La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2020 | FRANCE | N°19LY00088

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 17 décembre 2020, 19LY00088


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... A... et M. L... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentants légaux de leurs filles mineures, G... A..., Inna A... et Léna A..., M. C... K... et Mme I... B..., parents de Mme J... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentants légaux de leur fille Sabrina K..., et MM. Paul et Kevin K..., frères de Mme J... A..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon, à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affecti

ons iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à Mme J... A...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... A... et M. L... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentants légaux de leurs filles mineures, G... A..., Inna A... et Léna A..., M. C... K... et Mme I... B..., parents de Mme J... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentants légaux de leur fille Sabrina K..., et MM. Paul et Kevin K..., frères de Mme J... A..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon, à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à Mme J... A... la somme totale de 1 469 804,78 euros, à M. L... A... la somme de 136 447 euros et une rente annuelle de 13 874 euros à titre personnel en réparation de ses préjudices et la somme de 210 000 euros en tant que représentant légal d'Océlia, Inna et Léna A..., à M. C... K... et Mme I... B... la somme de 35 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral et d'accompagnement et la somme de 30 000 euros en tant que représentants légaux de Sabrina K..., à M. D... K... et M. F... K... la somme de 30 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral et d'accompagnement, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le tribunal ne s'estimerait pas suffisamment éclairé par le rapport d'expertise, d'ordonner une nouvelle expertise confiée à un collège d'experts et de rendre les opérations d'expertise communes aux hospices civils de Lyon en les appelant préalablement à la cause.

La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, appelée à l'instance, a indiqué au tribunal qu'elle n'entendait pas intervenir dans l'instance et que le montant définitif de ses débours s'élevait à la somme de 282 198,29 euros.

Par un jugement n° 1607209 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2019, et un mémoire complémentaire enregistré le 16 novembre 2020, M. L... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de Mme J... A... et de leurs filles mineures, G... A..., Inna A... et Léna A..., M. C... K... et Mme I... B..., Mme H... K..., M. D... K... et M. F... K... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 novembre 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à M. L... A... en qualité de représentant légal de Mme J... A... la somme totale de 1 422 287,33 euros, la somme de 164 195 euros et une rente annuelle de 13 874 euros à titre personnel en réparation de ses préjudices et la somme de 210 000 euros en tant que représentant légal d'Océlia, Inna et Léna A..., à M. C... K... et Mme I... B... la somme de 35 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral et d'accompagnement, à Mme H... K..., à M. D... K... et M. F... K... la somme de 30 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral et d'accompagnement, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable ;

3°) à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ne s'estimerait pas suffisamment éclairée par le rapport d'expertise, d'ordonner une nouvelle expertise confiée à un collège d'experts et de rendre les opérations d'expertise communes aux hospices civils de Lyon en les appelant préalablement à la cause ;

4°) de déclarer l'arrêt opposable à l'organisme social ;

5°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

S'agissant de l'existence d'un accident médical :

- l'accident médical est directement imputable à un acte de soin, de prévention ou de diagnostic ; le trouble du rythme cardiaque s'est produit en salle de soins post-interventionnels (SSPI) dans les suites immédiates de l'extubation de Mme A... ; l'expert a précisé que cet accident médical non fautif était en lien avec un acte de soin compte tenu de la survenance du trouble du rythme cardiaque ; les scopes réalisés antérieurement étaient normaux ; les hospices civils de Lyon n'ont pas été en mesure de produire les enregistrements du rythme cardiaque en salle de soins post-interventionnels alors que les enregistrements en salle de soins sont obligatoires ;

- si l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales fait valoir que l'origine de la fibrillation et de l'arrêt cardiaque est inconnue, la première chambre de la Cour de cassation a pu déduire, dans un arrêt du 11 juillet 2018, de la proximité temporelle entre un acte de soins et une hémorragie un lien d'imputabilité de l'accident médical à l'acte de soin ; en l'espèce, il n'a été retrouvé aucune autre cause à la survenue du trouble du rythme cardiaque que l'intervention et l'extubation ; une enquête cardio-vasculaire réalisée le 18 février 2015 n'a retrouvé aucune anomalie ; le syndrome de Brugada évoqué pour expliquer la survenue de l'accident cardiaque a été éliminé à la suite de la réalisation d'un test à la Flécaine ; compte tenu de ce que Mme A... a présenté une fibrillation ventriculaire suivie d'un arrêt cardiaque dans les suites immédiates de l'extubation, les certitudes scientifiques ne sont pas exigées et la cause la plus probable doit être retenue ; l'expert a estimé que l'éventuelle sarcoïdose cardiaque n'était pas seule à l'origine du trouble et que l'anesthésie était en partie responsable de la survenue du trouble ; l'accident cardiaque au réveil d'une anesthésie et d'une intervention est une complication rare mais connue ; par suite, il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir l'imputabilité du dommage subi à l'intervention et plus particulièrement à l'acte d'anesthésie ;

- la conditions d'anormalité du dommage doit toujours être considérée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; les conséquences de l'intervention exploratrice en vue de la réalisation d'une biopsie sont plus graves que celles auxquelles Mme A... était exposée en l'absence d'intervention ; les troubles du rythme cardiaque dans un contexte d'extubation sont extrêmement rares, moins de 0,3 % ;

- le taux de déficit fonctionnel permanent est de 95 % ;

- l'expert a retenu un accident médical non fautif à hauteur de 50 % en estimant que l'état antérieur avait favorisé la survenue de l'accident ; toutefois, ce point n'a pas été discuté lors des opérations d'expertise et l'expert a observé lui-même qu'aucun élément ne permettait de mettre en évidence une sarcoïdose cardiaque ; Mme A... n'a jamais eu de nouvelles difficultés cardiaques par la suite et rien ne saurait venir réduire le droit à indemnisation ;

S'agissant des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de Mme A... :

- Mme A... a perdu une chance d'avoir un emploi et ce préjudice sera évalué à la somme de 334 277,33 euros ;

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux de Mme A... :

- le déficit fonctionnel temporaire sera évalué à la somme de 8 010 euros ; les souffrances endurées seront réévaluées à 6,5 sur une échelle de 7 et seront indemnisées à hauteur de 45 000 euros tenant compte de ce que Mme A... a subi une réanimation intensive, un pneumothorax, des soins en réanimation, une trachéotomie, des fausses routes salivaires et de ce qu'elle a une sonde de gastrostomie ; le préjudice esthétique temporaire sera évalué à 5 000 euros ; le déficit fonctionnel permanent sera évalué à 665 000 euros compte tenu de son état pauci-relationnel ; le préjudice d'agrément sera évalué à 70 000 euros ; le préjudice esthétique permanent sera évalué à 40 000 euros ; le préjudice sexuel sera évalué à 60 000 euros ; le préjudice d'établissement sera évalué à 100 000 euros compte tenu de ce qu'elle a perdu toute possibilité de réaliser son projet de vie familiale et qu'elle ne pourra jamais élever ses trois filles ; au titre des préjudices liés à des pathologies évolutives, il est sollicité la somme de 100 000 euros compte tenu du risque de décès prématuré ;

En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :

- l'époux de Mme A... et leurs trois filles subissent un préjudice moral et d'accompagnement estimé à 70 000 euros chacun ; les parents de Mme A..., M. K... et Mme B..., seront indemnisés à hauteur de 35 000 euros chacun ; les deux frères et la soeur de Mme A... seront indemnisés à hauteur de 30 000 euros chacun ;

- M. A... a dû engager des frais de transport pour se rendre au chevet de son épouse depuis trois ans ; il sollicite la somme de 74 195 euros pour les frais engagés du 25 août 2015 au 31 décembre 2020 ; il sollicite à compter de 2021 l'allocation d'une rente annuelle d'un montant de 13 874 euros ;

- M. A... a dû prendre en charge ses enfants et n'est plus en mesure de travailler et il sollicite la somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun examen médical n'a permis d'établir avec certitude que le dommage subi par Mme A... était en lien avec l'acte médical réalisé le 11 mai 2015 ;

- il n'existe pas de présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir une imputabilité directe et certaine du dommage subi à l'acte de soin dès lors que l'origine de la fibrillation et de l'arrêt cardiaque demeure inconnue ; le docteur Corege a indiqué qu'un bilan complémentaire associant scanner corps entier et coronarographie ne permet pas d'apporter d'explication quant à l'origine de ces troubles du rythme ventriculaire ; une enquête cardio-vasculaire par Holter a été réalisée le 18 février 2015 sans qu'une anomalie soit relevée ; le professeur Schoeffler et le docteur Amat ont estimé qu'une IRM, à laquelle la famille s'est opposée, était nécessaire pour déterminer les causes du dommage ; l'unique coïncidence chronologique entre un acte de soin et une complication ne suffit pas à établir un lien de causalité direct et certain ;

- quand bien même l'arrêt cardiaque dont a été victime Mme A... s'expliquerait par l'existence d'une sarcoïdose cardiaque, qui n'a pas été confirmée, il s'agirait alors d'un accident exclusivement en lien avec la pathologie initiale ; concernant l'état antérieur, Mme A... était porteuse vraisemblablement d'une sarcoïdose et elle présentait un asthme atypique et des troubles du rythme cardiaque ;

- la médiastinoscopie était destinée à confirmer le diagnostic de sarcoïdose ; sans traitement de la sarcoïdose, Mme A... était exposée de manière suffisamment probable à un risque de décès ; par suite, il est impossible d'affirmer que les conséquences de l'acte litigieux sont beaucoup plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée en l'absence d'intervention ;

- les requérants n'établissent pas que la survenue de troubles du rythme cardiaque dans un contexte d'extubation serait extrêmement rare ; l'existence d'une sarcoïdose cardiaque augmentait nécessairement le risque de présenter des troubles du rythme puis un arrêt cardiaque à la suite de la médiastinoscopie réalisée sous anesthésie générale si bien que la probabilité de ce risque ne peut être considérée comme étant faible ;

- il ne s'oppose pas à la réalisation d'une expertise.

Un mémoire, enregistré le 8 juin 2020, a été présenté par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pourny, président de chambre,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme J... A..., née le 28 novembre 1987, était suivie dans le service de pneumologie des hospices civils de Lyon pour un asthme atypique. Face à la découverte d'adénopathies médiastinales évoquant une possible sarcoïdose, Mme A... a subi le 11 mai 2015, sous anesthésie générale, une médiastinoscopie à des fins diagnostiques. A la sortie du bloc opératoire, Mme A..., intubée mais en ventilation spontanée, a été transférée vers la salle de soins post-interventionnels. Dès l'extubation, elle a présenté une agitation, puis une fibrillation ventriculaire conduisant à un arrêt cardio-circulatoire. Elle a été placée sous oxygénation extracorporelle (ECMO), après une tentative infructueuse de réanimation intensive, qui a permis de retrouver un rythme sinusal. Elle a été ensuite orientée en service de réanimation où l'évolution de son état neurologique s'est aggravée compte tenu de son absence de réveil. Un scanner et une IRM cérébrale réalisés respectivement le 15 et le 16 mai 2015 ont révélé l'existence d'une encéphalopathie hypoxique sévère. A l'issue d'un bilan neurophysiologique diagnostiquant un état végétatif permanent, Mme A... a été transférée dans un service adapté aux patients en état végétatif chronique de l'hôpital Georges Claudinon situé au Chambon-Feugerolles où elle séjourne encore. Imputant les préjudices subis par Mme A... à sa prise en charge par les services des hospices civils de Lyon, M. A... a saisi, le 30 novembre 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Rhône-Alpes qui a désigné le docteur Corege, anesthésiste réanimateur urgentiste, en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 30 mars 2016. Par un avis du 10 mai 2016, la commission de conciliation et d'indemnisation a déclaré l'affaire recevable et a ordonné une contre-expertise confiée au professeur Schoeffler, spécialiste en anesthésie-réanimation, et au docteur Amat, spécialiste en cardiologie et maladies des vaisseaux, afin d'obtenir un nouvel éclairage médical notamment sur les causes de l'accident, la chronologie précise de la période d'extubation et l'existence ou non d'une sarcoïdose. Les experts missionnés ont rendu, le 9 juin 2016, un rapport de carence dès lors que l'analyse des causes du dommage nécessitait la réalisation d'une IRM cardiaque impliquant une anesthésie générale de la patiente et que, compte tenu de son état précaire, la famille n'a pas souhaité que Mme A... soit soumise à cet examen. Par un avis du 5 juillet 2016, la commission de conciliation et d'indemnisation a rejeté la demande d'indemnisation amiable présentée par les consorts A... et K... en raison du défaut de certitude quant au lien de causalité entre le dommage et les actes de soins mis en cause. M. L... A..., agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de Mme J... A... et de leurs filles mineures, G... A..., Inna A... et Léna A..., M. C... K... et Mme I... B..., parents de Mme A..., Mme H... K..., M. D... K... et M. F... K..., respectivement soeur et frères de Mme A..., relèvent appel du jugement du 20 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à les indemniser des préjudices subis et, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise avant-dire droit soit ordonnée.

Sur les conclusions à fin d'appel en déclaration de jugement commun opposable à la caisse primaire d'assurance maladie :

2. Les consorts A...-K... demandent à la cour de déclarer le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône. Toutefois, les tiers payeurs n'ont pas à être appelés à la cause dans un litige concernant la mise en oeuvre de la solidarité nationale par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Dès lors, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la réparation de l'aléa thérapeutique au titre de la solidarité nationale :

3. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. "

4. En l'absence de certitudes médicales permettant d'affirmer ou d'exclure qu'un dommage corporel survenu au cours ou dans les suites d'un acte de soins est imputable à cet acte, il appartient au juge, saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de se fonder sur l'ensemble des éléments pertinents résultant de l'instruction pour déterminer si, dans les circonstances de l'affaire, cette imputabilité peut être retenue.

5. Les consorts A... et K... font valoir que l'accident médical est directement imputable à un acte de soin dès lors que le trouble du rythme cardiaque s'est produit en salle de soins post-interventionnels (SSPI) dans les suites immédiates de l'extubation de Mme A... quelques minutes après la sortie du bloc opératoire, que l'expert a précisé que cet accident médical non fautif était en lien avec un acte de soin compte tenu de la survenance du trouble du rythme cardiaque, que les scopes réalisés antérieurement étaient normaux et que les hospices civils de Lyon n'ont pas été en mesure de produire les enregistrements du rythme cardiaque en salle de soins post-interventionnels qui sont pourtant obligatoires.

6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du docteur Corege que l'endoscopie du médiastin, réalisée le 11 mai 2015 sous anesthésie générale et qui a été menée pour confirmer ou infirmer une suspicion d'une sarcoïdose, s'est déroulée sans difficulté. A l'issue de cette intervention, Mme A... a été transférée en salle de soins post-interventionnels toujours intubée mais en ventilation spontanée. Dès l'extubation, elle a présenté des troubles du rythme ventriculaire qui n'ont pas cédé au traitement conventionnel et ont conduit l'équipe médicale à mettre en place une oxygénation extracorporelle par un abord fémoral. La patiente a récupéré une activité cardiaque sinusale et a été transférée en réanimation. Toutefois, celle-ci ne s'est pas réveillée et les examens réalisés ont mis en évidence que Mme A... était atteinte d'une encéphalopathie hypoxique sévère.

7. L'expert, le docteur Corège missionné par la commission de conciliation et d'indemnisation, relève que la jeune femme avait déjà fait l'objet d'une enquête cardio-vasculaire compte tenu de l'apparition de tachycardie voire de palpitations. Le 18 février 2015, elle avait été examinée par un cardiologue, le docteur Kahil, qui n'avait noté aucune anomalie particulière en dehors d'un bloc de branche droit incomplet banal et de quelques rares extrasystoles ventriculaires. A l'issue d'un test réalisé le 27 mai 2015 sur Mme A..., le syndrome de Brugada, à l'origine de l'apparition de troubles du rythme, a été écarté. L'expert note encore que l'analyse de la feuille d'anesthésie et le suivi des différentes constantes en particulier de la saturation en oxygène ne montrent aucune phase d'hypoxie permettant d'expliquer l'apparition de ce trouble du rythme. Un bilan complémentaire associant un scanner du corps entier et une coronarographie réalisés dans les suites de l'intervention n'ont pas mis en évidence d'embolie pulmonaire ni d'autres anomalies.

8. Toutefois, l'expert note que les résultats d'anatomopathologie des prélèvements effectués lors de la médiastinoscopie du 15 mai 2015 sont compatibles avec une sarcoïdose et que si une hypothèse de sarcoïdose cardiaque a été évoquée, les examens permettant de la confirmer et consistant en une IRM cardiaque et une exploration électrophysiologique du faisceau de His n'ont pu être réalisés eu égard à l'évolution péjorative de la patiente. L'expert indique également que " l'hypothèse d'une atteinte cardiaque par la sarcoïdose apparait vraisemblable. (...) L'hypothèse d'une sarcoïdose cardiaque permettant d'expliquer l'apparition de ce trouble du rythme en phase de réveil et d'extubation, moment particulièrement critique de l'anesthésie, reste une hypothèse très plausible. D'autant que malgré l'examen rassurant du docteur Kahil, elle présentait cependant pour son âge déjà quelques extras-systoles ventriculaires qui étaient peut-être le signe de cette sarcoïdose " et se réfère, pour expliciter son raisonnement, à la littérature médicale précisant que " 5 % des patients atteints de sarcoïdose présentent des signes cliniques démontrant une atteinte cardiaque tandis que les études autopsiques indiquent une atteinte cardiaque subclinique dans 20 à 30 % des cas. (....) La mort subite due à des tachyarythmies ventriculaires et un bloc cardiaque complet représenterait 25 à 65 % des décès dus à la sarcoïdose cardiaque. Enfin, l'atteinte cardiaque dans la sarcoïdose est décrite comme extrêmement difficile à diagnostiquer cliniquement compte tenu de manifestations cliniques non spécifiques ". L'expert conclut que " l'analyse particulière de la période péri anesthésique n'a pas montré de faute ou d'éléments ayant conduit à l'apparition de ce trouble du rythme dont on rappelle que l'origine n'est pas forcément connue et qu'elle est vraisemblablement en rapport avec son état antérieur en particulier une sarcoïdose avec atteinte cardiaque. (...) "

9. Si l'expert souligne qu'il n'est pas possible d'exclure l'hypothèse d'un accident médical compte tenu de l'apparition de ce trouble du rythme en salle de soins post-interventionnels juste après une intervention de chirurgie thoracique et estime que l'accident médical pourrait être à l'origine de 50 % des préjudices, ce lien chronologique est insuffisant pour établir à lui seul l'existence d'un lien certain entre l'intervention et l'extubation d'une part et les troubles du rythme ventriculaire d'autre part. Ainsi, eu égard à l'état de santé de Mme A... qui présentait des signes d'une sarcoïdose et alors que l'intervention n'a pas été marquée par des difficultés particulières, les consorts A... et K... ne rapportent pas la preuve, notamment en produisant un extrait d'un document de présentation relatif au réveil post anesthésique du professeur Szark du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, d'un lien de causalité direct et certain entre l'intervention chirurgicale du 11 mai 2015 et ses suites et la fibrillation ventriculaire conduisant à un arrêt cardio-circulatoire dont Mme A... a été victime et ce alors que l'absence d'enregistrement des troubles du rythme ventriculaire présentés par Mme A... en salle de soins post-interventionnels n'a pas constitué pour l'expert un obstacle à l'analyse des causes probables de l'arrêt cardio-circulatoire. Dès lors, les préjudices subis par Mme A... ne peuvent ouvrir droit à réparation au titre des dispositions susmentionnées.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que les consorts A...-K... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes de condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre d'un accident médical non fautif. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête des consorts A...-K... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... A..., à M. C... K... à Mme I... B..., à Mme H... K..., à M. D... K... et à M. F... K... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.

2

N° 19LY00088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00088
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François POURNY
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CABINET COUBRIS - COURTOIS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-17;19ly00088 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award