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29/09/2020 | FRANCE | N°19LY01250

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 29 septembre 2020, 19LY01250


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2008 et 2009 et des majorations correspondantes.

M. et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et des majorations correspondantes.

La SNC F...-A... a demandé au tribuna

l administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur aj...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2008 et 2009 et des majorations correspondantes.

M. et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et des majorations correspondantes.

La SNC F...-A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009 et des majorations correspondantes.

Par des arrêts n° 17LY02334 et n° 17LY02336 du 26 juin 2018, la cour a annulé les ordonnances n° 1500353 et n° 1500349 du 13 avril 2017 par lesquelles la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté les demandes de M. F... et de M. et Mme A... et a renvoyé les affaires devant le tribunal administratif de Grenoble.

Par un jugement n° 1505502, 1505503, 1803990 et 1803993 du 1er février 2019, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de la majoration de 80 % appliquée, sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, aux compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009, et a rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2019, M. F..., M. et Mme A... et la SNC F...-A..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er février 2019 en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande ;

2°) de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 ;

3°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- au cours du contrôle inopiné dont la SNC F...-A... a fait l'objet, l'administration a en réalité procédé à une vérification de comptabilité sans lui accorder les garanties prévues par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ni permettre un débat oral et contradictoire ;

- ils n'ont pas été informés de la nature des traitements effectués en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée sur la nature de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires retenue par l'administration ;

- l'administration n'apporte pas la preuve que la comptabilité de la SNC F...-A... était irrégulière et non probante, dès lors que l'utilisation de la fonction permissive du logiciel de comptabilité n'est pas démontrée ;

- c'est à tort que l'administration a estimé que la SNC F...-A... avait dissimulé des recettes, dès lors que, comme l'a jugé le juge pénal, dont les constatations de fait s'imposent au juge de l'impôt, les fonctions permissives du logiciel Alliance n'ont pas été utilisées et que les ruptures dans le suivi des factures s'expliquent par des erreurs de manipulation ;

- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est viciée dans son principe, dès lors que l'administration a eu recours à trois formules de calcul qui donnent des résultats différents ;

- la reconstitution du chiffre d'affaires ne repose pas sur des éléments objectifs.

Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation des articles 1er, 2 et 3 du jugement du 1er février 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de la majoration de 80 % appliquée, sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, aux compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009 et, à titre principal, à ce que ces majorations soient remises à la charge de M. F..., de M. et Mme A... et de la SNC F...-A..., respectivement, à hauteur de 37 623 euros, 27 899 euros et 19 390 euros, et, à titre subsidiaire, à ce que les majorations de 40 % pour manquement délibéré soient substituées aux majorations pour manoeuvres frauduleuses.

Il soutient que :

- la charge de la preuve incombe à la SNC F...-A..., en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales ;

- les requérants ont utilisé un dispositif frauduleux justifiant l'application des majorations pour manoeuvres frauduleuses ;

- en tout état de cause, l'application des majorations pour manquement délibéré est justifiée en présence de dissimulations de recettes ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme I..., rapporteure publique,

- et les observations de Me G..., représentant les requérants ;

Considérant ce qui suit :

1. La SNC F...-A..., qui exploite à Douvaine (Haute-Savoie) une officine de pharmacie sous l'enseigne Pharmacie du Léman et a pour associés et co-gérants MM. F... et A..., a fait l'objet d'un contrôle inopiné le 8 avril 2011 suivi d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale, après avoir écarté sa comptabilité et procédé à la reconstitution de ses chiffres d'affaires et de ses résultats, lui a réclamé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009, et, la société étant imposée selon le régime fiscal des sociétés de personnes, a assujetti M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, à des compléments d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, à hauteur de leur quote-part dans le capital de la société, au titre des années 2008 et 2009. Ces impositions, établies selon la procédure contradictoire, ont été assorties des intérêts de retard et de la majoration pour manoeuvres frauduleuses prévue à l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 1er février 2019, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les demandes de M. F..., de M. et Mme A... et de la SNC F...-A... tendant à la décharge de ces impositions et majorations, a prononcé la décharge de la majoration de 80 % appliquée aux compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009, et a rejeté le surplus des conclusions de ces demandes. M. F..., M. et Mme A... et la SNC F...-A... relèvent appel de ce jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'action et des comptes publics demande la réformation du même jugement en tant qu'il a prononcé la décharge des majorations de 80 %.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements. (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 47 du même livre : " En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil. ".

3. La vérification de comptabilité consiste à contrôler sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par un contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont le service prend alors connaissance et dont il peut remettre en cause l'exactitude. Un contrôle inopiné effectué conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ne constitue pas le commencement d'une vérification de comptabilité.

4. Il résulte de l'instruction, et, notamment, des mentions de l'état contradictoire des constatations matérielles effectuées dans le cadre de la procédure de contrôle inopiné, lequel a été contresigné par M. A..., gérant de la SNC F...-A..., le 8 avril 2011, date à laquelle ce contrôle a été réalisé, que M. A..., à la demande du vérificateur, a ouvert, sur son poste de travail, la fenêtre des commandes " linux " afin de rechercher la présence du fichier " a_futil.d ". Constatant l'existence de ce fichier, l'administration lui a demandé d'en éditer les dix premières et les dix dernières lignes. M. A... a ensuite ouvert le fichier " bash-history " des postes 1 à 11, sur lequel l'administration a constaté l'existence de 8 411 lignes de commandes. Enfin, l'administration a recherché l'existence d'interventions dans le logiciel Alliance, et, après que M. A... a entré son mot de passe, n'a constaté aucune trace d'intervention. Le procès-verbal indique en outre qu'aucune copie de fichier n'a été emportée par l'administration.

5. Il ne résulte pas de l'instruction que le service se serait livré à l'occasion de ce contrôle à un examen critique des documents comptables de l'entreprise. La seule circonstance que le service a demandé à M. A... d'entrer son mot de passe ne suffit pas davantage à caractériser le début d'une vérification de comptabilité. Ainsi, les constatations réalisées par le service le 8 avril 2011, qui peuvent être rattachées à la constatation de l'état des documents comptables, doivent être regardées comme constitutives d'un contrôle inopiné au sens de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la vérification de comptabilité aurait débuté dès la date de ce contrôle ni qu'ils auraient été privés des garanties offertes au contribuable vérifié, et, notamment, de l'envoi d'un avis de vérification de comptabilité et de l'organisation d'un débat oral et contradictoire.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) En cas d'application des dispositions de l'article L. 47 A, l'administration précise au contribuable la nature des traitements effectués ". Aux termes de l'article L. 47 A du même livre : " I.- Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable satisfait à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant au début des opérations de contrôle, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. / (...) II.- En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / (...) c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57 ".

7. Si l'administration est tenue, lorsqu'elle adresse une proposition de rectification à une société qui a choisi, en application du c) du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, de mettre à sa disposition les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle, de préciser dans cette proposition, les fichiers utilisés, la nature des traitements qu'elle a effectués sur ces fichiers et les modalités de détermination des éléments servant au calcul des rehaussements, elle n'a, en revanche, l'obligation de communiquer ni les algorithmes, logiciels ou matériels qu'elle a utilisés ou envisage de mettre en oeuvre pour effectuer ces traitements, ni les résultats de l'ensemble des traitements qu'elle a réalisés, que ce soit préalablement à la proposition de rectification ou dans le cadre de celle-ci.

8. D'une part, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification adressée à la SNC F...-A... le 16 décembre 2011, à laquelle étaient joints les fichiers exposant le résultat des traitements informatiques opérés par le service, indique les fichiers utilisés et explique la nature des traitements opérés par le vérificateur sur la comptabilité informatique de la société. Ce document mentionne que le vérificateur, après avoir concaténé les différents fichiers communiqués par la société, dont il précise la nature et la dénomination, pour former des fichiers uniques relatifs, respectivement, aux ventes, aux règlements, aux achats et aux régularisations, a recherché les ruptures dans la séquentialité des opérations de vente et de règlement et a élaboré un fichier statistique des ventes théoriques, qu'il a utilisé pour déterminer les recettes dissimulées. Par ailleurs, la proposition de rectification détaille les raisons pour lesquelles la comptabilité de la société a été écartée comme irrégulière et non probante et expose, de façon détaillée, les trois méthodes de reconstitution des recettes dissimulées envisagées par le vérificateur. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la proposition de rectification, qui indique l'objet de chacune des trois méthodes envisagées, consistant, pour la première, à recenser les règlements manquants et à les valoriser avec un prix de vente moyen, pour la deuxième, à rapprocher le fichier des factures de vente de l'historique des ventes, et, pour la troisième, à comparer les achats revendus et les ventes déclarées, puis expose les éléments de calcul utilisés pour chacune de ces méthodes, comporte les éléments leur permettant de comprendre les modalités de reconstitution des chiffres d'affaires et des résultats. Dans ces conditions, cette proposition de rectification est suffisamment motivée et satisfait aux exigences du troisième alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

9. D'autre part, les propositions de rectification du 16 décembre 2011 adressées respectivement à M. F... et à M. et Mme A..., qui comportent la désignation de l'impôt concerné, des années d'imposition et de la base des redressements, mentionnent que ces redressements font suite à la vérification de comptabilité de la SNC F...-A... dont chacun des intéressés est associé à hauteur de 50 % des parts, et se réfèrent expressément à la proposition de rectification adressée le même jour à la SNC F...-A..., dont une copie était jointe à chacun des envois, sont suffisamment motivées.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant du rejet de la comptabilité :

10. Pour écarter la comptabilité de la SNC F...-A... comme irrégulière et non probante au titre de la période vérifiée, l'administration s'est fondée sur la circonstance que la société était équipée du logiciel Alliance et que les éléments issus du droit de communication effectué auprès du tribunal de grande instance de Nîmes avaient mis en évidence que ce logiciel disposait de fonctionnalités incompatibles avec les règles comptables, notamment en ce qu'il permettait de faire disparaître une partie des recettes en espèces. L'administration a également relevé qu'il existait des ruptures de séquentialité non justifiées dans la numérotation des factures et des règlements et que les quantités revendues, telles qu'elles ressortaient des factures présentées, étaient inférieures à celles résultant de la comptabilité. Elle s'est également fondée sur l'absence d'inventaire des stocks au titre de l'exercice clos en 2008.

11. En premier lieu, les requérants contestent l'utilisation des fonctions permissives du logiciel Alliance et font valoir que les lacunes de la comptabilité s'expliquent par des erreurs de manipulation du logiciel comptable.

12. L'administration fait toutefois valoir qu'il résulte des éléments qu'elle a obtenus à la suite de l'exercice du droit de communication effectué auprès du tribunal de grande instance de Nîmes, et, notamment, de la liste, établie par la société Alliadis, des clients auxquels elle a communiqué le mot de passe nécessaire pour activer le logiciel Alliance, que la SNC F...-A... détenait ce mot de passe lui permettant d'accéder à la commande de suppression des opérations de caisse. L'administration fait en outre valoir, sans être contredite, que lors du contrôle inopiné, M. A... a lui-même saisi ce mot de passe dont il avait connaissance. Elle indique également que le fichier trace " a_futil.d ", qui est créé dès la première utilisation des fonctions permissives du logiciel Alliance et qui permet de consulter la trace des interventions effectuées, a été supprimé, ce qui démontre que les fonctions permissives du logiciel ont été utilisées. L'administration relève enfin que les quantités vendues, telles qu'elles ressortent du fichier des ventes facturées et déclarées, sont moins importantes que celles qui résultent du fichier statistique et historique des produits " sortis " qu'elle a reconstitué à partir de données propres à l'entreprise, que ces écarts, dont les requérants ne contestent au demeurant pas la réalité, sont importants et concernent, à hauteur de 99,78 % du total des opérations, les articles payés en dehors du tiers-payant, soit les produits délivrés sans ordonnance médicale et réglés en espèces et qu'ainsi, les anomalies dans la comptabilité ne peuvent, compte tenu de leur nombre, des modalités d'utilisation du logiciel et dès lors que les anomalies sont plus fréquentes pour les opérations réglées en espèces, être imputées à de simples erreurs. En se bornant à faire état de l'existence d'erreurs de manipulation, de factures mises en attente, de promotions par lot, de purges de comptes clients, d'erreurs informatiques ou de problèmes de bases de données qui ont pu affecter la comptabilité, sans aucune précision et alors que leurs affirmations ne sont corroborées par aucun élément du dossier, les requérants n'apportent aucune explication de nature à établir que les écarts relevés sont justifiés par des raisons autres qu'une suppression volontaire.

13. En second lieu, les requérants font valoir que, par un arrêt du 16 mars 2017, devenu définitif, la cour d'appel de Chambéry a relaxé MM. F... et A... des poursuites pour soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt.

14. L'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

15. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, pour confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains du 17 novembre 2015 ayant prononcé la relaxe de MM. F... et A... des fins de la poursuite pour soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, la cour d'appel de Chambéry, dans son arrêt du 16 mars 2017, a indiqué, d'une part, " qu'aucun élément de preuve figurant au dossier, concernant la fourniture du mot de passe, ne permet de déterminer indiscutablement que le mot de passe permettant d'accéder aux fonctions permissives du logiciel a bien été communiqué à la pharmacie des deux prévenus ", et qu'ainsi, " il existe un doute sérieux sur la réalité de la communication du mot de passe aux prévenus ", d'autre part, a relevé " une absence totale au dossier d'éléments objectifs permettant de démontrer l'existence d'une utilisation quotidienne et renouvelée " du fichier, si bien " qu'il existe également un doute sérieux sur la réalité de l'utilisation des fonctions permissives du logiciel Alliance en cause ", que " la preuve que les opérations indiquées par le contrôle fiscal seraient dues à des utilisations frauduleuses de la fonction permissive du logiciel n'est pas rapportée en l'espèce " et, enfin, " qu'en l'absence de tout élément objectif permettant de confirmer de façon certaine les éléments à charge retenus par l'administration, il apparaît difficile de venir retenir la reconstitution opérée de la comptabilité par l'administration ". Il en résulte que la relaxe est fondée sur le motif tiré de ce qu'un doute subsiste sur la réalité des faits reprochés. Par suite, l'autorité de la chose jugée par le juge pénal ne s'impose pas, dans les circonstances de l'espèce, aux juridictions administratives.

16. Dans ces conditions, eu égard aux nombreuses omissions et anomalies affectant la comptabilité, l'administration fiscale a pu, à bon droit, regarder celle-ci comme non probante et procéder à la reconstitution des chiffres d'affaires et des résultats de la société.

S'agissant de la reconstitution des chiffres d'affaires et des résultats :

17. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".

18. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la comptabilité de la SNC F...-A... était dépourvue de valeur probante et, d'autre part, que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la société et les compléments d'impôt sur le revenu mis à la charge de ses associés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ont été établis conformément à l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il suit de là qu'il incombe aux requérants d'apporter la preuve du caractère exagéré des bases d'imposition retenues par l'administration.

19. Au cours de la vérification de comptabilité, l'administration a constaté la présence de ruptures dans la numérotation des factures et des règlements de la SNC F...-A... et des incohérences dans les quantités de produits vendus. Elle a relevé que ces anomalies, qui résultaient de l'utilisation du logiciel Alliance dont l'une des fonctionnalités permet de faire disparaître les encaissements en espèces concernant les opérations ne mettant pas en cause des tiers, révélaient l'existence de recettes dissimulées. Pour reconstituer ces recettes, le vérificateur, après avoir envisagé trois méthodes consistant, pour la première, à recenser les règlements manquants et à les valoriser avec un prix de vente moyen, pour la deuxième, à rapprocher le fichier des factures de vente de l'historique des ventes, et, pour la troisième, à comparer les achats revendus et les ventes déclarées, a constaté que la première méthode ne permettait pas d'obtenir une reconstitution exhaustive des opérations réalisées par la société et, en conséquence, a retenu les deux dernières méthodes. Le montant des recettes omises, tel que déterminé en tenant compte de la méthode fondée sur les discordances entre le fichier des ventes et l'historique des ventes, a ainsi été fixé à 126 766 euros, au titre de l'exercice clos en 2008, et 136 129 euros, au titre de l'exercice clos en 2009. La méthode fondée sur la comptabilité n'a pas permis de déterminer le montant des recettes omises au titre de l'exercice clos en 2008, dès lors que la société n'a pas été en mesure de justifier de l'état des stocks au 1er octobre 2007. Enfin, le montant des recettes évalué selon cette méthode a été fixé à 132 730 euros au titre de l'exercice clos en 2009. Par mesure de bienveillance, l'administration a retenu la méthode la plus favorable à la société et a ainsi estimé le montant des recettes omises à 126 766 euros au titre de l'exercice clos en 2008 et à 132 730 euros au titre de l'exercice clos en 2009.

20. En premier lieu, les requérants font valoir que les opérations supprimées et les anomalies constatées par l'administration, qui peuvent s'expliquer par des erreurs de manipulation, des factures mises en attente, des promotions par lot, des purges de comptes clients, des erreurs informatiques ou des problèmes de bases de données qui ont pu affecter la comptabilité, ne témoignent pas nécessairement d'un effacement frauduleux. Toutefois, au regard des éléments relevés par l'administration, et, notamment, de la circonstance que ces suppressions concernent très majoritairement les opérations réglées en espèces de produits délivrés sans ordonnance médicale, ainsi que des modalités particulièrement complexes requises par le logiciel comptable pour les opérations de suppression et des alternatives plus simples pour enregistrer les opérations licites, l'administration doit être regardée comme démontrant que ces suppressions révèlent l'existence de dissimulations de recettes.

21. En deuxième lieu, si les requérants font valoir que les deux méthodes de reconstitution utilisées par le service aboutissent à des montants de recettes différents, d'une part, il résulte de l'instruction que ces différences, de l'ordre de 2,5 % du total des recettes, sont d'un montant très limité, et, d'autre part, que les requérants ne font état d'aucune méthode de reconstitution susceptible de présenter une meilleure approximation des chiffres d'affaires et des résultats de la société que celle retenue par le vérificateur. Dans ces conditions, et eu égard au caractère nécessairement approximatif de toute reconstitution, la méthode retenue par l'administration, fondée sur l'exploitation de données propres à l'entreprise, n'est pas viciée dans son principe.

22. En troisième et dernier lieu, la circonstance que le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 23 novembre 2018, devenu définitif, prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, au motif que la proposition de rectification était insuffisamment motivée, est sans incidence sur le bien-fondé des rappels assignés à cette société au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009 par une proposition de rectification distincte.

Sur l'appel incident :

23. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

24. Pour justifier l'application de la majoration de 80 % prévue au c) de l'article 1729 du code général des impôts en cas de manoeuvres frauduleuses aux impositions supplémentaires assignées à la SNC F...-A..., d'une part, et à MM. F... et A..., d'autre part, l'administration a fait valoir qu'au cours du contrôle, il avait été constaté la présence de ruptures non justifiées dans la numérotation des factures et des règlements et des incohérences dans les quantités de produits vendus, qui concernaient essentiellement les règlements en espèces de produits délivrés sans ordonnance alors que les règlements effectués au moyen du tiers-payant n'étaient pas affectés. Elle a relevé que ces anomalies ne pouvaient, compte tenu de leur nombre et de leur nature, et des modalités de fonctionnement du logiciel comptable, résulter que de l'utilisation par les intéressés de la fonctionnalité permissive de ce logiciel, laquelle était démontrée par la circonstance que la société avait obtenu le mot de passe permettant d'y accéder, délivré par la société Alliadis et composé par M. A... lui-même lors du contrôle inopiné, et sur la circonstance que le fichier trace " a_futil-d " avait été supprimé. Elle a également invoqué la circonstance que cette fonction, dont l'accès informatique est long et complexe, ne pouvait être utilisée par erreur. Enfin, l'administration s'est fondée sur la fréquence des agissements en cause, qui sont quotidiens, à l'exception d'une seule journée, sur l'importance des opérations concernées, qui s'élèvent à 9 074 au titre de l'exercice clos en 2008 et 9 262 au titre de l'exercice clos en 2009 et sur l'importance des recettes éludées, représentant respectivement 62,98 % et 71,78 % du bénéfice réalisé au titre respectivement des exercices clos en 2008 et 2009.

25. La circonstance que le juge pénal a estimé qu'il existait, en l'état du dossier qui lui était soumis, un doute sérieux sur la réalité de la communication du mot de passe et sur celle de l'utilisation des fonctions permissives du logiciel Alliance en cause, et qu'il a prononcé la relaxe de MM. F... et A... des fins de la poursuite pour soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt au bénéfice du doute ne fait pas obstacle à ce que l'administration démontre, devant le juge de l'impôt, que les contribuables ont eu effectivement recours à ces fonctions.

26. Il résulte de ce qui précède que, par les éléments dont elle fait état, l'administration a mis en évidence l'utilisation, par la SNC F... A... et par ses associés et co-gérants, MM. A... et F..., d'un logiciel comptable dont l'objet était de permettre l'occultation d'opérations imposables préservant l'apparente sincérité de la comptabilité et assortie de précautions réduisant les risques de révélation des irrégularités. L'ensemble de ces éléments permet de démontrer que les requérants ont fait usage de procédés destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a estimé que l'administration n'établissait pas l'existence d'agissements délibérés ayant permis de dissimuler des opérations imposables portant sur les ventes payées en espèces de produits délivrés sans ordonnance, faisant obstacle au recoupement avec les remboursements de l'assurance maladie, tout en donnant à la comptabilité l'apparence de la sincérité.

27. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, d'une part, M. F..., M. et Mme A... et la SNC F...-A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de leur demande, et que, d'autre part, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif a prononcé la décharge des majorations de 80 % appliquées aux compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F... et M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009, et à demander que ces majorations soient remises à la charge des requérants.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. F..., à M. et Mme A... et à la SNC F...-A... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1, 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er février 2019 sont annulés.

Article 2 : Les majorations de 80 % prévues au c) de l'article 1729 du code général des impôts appliquées aux compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. F..., d'une part, et M. et Mme A..., d'autre part, ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SNC F...-A... au titre de la période du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2009 sont remises à la charge des requérants.

Article 3 : Les conclusions d'appel de M. F..., de M. et Mme A... et de la SNC F...-A... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., M. et Mme E... A..., à la SNC F...-A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme D..., présidente-assesseure,

Mme J..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.

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N° 19LY01250

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01250
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Questions communes.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : RIERA-TRYSTRAM-AZEMA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-29;19ly01250 ?
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