Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble-Alpes et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à les indemniser du préjudice imputable à la faute commise dans cet établissement lors de l'hospitalisation de Mme D... du 21 au 24 mai 2008 et d'ordonner un complément d'expertise.
Par un jugement n° 1705184 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2020, Mme D... et M. A..., représentés par Me Gerbi, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 décembre 2019 ;
2°) de condamner solidairement le CHU Grenoble-Alpes et la SHAM à verser à Mme D... la somme globale de 1 830 222,70 euros au titre de son préjudice ;
3°) d'ordonner un complément d'expertise concernant la nature et le renouvellement du matériel prothétique, des aménagements de logement, de véhicule et autres aides techniques ;
4°) de condamner solidairement le CHU de Grenoble-Alpes et la SHAM à verser à M. A... la somme de 32 000 euros au titre de son préjudice moral ;
5°) de condamner le CHU de Grenoble-Alpes à verser à Mme D... et à M. A... les sommes de 6 000 et 1 200 euros respectivement, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a commis une faute à l'origine d'une perte de chance évaluée à 80 % ;
- Mme D... évalue ainsi ses préjudices, compte tenu de ce taux de perte de chance :
o déficit fonctionnel temporaire : 27 039,70 euros,
o souffrances endurées : 18 000 euros,
o préjudice esthétique temporaire et permanent : 11 200 euros,
o déficit fonctionnel permanent : 190 464 euros,
o préjudice sexuel : 8 000 euros,
o tierce personne temporaire et permanente : 1 535 519 euros,
o incidence professionnelle : 40 000 euros ;
- il convient de réserver la réparation au titre des frais de logement adapté, des frais de véhicules adaptés, des aides techniques, ainsi que du matériel prothétique, qui nécessitent un complément d'expertise.
Par un mémoire enregistré le 23 juin 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, représentée par Me Rognerud, demande à la cour :
1°) de condamner solidairement le CHU Grenoble-Alpes et la SHAM à lui verser la somme de 328 954,92 euros correspondant à ses débours définitifs, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande et de leur capitalisation ;
2°) de condamner solidairement le CHU Grenoble-Alpes et la SHAM à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du CHU Grenoble-Alpes et de la SHAM la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute de l'hôpital est engagée ;
- elle dispose d'un recours subrogatoire à l'encontre du tiers responsable pour obtenir le remboursement des prestations servies.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2020, le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hemour, représentant Mme D... et M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 21 mai 2008, Mme C... D... a été conduite aux urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) Grenoble-Alpes après un épisode d'agitation avec menace de défenestration. Le 24 mai 2008, elle a fugué de l'établissement pour rejoindre le domicile de son frère puis celui de son époux le lendemain. Le 27 mai 2008, Mme D... s'est défenestrée à son domicile et demeure depuis lourdement handicapée. Mme D... et M. A... recherchent la responsabilité pour faute du CHU Grenoble-Alpes et de son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM). Par un jugement n° 1705184 du 3 décembre 2019, dont Mme D... et M. A... relèvent appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ainsi que celle présentée par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, agissant pour le compte de la CPAM de l'Isère.
Sur les conclusions indemnitaires de Mme D... et de M. A... :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ". La responsabilité du centre hospitalier ne peut être engagée pour faute que si l'existence d'une faute et d'un préjudice en lien de causalité direct et certain avec cette faute sont établies.
3. Mme D... et M. A... font valoir que le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a commis des fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service, en n'informant pas M. A... E... la procédure prévue par l'article L. 3212-1 du code de la santé publique dite d'hospitalisation sur demande de tiers et en n'apportant pas la surveillance nécessaire à l'état d'agitation de Mme D..., lesquelles ont entrainé une perte de chance pour la requérante de ne pas commettre le geste d'autolyse.
4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...). Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. " et aux termes de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique : " Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande d'un tiers que si : 1° Ses troubles rendent impossible son consentement ; 2° Son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier. / La demande d'admission est présentée soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants dès lors qu'ils exercent dans l'établissement d'accueil. / Cette demande doit être manuscrite et signée par la personne qui la formule. Si cette dernière ne sait pas écrire, la demande est reçue par le maire, le commissaire de police ou le directeur de l'établissement qui en donne acte. Elle comporte les nom, prénoms, profession, âge et domicile tant de la personne qui demande l'hospitalisation que de celle dont l'hospitalisation est demandée et l'indication de la nature des relations qui existent entre elles ainsi que, s'il y a lieu, de leur degré de parenté. / La demande d'admission est accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours et circonstanciés, attestant que les conditions prévues par les deuxième et troisième alinéas sont remplies. / Le premier certificat médical ne peut être établi que par un médecin n'exerçant pas dans l'établissement accueillant le malade ; il constate l'état mental de la personne à soigner, indique les particularités de sa maladie et la nécessité de la faire hospitaliser sans son consentement. Il doit être confirmé par un certificat d'un deuxième médecin qui peut exercer dans l'établissement accueillant le malade. Les deux médecins ne peuvent être parents ou alliés, au quatrième degré inclusivement, ni entre eux, ni des directeurs des établissements mentionnés à l'article L. 3222-1, ni de la personne ayant demandé l'hospitalisation ou de la personne hospitalisée. "
5. D'une part, il résulte de l'instruction qu'en raison de troubles du comportement et d'agitation, Mme D... a été admise aux urgences du CHU Grenoble-Alpes avec une demande manuscrite d'hospitalisation sous contrainte de son beau-frère, sans toutefois que celle-ci soit complétée d'un avis médical externe comme l'exige l'article L. 3212-1 cité au point précédent. Si l'expert émet des doutes sur la validité du consentement de Mme D... en raison de son état délirant, il résulte néanmoins de l'instruction que la requérante ne s'est pas opposée à son hospitalisation sous le régime du placement libre dans l'attente d'être transférée à la clinique privée " Le Coteau " où elle avait déjà séjourné. Dans ces conditions, et dès lors que la procédure d'hospitalisation à la demande d'un tiers ne pouvait être régulièrement poursuivie, c'est sans commettre de faute que le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a admis Mme D... sous le régime du placement libre au sein de son service d'urgence psychiatrique. De même, il ne peut être reproché à l'hôpital de ne pas avoir informé M. A... E... la possibilité de formuler une demande d'hospitalisation à la demande d'un tiers, au demeurant faite par le beau-frère de la victime.
6. D'autre part, si les requérants reprochent à l'hôpital d'avoir permis à Mme D... de fuguer le 24 mai 2008, il résulte de l'instruction que l'état clinique de Mme D... ne justifiait d'aucune mesure de surveillance particulière et que la patiente a fait l'objet de soins et d'une surveillance rapprochée, au regard notamment du nombre de rondes de l'équipe soignante la nuit du 23 au 24 mai 2008, le départ de l'intéressée ce jour-là ayant été suscité par la rencontre inopinée d'un autre patient. Il en résulte que le CHU Grenoble Alpes n'a pas commis non plus de faute dans le suivi ou la prise en charge de la patiente.
7. Enfin, si les requérants font grief à l'hôpital de ne pas avoir alerté le médecin traitant ou l'autorité publique de la fugue de Mme D..., il est constant que cette dernière a été recueillie par son beau-frère puis son époux, lesquels n'apportent aucun commencement de preuve pour établir le bien-fondé de leurs allégations selon lesquelles ils auraient vainement demandé au CHU Grenoble-Alpes de reprendre l'intéressée. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que M. A... ou d'autres membres de sa famille auraient eux-mêmes alerté le médecin traitant ou tout autre personne du retour de Mme D... avant la survenue d'une nouvelle crise le 27 mai 2008 en matinée au cours de laquelle elle s'est défenestrée.
8. Ainsi, il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner le complément d'expertise sollicité par Mme D... et M. A..., ceux-ci ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande visant à la condamnation du CHU Grenoble-Alpes.
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône :
9. En l'absence de responsabilité du CHU Grenoble Alpes, les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône tendant au remboursement par l'hôpital des débours exposés par la CPAM de l'Isère pour Mme D..., ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes les sommes demandées à ce titre par Mme D... et M. A..., d'une part, et par la CPAM du Rhône, d'autre part.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... D... et M. B... A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CPAM du Rhône sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et M. B... A..., au centre hospitalier Grenoble-Alpes, à la société hospitalière d'assurance mutuelle, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 janvier 2022.
6
N° 20LY00458