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24/09/2020 | FRANCE | N°19LY00419

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 24 septembre 2020, 19LY00419


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... épouse E..., Mme F... E... et Mme J... E..., reprenant l'instance présentée par M. C... E..., ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Vichy à leur verser la somme de 93 358 euros en réparation des préjudices consécutifs aux fautes commises à l'occasion de la prise en charge de M. C... E..., assortie des intérêts au taux légal, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy, outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... épouse E..., Mme F... E... et Mme J... E..., reprenant l'instance présentée par M. C... E..., ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Vichy à leur verser la somme de 93 358 euros en réparation des préjudices consécutifs aux fautes commises à l'occasion de la prise en charge de M. C... E..., assortie des intérêts au taux légal, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy, outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Allier a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, dans la même instance, de condamner le centre hospitalier de Vichy à lui verser une indemnité de 2 459,81 euros correspondant aux débours exposés en faveur de son assuré, avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2017 et capitalisation des intérêts, une somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1601795 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, d'une part, a condamné le centre hospitalier de Vichy à verser aux consorts E... la somme de 9 938 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2016, à verser à la CPAM de l'Allier la somme de 2 459,81 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2017, eux-mêmes capitalisés, ainsi que la somme de 819,94 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, d'autre part, a mis à la charge du centre hospitalier de Vichy le versement aux consorts E... d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la CPAM de l'Allier une somme de 500 euros au même titres, et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 janvier 2019 et un mémoire enregistré le 15 mai 2020, Mme F... E... et Mme J... E..., représentées par Me K..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1601795 du 22 novembre 2018 en tant que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande indemnitaire ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Vichy à leur verser la somme de 53 658 euros en réparation des préjudices subis par M. C... E..., assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy, outre les entiers dépens, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- malgré la manifestation répétée par M. E... de ses douleurs au bras gauche auprès du centre hospitalier de Vichy dès son hospitalisation en raison d'une gonarthrose gauche le 26 novembre 2014 et au services des urgences de cet établissement de santé le 23 décembre 2014, l'intéressé n'a bénéficié d'une radiographie complète du bras gauche que le 4 mars 2015 ; il a ainsi subi un retard fautif de diagnostic du sarcome indifférencié primitif osseux de haut grade, lequel, s'il avait été diagnostiqué plus précocement, aurait nécessairement permis à M. E... d'éviter les souffrances endurées ; l'intégralité de la procédure préopératoire et le suivi postopératoire ont été réalisés sous l'égide du centre hospitalier de Vichy de sorte que la prise en charge de M. E... ne relevait pas du secteur privé et M. E... a indiqué au personnel du centre hospitalier qu'il ressentait des douleurs au niveau du bras lors de son hospitalisation en novembre 2014 ; les symptômes et doléances de M. E... étaient connues du centre hospitalier lors de sa consultation aux services des urgences le 23 décembre 2014 et lors de sa consultation avec le docteur B... le 14 janvier 2015 ; l'erreur de diagnostic a ainsi entraîné un retard dans sa prise en charge est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Vichy ;

- M. E... n'a pas été informé de sa tumeur maligne de l'humérus ni du type d'intervention réalisé avant l'enclouage de l'humérus gauche ; il n'a ainsi pas reçu une information suffisante lui permettant un consentement libre et éclairé sur l'intervention chirurgicale pratiquée, laquelle ne s'est pas déroulée dans le cadre d'un exercice libéral du docteur B... ; ce défaut d'information engage la responsabilité du centre hospitalier de Vichy ;

- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, le choix de l'enclouage centromédullaire avec alésage, non conforme aux règles de l'art, engage la responsabilité du centre hospitalier, alors que l'intervention à titre libéral du docteur B... n'est pas démontrée ;

- M. E... a subi une perte de chance totale d'avoir recours à une chirurgie de reconstruction et a dû faire face à un risque de récidive de l'ordre de 50 % ;

- les souffrances et préjudices subis par M. E... n'auraient pas été les mêmes s'il avait été pris en charge plus tôt et avait reçu un traitement adapté ;

- les préjudices patrimoniaux temporaires subis par M. E... s'élèvent à la somme de 900 euros au titre de l'assistance par une tierce personne à raison de deux heures par jour du 26 mars 2015 au 21 avril 2015 ;

- les préjudices extrapatrimoniaux temporaires subis par M. E... s'élèvent :

* à la somme de 958 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi ;

* à la somme de 800 euros au titre du préjudice esthétique temporaire subi, évalué à 2,5/7 par l'expert ;

* à la somme de 30 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées et au titre du préjudice moral résultant du défaut de préparation psychologique aux risques encourus ;

- les préjudices extrapatrimoniaux permanent subis par M. E..., dont l'état de santé était consolidé avant son décès s'agissant des dommages à l'origine d'une raideur à l'épaule et au coude et des dommages esthétiques, s'élèvent :

* à la somme de 18 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

* à la somme de 2 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* à la somme de 1 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, évalué à 0,5/7.

Par un mémoire enregistré le 11 mars 2019, la CPAM du Puy-de-Dôme et la CPAM de l'Allier, représentées par Me D..., concluent à la confirmation du n° 1601795 du 22 novembre 2018 en ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné le centre hospitalier de Vichy à verser à la CPAM de l'Allier une somme de 2 459,81 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2017, eux-mêmes capitalisés à la date du 10 janvier 2018, de condamner le centre hospitalier de Vichy à leur verser une somme de 820 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy une somme de 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Vichy, telle que décrite par les experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) d'Auvergne, devra être confirmée ;

- elles ont droit, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, au versement d'une somme de 2 459,81 euros au titre des dépenses de santé en relation avec les fautes commises par le centre hospitalier de Vichy ;

- elles ont droit au versement de la somme de 820 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2020, le centre hospitalier de Vichy, représenté par Me B..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 22 novembre 2018 en ce que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a reconnu l'existence d'une faute médicale imputable au centre hospitalier, au rejet des demandes indemnitaires présentées par les consorts E... et par la CPAM du Puy-de-Dôme et la CPAM de l'Allier, à titre subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires des consorts E... soit limitées à une somme totale de 8 758 euros et celles de la CPAM du Puy-de-Dôme et de la CPAM de l'Allier à une somme de 310,69 euros, et à que soient mis à la charge des consorts E... les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, M. E... a été pris en charge par le docteur B... entre le 26 novembre 2014 et le 26 mars 2015 dans le cadre de son activité libérale et non dans le cadre de son activité hospitalière ; aucun manquement n'est démontré dans la prise en charge de M. E... lors de son passage au service des urgences le 23 décembre 2014 ; ainsi, aucun retard de diagnostic du cancer de l'humérus n'est démontré à l'encontre de l'établissement de santé ;

- il appartenait au docteur B..., dans sa consultation à titre libéral, d'informer M. E... sur le diagnostic de sa pathologie et les options thérapeutiques qui s'offraient à lui alors que le patient n'était pas encore pris en charge dans le secteur public ; ainsi, le centre hospitalier n'a commis aucun défaut d'information ;

- aucun élément ne permet de démontrer que l'indication opératoire d'enclouage, décidée par le docteur B... dans le cadre de son activité libérale avant toute hospitalisation en secteur public, résulterait d'une décision collégiale avec le centre hospitalier ; le reproche, qui ne consiste pas en un manquement technique mais en une indication opératoire erronée, relève de la seule responsabilité du docteur B..., qui a agi à titre libéral ; ainsi, aucune faute médicale dans le choix de l'indication opératoire et la prise en charge thérapeutique n'est établie à l'encontre du centre hospitalier ;

- subsidiairement, les requérantes ne tiennent pas compte de l'imputabilité des préjudices ; il y a lieu de tenir compte du décès de M. E... dans l'évaluation des préjudices ;

- même si une autre indication opératoire avait été posée, une biopsie aurait été nécessaire et une hospitalisation aurait dû être réalisée de sorte que la CPAM n'est pas fondée à solliciter à être remboursée de la somme de 2 149,12 euros au titre de l'hospitalisation du 25 au 27 mars 2015 ;

- les traitements nécessaires à la prise en charge du cancer auraient également entraîné des besoins d'assistance par une tierce personne de sorte que la demande n'est pas fondée ; subsidiairement, le jugement sera confirmé en ce qu'il a limité l'indemnisation de ce chef de préjudice à une somme de 728 euros ;

- les premiers juges, qui ont alloué aux consorts E... une somme de 1 410 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, ont statué ultra petita de sorte que le jugement sera réformé et l'indemnisation réduite à la somme réclamée de 958 euros ;

- la somme de 7 000 euros au titre du préjudice d'impréparation et des souffrances endurées, retenue par le tribunal, sera confirmée ;

- le préjudice esthétique temporaire sera indemnisé à hauteur de 800 euros ;

- les préjudices permanents ne sont imputables qu'à l'évolution de la pathologie et à l'état antérieur.

Par ordonnance du 15 mai 2020 prise en application du second alinéa du II de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 modifiée, la clôture d'instruction a été fixée au 3 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., représentant Mme F... E... et Mme J... E..., et de Me I..., représentant le centre hospitalier de Vichy.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a fait état, de manière répétée depuis fin novembre 2014, de douleurs persistantes dans le bras gauche qui ont conduit à réaliser une radiographie le 3 mars 2015 puis, le 12 mars 2015, une scintigraphie osseuse au centre hospitalier de Vichy, laquelle a révélé l'existence d'un sarcome au niveau de l'humérus. A la suite de cet examen, M. E... a subi, le 26 mars 2015, dans ce même établissement, un enclouage de l'humérus avec alésage. M. E..., estimant que sa prise en charge au sein du centre hospitalier de Vichy révélait des erreurs de diagnostic et de choix thérapeutique ainsi qu'un défaut d'information présentant un caractère fautif, a recherché la responsabilité de cet établissement. Par un jugement du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, après avoir estimé que l'indication thérapeutique d'un enclouage était erronée, a condamné le centre hospitalier à verser à Mme G... A... épouse E..., Mme F... E... et Mme J... E..., ayants-droit de la victime décédée en cours d'instance, la somme de 9 938 euros portant intérêts à compter du 23 juin 2016, et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Allier la somme de 2 459,81 euros, portant intérêts à compter du 10 janvier 2017 et eux-mêmes capitalisés à compter du 10 janvier 2018. Mme F... E... et Mme J... E... demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Vichy conclut à l'annulation de ce même jugement et au rejet de la demande présentée par les consorts E... et la CPAM de l'Allier devant le tribunal administratif.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Vichy au titre de fautes médicales :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

En ce qui concerne le retard de diagnostic :

3. D'une part, les articles L. 6154-1 et suivants du code de la santé publique autorisent, sous les conditions qu'ils déterminent, les praticiens statutaires à temps plein à exercer dans les locaux de l'établissement public hospitalier auquel ils sont rattachés, une activité libérale au titre de laquelle ils perçoivent personnellement des honoraires soit directement de leurs patients, soit par l'intermédiaire de l'établissement. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui régissent cet exercice que les rapports qui s'établissent entre les malades admis à l'hôpital et les médecins, chirurgiens ou spécialistes à temps plein auxquels ils font appel relèvent du droit privé. L'hôpital où ils sont admis ne saurait, dès lors, être rendu responsable des dommages causés aux malades privés de ces praticiens lorsque ces dommages trouvent leur origine dans un agissement prétendument fautif imputé aux médecins, chirurgiens ou spécialistes auxquels ces malades se sont confiés. La responsabilité de l'hôpital ne peut, en cas de dommages survenus aux malades privés de ces praticiens, être engagée qu'au cas où il est établi que ces dommages ont pour cause un mauvais fonctionnement du service public, résultant soit d'une mauvaise installation des locaux, soit d'un matériel défectueux, soit d'une faute commise par un membre du personnel de l'hôpital mis à la disposition desdits médecins, chirurgiens et spécialistes.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 6154-7 du code de la santé publique : " Pour tout acte ou consultation, le patient qui choisit d'être traité au titre de l'activité libérale d'un praticien reçoit, au préalable, toutes indications quant aux règles qui lui seront applicables du fait de son choix. En cas d'hospitalisation, il formule expressément et par écrit son choix d'être traité au titre de l'activité libérale d'un praticien. Les dispositions de l'article R. 1112-23 sont applicables dans tous les établissements publics de santé ".

5. En premier lieu, les appelantes font valoir que M. E..., alors qu'il était hospitalisé au centre hospitalier de Vichy du 26 novembre 2014 au 8 décembre 2014 pour la pose d'une prothèse du genou, s'est plaint de douleurs au bras gauche et que le docteur B..., chirurgien orthopédique qui l'a pris en charge, n'a ordonné la réalisation que d'une radiographie de l'épaule gauche et du seul tiers supérieur de l'humérus, n'ayant pas permis de mettre en évidence l'existence de la tumeur qui se situait à l'union du tiers moyen et du tiers distal de l'humérus, et engendrant ainsi, selon elles, un retard dans le diagnostic du sarcome. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des mentions portées au dossier d'évaluation anesthésique préopératoire, de l'attestation du directeur du centre hospitalier de Vichy et des déclarations du praticien lors des opérations de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) d'Auvergne, que le docteur B..., employé par le centre hospitalier de Vichy en qualité de praticien hospitalier, y a exercé une activité à titre libéral du 1er janvier 2011 au 30 mai 2016, et que ce praticien suivait alors M. E... dans le cadre de son activité libérale, l'intéressé ayant, en application de l'article R. 6154-7 du code de la santé publique, expressément sollicité son admission en secteur libéral ainsi qu'il résulte de l'attestation complétée le 26 novembre 2014. Alors même que le formulaire de consentement signé par le patient et les comptes rendus médicaux se présentaient à l'en-tête du centre hospitalier de Vichy, il résulte de l'ensemble des éléments cités ci-dessus que M. E... était pris en charge pour sa gonarthrose dans le cadre de l'activité libérale du docteur B.... Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Vichy à raison d'un retard de diagnostic.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu établi par l'accueil des urgences du centre hospitalier de Vichy, que M. E..., admis dans ce service le 23 décembre 2014, a fait état de douleurs dans le bras gauche à la suite d'une torsion la veille de ce membre en conduisant son véhicule, mais n'a pas mentionné d'antécédents de sorte que l'examen clinique pratiqué a conclu à des douleurs de type musculaire et a prescrit une immobilisation du membre et la prise d'antalgiques. Au vu des indications alors données par M. E... et de l'examen qui a été pratiqué, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas de l'expertise, que le défaut de réalisation d'une radiographie du bras le 23 décembre 2014 aurait été constitutive d'un retard de diagnostic de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Vichy.

En ce qui concerne le choix thérapeutique :

7. Une erreur commise dans l'indication thérapeutique d'une opération chirurgicale réalisée dans le cadre du service public hospitalier est susceptible d'engager la responsabilité pour faute de l'établissement de santé, alors même que le praticien a, avant l'intervention, reçu le patient en consultation préopératoire dans le cadre de son activité libérale. Par suite, alors qu'il n'est pas contesté que la réalisation d'un enclouage de l'humérus avec alésage réalisée le 26 mars 2015 l'a été dans le cadre du service public hospitalier et que l'indication d'une intervention chirurgicale constitue un acte devant être regardé comme accompli dans le même cadre que l'opération à laquelle elle se rapporte, le centre hospitalier de Vichy n'est pas fondé à soutenir que sa responsabilité ne saurait être engagée au motif que l'indication de cette intervention avait été posée par le docteur B... lors d'une consultation dans le cadre de son activité libérale.

8. Après que la réalisation d'une radiographie du bras gauche puis une scintigraphie osseuse eurent mis en évidence l'existence d'une lésion, M. E... a subi au centre hospitalier de Vichy, le 26 mars 2015, un geste d'enclouage avec alésage en vue de recueillir du tissu fémoral aux fins d'analyse. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par la CRCI d'Auvergne, que ce geste opératoire d'alésage de l'humérus, qui a eu pour effet d'entraîner la dispersion des cellules cancéreuses jusqu'alors très localisées, est contraire aux règles de l'art, la littérature médicale recommandant la réalisation d'une biopsie osseuse dont la réalisation n'entraîne qu'un risque minimal d'essaimage des cellules cancéreuses. Selon les experts, l'alésage de l'humérus a eu pour conséquence directe d'empêcher toute chirurgie d'exérèse de la tumeur osseuse et de reconstruction et a nécessité le recours à la radiothérapie, rendu nécessaire par la contamination des tissus mous autour de l'humérus lors de l'alésage. Il résulte également de l'instruction, en particulier de cette expertise, que, si, selon les règles de l'art, une biopsie avait été réalisée suivie d'une chimiothérapie et d'un geste chirurgical d'exérèse, le recours à la radiothérapie aurait néanmoins été nécessaire, en cas de résection incomplète sans possibilité de réintervention, évaluée à 30 %, mais de manière moins étendue, en épargnant en particulier l'articulation de l'épaule, source du handicap de M. E... lié à la radiothérapie. Dans ces conditions, la faute commise par le médecin dans l'indication thérapeutique, qui engage la responsabilité du centre hospitalier de Vichy, doit être regardée comme étant à l'origine directe des dommages que M. E... a subis en lien avec la radiothérapie de l'épaule.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Vichy au titre d'un manquement à l'obligation d'information :

9. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. (...) ".

10. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

11. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Vichy, des omissions dans l'information du patient sur les actes effectués lors d'une opération chirurgicale réalisée dans le cadre du service public hospitalier sont des actes accomplis à l'occasion d'un service public, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, alors même que cette information a été délivrée à l'occasion d'une consultation préopératoire dans le cadre de l'activité libérale du praticien hospitalier.

12. Les consorts E... demandent réparation du préjudice moral d'impréparation du fait de l'absence d'information reçue par M. E... sur la nature cancéreuse de la pathologie dont il souffrait ainsi que sur le geste d'alésage qui devait être pratiqué. La seule production d'un formulaire général non daté, intitulé " consentement éclairé mutuel ", qui ne précise pas la nature de l'opération devant être pratiquée, ne permet pas d'établir que M. E... a bénéficié de l'information prévue aux dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. En se bornant à soutenir que l'information devait être fournie par le docteur B... dans le cadre de son exercice libéral, le centre hospitalier de Vichy ne rapporte par la preuve, qui lui incombe, de cette information. Dès lors, les ayants-droit de M. E... sont en droit d'obtenir réparation des troubles subis par celui-ci du fait qu'il n'a pas pu se préparer psychologiquement aux risques liés à l'alésage et qui se sont produits. Le préjudice moral d'impréparation subi par M. E... sera justement évalué en allouant aux requérantes une indemnité de 1 000 euros.

Sur l'évaluation des préjudices des consorts E... en lien avec l'indication thérapeutique erronée :

13. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, qu'à compter du 27 mai 2015, l'évolution de l'état de santé de M. E... est imputable à la seule tumeur dont il était affecté et que son état, au regard de l'intervention d'enclouage par alésage du 26 mars 2015, qui a, selon les experts, engendré un degré d'incapacité permanente, doit être regardé comme consolidé au plus tard à la date à laquelle ont été réalisées les opérations de l'expertise, soit le 11 mars 2016.

En ce qui concerne les préjudices temporaires :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que l'état de santé de M. E..., en lien avec le geste opératoire d'alésage de l'humérus, a justifié l'aide d'une tierce personne à raison de deux heures par jour entre le 26 mars 2015 et le 21 avril 2015, pour l'aider à la toilette, à l'habillage et aux tâches ménagères. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 8, en l'absence d'indication thérapeutique erronée, M. E... aurait dû subir, selon les règles de l'art, un acte chirurgical d'exérèse de la tumeur suivi d'un traitement par chimiothérapie, dont il n'est pas établi qu'il n'aurait également pas requis l'aide d'une tierce personne dans les mêmes proportions. Par suite, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier de Vichy, il n'y a pas lieu d'accorder une indemnité aux requérantes à ce titre.

15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que M. E... a, du fait de l'intervention d'enclouage de l'humérus, subi un déficit fonctionnel total du 26 au 27 mars 2015, puis un déficit fonctionnel temporaire évalué à 50 % du 28 mars au 21 avril 2015 et, enfin, à 25 % du 22 avril au 26 mai 2015 et que, à compter du 27 mai 2015, l'évolution de l'état de santé de M. E... est imputable à la seule tumeur. Il y a lieu de ramener le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Vichy aux consorts E... à ce titre, fixée à 1 410 euros par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, lequel n'avait pas statué au-delà des conclusions dont il était saisi dès lors que le montant total de la somme allouée aux requérants n'excédait pas celui de la demande, à une somme de 300 euros.

16. En troisième lieu, M. E... a éprouvé, du fait de l'alésage de l'humérus des souffrances physiques et psychiques dont l'intensité a été évaluée par l'expert à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 3 700 euros.

17. En quatrième lieu, le préjudice esthétique temporaire de M. E..., qui a été estimé par les experts à 2,5 sur une échelle de 7, en raison de la présence de la cicatrice d'enclouage, peut être évalué compte tenu du taux de perte de chance, à la somme de 3 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices permanents :

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que, du fait de la radiothérapie de l'épaule rendue nécessaire à la suite de l'enclouage, M. E... a subi un déficit fonctionnel permanent, lié à une limitation des mouvements de l'articulation de l'épaule, évalué à 15 %. Compte tenu de l'âge de M. E..., né le 16 août 1945, à la date de consolidation de son état ainsi qu'énoncée au point 13, le préjudice subi à ce titre peut être évalué à la somme de 17 000 euros.

19. En deuxième lieu, le préjudice esthétique permanent, qui a été estimé par les experts à 0,5 sur une échelle de 7, peut être évalué à la somme de 500 euros.

20. En troisième lieu, le préjudice d'agrément subi par M. E..., qui a dû abandonner le jardinage alors qu'il aurait pu, selon le rapport d'expertise, poursuivre en partie la pratique de cette activité si une reconstruction de l'humérus avait été possible, peut être évalué à la somme de 2 000 euros.

Sur les droits de la CPAM de l'Allier, représentée par la CPAM du Puy-de-Dôme :

21. Il résulte de l'instruction, notamment du relevé de débours produit par la CPAM de l'Allier, que cette caisse a exposé des frais d'hospitalisation, de soins médicaux et pharmaceutiques, et de frais infirmiers, en lien direct avec l'intervention du 26 mars 2015, pour un montant de 2 459,81 euros. Toutefois, si l'indication d'un enclouage par alésage de l'humérus était erronée, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 8 et comme le fait valoir le centre hospitalier de Vichy, que les règles de l'art justifiaient une hospitalisation de M. E... pour la réalisation d'une biopsie osseuse et d'un acte chirurgical d'exérèse de la tumeur. La CPAM du Puy-de-Dôme ne soutient pas, ni même n'allègue, que ces interventions auraient engendré des débours inférieurs à ceux qu'elle a exposés en lien avec l'intervention d'enclouage. Par suite, le centre hospitalier de Vichy est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fait droit aux conclusions de la CPAM du Puy-de-Dôme tendant à ce qu'il soit condamné à lui rembourser la somme de 2 459,81 euros et à ce qu'il soit fait application du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

22. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E... sont seulement fondés à demander que l'indemnité de 9 938 euros au versement de laquelle le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné le centre hospitalier de Vichy en réparation des préjudices que M. E... a subis soit portée à la somme de 27 500 euros. Le centre hospitalier de Vichy est seulement fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que les conclusions de la CPAM du Puy-de-Dôme tendant à sa condamnation à lui rembourser les dépenses exposées pour son assuré et au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion doivent être rejetées.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

23. Les ayants-droit de M. E... ont droit aux intérêts des sommes qui leur sont dues à compter de la réception par le centre hospitalier de Vichy de la demande préalable de l'intéressé, le 23 juin 2016.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy une somme de 1 500 euros à verser aux consorts E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

25. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier de Vichy doivent, dès lors, être rejetées.

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce même titre par la CPAM du Puy-de-Dôme et la CPAM de l'Allier soit mise à la charge du centre hospitalier de Vichy, qui n'est pas la partie perdante à l'égard de la caisse.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 9 938 euros que le centre hospitalier de Vichy a été condamné à verser aux consorts E... par le jugement n° 1601795 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 22 novembre 2018 est portée à 27 500 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 23 juin 2016.

Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement n° 1601795 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 22 novembre 2018 sont annulés.

Article 3 : Le jugement n° 1601795 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 22 novembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Vichy versera à Mme F... E... et Mme J... E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., à Mme J... E..., au centre hospitalier de Vichy, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 septembre 2020.

2

N° 19LY00419


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00419
Date de la décision : 24/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Choix thérapeutique.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : TEILLOT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-24;19ly00419 ?
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