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17/03/2022 | FRANCE | N°20LY02430

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 17 mars 2022, 20LY02430


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses filles, J... H... et E... I..., a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner les hôpitaux Drôme nord à leur verser une somme globale de 695 511,96 euros et de mettre à la charge de l'hôpital une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner les

hôpitaux Drôme nord à lui verser la somme de 12 847,44 euros au titre de ses dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses filles, J... H... et E... I..., a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner les hôpitaux Drôme nord à leur verser une somme globale de 695 511,96 euros et de mettre à la charge de l'hôpital une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner les hôpitaux Drôme nord à lui verser la somme de 12 847,44 euros au titre de ses débours, outre l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 066 euros et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

A... un jugement n° 1605768 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs conclusions.

Procédure devant la Cour :

A... une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 21 août 2020 et le 18 juin 2021, Mme G..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de J... H... et E... I..., représentée A... le cabinet d'avocats Noyer-Cazcarra, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605768 du 23 juin 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner les hôpitaux Drôme nord à lui verser la somme de 695 511,96 euros ;

3°) de condamner les hôpitaux Drôme nord à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour méconnaissance des articles R. 711-2 et R. 711-2-1 du code de justice administrative ;

- le rapport d'expertise étant irrégulier aurait dû être écarté des débats ;

- la responsabilité pour faute de l'hôpital est engagée pour fautes médicales et dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ;

- les préjudices subis du fait du décès de M. D... sont : des frais d'obsèques pour 5 500,30 euros, des préjudices économiques pour H..., E... et elle-même de respectivement 35 158,85, 46 527,39 et 478 325,42 euros, un préjudice d'affection de 50 000 euros pour elle et de 40 000 euros pour chacune de ses filles.

A... un mémoire enregistré le 25 janvier 2021, le centre hospitalier Drôme nord, représenté A... Me Le Prado, conclut au rejet de la requête :

Il fait valoir que les moyens soulevés A... la requérante sont infondés.

Un mémoire, enregistré le 13 juillet 2021, présenté pour le centre hospitalier Drôme nord n'a pas été communiqué en application de dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bechaux, substituant Me Cazcarra, avocat de Mme G....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... D..., né le 20 juillet 1975, époux de Mme B... G..., avec laquelle il a eu deux enfants, H... et E..., a tenté de mettre fin à ses jours à son domicile le 13 février 2016. Il a été admis aux urgences du centre hospitalier de Romans où il a réitéré une tentative de suicide le 14 février 2016. Il a été ensuite transféré sur le site de Saint-Vallier des hôpitaux Drôme nord puis à la clinique du Vercors à compter du 1er mars 2016. Le 15 mars suivant, il a fait une nouvelle tentative de suicide A... pendaison et a été transféré dans le coma au centre hospitalier universitaire de Grenoble où il est décédé le 18 mars 2016. A... jugement du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble, saisi de conclusions indemnitaires de Mme G..., agissant en son nom personnel et pour ses deux filles, a ordonné une expertise avant dire droit confiée au Dr C..., qui a remis son rapport le 4 décembre 2019. A... arrêt du 6 avril 2020, sous le n° 19LY02157, la cour administrative d'appel a rejeté la requête de Mme G... tendant à l'annulation de ce jugement avant dire droit. A... jugement du 23 juin 2020, dont Mme G... relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ainsi que les conclusions présentées A... la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative : " " Toute partie est avertie, A... une notification faite A... lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou A... la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience [...] ".

3. Mme G... soutient qu'elle n'a pas été convoquée à l'audience devant le tribunal administratif de Grenoble. La mention du jugement attaqué selon laquelle " les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience " fait foi jusqu'à preuve contraire. Toutefois, la requérante produit une lettre du 30 juin 2020 du président de la 5° chambre du tribunal administratif de Grenoble reconnaissant une erreur du greffe à l'origine d'une absence d'édition et d'envoi des avis d'audience. Dans ces conditions, Mme G... est fondée à soutenir que le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées A... Mme G... et A... la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme.

Sur la régularité de l'expertise :

5. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées A... la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte A... le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés A... les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés A... d'autres éléments du dossier.

6. Si Mme G... fait valoir qu'elle n'a pas eu communication A... l'expert de l'entier dossier patient de son défunt mari et ainsi pu faire valoir ses observations en méconnaissance du principe du contradictoire, il ressort des termes du rapport d'expertise que l'expert certifie que, lors de l'accédit du 18 octobre 2019, il a consulté l'intégralité des pièces en présence de la requérante et de son conseil, Me Czorny, et a discuté avec eux du dossier infirmier. Si Mme G... conteste une telle affirmation, elle n'apporte aucun commencement de preuve en arguant seulement du caractère volumineux du dossier patient. En outre, l'expert a rédigé un pré-rapport qui a été transmis aux parties et notamment au conseil de la requérante, lequel a pu adresser des dires le 28 novembre 2019. Dans ces conditions, Mme G... n'est pas fondée à soutenir que le rapport d'expertise serait irrégulier pour méconnaissance du principe du contradictoire.

Sur la responsabilité :

7. D'une part, la requérante reproche à l'hôpital une faute dans le diagnostic et dans le traitement des troubles psychiatriques affectant son défunt mari. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. D..., ne présentant aucun antécédent psychiatrique, a souffert d'un trouble délirant inaugural de mécanisme interprétatif et de thématique persécutoire avec dimension dépressive et qu'après ses tentatives de suicide les 13 et 14 février 2016, son état de santé mentale s'est rapidement amélioré avec la disparition des éléments délirants à thème de persécutions, liés aux récents attentats du 13 novembre 2015, de son syndrome dépressif et surtout de ses idées suicidaires jusqu'au passage à l'acte le 15 mars 2016. Si la requérante fait valoir que, dans son compte-rendu d'hospitalisation du 14 avril 2016, le psychiatre ayant suivi son mari a fait part de sa perplexité sur l'amélioration rapide de son état mental et évoque une attitude de façade, de tels éléments postérieurs au suicide ne suffisent pas à contester les conclusions de l'expert selon lequel les éléments du dossier médical et soignant mettent en évidence des décisions d'hospitalisation et des soins adaptés à la pathologie de M. D..., lequel a vu son état s'améliorer rapidement avant une brutale rechute. Si la requérante soutient que son mari continuait à souffrir de troubles du sommeil, favorisant ainsi la réapparition de ses angoisses, elle n'apporte aucun élément de nature à contester l'avis de l'expert selon lequel ses troubles ont été correctement pris en charge A... une modification de son traitement psychotrope alors que, lors des tournées effectuées la nuit précédant sa tentative de suicide, il a été constaté que la victime dormait normalement. Si la requérante reproche le transfert de son mari le 1er mars 2016 à la clinique Vercors, plus proche du domicile familial, au lieu de son maintien sur le site de Saint-Vallier, il ne résulte pas de l'instruction que cette décision ait été faite malgré l'opposition de la famille et que ce changement de lieu de vie ait eu une influence défavorable sur l'état de santé de M. D.... Au surplus, Mme G... n'indique pas en quoi le site de Saint-Vallier serait davantage " sécurisé " et aurait permis d'éviter l'issue fatale. Il est constant que M. D... a été maintenu en hospitalisation sous contrainte pendant toute la durée de son séjour hospitalier et fait l'objet d'une surveillance constante afin notamment d'éviter un nouveau passage à l'acte. Si la requérante fait valoir que les entretiens avec les psychiatres se sont espacés au fil du temps, notamment après son transfert à la clinique Vercors, il n'est pas contesté qu'il a été vu à deux reprises les 7 et 11 mars 2016. Enfin, les témoignages de la requérante et d'un ami de son mari sur un effet négatif de la permission de sortie octroyée à M. D... le weekend des 12 et 13 mars 2016 sont contredits A... le compte-rendu de la psychologue l'ayant revu à son retour. Il découle de ce qui précède qu'aucune faute médicale à l'origine de la tentative de suicide de M. D... ne peut être reprochée aux hôpitaux Drôme nord.

8. D'autre part, la requérante soutient que les conditions dans lesquelles a eu lieu la tentative de suicide de son mari révèlent une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier. Au vu du point précédent, l'état mental de la victime ne justifiait nullement qu'un inventaire de ses effets personnels soit effectué, ni que le foulard lui ayant servi à se pendre lui soit retiré. La circonstance qu'aucun protocole de surveillance rapprochée pour les patients sous régime d'hospitalisation sous contrainte n'ait pu être produit A... l'hôpital n'est pas de nature à remettre en cause la réalité de la surveillance dont M. D... faisait l'objet. La requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article D. 6124-467 du code de la santé publique qui étaient abrogées à la date des faits. A nouveau l'état mental apparent de M. D... ne proscrivait pas que les portes de la chambre ou de la salle de bains, au demeurant partagées avec un autre patient, ne puissent pas être fermées à clé alors que l'équipe soignante a pu défoncer la porte pour tenter de sauver la victime. Si la requérante reproche l'absence de rondes appropriées sans autres précisions, il résulte de l'instruction qu'une surveillance régulière a été effectuée la nuit du 14 au 15 mars 2016 et que M. D... a eu un dernier contact avec l'équipe soignante vers 8:30. Il résulte également de l'instruction qu'après que la victime se soit enfermée dans la salle de bains afin de se pendre avec son foulard, une alerte rapide A... son voisin de chambre a permis une intervention de l'équipe soignante vers 8:45. Si l'enquête de police mentionne que les sapeurs-pompiers auraient effectué un massage cardiaque à leur arrivée, cela ne contredit pas le constat fait A... l'expert que l'équipe soignante a également prodigué les premiers secours entre temps. Il découle de ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que l'hôpital aurait commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier au vu des circonstances ainsi rappelées de la tentative de suicide de son mari.

9. Il découle de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que les hôpitaux Drôme nord ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité du fait du décès de M. D.... Il s'ensuit que les demandes de Mme G... et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme, en ce compris sa demande de versement de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 720 euros, sont mis à la charge définitive de Mme G..., partie perdante.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratives font obstacle à ce que soit mise à la charge des hôpitaux Drôme nord, qui ne sont pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés A... Mme G... ou la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme et non compris dans leurs dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1605768 du 23 juin 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions présentées en première instance et en appel pour Mme G... et la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 720 euros, sont laissés à la charge de Mme G....

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... G..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et aux hôpitaux Drôme nord.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public A... mise à disposition au greffe le 17 mars 2022.

N° 20LY02430 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02430
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP CAZCARRA ET JEANNEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-17;20ly02430 ?
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