Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à leur verser la somme de 210 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de leur demande, eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'implantation et du fonctionnement du centre pénitentiaire de Valence et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 880 euros au titre des dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1603024 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2019 et un mémoire enregistré le 29 mai 2020, M. et Mme B..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1603024 du 13 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'ordonner avant-dire droit une visite des lieux en application de l'article R. 622-1 du code de justice administrative ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 210 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- une visite sur les lieux paraît indispensable afin que la formation de jugement apprécie l'anormalité du préjudice qu'ils subissent du fait de l'implantation et du fonctionnement du centre pénitentiaire de Valence à proximité de leur maison d'habitation ;
- leur habitation principale est la seule à être située au voisinage immédiat de l'ouvrage public que constitue ce centre pénitentiaire ; auparavant, leur propriété était implantée dans un environnement préservé, peu bâti, à dominante agricole, et sans vis-à-vis ; l'existence de l'ouvrage public, en dehors même de son fonctionnement, est ainsi à l'origine d'un préjudice indemnisable ;
- ils subissent ainsi un préjudice tiré de la perte de valeur vénale de leur propriété, établi de manière actuelle et certaine, chiffrée à hauteur de 140 000 euros ;
- l'implantation de la prison à une distance d'environ 25 mètres de leur habitation a entraîné une perte de la valeur vénale de leur bien, estimée à 25 %, soit environ 95 000 euros ; ce préjudice est anormal ;
- la présence d'un établissement pénitentiaire à proximité de leur propriété est, par elle-même, anxiogène ;
- ils subissent des troubles anormaux dans leurs conditions d'existence et la jouissance de leur bien, liés à un phénomène d'insécurité, au bruit, à la vue et à l'éclairage nocturne, du fait du fonctionnement du centre pénitentiaire au voisinage de leur propriété, évalués à la somme de 70 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 29 mai 2020 prise en application du second alinéa du II de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont propriétaires depuis 1996, sur le territoire de la commune de Valence, d'un terrain d'une superficie de vingt-neuf ares environ, sur lequel est implantée leur maison d'habitation, et au voisinage duquel l'Etat a fait construire un centre pénitentiaire, opérationnel depuis le 8 novembre 2015, comportant notamment une maison d'arrêt et une maison centrale et susceptible d'accueillir jusqu'à 456 détenus. M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble à être indemnisés, d'une part, des troubles résultant des diverses nuisances causées à leur propriété par la proximité du centre pénitentiaire et, d'autre part, de la dépréciation de leur immeuble du fait de la présence de cet établissement. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
3. M. et Mme B... font valoir que le fonctionnement de l'ouvrage public que constitue le centre pénitentiaire de Valence a occasionné, eu égard à l'état antérieur des lieux, un ensemble de gênes et de nuisances importantes pour leur propriété, consistant en des nuisances sonores, lumineuses, de vue et d'insécurité.
4. En premier lieu, si M. et Mme B... se plaignent de nuisances sonores intrinsèques au centre pénitentiaire et de nuisances de bruit engendrées par le trafic automobile y afférent, ils n'apportent pas davantage en appel qu'en première instance d'élément de nature à établir l'intensité des troubles qu'ils allèguent, alors au demeurant que l'huissier de justice qu'ils ont mandaté n'a pas fait mention dans son constat du 19 novembre 2015 d'une gêne sonore particulière. De la même façon, si les requérants invoquent une nuisance liée à l'éclairage nocturne des installations du centre pénitentiaire, ils n'en établissent pas l'existence par leurs seules allégations.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment de ce même constat d'huissier, que si l'emprise du centre pénitentiaire est distante de vingt-deux mètres de la limite de la parcelle de M. et Mme B... dont elle est séparée par un terrain agricole, le bâtiment le plus proche situé au droit de la propriété des requérants, à une distance de vingt-cinq mètres, abrite le réfectoire du personnel pénitentiaire. Il n'est pas établi que ce bâtiment, eu égard notamment à son volume et à son affectation, engendrerait des nuisances particulières pour le voisinage. Selon ce même constat d'huissier, le plus proche des bâtiments situés à l'intérieur du mur d'enceinte du centre pénitentiaire est distant de cent mètres du terrain des époux B... dont le jardin est délimité par une haute haie de cyprès, au feuillage persistant. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas de la photographie prise depuis le jardin et jointe au constat d'huissier, que, compte tenu de la hauteur de la haie entourant leur propriété, les requérants auraient une vue sur les installations du centre pénitentiaire, notamment pas sur l'un des trois miradors. Pour les mêmes motifs, il n'est pas établi que leur propriété serait visible depuis l'une de ces tours de surveillance. Par suite, M. et Mme B... ne démontrent pas les troubles de vue et d'atteinte à leur intimité qu'ils invoquent.
6. En troisième lieu, si les requérants se prévalent d'un préjudice d'insécurité et font état à cet égard de plusieurs incidents graves qui se sont déroulés au sein du centre pénitentiaire et dont ils justifient par la production d'articles de presse, ils n'établissement toutefois pas, ni même ne soutiennent avoir eux-mêmes subi des conséquences dommageables en lien avec ces actes.
7. Enfin, si M. et Mme B... se prévalent de l'état antérieur des lieux et de ce que leur propriété était située dans une zone à dominante agricole, il résulte de l'instruction, notamment de la vue aérienne produite par les requérants, que si le centre pénitentiaire a été édifié sur un terrain jusqu'alors à vocation agricole, leur propriété se trouve au voisinage de plusieurs autres habitations et également à proximité d'une route à deux fois deux voies.
En ce qui concerne la perte de valeur vénale de la propriété :
8. M. et Mme B... font valoir que la présence du centre pénitentiaire, en raison de la nature même de cet équipement et des nuisances qui y sont liées, affecte la valeur vénale de leur propriété en suscitant une désaffection des acheteurs potentiels.
9. L'existence d'une perte de valeur vénale, si elle est établie, ne saurait être considérée comme purement éventuelle dès lors qu'elle reflète une diminution du patrimoine de celui qui la subit, indépendante de l'existence d'un projet de vente du bien à plus ou moins court terme. Ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, les requérants peuvent invoquer ce préjudice alors même qu'ils n'envisagent pas de vendre leur maison.
10. Pour justifier de la dépréciation de leur propriété, les requérants produisent deux expertises, non contradictoires, qu'ils ont fait réaliser et qui se fondent notamment sur la vente d'autres propriétés dans le même secteur. La première de ces expertises, réalisée en janvier 2015, soit avant même que les travaux du centre pénitentiaire ne soient achevés et qui incluait notamment une dépréciation du bien du fait qu'il serait sans doute visible depuis l'un des miradors, a évalué la perte de valeur du prix du bien entre 25 % et 30 %, sans toutefois apporter de précisions quant à cette estimation. La seconde expertise versée au débat par les requérants, réalisée en septembre 2018, a évalué la perte de valeur vénale due à la présence du centre pénitentiaire à 25 % à raison à la fois du préjudice de vue, des nuisances sonores, du risque d'insécurité, de l'environnement immédiat jusqu'alors préservé avec une faible densité de constructions dans le secteur et de la circonstance que la durée de mise en vente serait probablement supérieure à la moyenne justifiant une négociation accrue du prix de vente. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit plus haut, que les quatre premiers facteurs pris en compte pour apprécier de la sorte la perte de valeur vénale de la propriété ne sont pas établis. Le dernier facteur retenu dans cette évaluation, estimé entre 0 % et 5 %, et qui résulte de la conjonction des autres éléments pris en considération, n'est, pour les mêmes motifs, pas davantage établi.
11. Il suit de là que les différents chefs de dommages invoqués par M. et Mme B..., examinés dans leur ensemble, n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être, sans indemnité, normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une visite sur les lieux que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les dépens :
13. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions formées par M. et Mme B... sur ce fondement doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demandent les époux B... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 octobre 2020.
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N° 19LY00740