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21/10/2021 | FRANCE | N°20LY01174

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 21 octobre 2021, 20LY01174


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale afin d'apprécier le préjudice qu'elle a subi et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 500 000 euros.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui rembourser la somme de 4 470,70 euros au titre des débours engagés en faveur de son assurée et la somme

de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale afin d'apprécier le préjudice qu'elle a subi et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 500 000 euros.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui rembourser la somme de 4 470,70 euros au titre des débours engagés en faveur de son assurée et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1801590 du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de Mme A... et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mars 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 24 juin 2021, Mme A..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de constater que l'Etat a commis une faute dans l'organisation du service public de l'enseignement et qu'il doit procéder à l'indemnisation des préjudices subis ;

3°) d'ordonner une expertise à fin d'apprécier les préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- lors du cours d'éducation physique et sportive, elle a chuté d'une hauteur d'un mètre lors d'un exercice consistant à effectuer une roulade arrière sur le dos d'un élève porteur ;

- la juridiction administrative est compétente en cas de faute dans l'organisation du service public de l'enseignement ;

- l'Etat a l'obligation d'assurer la sécurité de ses installations ;

- l'exercice comportait des risques importants et il est légitime de s'interroger sur la qualité du matériel utilisé lors de la séance de gymnastique, sur sa conformité aux normes de sécurité, alors qu'elle a fait preuve de prudence lors de l'exercice ;

- la salle dans laquelle l'activité s'est déroulée n'était pas prévue pour la gymnastique puisque des tapis ont été ajoutés sur le sol et si ces tapis ne sont pas en mesure de réceptionner en toute sécurité un élève qui chute à moins d'un mètre du sol, c'est que le matériel de réception n'assure pas la sécurité des élèves ;

- la faute dans l'organisation du service peut être liée à une absence ou une insuffisance d'organisation pédagogique et à une insuffisante surveillance par le personnel encadrant ; la professeure d'éducation physique et sportive était seule en charge d'un groupe de jeunes élèves de première dont la plupart sont novices en acrosport, alors que cette activité peut s'avérer dangereuse ; il fallait mettre en place une équipe encadrante suffisamment vigilante pour vérifier si la figure réalisée nécessitait l'ajout d'un tapis plus épais ; aucun élève " assureur " n'avait été prévu pour réceptionner l'élève voltigeur ;

- ayant connaissance de ses antécédents médicaux, il appartenait au lycée de redoubler de vigilance ;

Par un mémoire, enregistré le 3 juin 2021, le recteur de l'académie de Grenoble conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la figure réalisée ne nécessitait aucun élan et est effectuée à partir d'une position basse ; il ne s'agit pas d'un saut mais d'une figure dynamique dans laquelle le voltigeur est déplacé par le porteur ; le porteur assure également le rôle de pareur/accompagnateur dans la mesure où il tient en permanence le voltigeur et l'accompagne jusqu'à la pose des pieds ; si Mme A... et sa partenaire ont choisi cette figure pour leur évaluation au baccalauréat, c'est qu'elles l'avaient travaillée au cours de séances précédentes et qu'elles la maîtrisaient sans risque de blessure ; Mme A... et sa camarade n'ont pas pris la précaution d'informer leur professeur ou leurs camarades de la réalisation d'une telle figure ;

- le dossier médical de Mme A... fait apparaitre que la victime présentait antérieurement à l'accident une scoliose ; la pathologie préexistante pourrait expliquer les séquelles disproportionnées au regard de la chute ; les parents de Mme A... n'ont pas jugé utile d'informer le professeur d'éducation physique et sportive dès le début de l'année scolaire de cet antécédent médical et il ne peut être reproché à l'enseignante de n'avoir pas adapté son enseignement en raison de la fragilité de la jeune fille ;

- l'acrosport fait partie intégrante des activités physiques, sportives et artistiques proposées aux élèves du lycée ; aucun manquement à son obligation d'assurer la sécurité des installations ne peut être reproché à l'Etat dès lors que le sol de la salle était entièrement recouvert de tapis de gymnastique solidaires entre eux et de gros matelas de gymnastique complétaient l'aménagement de la salle ; le cours a débuté par des exercices d'échauffement ;

- aucun défaut d'organisation pédagogique ne peut être retenu dès lors que l'enseignante est titulaire du certificat d'aptitude au professorat d'éducation physique et sportive et peut dispenser des cours sans être soutenue par une tierce personne ;

- l'accident n'est dû qu'à une mauvaise réception de la jeune fille sur le sol.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pourny, président,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 mars 2012, Mme B... A..., née le 9 novembre 1996, scolarisée en classe de première au lycée Champollion à Grenoble, s'est blessée en chutant alors qu'elle effectuait un exercice d'acrosport lors du cours d'éducation physique et sportive. Transférée au centre hospitalier universitaire de Grenoble, une contusion médullaire cervicale au niveau C5-C6 a été diagnostiquée. Devant la persistance d'une hypoesthésie et des dysesthésies au niveau C8 avec un déficit moteur touchant principalement l'abduction et l'adduction des doigts et la pince pouce/index, Mme A... a subi, en avril 2012, une intervention chirurgicale. Le 7 juillet 2017, Mme A... a demandé l'organisation d'une expertise amiable en vue de chiffrer ses préjudices. Par une décision du 7 septembre 2017, le recteur de l'académie de Grenoble a rejeté cette demande. Le 9 novembre 2017, Mme A... a formé une réclamation préalable indemnitaire qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme A... relève appel du jugement du 23 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant, à titre principal, à l'organisation d'une expertise médicale et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis.

Sur les conclusions à fin d'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre d'une personne morale de droit public d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge la réalité du préjudice subi et le lien de causalité entre ces préjudices et un défaut d'organisation du service public ou un défaut d'entretien d'un ouvrage public. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile. Si Mme A... demande d'ordonner une expertise médicale, il résulte de ce qui vient d'être dit que le juge ne saurait statuer sur cette demande avant de s'être notamment prononcé sur le principe de la responsabilité imputée à l'Etat et avoir examiné les éléments se rapportant à la réalité et à l'étendue du préjudice invoqué afin de pouvoir se déterminer sur l'utilité d'une telle mesure.

Sur les autres conclusions de la requête :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public :

3. Aux termes de l'article 2 de la loi du 5 avril 1937 aujourd'hui repris à l'article L. 911-4 du code de l'éducation : " Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'Etat est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. Il en est ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d'enseignement ou d'éducation physique, non interdit par les règlements, les élèves et les étudiants confiés ainsi aux membres de l'enseignement public se trouvent sous la surveillance de ces derniers. (...) ". Le législateur a ainsi entendu instituer une responsabilité générale de l'Etat, mise en jeu devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, pour tous les cas où un dommage causé à un élève a son origine dans la faute d'un membre de l'enseignement et qu'il n'est dérogé à cette règle que dans le cas où le préjudice subi doit être regardé comme indépendant du fait de l'agent, soit que ce préjudice ait son origine dans un dommage afférent à un travail public, soit qu'il trouve sa cause dans un défaut d'organisation du service.

4. Il résulte de l'instruction et il n'est pas sérieusement contesté que l'exercice, au cours duquel Mme A... s'est blessée, a débuté par des échauffements suivis d'un travail technique de gymnastique au sol (roulade avant, roulade arrière, roue...). La figure a été réalisée sans saut et sans élan et est qualifiée de figure dynamique, le voltigeur étant déplacé par un porteur. Dans ces conditions, l'exercice litigieux ne saurait être regardé en lui-même comme comportant un risque ou un danger important exigeant la mise en place d'un tapis de réception plus épais que ceux qui avaient été installés dans la salle où se déroulait le cours d'éducation physique au cours duquel Mme A... s'est blessée.

5. Si Mme A... fait état de ce que la professeure d'éducation physique et sportive était seule pour encadrer cette activité qui aurait nécessité une équipe encadrante et/ou un élève assurant la réception du voltigeur, il résulte de l'instruction et notamment des conditions de réalisation de la figure litigieuse que, lors de cette figure, le porteur assure également le rôle de pareur/accompagnateur dès lors qu'il tient en permanence le voltigeur et l'accompagne jusqu'à la pose des pieds. Par suite, il n'est pas établi que l'activité en cause aurait nécessité la présence d'une équipe encadrante ou d'autres élèves assurant la réception de Mme A....

6. Mme A... soutient encore que sa mère avait confié avant l'accident au professeur d'éducation physique et sportive sa fragilité compte tenu de la circonstance qu'elle avait porté, à une date indéterminée, un corset ou une minerve. Toutefois, et alors que cette fragilité n'est pas démontrée, il n'est pas établi que les parents de Mme A... aurait fait état, antérieurement à l'accident, d'une contre-indication à la pratique de l'acrosport, activité qui avait été choisie par l'intéressée en début d'année scolaire.

7. Il résulte de ce qui précède que les modalités d'encadrement et d'organisation du cours de gymnastique ne révèlent pas de défaut d'organisation ou de fonctionnement du service public de l'enseignement de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne la responsabilité pour défaut d'entretien de l'ouvrage public :

8. La responsabilité de la personne publique maître d'un bien à l'égard de l'usager qui a été victime d'un dommage imputé à ce bien n'est engagée de plein droit pour défaut d'entretien normal, sans que l'intéressé ait à établir l'existence d'une faute à la charge de cette personne publique, qu'à la condition que le dommage soit imputable à un bien immobilier, seul susceptible de recevoir la qualification d'ouvrage public.

9. Il ne résulte pas de l'instruction que les tapis ont été fixés au sol de la salle de sport du lycée de telle sorte qu'ils puissent être regardés comme un élément de l'ouvrage public constitué par la salle de sport. Par suite, les tapis utilisés pour cet exercice ne constituant pas un bien immobilier, leur non-conformité alléguée ne saurait, engager la responsabilité de l'Etat pour défaut d'entretien d'un ouvrage public.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande sans avoir ordonné une expertise. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions à fin de mise à la charge de l'Etat des frais exposés et non compris dans les dépens dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'éducation nationale, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône. Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme Conesa-Terrade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2021.

4

N° 20LY01174


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01174
Date de la décision : 21/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de l'enseignement - Organisation du service.

Travaux publics - Notion de travail public et d'ouvrage public - Ouvrage public.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François POURNY
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CDMF AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-10-21;20ly01174 ?
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