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11/02/2021 | FRANCE | N°19LY01723

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 11 février 2021, 19LY01723


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I - L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier (CH) de Privas et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser la somme de 216 818,73 euros qu'il a réglée à M. A..., assortie des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation et leur capitalisation, ainsi que la somme de 32 522,80 euros correspond

ant à la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publiqu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I - L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier (CH) de Privas et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser la somme de 216 818,73 euros qu'il a réglée à M. A..., assortie des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation et leur capitalisation, ainsi que la somme de 32 522,80 euros correspondant à la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise, et de mettre à la charge du CH de Privas et de la SHAM la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, agissant au nom de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, a demandé la condamnation in solidum du centre hospitalier de Privas et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui rembourser une somme de 123 098,72 euros au titre des prestations versées, avec intérêts de droit à compter du jugement et à lui verser une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

II - L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, garantissant la responsabilité du centre hospitalier de Valence et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser la somme de 11 411,51 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation et leur capitalisation, ainsi que la somme de 1 711,72 euros correspondant à la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise, et de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne et de la SHAM la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de 1'Ardèche, a demandé la condamnation in solidum du centre hospitalier de Saint-Etienne et de la société hospitalière d'assurances mutuelles à lui rembourser une somme de 6 598,88 euros au titre des prestations versées.

Par un jugement n° 1706111 - 1708949 du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté l'ensemble de ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 3 mai 2019 et le 6 juillet 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1706111-1708949 du 5 mars 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner in solidum le CH de Privas et la SHAM à lui rembourser les sommes versées à M. A... à hauteur de 216 818,73 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, outre la capitalisation, la somme de 57 714,56 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et celle de 700 euros au titre des frais d'expertise ;

3°) de condamner in solidum le CHU de Saint-Etienne et la SHAM à lui rembourser les sommes versées à M. A... à hauteur de 11 411,51 euros majorés des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, outre la capitalisation, la somme de 1 711,72 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et celle de 700 euros au titre des frais d'expertise ;

4°) de condamner les centres hospitaliers et la SHAM à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté la responsabilité pour faute des hôpitaux des Vals d'Ardèche et de Saint-Etienne, et de leur assureur, la SHAM, au vu des conclusions de l'expert mandaté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes retenant un retard de diagnostic et de prise en charge fautif et en se fondant sur un rapport critique d'un médecin de la SHAM contestable ;

- le rapport d'expertise a clairement mis en évidence les fautes commises par les deux hôpitaux dans la prise en charge médicale de M. A... en l'absence d'investigation médicale, malgré la dégradation de son état de santé constatée vers trois heures du matin, notamment d'une IRM médullaire, ayant entrainé un retard à l'origine d'une perte de chance d'éviter une aggravation des conséquences de sa pathologie ;

- il est en droit de réclamer à l'hôpital et à son assureur le remboursement des sommes qu'il a versées à M. A... au titre de protocoles transactionnels pour un montant global de 228 230,24 euros ;

- le refus d'indemnisation des deux hôpitaux et de leur assureur commun les expose à la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code précité.

Par un mémoire, enregistré le 3 juillet 2020, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, représentée par Me D... F..., demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de condamner le centre hospitalier de Privas, le centre hospitalier de Saint-Etienne, et leur assureur la société hospitalière des assurances mutuelles, à lui verser les sommes de respectivement 123 098,72 et 6 598,98 euros et de mettre à leur charge la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et celle de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'expert a conclu à un retard fautif de prise en charge de M. A... ;

- elle a donc droit au remboursement des débours définitifs versés au titre des dépenses de santé et des indemnités journalières.

Par un mémoire, enregistré le 29 juin 2020, le centre hospitalier des Vals d'Ardèche, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Ils font valoir que :

- le tribunal administratif de Lyon a écarté à bon droit l'existence d'une faute des deux hôpitaux compte tenu du tableau clinique peu évident de la victime, de l'absence de réelle dégradation de son état de santé pendant la nuit nécessitant un nouvel examen, des diligences effectuées le matin suivant selon les moyens disponibles de l'hôpital et compte tenu de l'absence de place disponible en service de neurochirurgie au CH de Valence, et de la réalisation de l'intervention chirurgicale dans les délais prévus par les bonnes pratiques en la matière ;

- une pénalité au titre de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique n'est pas justifiée en l'espèce ;

- les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie devront être réduites s'agissant du séjour hospitalier du 3 novembre au 16 décembre 2011.

Un mémoire, enregistré le 16 octobre 2020, présenté le centre hospitalier des Vals d'Ardèche, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la société hospitalière d'assurances mutuelles n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public,

- et les observations de Me Demailly, avocat des centres hospitaliers des Vals d'Ardèche et de Saint-Etienne et de la SHAM ;

Considérant ce qui suit :

1. Le vendredi 25 septembre 2009, vers minuit, M. C... A..., né le 29 janvier 1946, s'est rendu aux urgences du centre hospitalier (CH) de Privas, désormais appelé centre hospitalier des Vals d'Ardèche, pour une sensation de blocage cervical et une faiblesse des membres inférieurs. En début d'après-midi, le patient a été transféré en ambulance au centre hospitalier de Valence. Une IRM réalisée vers 16 heures a mis en évidence une masse dorso latérale gauche au niveau des vertèbres C6, C7 et D1. M. A... a été transporté au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne par hélicoptère vers 21 heures pour y être opéré le jour même vers 23 heures 30 d'un hématome du rachis. Il a ensuite été pris en charge pour convalescence et rééducation entre le 5 octobre 2009 et le 30 décembre 2010. Après consolidation, il présentait une tétraplégie basse de niveau C 5. M. A... est décédé le 17 juin 2017.

2. Le 23 août 2012, M. A... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône Alpes qui a diligenté une expertise confiée au Dr Bougeard, neurochirurgien, lequel a remis son rapport le 21 mai 2013. Selon avis du 10 juillet 2013, la commission a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Privas et du centre hospitalier de Valence pour retard de prise en charge à l'origine d'une perte de chance de 40 % d'éviter la tétraplégie séquellaire. L'assureur, commun aux deux hôpitaux, n'a pas fait d'offre ou a refusé d'indemniser M. A... selon une lettre du 2 décembre 2013. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) s'est substitué dans les droits de la victime en application de l'article L. 1142-1-15 du code de la santé publique en versant à M. A... les sommes de 216 818,73 et 11 411,51 euros selon protocoles transactionnels des 28 mars 2014 et 19 juin 2016.

3. Après avoir vainement adressé une réclamation préalable au CH de Privas le 21 avril 2017 et au CHU de Saint-Etienne le 2 octobre 2017, l'ONIAM a saisi le tribunal administratif de Lyon par deux requêtes n° 1706111 et 1708949 dirigées contre le CH de Privas et le CHU de Saint-Etienne tendant à leur condamnation à verser les sommes précitées, à verser les sommes de 32 522,80 et 1 711,72 au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et à lui rembourser les frais d'expertise de 700 euros. Par jugement du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, tendant au remboursement des débours à hauteur de 123 098,72 et 6 598,88 euros, outre l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / (...) ".. Il résulte des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique que lorsque l'ONIAM s'est substitué à la personne estimée responsable du dommage et que la victime a accepté son offre d'indemnisation, l'office est subrogé dans les droits de la victime à concurrence des sommes versées et est ainsi investi, dans cette limite, de tous les droits et actions que le subrogeant pouvait exercer. Il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office.

Sur la responsabilité :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise produit devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes que le vendredi 25 septembre 2009 vers minuit, M. A... s'est rendu de lui-même aux urgences du CH de Privas en raison d'une douleur rachidienne d'apparition brutale sans traumatisme avec faiblesse des membres inférieurs que l'expert estime évocateur d'un syndrome médullaire aigu. Si les défendeurs, s'appuyant sur un rapport critique du Pr. Fischer, neurochirurgien et conseil technique de la SHAM, établi le 13 février 2018, font valoir que ce tableau clinique n'était pas évident compte tenu notamment d'un antécédent de spondylose ankylose des vertèbres, il n'est pas établi que cette pathologie ait été portée à la connaissance du médecin faisant fonction d'interne exerçant aux urgences. Il n'est pas contesté qu'à la suite de l'examen clinique effectué par ce médecin ayant notamment conclu à un test de Babinsky négatif, M. A..., n'ayant pu se remettre sur ses jambes, a été hospitalisé avec un traitement par antalgique. Il est constant que vers trois heures du matin, l'infirmière a alerté le médecin faisant fonction d'interne aux urgences d'une diminution de force des jambes de la victime. Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, ce médecin a indiqué ne pas s'être déplacé au chevet du malade en raison d'une surcharge de travail et non parce qu'il aurait estimé une absence de changement au regard de ses constatations initiales. Comme l'indique l'expert, cette aggravation rapide de l'état de santé de M. A..., confirmée avec l'apparition de paresthésies des quatre membres à son réveil vers huit heures puis d'une incontinence vers dix heures, aurait dû conduire ce médecin a envisagé de nouvelles investigations, et notamment la réalisation d'une IRM médullaire, alors même que l'hématome épidural sans traumatisme dont a souffert la victime serait une pathologie rare. Si, à partir de neuf heures, le médecin faisant fonction d'interne aux urgences a pris l'avis du neurologue de garde du CH de Valence, qui lui a conseillé de réaliser un scanner, et de deux neurochirurgiens, l'un de l'établissement précité, l'autre du CHU de Montpellier, lui recommandant d'effectuer une IRM en urgence, il est constant que le transfert au CH de Valence pour y effectuer cette IRM n'a eu lieu qu'en début d'après-midi alors que la victime présentait une paralysie des membres inférieurs. Si les défendeurs font valoir que le CH de Privas ne disposait pas d'IRM mais seulement d'une vacation hebdomadaire le jeudi pour utiliser l'appareil du CH d'Aubenas, une telle circonstance ne justifie pas d'une impossibilité de recourir d'urgence à un transfert vers un établissement de santé disposant d'un tel équipement. Si les défendeurs se prévalent de l'indication par le Pr Fischer de bonnes pratiques selon lequel le traitement des hématomes développés dans l'espace épidural doit intervenir dans un délai de 24 à 48 heures, il n'est pas sérieusement contesté que la réalisation plus précoce d'une IRM objectivant la lésion médullaire et conduisant à la réalisation d'une opération de décompression en urgence aurait permis à la victime d'éviter une aggravation de son état de santé dès lors qu'une paraplégie flasque était constatée à son arrivée au CH de Valence vers 16 heures et qu'il était atteint d'une tétraplégie basse à son admission au CHU de Saint-Etienne vers 21 heures. Il découle de ce qui précède que le CH des Vals d'Ardèche a commis une faute tenant à un retard de prise en charge à l'origine d'une perte de chance d'éviter les séquelles subies.

6. Si l'expert a reproché au neurologue de garde du CH de Valence d'avoir conseillé au médecin faisant fonction d'interne aux urgences d'effectuer un scanner, inutile au regard de la pathologie, une telle circonstance n'est pas de nature à caractériser une faute alors que ce neurologue de garde n'avait pas la responsabilité de la prise en charge de la victime et ne disposait d'aucune pièce médicale et alors que le médecin faisant fonction d'interne aux urgences a également reçu le conseil d'un neurochirurgien du CHU de Montpellier de faire réaliser une IRM médullaire. De même, si l'expert reproche au neurochirurgien de garde du même hôpital de ne pas avoir recommandé un transfert direct de M. A... au CHU de Saint-Etienne dès lors qu'il n'y avait plus de place dans son service, la prise en charge de ce dernier ne lui incombait nullement. Il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être reprochée au CH de Valence, ainsi qu'au CHU de Saint-Etienne en tant qu'exploitant unique de l'antenne délocalisée de neurochirurgie au sein de l'établissement précité selon une convention de coopération du 4 mai 2005.

7. Il découle des points précédents que l'ONIAM est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a écarté la responsabilité du CH des Vals d'Ardèche tenant à un retard fautif de prise en charge à l'origine d'une perte de chance d'éviter les séquelles subies. Dans les circonstances de l'espèce, comme l'a retenu la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, cette perte de chance peut être estimée à 40 %.

Sur les préjudices :

8. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant aux dépenses de santé :

9. Dans le cas où la réparation, fondée sur un pourcentage représentatif d'une perte de chance, est partielle, la somme que doit réparer le tiers responsable au titre d'un poste de préjudice doit être attribuée par préférence à la victime, le solde étant, le cas échéant, attribué à la caisse subrogée en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

10. Il n'est pas contesté que M. A... a procédé à compter du 3 décembre 2010 et jusqu'à son décès à un renouvellement d'appareillages et de matériel pour des frais restés à sa charge d'un montant mensuel de 54,22 euros, soit un montant total de 4 256,79 euros. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône indique le versement d'une somme de 216 152,80 euros jusqu'au 31 décembre 2011, date de la consolidation, et de 107 791,22 euros jusqu'au 17 juin 2017, soit un montant global pour la caisse de 323 944,02 euros. Si les défendeurs soutiennent que les frais d'hospitalisation exposés pour le séjour de M. A... du 3 novembre au 16 décembre 2011 d'un montant de 10 296 euros ne sont pas imputables, de tels frais sont néanmoins visés dans l'attestation d'imputabilité du médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et, en l'absence du moindre commencement de preuve contraire, doivent donc être considérés comme en lien direct et certain avec les séquelles subies par la victime. Par suite, ce chef de préjudice s'établit à la somme de 328 200,81 euros, soit, après application du taux de perte de chance de 40 %, la somme de 131 280,32 euros. En application des principes indiqués au point précédent, la part de la victime peut s'exercer à hauteur de la somme de 4 256,79 euros, le solde de 127 023,53 euros pouvant être versé à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Quant à l'assistance par tierce personne :

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'état de santé de M. A... a nécessité l'assistance non spécialisée d'une tierce personne dans un volume de quatre heures et trente minutes chaque jour, ce à compter du 1er janvier 2012 et jusqu'à son décès le 17 juin 2017. Compte tenu du coût horaire d'une aide non spécialisée pendant toute cette période, ce chef de préjudice peut être évalué au montant de 135 245,12 euros, soit, après application du taux de perte de chance de 40 %, la somme de 54 098,05 euros.

Quant aux frais de logement adapté :

12. Il n'est pas contesté que M. A... a fait effectuer les travaux suivants en raison de son handicap : reprise de la plomberie et des sanitaires pour 6 551,72 euros, réfection du sol de la salle de bains pour 6 435,37 euros, accessibilité du lotissement pour 2 793,13 euros, accessibilité au WC et à la salle de bains pour 1 867,90 euros et réaménagement de l'installation électrique pour 857,54 euros ainsi que l'achat d'un siège de douche pour un montant de 148 euros dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été renouvelé avant le décès de M. A.... Il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en retenant le montant de 18 653,66 euros, soit, après application du taux de perte de chance de 40 %, la somme de 7 461,46 euros.

Quant aux frais de véhicule adapté :

13. Il n'est pas contesté que M. A... a exposé des frais d'adaptation de son véhicule pour les sommes de 3 523,70 et 5 271,84 euros, soit 8 795,54. Compte tenu de la date de décès de la victime, il y a lieu de considérer que ce matériel n'a pas fait l'objet d'un renouvellement. En appliquant le taux de perte de chance sus indiqué, ce chef de préjudice s'établit au montant de 3 518,22 euros.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

14. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la victime a subi un déficit fonctionnel temporaire total pendant ses séjours hospitaliers du 5 octobre 2009 au 3 décembre 2010 et du 7 juillet 2011 au 3 novembre 2011 et partiel de 75 % lorsqu'il était à son domicile. Compte tenu d'une indemnité journalière de 13 euros, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant une somme de 9 720,75 euros, soit, après application du taux de perte de chance de 40 %, 3 888,30 euros.

Quant aux souffrances endurées :

15. Evaluées à 5 sur 7 par l'expert, elles donneraient droit à une indemnité de 13 531 euros, soit 5 412 en tenant compte du taux de perte de chance sus indiqué.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

16. Selon le barème de l'ONIAM et compte tenu de l'âge de la victime à la date de consolidation, soit le 31 décembre 2011, il y a lieu de retenir la somme de 81 831,50 euros, soit un montant de 32 732,60 euros après application du taux de perte de chance retenu.

Quant au préjudice d'agrément :

17. L'expert indiquant l'existence d'une préjudice d'agrément tenant à l'arrêt d'activités de jardinage, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant la somme de 4 091,57 euros, représentant 5 % du montant accordé au titre du déficit fonctionnel permanent, soit la somme de 1 636,63 euros en appliquant le taux de perte de chance de 40 %.

Quant au préjudice esthétique permanent :

18. Evalué à 4 sur 7 par l'expert, une juste indemnisation serait l'octroi de la somme de 7 201 euros, soit celle de 2 880 euros après application du taux de perte de chance.

19. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 4261 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise ".

20. Il découle des points 10 à 19 que le préjudice global de M. A... s'établit à la somme de 115 884,05 euros, après application du taux de perte de chance. Par suite, alors même que l'ONIAM est subrogé aux droits de la victime à hauteur de la somme de 228 230,24 aux termes des protocoles transactionnels passés avec cette dernière, l'ONIAM n'est en droit de demander que la somme précitée de 115 884,05 euros au titre de la subrogation en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

21. En application de l'article précité du code de la santé publique, l'ONIAM est également recevable à demander le paiement de la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise exposés devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes.

22. Il découle de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le CH des Vals de l'Ardèche et son assureur, la SHAM, à verser à l'ONIAM la somme de 116 584,05 euros. L'ONIAM a droit aux intérêts sur cette somme à compter du 21 avril 2017, date de réception de sa réclamation préalable auprès du CH de Privas. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts ayant été demandée par l'ONIAM dès sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Lyon enregistrée le 8 août 2017, il sera fait droit à cette demande à compter du 21 avril 2018, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêt, ainsi qu'à chaque échéance ultérieure.

En ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône :

23. Il découle de ce qui a été dit au point 7 que la créance de la caisse s'établit au montant de 127 023,53 euros. Il y a lieu, par suite, de condamner le CH des Vals d'Ardèche et son assureur, la SHAM, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône la somme de 127 023,53 euros. En application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse a également droit au versement d'une indemnité forfaitaire de gestion de 1 098 euros à la charge du CH des Vals d'Ardèche et la SHAM.

Sur la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :

24. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue ".

25. Il résulte de l'instruction que, par lettre du 2 décembre 2013, la SHAM, assureur du CH des Vals d'Ardèche, a refusé de faire une offre d'indemnisation à la victime alors que l'expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation avait conclu que cet hôpital avait commis une faute tenant à un retard de prise en charge. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'infliger à la SHAM une pénalité de 6 000 euros.

Sur les frais d'instance :

26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'ONIAM et de la CPAM du Rhône tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens et de mettre à la charge du CH des Vals d'Ardèche et de la SHAM le versement d'une somme de 1 500 euros à chacun d'eux en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1706111 - 1708949 du tribunal administratif de Lyon du 5 mars 2019 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier des Vals d'Ardèche et la SHAM sont condamnés à verser à l'ONIAM la somme de 116 584,05 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017. Les intérêts échus à la date du 21 avril 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le centre hospitalier des Vals d'Ardèche et la SHAM sont condamnés à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône la somme de 127 023,53 euros ainsi que celle de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 4 : La SHAM versera à l'ONIAM une pénalité de 6 000 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

Article 5 : Le centre hospitalier des Vals d'Ardèche et la SHAM verseront une somme de 1 500 euros à l'ONIAM et une somme de 1 500 euros à la CPAM du Rhône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7: Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier des Vals d'Ardèche, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et aux caisses primaires d'assurance maladie du Rhône et de l'Ardèche.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.

N° 19LY01723 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01723
Date de la décision : 11/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Actes médicaux d'investigation.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BJMR Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-02-11;19ly01723 ?
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