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24/09/2020 | FRANCE | N°18LY01683

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 24 septembre 2020, 18LY01683


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... F..., M. O... H..., M. C... U..., Mme X... N..., M. J... D..., M. W... Q... et M. P... R... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite par laquelle le syndicat intercommunal de gestion des énergies de la région lyonnaise (SIGERLY), l'Etat et la société Engie Cofely ont rejeté leurs demandes préalables et de condamner in solidum le SIGERLY, l'Etat et la société Engie Cofely à leur verser la somme totale de 368 000 euros en réparation des dommages de tous ordres

imputables à la réalisation et à l'implantation d'une chaufferie biomasse ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... F..., M. O... H..., M. C... U..., Mme X... N..., M. J... D..., M. W... Q... et M. P... R... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite par laquelle le syndicat intercommunal de gestion des énergies de la région lyonnaise (SIGERLY), l'Etat et la société Engie Cofely ont rejeté leurs demandes préalables et de condamner in solidum le SIGERLY, l'Etat et la société Engie Cofely à leur verser la somme totale de 368 000 euros en réparation des dommages de tous ordres imputables à la réalisation et à l'implantation d'une chaufferie biomasse à proximité de leurs propriétés sises sur le territoire de la commune de Sathonay-Camp et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1601332 du 6 mars 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions d'appel en garantie de la société Engie Cofely contre la société Nouvelle Jean Nallet (SNJN) comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, a condamné in solidum le SIGERLY et la société Engie Cofely à verser à M. F... la somme de 90 000 euros, à M. H... la somme totale de 50 200 euros, à M. U... la somme de 49 000 euros, à Mme N... la somme de 38 000 euros, à M. D... la somme totale de 12 040 euros et à M. R... la somme de 1 200 euros, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 et de la capitalisation des intérêts, a condamné le SIGERLY à garantir entièrement la société Engie Cofely des condamnations prononcées à son encontre au titre de la perte de valeur vénale des propriétés de MM. F..., H..., U..., D... et Mme N..., a mis les frais et honoraires d'expertise à la charge définitive du SIGERLY et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 6 mai 2018 sous le n° 18LY01683, et un mémoire complémentaire enregistré le 27 janvier 2020, la société Engie énergie services, représentée par Me Vieuille, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 6 mars 2018 en tant que le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée in solidum avec le SIGERLY au titre des dommages accidentels causés par les travaux de réalisation de la chaufferie subis par MM. R..., D... et H..., en tant qu'il l'a condamnée in solidum avec le SIGERLY au titre des dommages permanents de travaux publics subis par MM. F..., H..., U... et D... et Mme N... et en tant qu'il a rejeté comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître l'appel en garantie formé contre la société SNJN ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. L... F..., M. O... H..., M. C... U..., Mme X... N..., M. J... D..., M. W... Q... et M. P... R... devant le tribunal administratif de Lyon ;

3°) de condamner le SIGERLY à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au titre des dommages permanents de travaux publics ;

4°) de condamner la société SNJN à la garantir de toute condamnation qui serait maintenue à son égard au profit de MM. R..., D... et H... ;

5°) de mettre à la charge solidaire des défendeurs la somme de 3 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas statué sur les moyens en défense soulevés quant au montant de la réclamation des requérants, se bornant à se référer à l'avis du sapiteur intervenu pour l'évaluation de la valeur des propriétés ;

- les travaux de terrassement et de compactage réalisés par la société SNJN ont été menés du 17 août au 16 septembre 2011 avant la délivrance du permis de construire et un quelconque ordre de service de travaux ; ces travaux ont donc été réalisés soit à la demande du SIGERLY soit directement par anticipation de la société SNJN sans accord ni demande de sa part ; ce n'est que le 20 février 2012 qu'elle a notifié l'ordre de service n°1 à la société SNJN ; par suite, ces travaux n'ont pas été réalisés dans le cadre du contrat de sous-traitance ; les dommages occasionnés par ces travaux ne peuvent être imputés à la relation contractuelle de droit privé existant entre Engie Cofely et la société SNJN mais résultent de la demande d'un tiers ; les travaux publics réalisés par la société SNJN l'ont été pour le compte ou à tout le moins dans l'intérêt direct du SIGERLY ; la solidarité avec le SIGERLY sera écartée dès lors que les préjudices découlant de dommages accidentels ne peuvent la concerner ; la demande tendant à sa condamnation et découlant des travaux à l'origine des vibrations doit être rejetée ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée pour des dommages causés aux tiers par une entreprise qui a agi en dehors de tout lien contractuel ; la victime peut soit agir contre l'entrepreneur, soit contre le maître de l'ouvrage, soit contre les deux solidairement sur le fondement de la responsabilité sans faute ou pour faute présumée ; ces principes s'appliquent aux sous-traitants qui ont exécuté les travaux mais également à l'entrepreneur titulaire du marché pour autant que celui-ci a effectivement participé à un fait dommageable qui lui soit imputable ; or, les travaux litigieux n'ont pas été réalisés à l'initiative de l'appelante, ces travaux n'ont pas été réalisés dans le cadre du contrat unissant l'entreprise principale à l'entreprise sous-traitante, la société SNJN s'est manifestée auprès de l'expert mandaté comme étant à l'origine des désordres sans qu'elle soit invitée à participer aux opérations d'expertise amiable ; la société SNJN n'a pas agi en tant que sous-traitant mais en tant que tiers à son égard ; le tribunal a, à tort, assimilé l'existence d'une relation contractuelle à la participation à d'éventuels dommages alors qu'il est établi que ceux-ci sont survenus à la suite de l'intervention de SNJN en tant que tiers ;

- subsidiairement, il convient de ramener à néant le montant de la réclamation des requérants ; s'agissant des immeubles appartenant à MM. H..., R... et D..., le lien de causalité entre les désordres et les travaux n'est pas établi ;

- s'agissant des dommages permanents de travaux publics, Engie Cofely n'a pas exercé de droit de construire n'étant que l'entreprise en charge de la réalisation des travaux de construction et de l'exploitation de la centrale ; les demandes découlant des préjudices imputables au fonctionnement de la centrale ne peuvent être dirigées que contre le SIGERLY ; les dommages invoqués ne présentent pas un caractère d'anormalité ; le quartier dans lequel demeurent les requérants a fait l'objet d'une rénovation majeure à la suite de l'implantation en 2012 de la gendarmerie ; les parcelles sont classées en zone UI1 du plan local d'urbanisme destinée à accueillir les installations nécessaires à l'activité économique, les équipements publics et d'intérêt collectif ; le voisinage d'une chaufferie est parfaitement prévisible ; les sujétions imposées s'intègrent dans un environnement global ayant pleinement bénéficié aux requérants mais aucun élément ne permet de démontrer des troubles ;

- s'agissant de l'évaluation des préjudices, la valeur vénale des biens a été déterminée par comparaison mais aucune valeur de comparaison n'a été fournie dans l'expertise ; le quartier a fait l'objet d'une rénovation majeure et cette rénovation n'a pas été prise en compte dans l'évaluation comme n'a pas été prise en compte la circonstance que le voisinage de la chaufferie était prévisible ; s'agissant du bien de M. H..., la nécessité de créer un passage n'est pas établie et la présence de la chaufferie ne modifie pas la contenance de la parcelle et la possibilité d'ajouter ou de supprimer un atelier ; s'agissant du bien de M. D..., bien que sa parcelle soit mitoyenne de celle de MM. R..., Q... et U..., les valeurs au mètre carré diffèrent sensiblement sans aucune justification ; le classement de la parcelle d'édification de l'ouvrage ne pouvait permettre que d'accueillir ce type de projet ; s'agissant du bien de MM. U..., F... et Mme N..., aucun élément ne vient étayer ou expliquer la perte de valeur vénale ;

- la garantie du SIGERLY à son égard sera confirmée dès lors que le SIGERLY a choisi l'emplacement de la chaufferie ;

- sur l'appel en garantie de la société SNJN : ce n'est pas dans le cadre d'une relation contractuelle de sous-traitance que la société SNJN a réalisé les travaux, peu important que les travaux ont été nécessaires à la réalisation du contrat car ils ne l'ont pas été dans le cadre de la relation contractuelle entre les parties ; la juridiction administrative est compétente pour connaître de cet appel en garantie.

Par un mémoire enregistré le 7 septembre 2018, la SAS Jean Nallet constructions (SNJN), représentée par Me Fialaire, conclut à la confirmation du jugement en tant qu'il a rejeté l'appel en garantie formé par la société Engie Energie Services comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et toutes les demandes formulées par la société Engie Energie services à son encontre, à l'infirmation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Engie Energie Services au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle n'est mise en cause dans cette affaire qu'en ce qui concerne d'éventuels désordres causés par les travaux de compactage ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour se prononcer sur l'appel en garantie de la société Engie Energie Service à son encontre dès lors que l'appel en garantie résulte de leur relation contractuelle ; le contrat de sous-traitance entre elle et la société Engie Energie Service a été signé le 2 août 2011 ; en raison d'un changement de terrain pour la construction de la chaufferie, des travaux supplémentaires ont été rendus nécessaires, notamment des travaux de terrassement avant construction ; elle a confié ses travaux de terrassement à la société CARI qui a effectué les travaux avant construction entre août et septembre 2011 ; l'avenant n°1 au contrat de sous-traitance du 26 mars 2012 constitue une régularisation des travaux effectués et rendus nécessaires par le changement de terrain ; par suite, les travaux de terrassement ont été réalisés dans un cadre contractuel de droit privé de sorte que le juge administratif est incompétent pour en connaître ; par une décision du 16 novembre 2015 (n° 4029), le Tribunal des conflits a estimé que l'ordre judiciaire était seul compétent pour connaître de l'action en garantie d'une entreprise contre ses sous-traitants dans le cadre du contentieux l'opposant aux maîtres d'ouvrages publics ;

Par des mémoires, enregistrés le 15 juillet 2019, le 8 janvier et le 18 février 2020, MM. F..., D..., H..., U... et Mme N..., représentés par Me Bracq, concluent, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 6 mars 2018 en tant que le tribunal administratif de Lyon a limité à la somme totale de 239 240 euros, exclusion faite de M. R..., le montant de la condamnation mise à la charge solidaire du SIGERLY et de la société Engie Cofely en réparation des préjudices subis, à la condamnation in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energie Service au versement de la somme totale de 297 650 euros, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts et à ce que la somme de 2 000 euros chacun soit mise à la charge du SIGERLY et de la société Engie Energie Service au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- sur la régularité du jugement : le tribunal administratif a entendu se fonder sur le rapport du sapiteur qui apporte toutes les justifications quant aux modalités de calcul de la perte de valeur vénale des biens ;

- l'appel incident n'est pas irrecevable dès lors qu'il est dirigé contre le même jugement que l'appel principal ; il ne soumet pas au juge un litige différent de celui engagé par l'appel principal ;

- en qualité de tiers par rapport aux travaux litigieux, M. F... et autres sont extérieurs à tout lien contractuel avec la société Engie Energie Service ou ses sous-traitants ; le tiers qui estime être victime d'un dommage de travaux publics a seulement à démontrer le caractère anormal et spécial des dommages et le lien de causalité avec les travaux ; un ordre de service a été émis pour la réalisation des travaux à titre de régularisation ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaitre de l'appel en garantie formé par la société Engie Energie Service à l'encontre de son sous-traitant ;

- le rapport d'expertise démontre que les dommages subis sont en lien avec les travaux de réalisation de la chaufferie ;

- s'agissant des dommages permanents de travaux publics, initialement un emplacement réservé relatif à un équipement sportif était prévu dans le plan local d'urbanisme ; les intéressés ont acquis leurs biens plusieurs années avant la modification de la destination de cet emplacement réservé ; aucune prévisibilité n'était donc possible ; le tribunal administratif, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel, a annulé le permis de construire autorisant la construction de la chaufferie ; ils renvoient aux nombreux éléments du dossier qui attestent du caractère anormal et spécial des dommage subis ; il n'est pas établi que la réalisation de la chaufferie aurait apporté une plus-value significative aux biens des demandeurs ;

- s'agissant des préjudices en lien avec les désordres affectant les propriétés, les désordres affectant la propriété de M. H... doivent être évalués à la somme de 1 400 euros ; les désordres affectant la propriété de M. D... doivent être évalués à la somme de 2 700 euros ; les désordres affectant la propriété de M. U... seront évalués à la somme de 3 000 euros ; les désordres affectant la propriété de Mme N... seront évalués à la somme de 350 euros ; les désordres affectant la propriété de M. F... seront évalués à la somme de 650 euros ;

- s'agissant des préjudices de toute nature durant les travaux de réalisation de la chaufferie, ces travaux ont causé des troubles et des préjudices ; les travaux de terrassement et de compactage de la chaufferie ont duré un mois ; les travaux de construction et de réalisation de la chaufferie ont duré une année ; les troubles résultent également de la circulation quotidienne des camions entraînant du bruit et de la poussière ; il conviendra d'indemniser chacun à hauteur de 2 000 euros ;

- s'agissant des préjudices existant depuis la mise en service de la chaufferie, celle-ci génère un passage quotidien de camions avec des temps de déchargement bruyants, un bruit permanent qui dépasse les maximas autorisés par la réglementation notamment en période nocturne et de la fumée ; elle présente une certaine dangerosité et est la cause d'un préjudice visuel ; il conviendra d'indemniser les préjudices subis de ce chef à hauteur de 5 000 euros par exposant, exception faite de M. H... qui exerce le métier de musicien et dont le préjudice sera évalué à 10 000 euros ; l'expert a procédé à une recherche sur les dernières ventes intervenues dans le secteur et des secteurs comparables afin d'estimer la perte de valeur des biens ; aucune plus-value ne résulte du projet en l'absence de création d'écoles, de services publics ou de nouveaux moyens de transport ;

- s'agissant de la perte de valeur vénale et du trouble de jouissance du fait de l'existence et du fonctionnement de la chaufferie, M. D... peut prétendre à une somme supérieure à celle déterminée par le tribunal administratif dès lors que les surfaces retenues par l'expert sont inférieures aux surfaces réelles du bien, la chaufferie est visible depuis l'escalier, le bureau du premier étage et la véranda ;

- s'agissant du lien de causalité, ils s'en rapportent à leurs écritures de première instance ;

Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2019, le syndicat intercommunal de gestion des énergies de la région lyonnaise (SIGERLY), représenté par Me M..., conclut au rejet des conclusions de la société Engie Energie Service tendant à ce que les éventuelles sommes prononcées à son encontre soient garanties par le SIGERLY et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge des demandeurs initiaux sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en cas de dommages de travaux publics, le concessionnaire se trouve substitué à l'autorité délégante vis-à-vis des tiers et devient seul responsable des dommages à leur égard ; la société Engie Energie Service s'est vu confier la réalisation et l'exploitation de la chaufferie en juin 2010 ; cette société est donc substituée au SIGERLY et est juridiquement seule responsable des dommages causés au tiers, qu'ils soient survenus à l'occasion du chantier ou qu'ils résultent de l'existence et du fonctionnement de l'ouvrage ; la société Engie Energie Service ne soutient pas être insolvable ; par suite, elle n'a pas à être condamnée à garantir la société Engie Energie Services.

II - Par une requête enregistrée le 4 mai 2018 sous le n° 18LY01689, et un mémoire complémentaire, enregistré le 10 décembre 2019, le syndicat intercommunal de gestion des énergies de la région lyonnaise (SIGERLY), représenté par Me M..., demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3, 4 et 5 du jugement du 6 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. L... F..., M. O... H..., M. C... U..., Mme X... N..., M. J... D..., M. W... Q... et M. P... R... devant le tribunal administratif de Lyon ;

3°) de confirmer les autres dispositions du jugement du 6 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

4°) de rejeter les conclusions de la société Engie Energie Service tendant à ce qu'elle la garantisse des éventuelles condamnations prononcées à son encontre ;

5°) de mettre à la charge solidaire des requérants la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sur la régularité du jugement : le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que les préjudices allégués n'ont pas été correctement évalués et de ce que le rapport d'expertise concernant l'évaluation de la perte de valeur vénale des biens est insuffisamment motivé ; la seule mention dans le jugement que le sapiteur est spécialisé en évaluation immobilière ne saurait être qualifiée de réponse au moyen ; le jugement est insuffisamment motivé dès lors que les premiers jugent n'exposent pas les motifs les ayant conduit à retenir le montant des indemnités mis à sa charge et ce alors qu'il contestait les insuffisances et les incohérences du rapport d'expertise ; en s'abstenant de rechercher si la présence et le fonctionnement de l'ouvrage public litigieux a causé des sujétions qui excéderaient celles résultant habituellement d'une chaufferie de ce type et si ce dommage était prévisible, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ; le tribunal administratif n'expose pas en quoi la construction d'une gendarmerie et la reconfiguration du quartier auraient été insusceptibles de revaloriser les propriétés des requérants ; en s'abstenant de préciser les motifs fondant sa solution quant à l'existence d'un préjudice relatif à la perte de valeur vénale même en l'absence de mise en vente des biens, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ;

- les conclusions présentées à titre incident sont irrecevables dès lors qu'elles sont insuffisamment motivées et constituent la reprise intégrale des écritures de première instance ; elles sont également entachées d'une irrecevabilité partielle dès lors que, s'agissant des dommages temporaires de travaux publics, il n'a formé appel que sur la question de l'existence ou non d'un lien de causalité direct et certain entre les travaux et les préjudices subis par MM. H..., D... et R... alors que les conclusions d'appel incident concernent également MM. F... et U... et Mme N... ; les demandes concernant les préjudices de toute nature prétendument subis durant les travaux et depuis la mise en service de la chaufferie, présentées après l'expiration du délai d'appel, portent sur des chefs de préjudice distincts de ceux au regard desquels il conteste le jugement et, par suite, constituent un litige distinct ;

- s'agissant du caractère anormal et spécial des dommages allégués, l'appréciation du caractère excessif ou non des sujétions imposées par la présence de l'ouvrage s'effectue par référence au type d'ouvrage public en cause ; aucune pièce n'est de nature à attester que la présence de la chaufferie litigieuse entraînerait des sujétions supérieures à celles pouvant résulter d'un ouvrage de ce type ;

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que la propriété des requérants ne peut avoir subi une perte de valeur vénale du fait des nuisances visuelles causées par l'ouvrage ainsi que par le passage des camions alors même que ces nuisances ont été jugées par ailleurs comme étant insusceptibles de leur causer le moindre trouble de jouissance ;

- sur l'appréciation du lien de causalité et du caractère certain des préjudices allégués, en ce qui concerne les dommages survenus à l'occasion des travaux, il ne ressort pas du rapport d'expertise ou de l'examen des désordres que ceux-ci présenteraient un lien de causalité avec les travaux ; en ce qui concerne les dommages permanents, il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants auraient projeté de vendre leurs propriétés et la dépréciation de ces propriétés ne peut qu'être temporaire compte tenu de la restructuration et de la modernisation du quartier ;

- s'agissant de l'évaluation des préjudices : sur les dommages liés aux travaux, le montant des sommes qu'il a été condamné à verser aux propriétaires ne sont pas justifiés ; sur les dommages permanents, la méthodologie retenue par l'expert est contestable et les carences de l'expertise ont directement affecté la teneur des conclusions rendues et par suite, le tribunal administratif ne pouvait se fonder sur le rapport d'expertise pour évaluer les préjudices subis ; la vigueur du marché immobilier dans le secteur depuis la restructuration du quartier est établie ;

- s'agissant de l'appel en garantie, la société Engie Energie s'est vu confier la construction et l'exploitation de l'ouvrage, nonobstant la circonstance qu'elle a sous-traité les travaux à la société SNJN ; cette circonstance ne saurait avoir privé d'effet le lien contractuel l'unissant à Engie Energie Service ;

Par des mémoires, enregistrés le 15 juillet 2019 et le 8 janvier et 14 février 2020, MM. F..., D..., H..., U... et Mme N..., représentés par Me Bracq, concluent, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du 6 mars 2018 en tant que le tribunal administratif de Lyon a limité à la somme totale de 239 240 euros, exclusion faite de M. R..., le montant de la condamnation mise à la charge solidaire du SIGERLY et de la société Engie Cofely en réparation des préjudices subis, à la condamnation in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energie Service au versement de la somme totale de 297 650 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts et à ce que la somme de 2 000 euros chacun soit mise à la charge du SIGERLY et de la société Engie Energie Service au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- sur la régularité du jugement : le tribunal administratif a entendu se fonder sur le rapport du sapiteur qui apporte toutes les justifications quant aux modalités de calcul de la perte de valeur vénale des biens ;

- l'appel incident n'est pas irrecevable dès lors qu'il est dirigé contre le même jugement que l'appel principal ; il ne soumet pas au juge un litige différent de celui engagé par l'appel principal ;

- en qualité de tiers par rapport aux travaux litigieux, M. F... et autres sont extérieurs à tout lien contractuel avec la société Engie Energie Service ou ses sous-traitants ; le tiers qui estime être victime d'un dommage de travaux publics a seulement à démontrer le caractère anormal et spécial des dommages et le lien de causalité avec les travaux ; un ordre de service a été émis pour la réalisation des travaux même à titre de régularisation ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaitre de l'appel en garantie formé par la société Engie Energie Service à l'encontre de son sous-traitant ;

- le rapport d'expertise démontre que les dommages subis sont en lien avec les travaux de réalisation de la chaufferie ; le sapiteur a précisé sa méthode d'évaluation des biens ;

- s'agissant des dommages permanents de travaux publics, initialement un emplacement réservé relatif à un équipement sportif était prévu dans le plan local d'urbanisme ; les intéressés ont acquis leurs biens plusieurs années avant la modification de la destination de cet emplacement réservé ; aucune prévisibilité n'était donc possible ; ils renvoient aux nombreux éléments du dossier qui attestent du caractère anormal et spécial des dommage subis ; il n'est pas établi que la réalisation de la chaufferie aurait apporté une plus-value significative aux biens des demandeurs ;

- s'agissant des préjudices, désordres affectant la propriété de M. H... doivent être évalués à la somme de 1 400 euros ; les désordres affectant la propriété de M. D... doivent être évalués à la somme de 2 700 euros ; les désordres affectant la propriété de M. U... seront évalués à la somme de 3 000 euros ; les désordres affectant la propriété de Mme N... seront évalués à la somme de 350 euros ; les désordres affectant la propriété de M. F... seront évalués à la somme de 650 euros ;

- s'agissant des préjudices de toute nature durant les travaux de réalisation de la chaufferie, ces travaux ont causé des troubles et des préjudices ; les travaux de terrassement et de compactage de la chaufferie ont duré un mois ; les travaux de construction et de réalisation de la chaufferie ont duré une année ; les troubles résultent également de la circulation quotidienne des camions entraînant du bruit et de la poussière ; il conviendra d'indemniser chacun à hauteur de 2 000 euros ;

- s'agissant des préjudices existant depuis la mise en service de la chaufferie, celle-ci génère un passage quotidien de camions avec des temps de déchargement bruyants, un bruit permanent qui dépasse les maximas autorisés par la réglementation notamment en période nocturne et de la fumée ; elle présente une certaine dangerosité et est la cause d'un préjudice visuel ; il conviendra d'indemniser les préjudices subis de ce chef à hauteur de 5 000 euros par exposant, exception faite de M. H... qui exerce le métier de musicien et dont le préjudice sera évalué à 10 000 euros ;

- s'agissant de la perte de valeur vénale et du trouble de jouissance du fait de l'existence et du fonctionnement de la chaufferie, M. D... peut prétendre à une somme supérieure à celle déterminée par le tribunal dès lors les surfaces retenues par l'expert sont inférieures aux surfaces réelles du bien, la chaufferie est visible depuis l'escalier, le bureau du premier étage et la véranda ;

- s'agissant du lien de causalité, ils s'en rapportent à leurs écritures de première instance.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- l'arrêté du 23 janvier 1997 relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées pour la protection de l'environnement ;

-le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caraës,

- les conclusions de A... Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de MeVieuille, représentant Engie Energie Services, Me Frigière, représentant le SIGERLY, Me Fialaire, représentant la société Nouvelle Jean Nallet, Me Bracq, représentant M. F... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. En 2010, le syndicat intercommunal de gestion des énergies de la région lyonnaise (SIGERLY) a conclu avec la société GDF Suez Energie Services, devenue Engie Energie Services ayant pour enseigne " Engie Cofely ", un marché portant sur la réalisation et l'exploitation d'une chaufferie biomasse et gaz sur une parcelle située 26 boulevard de l'Ouest à Sathonay-Camp (département du Rhône). Cette chaufferie a pour fonction de produire de l'eau chaude sanitaire et de l'eau chaude de chauffage afin d'alimenter les logements du pôle régional de gendarmerie, soit 500 logements, situés à proximité, et certains bâtiments communaux. Par un contrat du 2 août 2011, la société Engie Energie Services a sous-traité les travaux de construction de la chaufferie à la société Jean Nallet Construction, devenue la société Nouvelle Jean Nallet, qui a elle-même sous-traité, par contrat du 18 juillet 2011, les travaux de terrassement et compactage à la société Cari. Estimant subir des préjudices du fait des travaux entrepris ainsi que de l'existence et du fonctionnement de la chaufferie, les propriétaires des maisons situées à proximité du chantier de la chaufferie, M. L... F..., M. O... H..., M. C... U..., Mme X... N..., M. J... D..., M. W... Q... et M. P... R..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon la désignation d'un expert. Par une ordonnance du 2 mai 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné M. I..., architecte, en qualité d'expert. Celui-ci a demandé l'avis technique de M. K..., expert en évaluations immobilières, et de M. B..., spécialisé en mécanique des sols. Le rapport d'expertise a été déposé le 19 novembre 2014. Les intéressés ont formé des demandes indemnitaires devant le tribunal administratif de Lyon. Par une requête n° 18LY01683, la société Engie Energie Services relève appel du jugement 6 mars 2018 en tant que le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions d'appel en garantie contre la société Nouvelle Jean Nallet comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, l'a condamnée in solidum avec le SIGERLY à verser à M. F... la somme de 90 000 euros, à M. H... la somme totale de 50 200 euros, à M. U... la somme de 49 000 euros, à Mme N... la somme de 38 000 euros, à M. D... la somme totale de 12 040 euros et à M. R... la somme de 1 200 euros, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 et de la capitalisation des intérêts. Par une requête n° 18LY01689, le SIGERLY relève appel du même jugement en tant que le tribunal administratif de Lyon l'a condamné in solidum avec la société Engie Energie Services à verser les sommes susmentionnées, l'a condamné à garantir entièrement la société Engie Energie Services des condamnations prononcées à son encontre au titre de la perte de valeur vénale des propriétés de MM. F..., H..., U..., D... et Mme N... et a mis à sa charge les frais et honoraires de l'expertise. MM. F..., D..., H..., U... et Mme N... concluent dans les deux requêtes, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant que le tribunal administratif de Lyon n'a pas entièrement fait droit à leurs demandes. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes qui sont dirigées contre le même jugement pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société Engie Energie Services et le SIGERLY font valoir que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a pas statué sur les moyens en défense soulevés relatifs au montant de la demande indemnitaire quant à la perte de la valeur vénale de leurs propriétés, se bornant à se référer à l'avis du sapiteur spécialisé en évaluation immobilière.

3. En se bornant, pour condamner in solidum le SIGERLY et la société Engie énergie Services, à relever, en se fondant sur le rapport d'expertise établi après avis d'un sapiteur spécialisé en évaluation immobilière, que les propriétés de MM. F..., H..., U..., D... et Y... Mme N..., à raison de l'impact visuel de la chaufferie et de ses cheminées, et, pour la seule maison de M. F... qui borde la voie d'accès à la chaufferie, à raison également des nuisances sonores causées par les camions d'approvisionnement, ont subi une dépréciation de leur valeur vénale et que, contrairement à ce que soutiennent la société Engie Energie Services et le SIGERLY, il ne résulte pas de l'instruction que la construction d'une gendarmerie de cinq cents logements, qui a entraîné une reconfiguration du quartier, a apporté une plus-value aux constructions implantées dans ce secteur, sans répondre de façon précise aux moyens en défense qui critiquaient les conclusions du rapport d'expertise quant à l'évaluation de la perte de valeur vénale des propriétés du fait de la construction de la chaufferie en faisant valoir qu'il n'était fourni aucune valeur de comparaison permettant d'identifier les références pour définir les valeurs au mètre carré, que le quartier avait fait l'objet d'une restructuration et aussi que le voisinage de la chaufferie était prévisible compte tenu des dispositions du plan local d'urbanisme, la plus-value devant être appréciée de façon globale en tenant compte de tous ces éléments, le tribunal administratif de Lyon a insuffisamment motivé son jugement. Celui-ci doit, par suite, être annulé.

4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. F..., M. H..., M. U..., Mme N..., M. D..., M. Q... et M. R... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat en raison de la délivrance d'un permis de construire illégal :

5. Si l'illégalité dont est entaché le permis de construire est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, le préjudice engendré par la présence du bâtiment litigieux doit être regardé comme ayant cessé à la date à laquelle un nouveau permis de construire a été délivré pour ledit bâtiment dans des conditions régulières.

6. Il résulte de l'instruction que le permis de construire de la chaufferie délivré le 6 janvier 2012 par le préfet du Rhône a été annulé par un jugement du 6 mars 2014 du tribunal administratif de Lyon, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel du 30 décembre 2014, en raison de la méconnaissance des dispositions du code de l'urbanisme et du règlement du plan local d'urbanisme de la communauté urbaine de Lyon alors applicable, s'agissant de la voie d'accès et de la desserte de l'ouvrage public. Toutefois, en se bornant à produire une vidéo et des photographies de camions manoeuvrant sur le boulevard de l'Ouest, les requérants n'établissent pas la matérialité des préjudices allégués et tirés de la gêne occasionnée par la circulation des camions en lien avec cette illégalité depuis la mise en service de la chaufferie biomasse en novembre 2012.

7. Les requérants font également valoir que la délivrance d'un nouveau permis de construire, le 2 octobre 2015, a aggravé leur situation en raison de la division foncière opérée. Toutefois, ils n'apportent pas à l'appui de leurs allégations de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé, alors au demeurant que ce permis de construire n'a fait l'objet d'aucun recours contentieux.

8. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de l'Etat en raison de la délivrance du permis de construire la chaufferie biomasse et gaz.

Sur la responsabilité du SIGERLY et de la société Engie Energie Services pour dommages de travaux publics :

En ce qui concerne la fin de non recevoir opposée par la société Engie Energie Services :

9. Les requérants, qui avaient adressé une réclamation indemnitaire préalable à l'Etat, au SIGERLY et à la société Engie Energie Services, ont présenté en première instance des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle cette réclamation a été rejetée et des conclusions à fin de condamnation in solidum de ces trois personnes morales à réparer les préjudices subis en lien avec les travaux de réalisation, le fonctionnement et l'existence de la chaufferie biomasse. Les requérants ont ainsi donné à leur requête le caractère d'un recours de plein contentieux et il appartient au juge saisi de conclusions tendant à la mise en oeuvre du régime de la responsabilité pour dommages de travaux publics de se prononcer sur la réparation desdits dommages, alors même que les requérants demanderaient l'annulation du rejet de la réclamation préalable, laquelle a pour seul effet de lier le contentieux. Ainsi, la circonstance que le statut de société anonyme de la société Engie Energie Services ferait obstacle à ce que le silence gardé sur la demande préalable qui lui est adressée puisse donner naissance à une décision implicite de rejet d'une réclamation indemnitaire est sans incidence sur la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées par M. F... et autres devant le tribunal administratif à l'encontre de la société Engie Energie Services. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Engie Energie Services ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne la détermination de la personne responsable :

10. Le SIGERLY fait valoir qu'en cas de dommages de travaux publics, le concessionnaire se trouve substitué au délégant vis-à-vis des tiers et que seule sa responsabilité peut être engagée et qu'en l'espèce, la société Engie Energie Services s'est vu confier la réalisation et l'exploitation de la chaufferie en juin 2010 et est donc juridiquement seule responsable des dommages causés au tiers, qu'ils soient intervenus à l'occasion du chantier ou qu'ils résultent de l'existence et du fonctionnement de l'ouvrage.

11. En cas de concession d'un ouvrage public, c'est-à-dire de délégation de sa construction et de son fonctionnement, seule la responsabilité du concessionnaire peut être recherchée par les tiers, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l'existence ou au fonctionnement de cet ouvrage. La responsabilité de la collectivité concédante ne peut être engagée de ce fait qu'à titre subsidiaire.

12. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceuxci par l'exécution d'un travail public.

13. Dans le cas où un ouvrage public, par sa seule présence et indépendamment de son état d'entretien et d'un éventuel vice de construction, cause un dommage permanent, il ne saurait être demandé réparation de ce dommage à l'entrepreneur chargé de l'exécution des travaux qui ont permis l'installation de l'ouvrage ni au maître d'oeuvre de ces travaux.

14. Il résulte de l'instruction que la convention conclue, en application du code des marchés publics auquel se réfère l'acte d'engagement, entre le SYGERLY et Cofely GDF Suez, intitulée " marché : réalisation et exploitation d'une chaufferie bois à Sathonay-Camp ", stipule que le cocontractant s'engage à réaliser l'ensemble des prestations au prix global et forfaitaire indiqué pour la tranche conditionnelle n°1 relative à la réalisation des travaux et pour la tranche conditionnelle n° 2 pour l'exploitation. Le SIGERLY a ainsi fait réaliser et exploiter, sous sa maitrise d'ouvrage, la chaufferie biomasse et gaz dans le cadre d'un marché de conception, réalisation, exploitation et maintenance dont la société Cofely GDF Suez, devenue Engie Energie Services, est titulaire. La convention litigieuse, excluant une rémunération liée aux résultats de l'exploitation, n'est pas constitutive d'un contrat de délégation ou de concession, compte tenu de ce que la société Cofely GDF Suez ne s'est pas vu transférer le risque lié à l'exploitation des ouvrages à réaliser. Il s'ensuit que le SIGERLY ne peut utilement soutenir que seule la responsabilité de la société Engie Energie Services, qui n'a pas la qualité de délégataire ou de concessionnaire, peut être recherchée par les tiers victimes de dommages de travaux publics.

15. Par suite, et eu égard aux principes énoncés aux points 12 et 13, si M. F..., M. H..., M. U..., Mme N..., M. D..., M. Q... et M. R..., tiers par rapport aux travaux publics et à l'ouvrage public, sont recevables à rechercher la responsabilité in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energie Services pour les dommages imputables aux travaux de construction de la chaufferie et à son fonctionnement, en revanche, pour les dommages imputables à son existence, seule la responsabilité du maître de l'ouvrage, le SIGERLY, peut être recherchée. Par suite, M. F..., M. H..., M. U..., Mme N..., M. D... et M. R... ne peuvent demander la condamnation in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energie Services pour ceux des dommages qui sont uniquement en lien avec l'existence de la chaufferie biomasse.

16. La société Engie Energie Services fait valoir que sa responsabilité ne peut être recherchée pour des dommages causés aux tiers du fait des travaux de réalisation de la chaufferie, compte tenu de ce que l'entreprise sous-traitante, la société nouvelle Jean Nallet, a agi, pour les travaux de terrassement et compactage avant construction, en dehors de tout lien contractuel.

17. Par une convention du 2 août 2011, la société Energie Engie Services a conclu un contrat de sous-traitance avec la société nouvelle Jean Nallet pour la réalisation globale et forfaitaire des lots-B... oeuvre/clôts couverts /VRD et aménagement extérieur. En raison d'un changement du terrain d'assiette du projet de chaufferie, des travaux supplémentaires, notamment de terrassement et compactage avant construction, ont été rendus nécessaires. La société nouvelle Jean Nallet a sous-traité les travaux de terrassement et berlinoise à la société CARI par un contrat de sous-traitance du 18 juillet 2011. Il est constant que les travaux de terrassement et de compactage ont été effectués du 17 août au 16 septembre 2011 par la société CARI. Si la société Energie Engie Services fait valoir qu'elle n'a ordonné à la société nouvelle Jean Nallet de débuter les travaux, objet du marché du 2 août 2011, qu'à compter du 20 février 2012 par ordre de service daté du 15 février 2012 et que, par suite, ces travaux n'ont pas été réalisés dans le cadre du contrat de sous-traitance et qu'en conséquence les dommages occasionnés par ces travaux ne peuvent lui être imputés, il résulte de l'instruction que, par un avenant n° 1 au contrat de sous-traitance conclu le 26 mars 2012, la société Energie Engie Services a régularisé le contrat de sous-traitance en y intégrant les prestations supplémentaires et notamment les travaux de terrassement et berlinoise nécessaires à la réalisation du projet de chaufferie. Par suite, ces travaux ne sont pas étrangers à l'objet du contrat de sous-traitance. La circonstance qu'ils ont débuté avant l'établissement de l'ordre de service est inopposable aux tiers, victimes de dommages de travaux publics, et n'est pas de nature à faire obstacle à l'engagement de la responsabilité de la société Engie Energie Services en raison des préjudices subis du fait des travaux de terrassement et compactage.

En ce qui concerne la responsabilité du SIGERLY et de la société Engie Energie Services pour les dommages résultant des travaux de réalisation de la chaufferie biomasse :

18. Comme il a été dit au point 12, même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceuxci par l'exécution d'un travail public. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

19. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le terrain d'assiette du projet est une ancienne combe qui a servi de lieu de dépôt des matériaux de démolition de l'ancien palais de la foire de Lyon et que les épaisseurs de remblais variaient de 1 mètre à plus de 20 mètres. Les caractéristiques de ce terrain ont nécessité l'usage d'une méthode de compactage particulière, compacteur vibrant, afin d'améliorer les propriétés du sol en profondeur.

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence en lien avec les travaux de réalisation de la chaufferie :

20. M. F..., M. H..., M. U..., Mme N..., M. D..., M. Q... et M. R... font valoir que les travaux de réalisation de la chaufferie, que ce soit pendant la phase de terrassement/compactage ou durant la phase de réalisation de la chaufferie, ont engendré des nuisances résultant, d'une part, du trafic quotidien des camions entraînant bruit, poussière et perturbations du trafic et, d'autre part, de l'intensité du compactage. L'expert relève également que Mme Q... et A... R..., enceintes, ont été contraintes de quitter leur domicile en raison des vibrations. Toutefois, les requérants ne produisent, au soutien de leur argumentation, aucune pièce de nature à établir que les travaux dont il s'agit auraient, par la durée ou la forte intensité des bruits et des vibrations et l'importance des poussières dégagées, entraîné des troubles de voisinage excédant les sujétions que les riverains de travaux publics doivent supporter sans indemnité. Si les requérants font état du compte rendu de l'assemblée générale du comité du SIGERLY tenue le 12 octobre 2011, celui-ci ne permet pas d'estimer que le président du syndicat aurait reconnu " la violence " du compactage dès lors qu'il a seulement indiqué que les travaux de compactage du sol avaient engendré des vibrations. Par suite, la matérialité des troubles dans les conditions d'existence résultant des travaux de réalisation de la chaufferie n'est pas établie.

S'agissant des désordres immobiliers en lien avec les travaux de réalisation de la chaufferie :

21. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le sapiteur, M. B..., spécialisé en mécanique des sols, a indiqué que les vibrations produites par l'engin utilisé lors de travaux de compactage étaient conséquentes et susceptibles de provoquer des désordres importants sur le bâti environnant dans un rayon de 70 mètres. Si, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, l'expert souligne que l'absence de tout constat avant travaux entraîne une incertitude sur l'origine des désordres affectant les immeubles et que l'absence de constat des lieux avant travaux a effacé toute preuve certaine d'un lien causal entre l'exécution des travaux et l'apparition ou l'aggravation de désordres, il a cependant procédé à l'établissement du lien de causalité entre les désordres affectant les propriétés et les travaux de réalisation de la chaufferie selon " une probabilité causale " en s'appuyant sur la classification de sensibilité des constructions issue de la circulaire du 23 juillet 1986 du ministère de l'environnement relative " aux vibrations mécaniques émises dans l'environnement par les installations classées pour la protection de l'environnement " et sur la classification des dommages issue de la note d'information du SETRA de mai 2009 relative " au compactage des remblais et des couches de forme - prise en compte des nuisances vibratoires liées aux travaux ". L'établissement de ce lien de causalité a été complété par l'expert, lorsque des informations étaient disponibles, par des recherches sur l'état antérieur des constructions via le site internet Google Street View. En se fondant sur ce faisceau convergent d'indices, l'expert a été en mesure de déterminer les désordres en lien avec les travaux litigieux, ceux étrangers aux travaux et ceux pour lesquels il n'a pas pu établir ce lien de causalité. Dans ces conditions, les désordres constatés et retenus par l'expert, selon la méthode susmentionnée, comme trouvant leur origine dans les travaux de compactage réalisés pour la construction de la chaufferie biomasse peuvent être considérés avec un degré de certitude suffisant comme étant en lien direct avec lesdits travaux.

22. Il résulte de l'instruction que les propriétés des requérants se situent dans un rayon compris entre 60 et 42 mètres autour du terrain d'assiette de la chaufferie. Les constructions existantes sur les propriétés des requérants correspondent à la classe des constructions sensibles à très sensibles aux vibrations mécaniques émises par des engins de chantier à proximité. En ce qui concerne la propriété de M. H..., l'expert a uniquement retenu que les fissures dans le second oeuvre de la maison principale ont été aggravées par les travaux de compactage et a évalué le coût des travaux de reprise à la somme de 1 000 euros HT, soit 1 100 euros TTC. En ce qui concerne la propriété de M. R..., l'expert a retenu que le décollement de la bande à joint en cueillie de plafond a pour cause les vibrations résultant des travaux et a évalué le coût de cette reprise à la somme de 1 000 euros HT, soit 1 100 euros TTC. Pour la propriété de M. D..., l'expert a retenu que l'aggravation de la fissure traversante dans la cloison entre les chambres de l'étage ainsi que la détérioration des deux faïences en rive de mur et le décollement de trois profils de rive en faïence ont été causées par les vibrations subies lors des travaux et a évalué le coût de reprise à la somme de 1 500 euros HT, soit 1 650 euros TTC. S'agissant de la propriété de M. U..., l'expert a retenu que l'aggravation des fissures avec décollements localisés de l'enduit des façades pouvait être en lien avec les travaux sans l'établir avec certitude. Il en va de même en ce qui concerne les désordres affectant la propriété de Mme N..., de M. F... et de M. Q.... Par suite, seul le lien de causalité entre les désordres susmentionnés subis par M. H..., M. R... et M. D... et les travaux de terrassement et compactage nécessaires à la réalisation de la chaufferie est suffisamment établi.

23. Les désordres affectant la propriété de M. H..., M. R... et M. D... présentent un caractère accidentel dès lors que l'usage d'un compacteur vibrant n'entraîne pas automatiquement des désordres mais est seulement, selon les termes du sapiteur, susceptible d'en produire. Par suite, les requérants ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial des préjudices subis.

24. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute de MM. H..., R... et D... et d'un cas de force majeure, le SIGERLY et Engie Energie Services doivent être déclarés entièrement responsables de l'aggravation des désordres mentionnés au point 22 affectant leurs propriétés. Par suite, et sans qu'il y ait lieu en l'espèce de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le SIGERLY aux conclusions à fin d'appel incident dès lors qu'il est statué par la voie de l'évocation, il y a lieu de condamner in solidum le SIGERLY et la société Engie Energie Services à verser à M. H... la somme de 1 100 euros, à M. R... la somme de 1 100 euros et à M. D... la somme de 1 650 euros.

En ce qui concerne la responsabilité du SIGERLY et de la société Engie Energie Services du fait du fonctionnement et de l'existence de l'ouvrage public :

S'agissant des dommages en lien avec le fonctionnement de la chaufferie biomasse :

25. Les requérants de première instance font valoir qu'en raison du fonctionnement de la chaufferie, ils subissent des troubles dans leurs conditions d'existence en raison de l'importante circulation de camions, des nuisances sonores et de la fumée émanant des cheminées.

26. Les dommages invoqués par les requérants sont liés au fonctionnement normal de l'ouvrage public. Ils présentent donc le caractère non de dommages accidentels mais de dommages permanents de travaux publics. Il s'ensuit qu'il appartient aux requérants d'établir le caractère grave et spécial des préjudices qu'ils subissent pour engager la responsabilité in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energies Services en raison du fonctionnement de la chaufferie biomasse.

27. Il résulte de l'instruction et notamment des conclusions du rapport de mesures acoustiques, réalisées après des travaux correctifs, daté du 30 mai 2013 et suivant un scénario testé sur site correspondant à un fonctionnement exceptionnel combinant la grande chaudière bois avec une chaudière gaz, que seules " les émergences sonores calculées aux points de mesures FP2 sont supérieures aux émergences maximales réglementaires en période nocturne (9dB(A) pour 4 bB(A) maximum) ". Les conclusions du rapport soulignent que, dans des conditions normales d'exploitation de la chaufferie biomasse, il est probable que le niveau sonore engendré par le fonctionnement normal des chaudières biomasse seules permette de respecter les émergences sonores maximum tolérées par la réglementation dans les zones habitées à proximité ou tout du moins de ne pas entraîner de nuisances sonores prononcées. Si, par un courrier du 23 février 2015, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Rhône-Alpes a indiqué au conseil des requérants que les niveaux sonores en période nocturne ne respectent pas, pour un point de mesure, la réglementation applicable aux installations classées, il ressort des conclusions du rapport de mesures acoustiques du 30 mai 2013 que cette non-conformité à l'arrêté du 23 janvier 1997 relatif à la limitation des bruits émis dans l'environnement par les installations classées pour la protection de l'environnement a été relevée alors que les mesures ont été effectuées dans le cadre d'un régime de fonctionnement exceptionnel. Un nouveau rapport de mesures acoustiques du 11 février 2016 conclut à la conformité acoustique de l'installation au regard de l'arrêté du 23 janvier 1997 susmentionné.

28. Par ailleurs, les requérants n'établissent pas, en se bornant à produire une vidéo et des photographies de camions circulant à proximité de la chaufferie, les nuisances sonores résultant de la circulation des camions livrant le bois et ce alors que les opérations de livraison entre le 15 octobre et le 15 avril se limitent au rythme de deux à cinq rotations quotidiennes, la cadence étant ramenée à deux rotations par jour le reste de l'année.

29. Les requérants n'établissent pas davantage les nuisances alléguées du fait du dégagement de fumées par les cheminées de la chaufferie.

30. Il s'ensuit qu'il n'est pas établi que le cumul des dommages allégués présenterait un caractère grave et spécial excédant les sujétions que les riverains d'un ouvrage public peuvent être normalement appelés à supporter.

S'agissant des dommages liés à l'existence de la chaufferie biomasse :

31. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison de leur existence, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. La responsabilité du maître de l'ouvrage n'est susceptible d'être engagée à l'égard de la victime qu'à condition que les préjudices dont elle se prévaut soient directement imputables à l'existence de cet ouvrage et présentent un caractère grave et spécial. Il revient au juge administratif d'apprécier si les troubles permanents qu'entraîne la présence de l'ouvrage public sont supérieurs à ceux qui affectent tout résident d'une habitation située dans une zone urbanisée, et qui se trouve normalement exposé au risque de voir des équipements collectifs édifiés sur les parcelles voisines.

32. En se référant au rapport d'expertise, les requérants, à l'exception de M. Q..., font valoir qu'ils subissent une perte de la valeur vénale de leurs propriétés du fait de l'existence de la chaufferie.

33. Le SIGERLY fait valoir que le rapport d'expertise ne fournit aucune valeur de comparaison permettant d'identifier les références pour définir les valeurs au mètre carré, que le quartier a fait l'objet d'une restructuration, que le voisinage de la chaufferie était prévisible compte tenu des dispositions du plan local d'urbanisme, et que la plus-value et que la moins-value doivent être appréciées de façon globale en tenant compte de tous ces éléments.

34. L'expert a précisé que les parcelles des requérants sont situées en zone UD1a du plan d'occupation des sols, zone banalisée à caractère principal d'habitat mixte qui assure une transition entre les quartiers centraux et les secteurs de plus faibles densités. Ces parcelles jouxtent le terrain d'assiette de la chaufferie qui est classé en zone AUE2, zone à urbaniser et qui, avant la construction de la chaufferie, ne supportait aucune construction.

35. Si tout résident d'une habitation située dans une zone constructible se trouve exposé au risque de voir un équipement public édifié sur les parcelles voisines, l'implantation de cette chaufferie biomasse gaz, eu égard à sa spécificité, ne pouvait être gardée comme prévisible au point qu'elle ne pourrait créer pour les riverains des sujétions excessives, contrairement à ce que soutient le SIGERLY. Les photographies produites établissent le caractère imposant de l'architecture de la chaufferie implantée au voisinage immédiat des propriétés des requérants de première instance, ainsi que de ses cheminées qui mesurent douze mètres de haut. Cette nuisance visuelle tenant à l'existence et au dimensionnement conséquent de la centrale de chauffage et de ses cheminées est susceptible d'ouvrir droit, au titre d'un préjudices grave et spécial, à indemnisation pour dépréciation de la valeur vénale des biens situés dans un rayon très proche de la chaufferie, dés lors du moins que cet équipement est visible des principales pièces d'habitation et du jardin, et quand bien même les propriétaires concernés n'ont pas fait état de leur intention de céder leurs biens.

36. Si le SIGERLY fait valoir que l'expert n'aurait pas tenu compte, dans son appréciation, de la redynamisation du quartier qui se construit autour du pôle de gendarmerie et de la ZAC de la Castellane, il ne l'établit pas en indiquant que la centrale de chaufferie participe à la reconfiguration du quartier et que les propriétés des requérants jouxtent désormais un éco quartier repeuplé et rénové qui verra nécessairement l'installation de nombreux commerçants et prestataires de service. Il fait également état du montant des cessions de biens en 2017 et 2018 situés à proximité de la centrale de chauffage tendant à démontrer que les biens immobiliers du secteur ont bénéficié d'une plus-value. Toutefois, il n'est pas établi que ces biens sont dans une configuration identique par rapport à la chaufferie en termes de préjudice visuel à celle des propriétés litigieuses, même si ces biens sont situés à proximité. Ainsi, le SIGERLY n'établit pas que l'évaluation réalisée par le sapiteur et retenue par l'expert, nonobstant la circonstance que le sapiteur n'a pas indiqué les valeurs de référence utilisées pour apprécier la valeur des propriétés, serait erronée dans son approche ou son principe.

37. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la propriété de M. H... a été évaluée à 1800 euros/m2, celle de M. R... à 2 300 euros/m2, celle de M. Q... à 2 300 euros/m2, celle de M. D... à 2 100 euros/m2, celle de M. U... à 2 000 euros/m2, celle de Mme N... à 1 400 euros/m2, celle de M. F... à 200 euros/m2. Le sapiteur a précisé qu'il avait procédé à l'appréciation de la valeur vénale des biens en utilisant " la méthode par comparaison qui consiste à apprécier la valeur vénale d'un immeuble à l'aide de références fournies par les transactions intéressant des biens comparables se référant ainsi au marché sectoriel ", abstraction faite de la chaufferie, puis a évalué la dépréciation de la partie bâtie à - 2, 50 % (pour la maison de M. D...), à - 5 % ( pour les habitations de MM H... et U..., et Y... Mme N...) et à - 12, 50% (pour la maison de M. F..., en y incluant des nuisances sonores) et des terrains constructibles à - 25 % ( terrains de MM H... et U... et Y... Mme N...) et - 35 % (terrain de M. F...) en fonction de l'impact de la chaufferie en termes de préjudice visuel et de nuisances sonores.

38. L'expert, en s'appuyant sur l'avis du sapiteur, a estimé que la propriété de M. H... (habitation et terrain constructible) subissait une perte de valeur vénale de 49 000 euros en tenant compte de ce que les cheminées sont visibles par toutes les ouvertures situées sur la façade Ouest de l'habitation et que l'habitation et le jardin subissent une vue directe sur la chaufferie. Il a estimé que la propriété de M. U... (habitation et terrain constructible) subissait une dépréciation de 49 000 euros compte tenu de la visibilité des cheminées par une vue droite depuis deux fenêtres de la bâtisse principale et d'une vue directe depuis le jardin arrière, que la propriété de Mme N... (habitation et terrain constructible) subissait une dépréciation de 38 000 euros compte tenu de la visibilité des cheminées depuis toutes les ouvertures situées sur la façade Ouest de l'habitation et de la vue directe de la chaufferie depuis l'habitation et le jardin et que la propriété de M. F... (habitation et terrain constructible) subissait une dépréciation évaluée à 90 000 euros compte tenu de la visibilité des cheminées par toutes les ouvertures situées sur la façade Ouest de l'habitation, de la vue directe sur la chaufferie et des nuisances sonores émanant de la circulation des camions de livraison du bois sur la voie d'accès située le long de la limite sud de la propriété.

39. Pour parvenir à ces montants, l'expert a retenu les pourcentages indiqués au point 37. Cependant l'expert ni le sapiteur ne justifient l'important écart entre le pourcentage retenu pour la dépréciation de la partie bâtie et celui retenu pour la partie non bâtie. Dans ces conditions, si les pourcentages de dépréciation de 2,50 % et de 5 % pour les parties bâties peuvent être retenus, en revanche, en l'absence de tout élément justificatif, et en tenant compte du fait que les terrains dont il s'agit sont un peu plus proches de la chaufferie, il sera fait une juste appréciation de la dépréciation des terrains constructibles en l'estimant à 10 %.

40. Eu égard à la disposition des lieux et à la présence très directement visible de la chaufferie et de ses cheminées et à leurs caractéristiques, qui affectent la valeur vénale des biens immédiatement environnants, MM. H..., U... et F... et Mme N... subissent un préjudice grave et spécial.

41. Compte tenu de ce qui a été dit au point 39, il sera fait une juste appréciation de la perte globale de la valeur vénale des propriétés de M. H... et de M. U... en la fixant à la somme de 29 000 euros chacun. S'agissant de la propriété de A... N..., il sera fait une juste appréciation de la perte globale de la valeur vénale de sa propriété en la fixant à la somme de 20 000 euros.

42. S'agissant de la propriété de M. F..., le SIGERLY fait valoir que l'appréciation de la perte de sa valeur vénale ne peut tenir compte des nuisances sonores résultant de la circulation des camions dès lors que ces nuisances sonores ne sont pas établies. Il résulte de ce qui a été dit au point 28 que le trafic des camions ne peut en l'espèce être constitutif d'un préjudice grave, même pour M. F... dont la maison est riveraine de la voie d'accès. Compte tenu de ce qui a été dit au point 39 s'agissant du pourcentage à retenir pour la dépréciation des terrains constructibles, et en retenant un pourcentage de dépréciation de l'ordre de 5 % pour la partie bâtie, il sera fait une juste appréciation de la perte de la valeur vénale de la propriété de M. F... en la fixant à la somme de 32 000 euros.

43. Si M. D... conteste l'évaluation du montant de la dépréciation de sa propriété fixée à 10 000 euros par l'expert, qui a tenu compte de la visibilité par une vue oblique depuis deux fenêtres de l'étage de la maison principale, les photographies produites établissent que la chaufferie n'est pas directement visible depuis sa propriété. Il s'ensuit que le préjudice visuel subi par M. D... ne présente pas un caractère grave susceptible d'ouvrir droit à indemnisation. Si M. R... conteste l'appréciation de l'expert quant à l'absence de dépréciation de la valeur vénale de sa propriété en indiquant qu'il existe une visibilité depuis une fenêtre, il ressort des photographies produites que celle-ci est limitée compte tenu de l'éloignement de la chaufferie et, par suite, M. R... ne subit pas de préjudice grave. Enfin, l'expert a retenu, sans que cela ne soit contesté, que la propriété de M. Q... n'avait subi aucune dépréciation quant à la valeur vénale de son bien du fait de la présence de la chaufferie.

44. Par suite, il y a seulement lieu de condamner le SIGERLY à verser à M. H... la somme de 29 000 euros, à M. U... la somme de 29 000 euros, à A... N... la somme de 20 000 euros, à M. F... la somme de 32 000 euros, en réparation de la perte de valeur vénale de leurs biens.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

45. M. D..., M. H..., M. R... ont droit chacun pour ce qui le concerne aux intérêts au taux légal sur la somme fixée au point 24 mise à la charge in solidum du SIGERLY et de la société Engie Energie Services, à compter du 19 février 2016, date d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal administratif de Lyon. M. H..., M. U..., A... N..., M. F... ont droit chacun pour ce qui le concerne aux intérêts au taux légal sur la somme fixée au point 44 mise à la charge du SIGERLY, à compter de cette même date. La capitalisation des intérêts a été demandé le 19 février 2016 par les requérants. Les intérêts sur ces sommes seront ainsi capitalisés au 19 février 2017, date à laquelle une année d'intérêts a été due, et chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les appels en garantie :

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Engie Energie Services contre la société nouvelle Jean Nallet :

46. La compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges nés de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux ne s'étend pas à l'action en garantie du titulaire du marché contre son sous-traitant avec lequel il est lié par un contrat de droit privé.

47. Si la société Energie Engie Services fait valoir qu'elle n'a ordonné à la société nouvelle Jean Nallet de débuter les travaux, objet du marché du 2 août 2011, qu'à compter du 20 février 2012 par ordre de service daté du 15 février 2012 et que, par suite, ces travaux n'ont pas été réalisés dans le cadre du contrat de sous-traitance, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 17 que, par un avenant n° 1 au contrat de sous-traitance conclu le 26 mars 2012, la société Energie Engie Services a régularisé le contrat de sous-traitance en y intégrant les prestations supplémentaires et notamment les travaux de terrassement et berlinoise nécessaires à la réalisation du projet de chaufferie. Par suite, les travaux engagés par la société CARI ont été réalisés au titre de l'exécution du contrat de sous-traitance. Il s'ensuit que l'action en garantie engagée par la société Engie Energie Services contre son sous-traitant, la société nouvelle Jean Nallet, dans le cadre du contentieux l'opposant aux requérants au titre de l'exécution du marché de travaux publics de construction de la chaufferie relève de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire. Par suite, les conclusions d'appel en garantie doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société Engie Energie Services contre le SIGERLY :

48. La société Engie Energie Services, dans ses écritures de première instance, demandait à être garantie par le SIGERLY de toute condamnation découlant des décisions de ce dernier quant au choix de l'implantation de la chaufferie. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, aucune condamnation n'est prononcée à l'encontre de la société Engie Energie Services à raison de la présence de la chaufferie. Son appel en garantie sur ce point ne peut donc qu'être rejeté. A supposer qu'elle puisse être aussi regardée comme appelant en garantie le SIGERLY à raison des condamnations prononcées au point 24, elle ne détermine pas le fondement de sa demande ni ne caractérise une quelconque faute du SIGERLY. Par suite, son appel en garantie ne peut davantage être accueilli.

Sur les dépens :

49. Dans les circonstances de l'espèce, les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 18 886,12 euros, doivent être mis à la charge définitive du SIGERLY.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

50. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MM. H..., U..., F..., R..., D... et A... N... qui ne sont pas la partie tenue aux dépens dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. Q... le versement au SIGERLY ou à la société Engie Energie Services de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens

51. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Engie Energie Services le versement à la société SNJN de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens tant au titre de la première instance que de l'appel.

52. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du seul SIGERLY, qui est la partie principalement perdante, une somme de 500 euros chacun à verser à M. H..., à M. U..., à M. F..., à M. R..., à M. D... et à A... N... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE:

Article 1er : Le jugement du 6 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les conclusions d'appel en garantie de la société Engie Energie Services contre la société nouvelle Jean Nallet sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le SIGERLY est condamné à verser à M. H... la somme de 29 000 euros, à M. U... la somme de 29 000 euros, à A... N... la somme de 20 000 euros, à M. F... la somme de 32 000 euros. Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016. Les intérêts échus à la date du 19 février 2017 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le SIGERLY et la société Engie Energie Services sont condamnés in solidum à verser à M. H... la somme de 1 100 euros, à M. R... la somme de 1 100 euros et à M. D... la somme de 1 650 euros. Ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016. Les intérêts échus à la date du 19 février 2017 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 5 : Le SIGERLY versera la somme de 500 euros chacun à M. H..., à M. U..., à M. F..., à M. R..., à M. D... et à A... N... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 18 886,12 euros sont mis à la charge définitive du SIGERLY.

Article 7 : Le surplus des requêtes et des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... F..., à M. O... H..., à M. C... U..., à A... X... N..., à M. J... D..., à M. W... Q..., à M. P... R..., au syndicat intercommunal de gestion des énergies lyonnaises, à la société Engie Energie Service, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la société Nouvelle Jean Nallet.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

A... G..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 septembre 2020.

2

N° 18LY01683...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY01683
Date de la décision : 24/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-01-01 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Notion de dommages de travaux publics. Existence.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SELARL JUGE FIALAIRE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-24;18ly01683 ?
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