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10/02/2022 | FRANCE | N°20LY00796

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 10 février 2022, 20LY00796


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser la somme de 4 887 565,29 euros, assortie des intérêts au taux légal, et de mettre à sa charge une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1500319 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise avant dire droit.

Par un jugement n° 1500319 du 19 décembre 2019, l

e tribunal administratif de Dijon a condamné le CHU de Dijon à verser à M. A... une s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à lui verser la somme de 4 887 565,29 euros, assortie des intérêts au taux légal, et de mettre à sa charge une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1500319 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise avant dire droit.

Par un jugement n° 1500319 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a condamné le CHU de Dijon à verser à M. A... une somme de 1 761 840,55 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 2 février 2015 et de leur capitalisation à compter du 15 novembre 2017, ainsi que deux rentes annuelles ; il a également condamné le CHU de Dijon et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or les sommes de 215 879,59 et 770 300,29 euros, outre l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 février 2020, 20 juillet 2020 et 5 février 2021, le CHU de Dijon et la SHAM, représentés par Me Le Prado, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500319 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de rejeter les demandes de M. A... et de la CPAM de la Côte d'Or.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a retenu une faute médicale tenant à la réalisation d'une ponction lombaire en opposant l'autorité de la chose jugée du jugement du 1er février 1994 ainsi qu'un retard de prise en charge ayant entrainé une perte de chance de 100 % ;

- l'évaluation des préjudices par les premiers juges comporte des erreurs tenant à la non prise en compte du versement d'une rente et de provisions, et à l'évaluation excessive des frais de logement adapté, des frais de véhicule adapté et des frais d'assistance par tierce personne.

Par un mémoire enregistré le 9 février 2021, la CPAM de la Côte d'Or, représentée par Me Philip de Laborie, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du CHU de Dijon et de la SHAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a retenu le taux de perte de chance de 100 % ;

- elle est en droit d'obtenir les sommes allouées par les premiers juges.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me De Raismes, représentant le CHU de Dijon et la SHAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., né le 1er novembre 1981, souffrant de vives douleurs dorsales, a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon le 20 août 1990 où a notamment été pratiquée une ponction lombaire. M. A... a rapidement présenté une paraplégie des membres inférieurs malgré une intervention chirurgicale de laminectomie réalisée le lendemain. Par jugement n° 935309 du 1er février 1994, non frappé d'appel, le tribunal administratif de Dijon a retenu l'entière responsabilité du CHU de Dijon pour faute dans la réalisation de la ponction lombaire ainsi qu'un retard fautif dans la réalisation de l'intervention chirurgicale et a ordonné un complément d'expertise dont le rapport a été déposé le 7 septembre 1994. Par jugement du 23 mai 1995, non frappé d'appel, le même tribunal a condamné le CHU de Dijon à verser aux époux A... en leur qualité de représentant légal de leur fils B... la somme de 573 433,43 francs ainsi qu'une rente annuelle de 160 000 francs et une somme de 50 000 francs chacun au titre de leur propre préjudice et à la CPAM de la Côte d'Or la somme de 977 290,84 francs.

2. Par ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Dijon des 10 juin et 17 décembre 2013 a été ordonnée une nouvelle expertise en vue d'évaluer les nouveaux préjudices invoqués par M. A..., dont le rapport a été déposé le 26 janvier 2015. Par jugement n° 1500319 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une nouvelle expertise portant sur le taux de perte de chance et sur le montant des préjudices. Les rapport d'expertise ont été déposés les 22 févier 2018 et 1er octobre 2019. Par jugement du 19 décembre 2019, dont le CHU de Dijon et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), relèvent appel, le tribunal administratif de Dijon a condamné le CHU de Dijon à verser à M. A... la somme de 1 761 840,55 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 février 1995 et capitalisation à compter du 15 novembre 2017, ainsi que deux rentes annuelles au titre des dépenses de santé futures et de l'assistance par tierce personne. Le tribunal a également condamné le CHU de Dijon, et son assureur, la SHAM, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or la somme de 215 879,59 euros ainsi que les frais futurs sur justificatifs, dans la limite de 770 300,29 euros.

Sur la régularité du jugement :

3. Si, dans leur requête sommaire, le CHU de Dijon et la SHAM soutiennent que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, ils n'assortissent un tel moyen d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors que le jugement comporte l'énoncé des motifs fondant son dispositif. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. D'une part, dans son jugement du 1er février 1994, devenu définitif, le tribunal administratif de Dijon a retenu que " les troubles neurologiques dont est atteint le jeune B... A... ont pour origine la ponction lombaire réalisée le 20 août 1990 et (...) les conditions dans lesquelles celle-ci a été réalisée sont de nature à engager la responsabilité du CHU de Dijon sur la base de la faute médicale ". Le tribunal doit ainsi être regardé comme ayant exclu que cette faute n'ait eu pour conséquence que de compromettre les chances de l'intéressé de se soustraire au dommage qui s'est réalisé. L'autorité de la chose jugée s'attachant à ce jugement s'oppose à ce que le CHU de Dijon et la SHAM discutent de l'existence d'un lien de causalité entre la ponction lombaire et les séquelles subies en soutenant que celle-ci a été pratiquée au niveau de la vertèbre dorsale D5 alors que la compression a été constatée par le myéloscanner au niveau D1 / D2 et que l'enfant A... souffrait d'un hématome médullaire spontané à caractère exceptionnel.

6. D'autre part, dans son jugement du 1er février 1994, le tribunal administratif de Dijon a également retenu une autre faute tenant à un retard dans la réalisation de l'opération de laminectomie. Comme il est indiqué au point 4, une telle faute était de nature à n'ouvrir droit qu'à la réparation de la perte de chance d'éviter la survenue du dommage correspondant à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue, alors même que cette règle de réparation du préjudice résulte d'une jurisprudence postérieure au jugement précité du 1er février 1994. Toutefois, compte tenu de ce que dans ce même jugement, le tribunal administratif de Dijon avait également estimé qu'une faute médicale directement à l'origine du préjudice subi avait été préalablement commise, l'entière responsabilité de l'hôpital ne pouvait qu'être retenue. Il s'ensuit que c'est par un motif surabondant que le tribunal administratif de Dijon a estimé que le retard fautif dans la prise en charge de M. A... devait être regardé comme ayant compromis l'ensemble des chances de l'enfant d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation et ainsi retenu un taux de perte de chance de 100 %. Par suite, le CHU de Dijon et la SHAM ne peuvent utilement discuter de ce taux pour s'exonérer, même partiellement de la responsabilité pleine et entière de l'hôpital.

En ce qui concerne les préjudices :

7. En premier lieu, le CHU de Dijon et la SHAM reprochent aux premiers juges de ne pas avoir déduit des condamnations prononcées l'intégralité des sommes déjà versées en exécution du jugement du tribunal administratif de Dijon du 23 mai 1995, notamment la rente annuelle d'un montant de 160 000 francs versée au titre des troubles dans les conditions d'existence, des préjudices esthétiques et d'agrément, du pretium doloris et de l'assistance par tierce personne, normalement jusqu'aux vingt ans de la victime mais en fait versée au-delà. Toutefois, il ressort des termes même de l'article 1er du dispositif du jugement attaqué que : " le CHU est condamné à verser la somme totale de 1 761 840,55 euros dont il y a lieu de déduire les sommes provisionnelles accordées par rente depuis le 22 août 1995 jusqu'au présent jugement ". Si le CHU de Dijon et la SHAM soutiennent que ce jugement ne prévoit pas expressément la déduction d'une provision de 100 000 francs, soit 16 769 euros, que l'hôpital a été condamné à verser aux parents de M. A..., agissant en qualité de représentants légaux, en vertu du jugement du 1er février 1994, cette provision doit être regardée comme incluse dans la condamnation définitive prononcée par le jugement du 23 mai 1995. Si les requérants soutiennent également qu'une provision de 7 000 euros qui aurait été versée le 13 novembre 2015 aurait dû être déduite, ils n'apportent aucun élément sur le fondement de leur obligation à payer cette somme.

8. En deuxième lieu, le CHU de Dijon et la SHAM contestent le montant versé par les premiers juges au titre des frais de logement adapté pour un montant de 315 285 euros correspondant à des frais d'aménagement du logement familial de M. A.... D'une part, les requérants ne peuvent opposer le paiement d'une somme de 47 473,61 francs versée en exécution du jugement du 1er février 1994 au titre de frais de logement adapté dès lors que ceux-ci concernaient les aménagements réalisés dans le domicile des parents de la victime et non, comme y procède le jugement attaqué, les frais liés au nouveau logement de la famille de M. A... composée de son épouse et de leurs deux enfants. Les requérants n'apportent pas d'éléments de nature à contredire les conclusions de l'expert architecte selon lequel les caractéristiques du précédent logement familial de M. A... comportaient des contraintes fortes justifiant l'acquisition et l'aménagement d'un nouveau logement mieux adapté à son handicap. Par suite, il y a lieu de retenir les sommes de 126 160 et 31 425 euros correspondant respectivement au surcoût de surface complémentaire de 40 m² permettant le déplacement en fauteuil roulant et aux coûts de divers aménagements adaptés au handicap. En revanche, le CHU de Dijon et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a également ajouté le coût d'acquisition du logement pour un montant de 157 700 euros, lequel ne présente pas de lien de causalité avec le préjudice subi. Il s'ensuit qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué sur ce point et de ramener l'indemnité au titre des frais de logement adapté à la somme de 157 585 euros.

9. En troisième lieu, le CHU de Dijon et la SHAM contestent l'évaluation faite par les premiers juges des frais de véhicule adapté estimés à la somme de 250 000 euros s'agissant des frais futurs. Il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Dijon s'est notamment fondé sur une expertise faisant état d'un surcoût lié à l'acquisition d'un véhicule adapté à son handicap de 25 000 euros tous les sept ans mais aussi des aménagements de ce même véhicule pour 40 000 euros. Toutefois, cette expertise indique que les frais d'aménagement du véhicule alors utilisé par M. A... étaient justifiés à hauteur de 5 400 euros, mais retient, sans en justifier de sa nécessité, le coût d'acquisition d'un gros véhicule utilitaire alors que la victime utilisait jusqu'alors des berlines familiales adaptées, et ne précise nullement la nature et le coût détaillé des aménagements supplémentaires de ce véhicule dédié au transport de personnes à mobilité réduite. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir pour l'appréciation de ce préjudice un surcoût lié aux seules adaptations d'un véhicule classique, pour un montant de 5 400 euros, devant être renouvelé tous les sept ans de façon viagère, soit en prenant un euro de rente de 43,845 correspondant à un homme de 36 ans, âge de la victime en 2017, date du renouvellement prévisionnel du véhicule de M. A... retenu par les premiers juges. Par suite, il y a lieu de réformer le jugement attaqué en allouant la somme de 33 823,28 euros au titre des frais futurs de véhicule adapté.

10. En dernier lieu, le CHU de Dijon et la SHAM contestent l'évaluation faite par les premiers juges des frais d'assistance par tierce personne futurs en faisant valoir l'absence de prise en compte d'éventuelles aides perçues à ce titre par M. A.... Toutefois, dans son point n° 30, le tribunal administratif de Dijon a rappelé que de la rente accordée au titre des frais futurs d'assistance par tierce personne " devront être déduites (...) les aides d'assistance par une tierce personne ayant le même objet " et qu'il appartiendra à M. A... de fournir au CHU de Dijon les justificatifs relatifs à de telles aides, l'article 3 du dispositif renvoyant implicitement à ce point quant aux modalités de liquidation et de versement de cette rente.

11. Il découle de tout ce qui précède que le CHU de Dijon et la SHAM sont seulement fondés à demander la réformation de l'article 1er du jugement attaqué. Il découle des points 8 et 9 que l'indemnisation des frais de logement adapté doit être ramenée de 315 285 euros à 157 585 euros et celle des frais futurs de véhicule adapté de 250 000 euros à 33 823,28 euros. Par suite, il y a lieu de condamner le CHU de Dijon à verser à M. A... la somme de 1 387 963,83 euros, dont il sera déduit les provisions versées sous forme de rente, depuis le 22 août 1995 jusqu'au présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 février 2015 et de leur capitalisation à compter du 15 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratives font obstacle à ce que soient mis à la charge du CHU de Dijon et de la SHAM, qui ne sont pas la partie perdante, une quelconque somme au titre des frais exposés par la CPAM de la Côte d'Or et non compris dans leurs dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1500319 du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : Le CHU de Dijon est condamné à verser à M. A... la somme de 1 387 963,83 euros, dont il sera déduit les provisions versées, notamment sous forme de rentes, depuis le 22 août 1995 jusqu'au présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 février 2015 et de leur capitalisation à compter du 15 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Dijon, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme Conesa-Terade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 février 2022.

N° 20LY00796 2


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