Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Nevers à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices nés de ses conditions de travail.
Par un jugement n° 1803193 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er juillet 2019, Mme A..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 juin 2019 ;
2°) d'annuler le rejet de sa demande préalable formée le 26 octobre 2018 ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Nevers à lui verser une somme de 20 000 euros, somme assortie des intérêts légaux à compter du 7 août 2018 et des intérêts capitalisés à compter de la même date ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Nevers une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- le tribunal a entaché son jugement d'erreurs de fait en n'admettant pas le caractère probatoire des éléments qu'elle a produits comme justifiant de ses plaintes devant l'administration et en ne retenant pas le lien entre son état de santé et les agissements constituant harcèlement moral ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en écartant les témoignages du harcèlement moral ;
- elle établit les éléments concordants permettant de présumer le harcèlement ;
- l'absence de réaction de l'administration informée des faits est fautive ;
- elle justifie de ses préjudices professionnel, corporel et moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2019, le centre hospitalier de Nevers, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requérante se borne à des allégations et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président de chambre ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me E..., pour le centre hospitalier de Nevers ;
Considérant ce qui suit :
1. Dans un contexte plus ancien de conflit relationnel avec une collègue, et après une vive altercation dans la nuit du 15 au 16 avril 2017, Mme A..., aide-soignante en exercice depuis 1981 au centre hospitalier de Nevers, a été placée en congé-maladie pour un syndrome anxiodépressif réactionnel post-traumatique à compter du 29 avril 2017. Sa pathologie a été reconnue imputable au service par une décision initiale du 5 mars 2018. Le 7 août 2018, elle a sollicité du centre hospitalier de Nevers une indemnisation à hauteur de 20 000 euros du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle soutient avoir subis par la dégradation de ses conditions de travail marquées par un harcèlement de la part de sa collègue sans action de protection de l'administration. Le directeur du centre hospitalier de Nevers a rejeté sa demande par un courrier du 26 octobre 2018. Mme A... demande à la cour l'annulation de cette décision, l'annulation du jugement du 14 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Nevers à l'indemniser de ses préjudices, et la condamnation de celui-ci à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation de ces derniers.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
3. Il résulte de l'instruction, ainsi au demeurant que l'a admis le centre hospitalier de Nevers dans son rejet de la demande préalable de Mme A..., que le placement de celle-ci en congé de maladie au motif du syndrome anxio-dépressif réactionnel reconnu imputable au service par la décision du 5 mars 2018, prise au vu du rapport d'expertise médicale de l'intéressée du 19 janvier 2018, est directement consécutif aux événements survenus dans le service la nuit du 15 avril 2017 et qui ont fait l'objet d'un rapport d'enquête administrative, non daté, des cadres de santé du pôle B de l'établissement sur plainte notamment de patients du service. Il en ressort que, si les faits, allant jusqu'à une " bousculade " opposant directement Mme A... et une collègue et s'inscrivant dans un ensemble d'agissements de groupe particulièrement déplacés et inadaptés, voire inattendus, dans un service nocturne de soins médicaux, révèlent, au regard de l'ensemble des pièces du dossier, un paroxysme du conflit interpersonnel, dont l'existence n'est pas contestée, surgi à compter de 2012 entre la requérante et cette collègue, les éléments de fait produits par Mme A..., quoique non sérieusement contredits par l'administration qui se borne à des allégations pour en minimiser la portée, ne permettent pas de présumer l'existence de faits caractérisant une situation de harcèlement moral de la nature de ceux mentionnés par les dispositions précitées au point 3.
4. En revanche, d'une part, le centre hospitalier de Nevers ne peut se borner à opposer à Mme A... la " norme au centre hospitalier de Nevers " que serait le non-versement de courriers de plainte au dossier des agents pour prétendre établir l'inexistence des courriers produits par Mme A... à l'appui de sa demande non plus qu'écarter son argumentation, reprise au contentieux, en des termes éludant péremptoirement son examen au fond. D'autre part, les attestations et témoignages produits par Mme A..., suffisamment circonstanciés et, contrairement à ce que soutient en défense le centre hospitalier de Nevers qui ne produit aucun élément factuel contraire, concordants, établissent la réalité d'un rapport très conflictuel s'étant étendu sur plusieurs années entre Mme A... et sa collègue dont ces pièces illustrent, précisément en termes généraux comme le souligne le centre hospitalier de Nevers, le comportement en service de longue date dont les conséquences délétères se sont focalisées sur la requérante, à qui aucun reproche n'est relevé quant à son exercice professionnel. Il ressort enfin des termes mêmes du rapport de l'enquête menée par les cadres de santé du pôle B sur les événements de la nuit du 15 avril 2017 qu'aucune réponse, hors des propositions de modification de plannings, n'a été apportée à une situation, établie à cette date, de risques psychosociaux jusqu'à un changement d'affectation en juillet 2017, postérieurement d'ailleurs au placement de la requérante en congé-maladie, de la collègue de celle-ci et dont le centre hospitalier de Nevers précise au demeurant qu'il est sans lien avec la plainte de Mme A.... Est ainsi révélée, qu'elle trouve son origine dans une négligence dans l'encadrement du service ou dans une décision délibérée, une abstention fautive, invoquée par Mme A... dans sa demande préalable et sa demande en première instance, dans l'organisation de ce service, laquelle a fait obstacle à la prévention des dommages finalement subis par Mme A.... Celle-ci est dès lors fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Nevers en raison de cette faute et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur le préjudice :
5. A l'appui de ses préjudices professionnel et corporel, Mme A... se borne à produire les arrêts de travail qui lui ont été prescrits depuis le 29 avril 2017, un compte-rendu d'hospitalisation du 13 janvier 2013, et des certificats médicaux. Toutefois, ainsi que l'indique la requérante, ses arrêts de travail ont été pris en charge au titre de la pathologie imputable au service, sans qu'elle justifie de préjudices qui ne seraient pas réparés à ce titre. En revanche, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral né de son éviction de son activité professionnelle par les congés-maladie et des conditions dans lesquelles est intervenue celle-ci, à compter du 29 avril 2017 après une longue carrière professionnelle et suite à l'événement du 15 avril 2017, en l'estimant à une somme de 5 000 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
6. En application de l'article 1153 du code civil, la somme que le centre hospitalier de Nevers est condamné à verser à Mme A... doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 août 2018, date de la réception par l'établissement de la réclamation préalable présentée par l'intéressée. Mme A... a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande enregistrée au tribunal administratif de Grenoble le 3 décembre 2018, puis dans sa requête enregistrée le 1er juillet 2019. Cette demande prend effet à compter du 8 août 2019, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, par suite, en application de l'article 1154 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la date de réception de la demande préalable, soit le 8 août 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Nevers. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Nevers une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés au même titre par Mme A....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 juin 2019 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Nevers est condamné à verser à Mme A... une somme de 5 000 euros. Ladite somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 août 2018. Les intérêts échus à la date du 8 août 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le centre hospitalier de Nevers versera à Mme A... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier de Nevers tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au centre hospitalier de Nevers.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2021 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2021.
N° 19LY02551 2