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30/03/2021 | FRANCE | N°19LY00733

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 30 mars 2021, 19LY00733


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... H..., Mme K... H..., Mme D... H..., M. J... H..., M. B... H... et Mme M... F... veuve H... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner in solidum l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à verser d'une part, au titre des frais matériels, une somme de 3 130 euros à M. I... H... et Mme K... H..., d'autre

part, au titre du préjudice d'affection à M. I... H... et Mme K... H.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... H..., Mme K... H..., Mme D... H..., M. J... H..., M. B... H... et Mme M... F... veuve H... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner in solidum l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à verser d'une part, au titre des frais matériels, une somme de 3 130 euros à M. I... H... et Mme K... H..., d'autre part, au titre du préjudice d'affection à M. I... H... et Mme K... H... une somme de 35 000 euros chacun, à Mme D... et MM. Mattias et Isaac H... une somme de 15 000 euros et à Mme M... F... une somme de 5 000 euros et de les condamner aux dépens.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne à lui rembourser, au titre des prestations servies, une somme de 11 666,76 euros, sous réserve d'autres paiements non encore connus, avec intérêts de droit à compter du jugement et à lui verser la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnitaire forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1704712 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser la somme de 3 130 euros à M. I... H... et Mme K... H..., la somme de 20 000 euros à M. I... H..., la somme de 20 000 euros à Mme K... H..., la somme de 10 000 euros à chacun des frères et soeur de la victime, Mattias, Isaac et D... H... et une somme de 3 000 euros à Mme M... F... et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 mars 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me G... et Me N..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. I... H..., Mme K... H..., Mme D... H..., M. J... H..., M. B... H... et Mme M... F... veuve H... devant le tribunal administratif de Lyon en tant qu'elles sont dirigées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

3°) à titre subsidiaire, de constater le caractère inopposable du rapport d'expertise et d'ordonner une nouvelle expertise avant dire droit à son contradictoire ;

4°) de mettre à la charge de la partie succombante les entiers dépens.

Il soutient que :

- la prise en charge de Mme H... est fautive et exclut toute indemnisation par la solidarité nationale ;

- il résulte du rapport d'expertise que la voie chirurgicale choisie n'était pas adaptée ; si la voie par vidéo-thoracoscopie permet de limiter les incisions et a donc moins d'impact esthétique, cette voie reste une méthode complexe impliquant un temps de clampage et un risque d'arrêt cardiaque plus important ; le seul fait que cette voie fasse partie de l'arsenal thérapeutique ne peut permettre de déduire que son choix n'est pas fautif ; Mme H... ne présentait aucune contre-indication à la sternotomie qui était la voie la plus adaptée ; le chirurgien qui a fait le choix d'une technique moins adaptée et plus risquée n'exerce pas son art conformément aux données acquises de la science ; en choisissant la voie chirurgicale la plus longue, le centre hospitalier a commis une faute en ce que cette voie n'était pas adaptée à la complexité de l'opération et ne permettait pas de faire face à de possibles complications ;

- au cours de l'intervention, un saignement est apparu et trouve son origine dans une fissure myocardique parallèle à l'interventriculaire antérieure distale ; les experts retiennent que cette fissure est due à une maladresse du chirurgien ; en ne retenant pas la faute alors qu'ils reconnaissent une maladresse, les experts se contredisent ; cette maladresse a été source de diverses conséquences ayant entrainé le décès de Mme H... ; le docteur Vola et le chirurgien senior, appelé en renfort, ont dû sacrifier une artère myocardite et prolonger l'opération déjà longue du fait de la voie choisie afin de pouvoir réparer la plaie ; ces éléments sont à l'origine du décès de Mme H... puisqu'ils ont favorisé le bas débit cérébral per opératoire ayant entraîné la constitution de l'oedème diffus ; le médecin-conseil de M. H... a relevé que le décès de Mme H... est lié à la plaie du ventricule gauche qui a augmenté le temps de l'intervention et qui a entraîné une dysfonction cardiaque globale ; l'analyse du médecin référent de l'Office national précise qu'une pression artérielle normale n'exclut pas la présence d'un flux sanguin bas avec oxygénation insuffisante de l'organisme ;

- le centre hospitalier universitaire a également commis des fautes en ce qui concerne la prise en charge de l'insuffisance cardiaque ; malgré le temps de clampage long, le centre hospitalier universitaire n'a procédé qu'à une seule injection de Custodiol alors qu'une telle dose apparait insuffisante ; l'absence de réinjection constitue une faute dans la prise en charge de l'insuffisance cardiaque de Mme H... ;

- si la cour devait écarter la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, aucune indemnisation au titre de la solidarité nationale ne saurait intervenir en l'état dès lors que l'expertise n'a pas été conduite à son contradictoire et les experts n'ont pas été invités à se prononcer sur les critères relatifs à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ; l'expertise a été menée sur la base de documents médicaux incomplets dès lors que certains éléments essentiels liés à l'intervention du 17 octobre 2014 ne figurent pas dans le dossier médical communiqué par le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne ; par suite, une nouvelle expertise devra être ordonnée.

Par un mémoire, enregistré le 9 juin 2020, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me L..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- s'agissant de la voie d'abord et de la technique chirurgicale, les critiques n'émanent pas des experts mais de la seule commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales qui a affirmé, sans données scientifiques, que le choix du chirurgien était fautif ; les experts ont relevé que la technique chirurgicale a été conforme à la bonne pratique et aux données acquises de la science au moment des faits ; ils ont également souligné que le choix de la voie d'abord et de la technique relèvent de la compétence du chirurgien et de ses habitudes ; cette analyse est confirmée par le professeur Leca ; il n'y avait aucune raison de privilégier une sternotomie par rapport à une vidéo-thoracoscopie qui présente moins de douleurs, moins de saignements et moins d'infection ;

- le seul constat d'une lésion ne saurait caractériser une faute ; si les experts ont évoqué une maladresse qui pourrait être à l'origine d'une plaie ventriculaire, force est de constater qu'il ne s'agit que d'une hypothèse ; si les experts considèrent que la plaie du ventricule est à l'origine d'une insuffisance cardiaque, ils admettent qu'il n'existe aucun lien de causalité entre cette lésion et l'accident neurologique, seul à l'origine du décès de la patiente ; les experts relèvent que l'ischémie cérébrale doit être considérée comme un accident médical rarissime non fautif ; cette analyse est partagée par le professeur Leca ; pendant toute la durée de l'intervention, la patiente n'a pas présenté de bas débit cérébral ;

- s'agissant de la prise en charge de l'insuffisance cardiaque, aucun manquement ne saurait être reproché au centre hospitalier ; aucun lien de causalité entre l'insuffisance cardiaque et l'accident cérébral ne peut être retenu ;

- la demande d'expertise sera également rejetée dès lors qu'une expertise contradictoire a déjà été réalisée dont les conclusions ne sont pas utilement critiquées par l'Office national ; ces conclusions sont confirmées par le professeur Leca.

Par un mémoire, enregistré le 11 juin 2020, M. I... H..., Mme K... H..., MM. Mattias, Isaac et Mme D... H... et Mme M... F..., représentés par Me A..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge solidaire de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la société hospitalière d'assurances mutuelles et du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- il appartenait au tribunal administratif d'apprécier qui, de la solidarité nationale ou de l'assureur du centre hospitalier universitaire, devait prendre en charge l'indemnisation des préjudices subis par les ayants-droit ; en tout état de cause, l'office devra se substituer à l'assureur ;

- ils ont subi un préjudice d'affection qui doit être indemnisé ;

- ils s'en remettent à l'appréciation de la cour.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me A..., représentant les consorts H....

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 février 2021, présentée pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Considérant ce qui suit :

1. En mars 2014, Mme C... H..., née le 3 mai 1994, a subi l'ablation de ses dents de sagesse. Dans les suites de l'intervention, elle a présenté un abcès nécessitant un traitement antibiotique qui lui a été prescrit mais que Mme H... n'a pas suivi. Le 22 avril 2014, Mme H... a été hospitalisée au centre hospitalier de Saint-Chamond pour un épisode fébrile et le bilan infectieux réalisé est revenu négatif. Le 30 avril 2014, elle s'est présentée au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne en raison d'une fébricule, fièvre de faible importance, et une antibiothérapie lui a été prescrite. Le 1er mai 2014, Mme H... a été admise au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne en raison d'un déficit hémicorporel droit associé à une dysarthrie. L'IRM réalisé a mis en évidence que Mme H... avait été victime d'un accident vasculaire cérébral au niveau du territoire sylvien gauche profond totalement régressif après la réalisation d'une thrombolyse. Des examens complémentaires ont mis en évidence une végétation de 5 mm et le bilan d'extension a révélé, outre l'embole sylvien, d'autres lésions en pariétal droit, temporal gauche et dans le centre semi ovale droit ainsi qu'au niveau de la rate. Par ailleurs, une échographie a révélé une insuffisance mitrale de grade IV pour laquelle une intervention chirurgicale a été programmée. Le 17 octobre 2014, Mme H... a subi une plastie mitrale sous vidéo thoracoscopie. A l'issue de cette intervention ayant entraîné un temps de clampage de 182 minutes et un temps de circulation extracorporelle de 307 minutes, une plaie myocardique a été constatée et a nécessité l'intervention d'un second chirurgien pour parer cette plaie. En fin d'intervention, il a été constaté une mydriase bilatérale aréactive. Le doppler réalisé a objectivé une insuffisance circulatoire cérébrale et malgré l'arrêt de toute sédation, Mme H... n'a manifesté aucun signe de réveil. Un scanner cérébral a montré un oedème diffus confirmé par un angioscanner. Le 18 octobre 2014, Mme H... est décédée. Le 9 mars 2015, M. I... H..., père de la victime, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Rhône-Alpes d'une demande d'indemnisation des préjudices subis à la suite de l'intervention du 17 octobre 2014. La commission régionale a ordonné une expertise confiée au professeur Albert Sotto, spécialiste des maladies infectieuses, et au docteur Vincent Vidal, spécialiste en chirurgie cardio-thoracique. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 15 juin 2015, la commission régionale a estimé, dans son avis du 16 septembre 2015, que l'oedème cérébral était la conséquence d'une plaie fautive per opératoire engageant la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et qu'il appartenait à la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), assureur du centre hospitalier universitaire, de réparer les préjudices subis en lien avec l'intervention du 17 octobre 2014 et de faire une offre d'indemnisation aux ayants-droit de Mme H.... Par un avis complémentaire du 6 juillet 2016, la CRCI a décidé d'étendre son avis du 16 septembre 2015 au profit de Mme K... H..., mère de la victime, et de M. B... H..., M. J... H... et Mme D... H..., respectivement frères et soeur de la victime. Par un courrier du 11 janvier 2016, la société hospitalière d'assurances mutuelles a refusé d'indemniser les ayants-droit de Mme H.... Par un courrier du 23 mars 2016, les ayants-droit de Mme H... ont demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), en vertu de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, de se substituer à l'établissement hospitalier responsable et à son assureur, à la suite du refus de la société hospitalière d'assurances mutuelles de proposer une offre d'indemnisation. Le 12 juillet 2016, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a proposé une indemnisation dont le montant n'a pas été jugé suffisant par les ayants-droit de Mme H.... En l'absence d'accord, M. I... H..., Mme K... H..., M. B... H..., M. J... H..., Mme D... H... et Mme M... F... ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à la condamnation in solidum de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à les indemniser des préjudices subis. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales relève appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamné à verser la somme de 3 130 euros à M. I... H... et Mme K... H..., la somme de 20 000 euros à M. I... H..., la somme de 20 000 euros à Mme K... H..., la somme de 10 000 euros à chacun des frères et soeur de la victime, MM. Mattias, Isaac et Mme D... H... et une somme de 3 000 euros à Mme M... F... et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Sur la régularité de l'expertise :

2. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

3. S'il est constant que l'expertise réalisée par le docteur Vidal et le professeur Sotto, à la demande de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, n'a pas été menée au contradictoire de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, les éléments de pur fait retenus par les experts ne sont pas contestés. Par ailleurs, si les données contenues dans l'analyse critique produite par l'Office national en appel et par laquelle son médecin-conseil, le docteur Sharma, a fixé la valeur de la pression artérielle moyenne à 60 mmHg alors que le professeur Leca a retenu une valeur comprise entre 60 et 80 mmHg dans son analyse critique produite au soutien de la défense du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne n'ont pas été débattues dans le cadre de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, elles l'ont été dans le cadre du débat contradictoire engagé dans la présente instance contentieuse.

4. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales fait valoir que l'expertise a été menée sur la base de documents médicaux incomplets en s'appuyant sur les constatations de l'analyse critique du docteur Sharma qui souligne que : " s'agissant d'une lourde intervention, il existe normalement également un compte-rendu d'anesthésie, des feuilles de prescriptions anesthésiques ainsi que des documents retraçant les éléments liés à la CEC ; ces documents n'ont pas été fournis. On ne peut se contenter d'une feuille de surveillance infirmière sans mesure des différentes constantes, et avec seulement un report de la pression artérielle moyenne toutes les 15 minutes. Dans la période critique autour de la plaie, nous n'avons aucun relevé des constantes. (...) Nous ne disposons pas non plus des horaires et des doses d'administration des catécholamines, noradrénaline et dobutamine. Le compte-rendu opératoire retrace les aspects mécaniques de la chirurgie mais ne précise pas ces éléments ". Il résulte toutefois des mentions contenues dans le rapport d'expertise que les experts ont obtenu la communication de la " totalité du dossier de Mme H... au cours de son hospitalisation au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne " et ont pu estimer être en possession des pièces nécessaires pour répondre aux questions qui leur étaient posées dans le cadre de leur mission confiée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation. En conséquence, le moyen tiré de l'irrégularité de l'expertise doit être écarté dès lors que les informations et analyses contenues dans le rapport sont suffisants pour éclairer la juridiction.

Sur la responsabilité pour faute du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne :

En ce qui concerne les fautes alléguées :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes, de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils apportent la preuve d'une cause étrangère. ".

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise diligenté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, que Mme H... a présenté, en raison de l'absence de suivi du traitement antibiotique prescrit dans les suites de l'abcès dont elle a été victime postérieurement à l'ablation de ses dents de sagesse, une endocardite qui s'est ensuite greffée sur la valve mitrale. A l'occasion du bilan de l'accident vasculaire cérébral, de multiples emboles cérébraux et périphériques ont été mis en évidence ainsi qu'une insuffisance mitrale séquellaire de grade IV pour laquelle l'indication opératoire était formelle et conforme aux recommandations émises par les sociétés savantes. Les experts, le docteur Vidal et le professeur Sotto, ont également relevé que : " l'insuffisance mitrale décrite sur l'échographie préopératoire du 16 octobre est complexe puisqu'elle concerne non seulement la petite valve mitrale mais aussi la grande valve mitrale " et que la technique de réparation employée a été conforme aux bonnes pratiques et aux données acquises de la science au moment des faits.

7. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales fait valoir que si la voie par vidéo-thoracoscopie permet de limiter les incisions, cette voie reste une méthode complexe impliquant un temps de clampage et un risque d'arrêt cardiaque plus important et qu'en choisissant la voie chirurgicale la plus longue, le centre hospitalier a commis une faute, cette voie étant inadaptée à la complexité de l'opération et ne permettant pas de faire face à de possibles complications.

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que si les experts, le docteur Vidal et le professeur Sotto, ont précisé que : " la voie d'abord élective de référence d'une chirurgie valvulaire reste la sternotomie " et que l'intervention réalisée sous vidéo-thoracoscopie " n'a pas de réelle supériorité en termes de morbi-mortalité, le seul bénéfice clairement établi étant esthétique " mais " est plus complexe à mettre en place, en particulier, en ce qui concerne la circulation extracorporelle (CEC) " et comporte " toujours un temps de clampage et d'arrêt cardiaque beaucoup plus long que celles réalisées par sternotomie classique ", ils ont conclu, après avoir souligné que " la réparation valvulaire, dans ce contexte, est très souvent difficile et nécessite une bonne expérience ", que " Le choix de la voie d'abord et de la technique relève de la compétence du chirurgien et de ses habitudes. La vidéo-thoracoscopie fait partie de l'arsenal thérapeutique qui peut être proposé au patient. L'indication opératoire et le choix de la procédure de réparation étaient donc licites ". Par suite, et alors que les experts ont pris en compte la complexité de l'intervention chirurgicale et n'ont pas fait état du défaut de maitrise de cette technique par le chirurgien, l'Office national n'établit pas que le choix de la voie d'abord par vidéo-thoracoscopie constituerait un choix thérapeutique fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

9. L'Office fait valoir que la fissure myocardique parallèle à l'interventriculaire antérieure distale est due à une maladresse du chirurgien et a été à l'origine de complications conduisant au décès de Mme H....

10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, qu'au décours de l'intervention, Mme H... a présenté une fissure myocardique parallèle à l'artère coronaire interventriculaire antérieure qui a nécessité le renfort d'un chirurgien cardiaque sénior, la conversion de l'intervention en une sternotomie et le sacrifice d'une " petite artère diagonale ". Si les experts relèvent que " cette complication est inhabituelle et n'est pas décrite dans les complications usuelles d'une chirurgie de plastie mitrale quelle qu'en soit la voie d'abord. Son mécanisme est difficile à établir ", ils ont retenu qu'elle " ne peut être que la cause d'une mauvaise manipulation et d'une maladresse peropératoire avec l'un des instruments utilisés pour effectuer la plastie ". Cette hypothèse d'une maladresse lors du geste chirurgical eu égard au positionnement de la plaie myocardique, située à l'opposé du site chirurgical, est également retenue par le rapport critique du professeur Leca produit par le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne qui s'interroge " Comment la paroi du ventricule gauche, qui est à l'opposé du site chirurgical a-t-elle pu être blessée ' ". Compte tenu de ce positionnement de la plaie à distance du site chirurgical et alors que les experts soulignent qu'il s'agit d'une complication non usuelle, la plaie myocardique ne peut être regardée comme un accident inhérent à la plastie mitrale qui ne pouvait être maîtrisé. Il s'ensuit que la maladresse commise par le chirurgien lors de l'intervention est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

11. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales fait également valoir que l'insuffisance cardiaque présentée par Mme H... n'a pas été correctement prise en charge dès lors que le chirurgien n'a procédé qu'à une seule injection de Custodiol et que lors de la mise en place de l'oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), il n'a pas été spécifié de réinjection de l'artère fémorale gauche.

12. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que " la cardioplégie (c'est-à-dire la protection du coeur) a été assurée par une seule injection de Custodiol au clampage aortique " sans que les experts relèvent que cette seule injection aurait été insuffisante pour assurer la protection du coeur. Par suite, l'Office national n'établit pas que le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

13. Si les experts ont également précisé que " la mise en place de l'ECMO s'est déroulée conformément aux recommandations ", ils ont noté " qu'il n'est pas spécifié de réinjection de l'artère fémorale gauche " alors que cette injection est " impérative pour éviter à long terme une ischémie et la perte du membre inférieur gauche ". En l'absence de toute démonstration par le centre hospitalier universitaire de ce qu'une injection a été réalisée, il y a lieu de retenir l'existence d'un manquement fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

En ce qui concerne le lien de causalité :

14. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les experts relèvent que l'insuffisance cardiaque présentée par Mme H... n'a aucun lien avec l'accident neurologique dont elle a été victime. Après avoir relevé que " les accidents neurologiques post chirurgie cardiaque surviennent en moyenne dans 3% des interventions ", les experts ont procédé à l'examen des causes possibles de cet accident neurologique pour écarter l'hypothèse embolique, qu'elle soit gazeuse, athéromateuse ou cruorique et l'hypothèse de l'hypercapnie et ont conclu, sans pouvoir déterminer l'étiologie de l'accident neurologique, que " l'oedème cérébral est à l'origine de la mort cérébrale par absence de circulation artérielle constatée sur l'artériographie effectuée le lendemain de l'intervention. (...) Cette ischémie cérébrale doit être considérée comme un accident médical rarissime non fautif ".

15. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales produit, pour la première fois en appel, une analyse critique médicale de son médecin-référent, le docteur Sharma, qui indique que la plaie " a entraîné une dysfonction cardiaque globale majeure entraînant un choc cardiogénique nécessitant des catécholamines (...). Ce choc cardiogénique a été à l'origine d'un bas débit cérébral responsable d'une ischémie cérébrale massive entraînant un oedème diffus (accident cérébral malin) aboutissant finalement à une mort encéphalique ". Pour aboutir à cette conclusion, le médecin-référent s'est fondé sur le calcul de la pression de perfusion cérébrale correspondant à la pression artérielle moyenne, évaluée à 60 mmHg pour Mme H..., moins la pression veineuse centrale évaluée de façon théorique à 20 mmHg, le médecin-conseil précisant " En cas de tamponnade (remplissage brutal de sang dans le péricarde, comme ce qui s'est produit ici), la PVC peut augmenter jusqu'à 20 mmHg ", soit un résultat de 40 mmHg de pression de perfusion cérébrale qui constitue " une pression de perfusion insuffisante " et à l'origine " d'une hypoxie cérébrale ". Or, selon le professeur Leca, pendant la sternotomie, " les feuilles de surveillance au bloc ne montrent aucun bas débit : - 14h15 (déclampage) TA moyenne à 60, - 14h30 TA moyenne à 80, - 14h45 (sternotomie) TA moyenne à 65, - 15h00 TA moyenne à 65, - 15h15 TA moyenne à 80, - 16h00 (ECMO) TA moyenne à 80 et - 16h15 arrêt de la CEC TA moyenne à 80 ". Le professeur Leca précise encore qu'" il est notable que durant toute l'intervention la seule hypotension constatée est à 11h15, à la mise en route de la CEC, un bref passage à 45 de moyenne remonté à 60 en quelques minutes. Cela est fréquent et banal en démarrage de CEC et n'a aucune incidence néfaste ". Par suite, l'analyse critique du médecin-conseil de l'Office national qui se fonde sur une pression artérielle moyenne de 60 mmHg qui ne correspond pas aux relevés des feuilles de surveillance au bloc et sur une pression veineuse centrale de 20 mmHg qui a été fixée de façon théorique ou encore qui indique que " lorsqu'on réalise une oxymétrie cérébrale en chirurgie cardiaque, il existe un algorithme de prise en charge lorsque l'oxymètre montre une réduction de la saturation cérébrale en oxygène sans baisse de la pression artérielle moyenne " n'est pas de nature à remettre en cause l'analyse du docteur Vital et du professeur Sotto qui soulignent que l'étiologie de l'accident neurologique n'a pu être déterminée et que la plaie du ventricule gauche ne présente pas de lien direct et certain avec l'oedème cérébral à l'origine du décès.

16. Il résulte encore de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que, s'agissant du défaut d'injection de l'artère fémorale gauche, les experts ont conclu que le défaut d'une telle injection " est sans incidence puisque le décès est d'une autre origine ". Par suite, la faute tirée du défaut d'injection ne présente pas non plus de lien direct et certain avec l'oedème cérébral.

17. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne ne peut être engagée en raison des préjudices subis par Mme H... à la suite de l'intervention chirurgicale du 17 octobre 2014 en l'absence d'établissement du lien de causalité entre les fautes retenues et le décès de la patiente.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

18. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".

19. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état, et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

20. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, dont les éléments permettent à la cour d'apprécier si les conditions d'une réparation au titre de la solidarité nationale sont réunies, que si les conséquences de l'intervention de vidéo-thoracoscopie du 17 octobre 2014 ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles Mme H... était exposée du fait de son insuffisance mitrale sévère de stade IV compte tenu de ce qu'en l'absence d'intervention chirurgicale, l'évolution se serait faite inéluctablement vers des complications et en particulier un oedème pulmonaire aigu pouvant être létal selon le rapport d'expertise, " les accidents neurologiques post chirurgie cardiaque surviennent en moyenne dans 3% des interventions " selon les experts. Par suite, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Il s'ensuit que la condition d'anormalité doit être regardée comme remplie. Compte tenu du décès de Mme H..., les ayants-droit de celle-ci peuvent prétendre à la réparation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre de la solidarité nationale des préjudices subis du fait du décès de Mme H....

Sur l'évaluation des préjudices :

21. En appel, ni l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, ni les ayants-droit de Mme H..., ne contestent le montant des indemnités. Par suite, il y a lieu de maintenir le montant de ces indemnités tel qu'il a été fixé par les premiers juges au titre de la réparation des préjudices subis par les ayants-droit de Mme H....

22. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamné à indemniser les ayants-droit de Mme H... des préjudices subis à la suite de l'intervention du 17 octobre 2014.

Sur les frais d'expertise :

23. Les consorts H... demandent que leur soient remboursés les frais de l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation. Toutefois, ils ne justifient pas avoir supporté de tels frais. Par suite, leur demande doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser aux consorts H... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est rejetée.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera la somme de 1 500 euros aux consorts H... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. I... H..., Mme K... H..., Mme D... H..., M. J... H..., M. B... H... et Mme M... F... veuve H..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.

Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :

M. Gayrard, président de la formation de jugement,

Mme E..., première conseillère,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021 .

2

N° 19LY00733


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00733
Date de la décision : 30/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. GAYRARD
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : JURI-EUROP AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-03-30;19ly00733 ?
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