Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme de 218 830 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016 et leur capitalisation et celle de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1605909 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 27 juin 2019, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1605909 du 30 avril 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner l'ONIAM à lui verser diverses sommes d'un montant global de 218 830 euros assorties des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016 et leur capitalisation ;
3°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de réparation de ses préjudices au titre de la solidarité en retenant que ceux-ci ne résultent pas de l'intervention chirurgicale mais de son état psychique propre alors que l'expert psychiatre a estimé que ses troubles douloureux survenus après le geste opératoire peuvent s'intégrer dans la notion d'aléa thérapeutique ;
- il est donc en droit d'obtenir la réparation des préjudices suivants :
* Déficit fonctionnel temporaire partiel 1 830 euros
* Souffrances endurées 2 500 euros
* Préjudice esthétique temporaire 3 000 euros
* Déficit fonctionnel permanent 47 000 euros
* Préjudice d'agrément 7 500 euros
* Préjudice esthétique permanent 4 500 euros
* Préjudice sexuel 2 500 euros
* Perte de gains et incidence professionnels 150 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 27 septembre 2019, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée et à ce que M. E... soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les expertises n'ont pas permis de déterminer l'origine du dommage subi, l'expert psychiatre ayant proposé un diagnostic de troubles douloureux sans certitude et retenu une hypothèse d'un lien causal entre ces troubles et l'opération chirurgicale tenant à la chronologie des faits ;
- une nouvelle expertise au contradictoire de l'ONIAM s'avèrerait sinon nécessaire eu égard aux contradictions de l'expertise psychiatrique et dès lors qu'il n'a pas été partie aux expertises diligentées par la CRCI.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Antoine A..., avocat de M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 mars 2010, M. D... E..., né le 9 octobre 1980, a fait une chute qui a provoqué une fracture de la tête radiale du coude gauche ; il a été pris en charge par le centre hospitalier de Valence pour la pose d'un plâtre. Le 17 mars 2011, suite à l'apparition de paresthésies dans les doigts, a été effectuée au centre hospitalier de Valence une opération de neurolyse du nerf cubital dans la gouttière épitrochléo-olécranienne gauche. M. E... s'est ensuite plaint de l'intensification de douleurs donnant lieu à plusieurs consultations de spécialistes et examens (électromyogramme, IRM, échographie) et il présente aujourd'hui une paralysie complète du bras gauche. Saisie le 29 avril 2014, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Rhône-Alpes a confié une expertise au Pr. Levadoux, chirurgien orthopédiste spécialiste de la main, qui s'est adjoint le Dr Benaim, spécialiste en médecine physique et de réadaptation fonctionnelle. Au vu de leur rapport remis le 11 mai 2015, par avis du 9 juin 2015, la CRCI a décidé de faire procéder à une nouvelle expertise en faisant appel au Dr Bethemont, psychiatre, qui a déposé son rapport le 27 janvier 2016. Par avis du 8 mars 2016, la CRCI a rejeté la demande indemnitaire de M. E.... Par requête enregistrée le 18 octobre 2016, M. E... a saisi le tribunal administratif de Grenoble de conclusions tendant à la condamnation de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 218 830 euros assortie des intérêts légaux et leur capitalisation. Par jugement du 30 avril 2019, sous le n° 1605909, dont M. E... relève appel, le tribunal administratif a rejeté cette demande.
2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du premier rapport d'expertise établi le 11 mai 2015, qu'au vu de l'absence d'amyotrophie du bras gauche de la victime, des résultats des examens les plus récemment pratiqués (un électromyogramme du 29 octobre 2014, une IRM du 10 novembre 2014 et une échographie du 25 novembre 2014) et notamment d'un électromyogramme effectué par les experts eux-mêmes, les symptômes présentés par M. E..., à savoir des douleurs erratiques et une paralysie apparente du bras gauche, n'ont aucun support organique neurologique périphérique en l'absence de séquelles de la fracture de la tête radiale survenue le 18 mars 2010 ou d'atteinte du nerf radial lors de l'opération du 17 mars 2011. L'absence d'origine organique des troubles présentés par M. E... n'est au demeurant pas sérieusement contestée par ce dernier.
4. M. E... fait toutefois valoir que le deuxième rapport d'expertise établi le 27 janvier 2016 indique que ces troubles constituent " des manifestations anormales survenues après un geste [opératoire] qui s'est déroulé dans de bonnes conditions et qui, à ce titre, peuvent s'intégrer dans la notion d'aléa thérapeutique ". Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment de ce rapport d'expertise, que si l'expert exclut tout dysfonctionnement psychique de la victime en dehors d'une discrète atteinte de l'humeur, il évoque en revanche la possibilité de troubles factices, c'est-à-dire la production intentionnelle de signes ou de symptômes physiques ou psychologiques dans le but de jouer le rôle de malade et indique que " seule une enquête soigneuse et une observation très spécialisée peuvent dépister et permettre d'affirmer un tel trouble ". Si l'expert préfère retenir un trouble douloureux, il admet que l'étiologie psychique n'a pas pu être discernée et que seule l'apparition des premières douleurs sur le territoire du nerf radial trois mois après l'intervention chirurgicale crée un lien entre les deux évènements, l'expert reconnaissant que " la relation entre la douleur et le geste chirurgical reste hypothétique. En effet, il n'est pas impossible que d'autres conflits inconscients ne viennent se greffer sur les conséquences du geste chirurgical lui-même ". Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise qui ne revêtirait aucun caractère utile, le lien de causalité entre l'acte médical et les séquelles apparentes de la victime ne présente pas un caractère suffisamment direct et certain pour être retenu.
5. Il découle de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. E... la somme que celui-ci demande au titre de ses frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ONIAM sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'ONIAM tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2021.
N° 19LY02504 2