Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'association bien vivre à domicile a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, à titre principal, de condamner le département de l'Allier à lui verser la somme de 766 572,32 euros, à parfaire, en réparation du préjudice subi sur la période 2012-2016 dans le contexte de tarifs établis de façon irrégulière pour les années 2013, 2014, 2015 et 2016 et, subsidiairement, de désigner un expert chargé de fournir au tribunal les éléments de nature à déterminer les responsabilités à engager et d'évaluer et chiffrer son préjudice.
Par un jugement n° 1700906 du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 septembre 2019 et le 31 juillet 2020, l'Association bien vivre à domicile, représentée par Me Joly, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 2019 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) de faire droit à sa demande indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Allier une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé pour avoir omis d'examiner plusieurs moyens soulevés en première instance, notamment en ne tenant pas suffisamment compte des conclusions des rapports produits à l'instance ;
- la faute du département est établie, résultant de la méconnaissance des dispositions applicables du code de l'action sociale et des familles et d'une appréciation erronée de sa situation ;
- l'existence d'un préjudice susceptible de donner lieu à réparation est également établie ;
- le reproche selon lequel elle n'a pas engagé d'action contentieuse plus tôt contre les tarifs arrêtés par le département ne peut fonder le rejet de sa demande devant le juge administratif ;
- sa situation n'est pas comparable avec celle des autres structures privées du même type du département et sa gestion n'est pas en cause ;
- le taux de qualification des personnels, corrélé avec les besoins des usagers, a augmenté au cours de la période, en réponse à une demande du département traduite dans la convention conclue en 2008 avec l'autorité tarifaire ;
- les dispositions de l'article R. 314-23 du code de l'action sociale et des familles ont été méconnues ;
- en fixant un tarif fictif et irréaliste et en rejetant des dépenses liées à la qualification des agents, le département ne tient pas compte des dépenses réelles de personnel qualifié constatées les années précédentes, regardées comme injustifiées par les nécessités de gestion du service, et ne prend pas en compte les besoins sociaux spécifiques de la population auprès de laquelle elle intervient.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 avril 2020 et le 10 septembre 2020, le département de l'Allier conclut :
1°) à l'incompétence de la juridiction administrative de droit commun pour connaître du litige ;
2°) à l'irrecevabilité de la requête pour tardiveté ;
3°) subsidiairement, à l'annulation du jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée en défense ;
4°) à défaut, au rejet de la requête ;
5°) dans tous les cas à la condamnation de l'association Bien Vivre à Domicile à lui verser une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département expose que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a écarté la fin de non-recevoir tirée de l'exception d'incompétence de la juridiction administrative de droit commun pour connaître du litige qui lui était soumis ;
- aucun des moyens soulevés par l'association requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Conesa-Terrade, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Migazzi, substituant Me Joly, représentant l'association Bien Vivre à Domicile, et de Me Martins Da Silva, représentant le Département de l'Allier ;
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement attaqué :
1. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles : " I.- Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ;. (...) " et aux termes de l'article L. 314-1 du même code : " (...) II.- La tarification des prestations fournies par les établissements et services habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale du département est arrêtée chaque année par le président du conseil départemental. Le président du conseil départemental peut fixer dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens les modalités d'actualisation sur la durée du contrat des tarifs à la charge de l'aide sociale départementale. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 351-1 de ce code : " Les recours dirigés contre les décisions prises par le représentant de l'Etat dans le département, le représentant de l'Etat dans la région, le directeur général de l'agence régionale de santé et le président du conseil départemental, séparément ou conjointement, ainsi que par le président du conseil régional et, le cas échéant, par les ministres compétents, déterminant les dotations globales, les dotations annuelles, les forfaits annuels, les dotations de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, les remboursements forfaitaires, subventions obligatoires aux établissements de santé mentionnés à l'article L. 4383-5 du code de la santé publique les prix de journée et autres tarifs des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux de statut public ou privé et d'organismes concourant aux soins, sont portés, en premier ressort, devant le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. ".
2. Il résulte de ces dispositions que le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale est seul compétent, en premier ressort, pour connaître des recours relatifs aux prix de journée et autres tarifs des établissements et services sanitaires et sociaux et médico-sociaux de statut public ou privé, déterminés par le président du conseil départemental. De plus, en application des dispositions de l'article L. 351-4 du même code, la cour nationale de la tarification sanitaire et sociale est compétente pour statuer en appel des décisions des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale.
3. La juridiction administrative de droit commun n'est pas compétente pour connaître de conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice se rattachant à un litige au fond qui échappe à sa compétence. Saisi en appel, le juge annule comme irrégulier le jugement rendu par un tribunal administratif qui a retenu à tort sa compétence pour statuer sur un litige relevant de la compétence matérielle d'une autre juridiction administrative.
4. L'association Bien vivre à domicile (BVAD), établissement de droit privé, habilité par le département de l'Allier, chargé du service médical et médico-social auprès de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie, de la prestation de compensation du handicap et de l'aide-ménagère, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de l'Allier à réparer le préjudice financier qu'elle impute à la fixation, par arrêtés du président du conseil départemental de l'Allier, autorité tarificatrice compétente, des tarifs annuels applicables aux prestations médico-sociales rendues sur la période 2012-2016.
5. Toutefois, il résulte des dispositions précitées que la juridiction compétente pour connaître en premier ressort de telles conclusions est le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale dont les décisions peuvent, en vertu des dispositions de l'article L. 351-4 du code de l'action sociale et des familles être déférées à la cour nationale de la tarification sanitaire et sociale par la voie de l'appel. C'est par suite, à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a admis sa compétence pour statuer sur les conclusions de la demande de l'association Bien vivre à domicile tendant à la condamnation du département de l'Allier à réparer le préjudice financier qu'elle impute à la fixation de tarifs départementaux dévolus à son fonctionnement en méconnaissance des dispositions applicables du code de l'action sociale et des familles.
6. Dès lors, saisie de la présente requête comme juge d'appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, la cour doit annuler ce jugement pour incompétence et elle ne peut évoquer et statuer immédiatement sur les conclusions de la requérante tendant à la réparation du préjudice qu'elle impute à la tarification contestée mais doit renvoyer l'affaire devant le juge compétent en premier ressort. Il y a, par suite, lieu pour la cour, d'accueillir l'exception d'incompétence opposée en défense et de renvoyer l'association requérante devant le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale pour qu'il soit statué ce qu'il appartiendra sur les conclusions de sa demande.
Sur les frais du litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
8. Le département de l'Allier n'étant pas la partie perdante, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par l'association Bien vivre à domicile. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par le département de l'Allier.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Bien vivre à domicile est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions du département de l'Allier est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Bien vivre à domicile et au département de l'Allier.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président-assesseur,
Mme Conesa-Terrade, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
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N° 19LY03554