lui appartient d'établir le caractère exagéré des impositions mises à sa charge, en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes de la proposition de rectification du 29 août 2014 adressée à la SARL Les négociants Ginger Man, dont les extraits pertinents ont été annexés à celle adressée personnellement à M. B..., que les recettes de celle-ci étaient enregistrées globalement en comptabilité à partir des états récapitulatifs édités du système informatisé de caisse remis au comptable. Au cours du contrôle, le service vérificateur a sollicité la production des fichiers de caisse informatisés afin d'effectuer, conformément au II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, un rapprochement entre les justificatifs de recettes enregistrées et les montants comptabilisés. La société n'a pas été en mesure de produire les données correspondantes en l'absence de sauvegarde, le logiciel utilisé fonctionnant selon une mémoire flash, avec remise à zéro après chaque tirage de ticket Z. Elle n'a pas davantage été en mesure de justifier, en l'absence de fichiers informatiques, du détail de ses recettes en produisant les bandes de caisse papier, les données fournies à ce titre étant lacunaires du fait de l'absence de tout justificatif pour l'exercice clos en 2011 et de 9 319 tickets manquants pour les exercices clos en 2012 et 2013. A cet égard, et alors que la société utilise un logiciel ne permettant pas la sauvegarde des données pendant le délai prévu à l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, M. B... ne saurait sérieusement faire état d'un dysfonctionnement informatique constitutif d'un cas de force majeure. Il ne justifie, par ailleurs, aucunement du dégât des eaux qu'il invoque pour expliquer l'absence de conservation, par la société, de l'exhaustivité des bandes de caisse papier afférentes à la période contrôlée. Dans ces conditions, en l'absence de pièces justificatives du détail des recettes réalisées au cours de la période sous revue, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration a écarté la comptabilité présentée par la SARL Les négociants Ginger Man comme entachée de graves irrégularités.
6. Pour reconstituer le chiffre d'affaires omis par celle-ci résultant des ventes de cafés, le service vérificateur a d'abord déterminé la quantité globale de café revendue au cours des exercices 2012 et 2013 ressortant des factures d'achat du seul fournisseur de la société et de l'état des stocks, à partir du nombre de doses contenues dans chaque kilogramme de café acheté, soit 120, une dose étant évaluée à 8 grammes et le taux de perte fixé à 4 %. Le service vérificateur a ensuite déterminé le nombre de cafés vendus effectivement comptabilisés, en se fondant sur les éléments ressortant des bandes de caisse produites, et en panachant entre toutes les données disponibles pour obtenir le nombre de cafés au cours d'un exercice complet, soit 9 280. Le chiffre d'affaires manquant, réintégré dans le résultat imposable de la société et imposé comme revenu distribué entre les mains de M. B..., a été établi en appliquant à la différence entre le nombre de cafés revendus résultant des achats (27 480 en 2012 et 20 000 en 2013) et celui ainsi déterminé, le prix de vente unitaire de 1,50 euros, qui est le prix le plus fréquent et également le plus faible mentionné sur les bandes de caisse.
7. Si M. B... fait valoir que le tableau figurant en annexe à la proposition de rectification de la société fait apparaitre un montant de doses à l'achat sans mention de l'application d'un abattement de 4 % au titre des pertes, il ressort des explications figurant dans le corps de ce document que le nombre de doses retenu, soit 120 par kilogramme de café, prend en compte ce taux de perte, équivalent à 5 doses par kilogramme. Le requérant ne justifie pas, par ailleurs, du taux d'offert et de consommation du personnel dont il demande la prise en compte, alors qu'il avait lui-même indiqué, lors du contrôle, en réponse à un questionnaire, qu'il n'y avait pas d'offerts, sauf à titre exceptionnel, ni de consommation du personnel dans l'établissement. S'agissant du poids de 8 grammes retenu par dose par le service vérificateur, la seule production d'un courriel non daté émanant du responsable commercial de la société UCC Coffee, selon lequel la machine à café automatique de la société nécessite environ 10 grammes de café, ne permet pas d'établir que le dosage retenu aurait été sous-évalué et qu'un kilogramme de café ne produirait que 90 doses. Si, en ce qui concerne l'exercice 2011, le service vérificateur a procédé à une estimation des doses manquantes, cette situation résulte de l'absence de toute donnée de caisse disponible au titre de cette période, et M. B... n'apporte aucun élément de nature à établir que le chiffre de 10 000 doses manquantes, inférieur à ceux retenus pour les exercices 2012 et 2013, serait excessif. Enfin, s'il est exact que, comme le relève l'intéressé, le service vérificateur a retenu 11 000 doses manquantes pour l'exercice clos en 2013, alors que la différence entre le nombre de doses achetées (20 000) et celui des doses vendues comptabilisées (9 280) n'est que de 10 720, cette erreur a été prise en compte par l'administration, qui a prononcé le dégrèvement correspondant le 22 août 2022. Dans ces conditions, et alors que la contre-méthode qu'il propose, qui ne concerne au demeurant que les exercices 2012 et 2013, et consiste à reprendre celle du service en appliquant un taux de perte supplémentaire de 4 % et un dosage de 10 grammes par café, n'est appuyé d'aucun justificatif probant, M. B... n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère exagéré des corrections apportées par l'administration aux recettes de la SARL Les négociants Ginger Man et par conséquent, des revenus regardés comme distribués entre ses mains au titre des années 2011 à 2013.
8. En se bornant à faire valoir que la bénéficiaire des recettes omises ne peut être que la SARL Les négociants Ginger Man, M. B... n'apporte pas la preuve qu'il n'a pas eu la disposition des sommes en cause, qui correspondent aux omissions de recettes mises en évidence par le contrôle de cette société. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration a imposé ces sommes entre ses mains.
9. En deuxième lieu, M. B... n'ayant été imposé à impôt sur le revenu qu'à raison des distributions de la société, son argumentation relative au taux de la taxe sur la valeur ajoutée mise à la charge de cette dernière est inopérante.
10. En troisième lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles à l'impôt sur le revenu mises à la charge des bénéficiaires imposés à raison de ces distributions dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers. Par suite, M. B... ne peut utilement faire valoir que l'administration fiscale aurait, dans le cadre de la vérification de comptabilité de la SARL Les négociants Ginger Man, méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.
11. En quatrième lieu, les vices de forme susceptibles d'entacher la décision par laquelle l'administration rejette la réclamation préalable présentée par le contribuable en application de l'article L. 190-1 du livre des procédures fiscales sont sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision implicite par laquelle l'administration fiscale a rejeté la réclamation de M. B... serait insuffisamment motivée, en l'absence de réponse à la demande de communication des motifs de ce rejet, conformément à l'article L. 232-4 du code des relations entre public et l'administration, au demeurant inapplicable en matière de procédure fiscale, doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne l'intérêt de retard et les majorations appliquées à ces impositions :
12. En premier lieu, aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute somme, dont l'établissement ou le recouvrement incombe à la direction générale des impôts, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. (...) ".
13. Les rectifications effectuées par l'administration étant, ainsi qu'il vient d'être dit, fondées, c'est à bon droit que les impositions supplémentaires en résultant en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de M. B... ont été assorties de l'intérêt de retard prévu par ces dispositions.
14. En second lieu, aux termes de l'article 1729 du même code : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
15. En faisant état de la qualité de gérant et d'associé de M. B..., de la circonstance qu'il ne pouvait ignorer l'existence des minorations de recettes commises par sa société et de leur caractère répété sur trois exercices, l'administration fiscale apporte la preuve, qui lui incombe en application de l'article L. 195 du livre des procédures fiscales, de l'intention délibérée de M. B... d'éluder l'impôt, et par suite, du bien-fondé de l'application de la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées.
En ce qui concerne l'amende :
16. M. B... ne peut utilement contester l'amende de 100 % prévue à l'article 1759 du code général des impôts, qui ne lui a pas été infligée.
En ce qui concerne les conclusions à fin de sursis de paiement :
17. Les dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, qui ont pour objet de permettre de surseoir au paiement des impositions lorsqu'il a été formé contre elles une réclamation contentieuse, n'ont de portée que pendant la durée de l'instance devant le tribunal administratif. Lorsque le tribunal s'est prononcé au fond, son jugement rend à nouveau exigibles les impositions dont il n'a pas prononcé la décharge. Hormis les procédures spécialement édictées en matière de référé, aucune disposition législative ou réglementaire n'a prévu une procédure de sursis de paiement des impositions contestées pendant la durée de l'instance devant la cour administrative d'appel. Par suite, M. B... n'est, en tout état de cause, pas fondé à demander à la cour de prononcer en sa faveur le maintien du sursis de paiement des impositions en litige.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance et sous réserve du dégrèvement prononcé en cours d'instance, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1er : A concurrence de 117 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête relatives aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2013.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
Mme Caraës, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.
La rapporteure,
A. Courbon
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY00472