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13/10/2022 | FRANCE | N°21LY02319

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 13 octobre 2022, 21LY02319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bourrelier Group, agissant pour son propre compte et au nom de la société Bricorama France, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende administrative d'un montant de 200 000 euros ainsi que la décision du 15 avril 2019 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 190

5320 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bourrelier Group, agissant pour son propre compte et au nom de la société Bricorama France, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende administrative d'un montant de 200 000 euros ainsi que la décision du 15 avril 2019 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1905320 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 27 janvier 2022, la société Bricorama France, représentée par Me Essouma Mvola, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et ces décisions ;

2°) subsidiairement, de réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, sa demande doit être regardée comme dirigée également contre la décision du 20 décembre 2018 ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué omet de viser les moyens tirés de la particularité du contexte dans lequel le contrôle de la DIRECCTE est intervenu et de ce que l'administration n'a pas mis en œuvre son pouvoir d'injonction destiné à inciter les professionnels à respecter la loi ;

- les constats opérés par la DIRECCTE résultant de l'analyse du grand livre ne présentent pas de caractère de fiabilité dès lors que parmi l'échantillon retenu de 65 factures, 29 d'entre elles ont été exclues après examen ;

- la méthode de l'échantillonnage est contestable ;

- la sanction infligée est disproportionnée au regard du contexte dans lequel elle a été prise ;

- les dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce obligeant l'acheteur à réclamer la facture n'ont pas été édictées en vue de sanctionner les acheteurs qui paieraient tardivement leur facture en violation de l'article L. 441-6 du même code ;

- il a été mis en place un mécanisme de compensation conventionnelle avec certains fournisseurs ;

- des fournisseurs ont transmis tardivement leurs factures, justifiant un règlement au-delà des délais légaux ;

- des considérations pratiques permettent de justifier le retard de règlement des factures de transporteurs ;

- des anomalies, notamment liées au logiciel de transmission des factures, à des problèmes informatiques, à la perte de chèques, à l'émission anticipée de factures, à des procédures de liquidation judiciaire, l'exonèrent des retards de règlement ;

- elle a investi des moyens importants pour améliorer l'échange de données informatisées ;

- la société Bourrelier Group n'a désormais plus aucun lien avec la société Bricorama France ni avec des activités de commerce.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Bricorama France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bentéjac, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Essouma Mvola, représentant la société Bourrelier group et la société Bricorama France.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle diligenté par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France en 2016 sur la comptabilité de la société Bricorama France entre le 1er août 2015 et le 31 juillet 2016, il a été constaté que les délais de paiement de ses fournisseurs excédaient les délais maximaux prévus par les dispositions des neuvième et onzième alinéas du I de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé, le 20 décembre 2018, une amende d'un montant de 190 000 euros à raison du manquement aux dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce et une amende d'un montant de 10 000 euros à raison du manquement aux dispositions du onzième alinéa du I de ce même article. Par une décision du 15 avril 2019, le DIRECCTE d'Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté le recours gracieux de la société Bricorama France formé par lettre du 25 février 2019 contre la décision en date du 20 décembre 2018. La société Bricorama France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision rejetant son recours gracieux. La société Bricorama France relève appel du jugement du 11 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la décision du 15 avril 2019, par laquelle le DIRECCTE d'Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté le recours gracieux formé par la société Bricorama France contre la décision prise le 20 décembre 2018 ne s'est pas substituée à cette dernière décision dès lors que ce recours gracieux ne présentait pas un caractère obligatoire. La demande de la société Bricorama France tendant à l'annulation de la décision du 15 avril 2019 confirmant, à la suite de son recours gracieux, la décision du 20 décembre 2018 prononçant une amende à son encontre devait ainsi être regardée comme tendant également à l'annulation de cette dernière décision. Par suite, contrairement à ce qu'indique la société requérante, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en regardant la demande de la société Bricorama France comme dirigée également contre la décision du 20 décembre 2018.

3. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de viser tous les arguments de la société Bricorama France ni d'y répondre, n'ont omis de statuer sur aucun des moyens soulevés devant eux.

4. En dernier lieu, le tribunal administratif, qui, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, n'était pas tenu de répondre à tous les arguments de la société Bricorama France venant au soutien de son moyen tiré du caractère disproportionné de l'amende qui lui a été infligée, a suffisamment motivé sa réponse, qui n'était pas stéréotypée, à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. D'une part, aux termes des huitième, neuvième et onzième alinéas du I de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée ", " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture " et " Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture ".

6. D'autre part, aux termes du VI de ce même article L. 441-6, dans sa version applicable à la date des faits : " Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ".

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des constatations relevées dans le procès-verbal du 18 décembre 2017, que, d'une part, sur 363 455 factures analysées et extraites du grand livre, émanant de fournisseurs de biens et services divers, l'administration a retenu 11 886 factures réglées au-delà du délai de paiement prévu au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, le retard moyen s'établissant à plus de 48 jours et le montant total des achats réglés en retard s'élevant à la somme de 10 693 026,57 euros et, d'autre part, sur 2 033 factures de transporteurs, l'administration a retenu 1 567 factures réglées au-delà du délai de paiement prévu au onzième alinéa du I du même article, le retard moyen s'établissant à plus de 34 jours et le montant total des prestations de transport routier de marchandises réglées en retard s'élevant à la somme de 675 374,49 euros. Il résulte des termes mêmes des décisions contestées que, pour fixer le montant de l'amende respectivement à 190 000 euros et à 10 000 euros, l'administration a pris en compte la gravité des faits, l'ampleur des retards moyens de paiement constatés au regard des délais fixés au neuvième et au onzième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, le préjudice causé aux fournisseurs, les résultats financiers de la société, ainsi que les nombreux dysfonctionnements mis en évidence par le contrôle.

8. Pour prononcer les amendes en litige, l'administration ne s'est pas bornée, contrairement à ce que soutient la société Bricorama France, à constater des retards de paiement à partir d'un échantillon de 65 factures, mais a analysé l'ensemble des factures, énoncées au point précédent, issues du grand livre et a ensuite procédé, alors qu'elle n'y était pas tenue, à une vérification de la fiabilité des écritures comptables de la société en confrontant les résultats obtenus avec cet échantillon aléatoire. En outre, à l'issue de la procédure contradictoire, l'administration a tenu compte, pour fixer le montant de l'amende infligée par la décision attaquée du 20 décembre 2018, de l'existence de conventions de compensation conclues entre la société Bricorama France et ses fournisseurs, représentant environ 30 % du nombre de factures réglées en retard et a réduit, dans la même proportion, le montant de l'amende initialement envisagée. Si la société requérante fait état d'erreurs d'adressage, de difficultés informatiques, liées en particulier au logiciel de transmission des factures qu'elle utilise, de la perte de chèques, de l'émission anticipée de factures par les fournisseurs ou de procédures de liquidation judiciaire pour justifier les retards de paiement concernant 1 033 des 13 453 factures incriminées, elle n'établit pas que les dysfonctionnements dont elle se prévaut, à supposer qu'ils ne lui soient pas imputables, seraient à eux seuls à l'origine des retards de paiement concernant ces factures. Par ailleurs, le 3 du I de l'article 289 du code général des impôts prévoit que la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services, et l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, dispose que le vendeur est tenu de la délivrer dès la réalisation de la vente ou la prestation du service et que l'acheteur doit la réclamer. Si la société requérante fait valoir que, sur la période faisant l'objet du contrôle, elle aurait, en application de ces dispositions, été contrainte de réclamer 228 factures émises tardivement par ses fournisseurs, une telle circonstance, qui au demeurant ne concerne qu'un nombre infime de factures au regard de celles retenues par l'administration, n'est pas de nature à expliquer l'importance du retard moyen de paiement constaté. Enfin, si la société fait valoir que l'administration n'a pas pris en considération le contexte lié au fait qu'elle avait effectué des progrès en matière de paiement de ces fournisseurs après avoir initié, en 2013, une démarche visant à dématérialiser les échanges avec ceux-ci, elle n'établit pas, eu égard à l'occurrence et à l'importance des retards moyens de paiement constatés, les progrès qu'elle allègue avoir réalisés. Au vu de l'ensemble de ces éléments, en particulier du nombre de manquements relevés, de l'importance du délai moyen de retard de paiement constaté et du montant représenté par ces factures, de l'atteinte portée à l'ordre public économique et des résultats financiers de la société, le montant, fixé à la somme globale 200 000 euros, de l'amende infligée à la société Bricorama France à raison de ces manquements, n'est pas excessif.

9. En second lieu, la circonstance que, par un contrat d'acquisition et de garantie conclu le 28 novembre 2017, la société Bricorama France a été cédée à la société ITM Equipement de la maison, est sans incidence sur la légalité de l'amende infligée.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Bricorama France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Bricorama France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bricorama France, à la société Bourrelier Group et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

La rapporteure,

C. Bentéjac

Le président,

F. PournyLa greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY02319


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02319
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

59-02-02 Répression. - Domaine de la répression administrative - Régime de la sanction administrative.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Caroline BENTEJAC
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : ESSOUMA MVOLA GUY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-10-13;21ly02319 ?
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