La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/03/2022 | FRANCE | N°21LY01052

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 02 mars 2022, 21LY01052


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2100602 du 24 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 28 janvier 2021.

Procédu

re devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 avril 2021, le préfet de l'Isère demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2100602 du 24 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 28 janvier 2021.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 avril 2021, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler le jugement n° 2100602 du 24 mars 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande de M. A... :

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu le moyen tiré d'un défaut d'examen sérieux et particulier de la situation personnelle de l'intéressé ; s'il s'est fondé à tort sur le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une substitution de base légale est possible en fondant sa décision sur le 2° du I du même article ;

- les autres moyens soulevés par l'intéressé (insuffisance de motivation, méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, erreur manifeste d'appréciation, méconnaissance du III de l'article L 511-1 du code précité) ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 19 mai 2021, M. A..., représenté par Me Diouf, conclut au rejet de la requête et demande à la cour le bénéfice de l'aide juridictionnelle et à ce que l'Etat soit condamné à verser à son conseil la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

Il fait valoir que :

- le tribunal administratif de Grenoble a justement retenu le moyen tiré du défaut d'examen sérieux et particulier de sa situation personnelle ;

- les autres moyens soulevés devant le premier juge étaient également fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droits d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Gayrard, président assesseur.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 28 janvier 2021, le préfet de l'Isère a obligé M. B... A..., né le 12 décembre 1988 en Algérie, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois. Par jugement du 24 mars 2021, dont le préfet de l'Isère relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 28 janvier 2021 pour défaut d'examen sérieux et particulier de la situation de M. A..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a retenu que le préfet avait commis deux erreurs quant à son entrée irrégulière en France et à l'absence de domicile. Or, comme l'oppose le préfet de l'Isère et en atteste les pièces de la procédure ayant suivi son interpellation le 27 octobre 2021 pour conduite sans permis de conduire valide, l'intéressé était démuni de tout autre document d'identité que son permis de conduire algérien ainsi que d'un justificatif de domicile permettant de vérifier le bien-fondé de ses déclarations devant les services de la gendarmerie. Aussi, s'il s'est avéré par la suite que, contrairement à ce qu'a indiqué le préfet de l'Isère dans son arrêté du 28 janvier 2021, l'intéressé justifiait d'une entrée régulière en France en ayant en sa possession un passeport muni d'un visa ainsi que d'un domicile stable auprès d'une association, de tels éléments ne sont pas de nature à caractériser un défaut d'examen sérieux et particulier de la situation personnelle de M. A.... Ainsi, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler son arrêté. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

3. En premier lieu, l'arrêté litigieux comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent, nonobstant, ainsi qu'il a été indiqué au point 3, qu'il soit entaché de deux erreurs de fait. Contrairement à ce que soutient M. A..., l'arrêté litigieux mentionne bien la présence de son épouse et de leurs enfants sur le territoire national, a pu estimer que l'intéressé ne justifiait pas d'éléments caractérisant son intégration en France, a justifié l'absence de délai de départ volontaire tenant à un risque que l'intéressé se soustrait à l'obligation de quitter le territoire français et a enfin exprimé les motifs le conduisant à édicter une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté querellé ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable: " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa (...) sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; (...) ". Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

5. Comme indiqué au point 3, le préfet de l'Isère a retenu à tort que M. A... était entré irrégulièrement en France alors que celui-ci justifie y être entré avec son passeport muni d'un visa de court séjour. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, le cas de M. A... relevait du 2° de l'article précité dès lors qu'il est constant qu'il s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa et ne justifie pas d'un titre de séjour. En application des principes rappelés au point précédent, il y a lieu de procéder à la substitution de base légale demandée par le préfet de l'Isère entre le 1° et le 2° de l'article L. 511-1 du code précité, laquelle n'a pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie et dès lors que le préfet disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation sur ce point.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Si M. A... fait valoir qu'il est régulièrement entré en France le 14 octobre 2017 pour rejoindre sa femme et un premier enfant né en Algérie et que deux enfants sont nés en France en 2017 et 2019, il ressort des pièces du dossier qu'il s'est maintenu irrégulièrement en France et ne justifie pas d'un titre de séjour, et que son épouse, ressortissante algérienne, est également en situation irrégulière. Dès lors que leurs trois enfants ont la nationalité algérienne et les deux plus âgées ayant seulement entamé leur scolarité en France, rien ne s'oppose à ce que le noyau familial se reconstitue en Algérie et à ce que leurs enfants y poursuivent leur scolarité alors que M. A... a vécu dans ce pays, où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales, jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans. Enfin, si l'intéressé fait valoir son implication dans le domaine associatif, une telle circonstance ne suffit pas à caractériser d'une intégration en France alors qu'il n'a pas recherché à régulariser sa situation administrative. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Pour les mêmes raisons, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'intérêt supérieur de ses enfants n'aurait pas été pris en compte dans l'arrêté litigieux, en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1° de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. En quatrième lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable: " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa (...) sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...)°". Si M. A... fait valoir que, contrairement à ce qu'a indiqué le préfet de l'Isère, il atteste d'une adresse à Grenoble et d'un passeport valide, comme indiqué au point 3, il n'a pas été en mesure d'en justifier lors de son interpellation et à la date de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance du II de l'article L. 511-1 du code précité peut être écarté.

9. En dernier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " (...) L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Contrairement à ce que soutient M. A..., il ne ressort pas des pièces du dossier que, nonobstant le fait qu'il n'ait pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement ou qu'il ne présente aucune menace à l'ordre public, le préfet de l'Isère aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en prenant la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois compte tenu de la durée de son séjour en France et de sa situation familiale décrite au point 8.

10. Il découle de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 28 janvier 2021. Il y a lieu, par suite, de rejeter la demande de M. A... tendant à son annulation.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 24 mars 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2022.

N° 21LY01052 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01052
Date de la décision : 02/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : DIOUF-GARIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-02;21ly01052 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award