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03/12/2020 | FRANCE | N°20LY01675

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 03 décembre 2020, 20LY01675


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 29 mai 2020 par lesquelles le préfet du Rhône a décidé son transfert aux autorités autrichiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2003496 du 10 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juin et 8 octobre 2020, M. B..., représenté par Me D..., demand

e à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 10 juin 2020 ainsi ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 29 mai 2020 par lesquelles le préfet du Rhône a décidé son transfert aux autorités autrichiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2003496 du 10 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juin et 8 octobre 2020, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 10 juin 2020 ainsi que les décisions susvisées ;

2°) d'enjoindre au préfet du Rhône de mettre fin à toute mesure de contrôle et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de cinq jours à compter de l'arrêt sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le premier juge a omis de statuer sur les moyens tirés du défaut d'examen complet de sa situation par le préfet et de l'erreur de fait, moyens qui n'étaient pas inopérants ;

- le jugement est également entaché d'irrégularité dès lors que le point 5 ne concerne pas sa situation ;

- les décisions contestées méconnaissent les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n°604-2013 du 26 juin 2013 et l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet et 5 novembre 2020 (non communiqué), le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 5 août 2020.

Par courrier du 5 octobre 2020, les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, la cour était susceptible en cas d'annulation de la décision portant transfert aux autorités autrichiennes de M. B... d'enjoindre d'office à l'État de lui délivrer l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 7411 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F..., première conseillère ;

- et les observations de Me D..., pour l'appelant ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 29 mai 2020 du préfet du Rhône décidant son transfert aux autorités autrichiennes et l'assignant à résidence.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, si le premier juge a examiné le moyen tiré du défaut d'examen de la situation de l'intéressé sans toutefois le viser, M. B... soutenait également devant le tribunal administratif de Lyon que la décision du 29 mai 2020 portant transfert aux autorités autrichiennes était entachée d'une erreur quant aux faits qui en constituaient le fondement, à savoir qu'il avait indiqué aux services de la préfecture du Rhône l'identité et l'adresse de la tante par laquelle il déclarait être hébergé et qui constituait sa seule famille. Le jugement attaqué n'a ni visé ni examiné ce moyen, qui n'était pas inopérant. Le jugement est, pour ce premier motif, entaché d'irrégularité et doit être annulé.

3. D'autre part, ainsi que le soutient M. B..., le point 5 du jugement attaqué répond à des moyens dirigés contre la décision du 29 mai 2020 portant assignation à résidence qu'il n'avait pas soulevés dans ses écritures de première instance et se fonde sur des éléments de faits relatifs à une situation personnelle qui n'est pas la sienne. Le jugement attaqué est ainsi entaché d'irrégularité et doit, pour ce second motif, être également annulé.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur l'arrêté portant transfert aux autorités autrichiennes et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande :

5. Le premier paragraphe de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que la demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride " est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". Le premier paragraphe de l'article 17 de ce règlement dispose que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...). / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". La mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, selon lequel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Il en résulte que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. M. B... a fait état dans ses écritures de première instance d'une situation de vulnérabilité caractérisée par les évènements traumatiques vécus au Rwanda dans le cadre du génocide rwandais et notamment les décès de son père et de sa mère, tués en 1998 par les soldats de l'armée patriotique rwandaise. Il justifie d'un suivi psychologique lié à un stress post-traumatique d'une extrême gravité en raison de son parcours. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté par le préfet du Rhône que M. B... est hébergé et pris en charge par sa tante, ressortissante française vivant à Lyon, et qu'il est dépourvu de toute attache en Autriche. Par suite, et dans les circonstances particulières de l'espèce, en refusant de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement susvisé du 26 juin 2013, le préfet du Rhône a entaché sa décision portant transfert de l'intéressé aux autorités autrichiennes d'une erreur manifeste d'appréciation. Cette décision doit, dès lors, être annulée.

Sur l'arrêté portant assignation à résidence :

7. Il y a lieu, par voie de conséquence de ce qui a été dit au point 6, d'annuler la décision du 29 mai 2020 prise à l'encontre de M. B... portant assignation à résidence.

Sur l'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

9. Eu égard au motif d'annulation de la décision du 29 mai 2020 portant transfert aux autorités autrichiennes, l'exécution du présent arrêt implique d'enjoindre au préfet du Rhône de délivrer à M. B... l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 7411 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

10. En revanche, le présent arrêt qui annule la décision du 29 mai 2020 portant assignation à résidence impliquant nécessairement qu'il soit mis fin aux modalités de celle-ci, les conclusions de M. B... tendant à enjoindre au préfet de " mettre fin à toutes mesures de contrôle ", à supposer d'ailleurs que de telles conclusions se rapportent à la décision portant assignation à résidence, sont sans objet.

Sur les frais liés au litige :

11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me D..., avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le paiement à cet avocat d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2003496 du 10 juin 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les décisions du 29 mai 2020 prises par le préfet du Rhône portant transfert de M. B... aux autorités autrichiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et portant assignation à résidence sont annulées.

Article 3 : Le préfet du Rhône délivrera à M. B... l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 7411 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Me D..., avocat de M. B..., la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme A..., présidente,

Mme E..., première conseillère,

Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2020.

2

N° 20LY01675


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01675
Date de la décision : 03/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

.

Étrangers - Séjour des étrangers - Restrictions apportées au séjour - Assignation à résidence.


Composition du Tribunal
Président : Mme DECHE
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : GUERAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-03;20ly01675 ?
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