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10/09/2020 | FRANCE | N°20LY00098

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 10 septembre 2020, 20LY00098


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Isère a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 19 août 2008 et d'enjoindre au préfet d'abroger cet arrêté d'expulsion dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1800176 du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. D....

Procédure devant la

cour :

Par une requête enregistrée le 9 janvier 2020, M. D..., représenté par Me A..., dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Isère a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 19 août 2008 et d'enjoindre au préfet d'abroger cet arrêté d'expulsion dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1800176 du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 janvier 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de l'Isère a, le 7 novembre 2017, refusé de procéder à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 19 août 2008 dans un délai d'un mois courant à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal administratif doit caractériser la persistance d'une menace grave pour l'ordre public et il n'a pas apprécié son comportement au jour de la décision mais s'est fondé uniquement sur les faits à l'origine de son expulsion ;

- le tribunal s'est fondé sur une condamnation de 2003 alors qu'il n'a jamais fait l'objet d'une telle condamnation et la condamnation prononcée en 2006 ne l'a pas été pour des faits commis en récidive ; il s'est également fondé sur des faits de vol en 2004, 2005 et 2015 mais les fiches issues du fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) produites par le préfet de l'Isère ne concernent pas les mêmes personnes ; s'agissant des faits de vol commis le 1er avril 2015, il conteste en être l'auteur ;

- à la date de la décision, il ne s'est plus fait connaître défavorablement des autorités judiciaires ; il est marié avec une ressortissante française et est le père d'un enfant français né le 3 février 2016 et sa femme a donné naissance à un second enfant né le 31 juillet 2019 ; la condamnation pénale est ancienne et est relative à des faits commis il y a plus de onze ans ; il travaille ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation pour les motifs précédemment énoncés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

- la loi n° 91647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D..., ressortissant algérien né le 6 janvier 1976, est entré en France dans le courant de l'année 2003. Le 7 juin 2004, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile, décision confirmée par la Commission de recours des réfugiés, le 23 mai 2005. Par un jugement du 16 mars 2006, le tribunal correctionnel près le tribunal de grande instance de Saint-Etienne l'a condamné à quatre années d'emprisonnement pour des faits commis de 2004 à mars 2005 de transport, détention, offre ou cession, acquisition, emploi non autorisés de stupéfiants, contrebande et importation non déclarée de marchandise prohibée. Par un arrêté du 19 août 2008, le préfet de l'Isère a pris à l'encontre de M. D..., sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un arrêté d'expulsion qui a été mis à exécution le 14 octobre 2008. Le 4 mars 2009, il a épousé une ressortissante française. En 2009, il a saisi le préfet de l'Isère d'une demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 19 août 2008. Par une décision du 11 mars 2010, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 mars 2012 et un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 21 février 2013, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande. Le 1er avril 2013, M. D... est entré irrégulièrement en France et s'est installé à Lyon. A la suite de la naissance de son premier enfant, le préfet du Rhône a délivré, par erreur, à M. D... un premier titre de séjour valable du 23 février 2016 au 22 février 2017 en qualité de parent d'enfant français. Le 17 mai 2017, le préfet du Rhône a procédé au retrait de son titre de séjour, l'a assigné à résidence et lui a délivré une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail. Le 29 juin 2017, M. D... a demandé, à nouveau, l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 19 août 2008. Le 28 mai 2018, la commission d'expulsion des étrangers a rendu un avis favorable au refus d'abrogation. Le préfet de l'Isère a rejeté la demande d'abrogation par une décision implicite de rejet. M. D... relève appel du jugement du 14 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision implicite de refus d'abrogation de l'arrêté d'expulsion :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 524-2 de ce code, " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. ".

3. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

4. Il est constant que M. D... a été condamné à quatre années d'emprisonnement pour des faits commis de 2004 à mars 2005 de transport, détention, offre ou cession, acquisition, emploi non autorisés de stupéfiants, contrebande et importation non déclarée de marchandise prohibée par un jugement du 16 mars 2006 du tribunal correctionnel près le tribunal de grande instance de Saint-Etienne.

5. Dans son premier mémoire en défense produit devant le tribunal administratif de Grenoble, le préfet de l'Isère a fait également état d'une condamnation de M. D..., le 3 octobre 2003, par le tribunal correctionnel près le tribunal de grande instance de Lille pour des faits similaires commis en 2003 sous une identité d'emprunt. Toutefois, les pièces produites ne permettent pas d'établir l'existence de cette condamnation. Dans un mémoire ultérieur, le préfet de l'Isère a fait valoir que le fichier de traitement des antécédents judiciaires établit que M. D... a déjà été mis en cause. Selon la première fiche, M. D... a été mis en cause dans plusieurs procédures, pour vol à l'étalage commis le 11 juin 2004 et le 22 février 2006, pour entrée et séjour irrégulier commis le 22 février 2006, pour prise du nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites commis le 22 février 2006. Toutefois, le requérant conteste être l'auteur de ces faits en relevant que cette fiche du TAJ précise que l'identité de l'auteur de ces faits telle qu'elle est mentionnée, à savoir " D... Zoubir ", est manifestement fausse. Par suite, et alors que le préfet de l'Isère n'apporte aucune explication quant à cette mention " identité manifestement fausse " contenue dans la fiche TAJ produite, les faits précités ne peuvent être retenus à l'encontre de M. D.... Par ailleurs, M. D... conteste être l'auteur des faits de vol en réunion commis le 1er avril 2015 pour lesquels il est mentionné comme mis en cause dans une seconde fiche du TAJ produite par le préfet de l'Isère. En outre, si la commission d'expulsion a émis un avis favorable au refus d'abrogation de l'arrêté d'expulsion, cet avis est principalement motivé par le fait que l'intéressé est revenu en France alors qu'il était soumis à un arrêté d'expulsion et qu'il a fait l'objet d'une condamnation à quatre ans d'emprisonnement pour des faits graves de trafic de stupéfiants. Ainsi, compte tenu, d'une part, de l'ancienneté des faits de trafic de stupéfiants pour lesquels il a été condamné et, d'autre part, de la circonstance que le préfet indique ne pas être en mesure d'établir que M. D... est l'auteur des faits de vol en réunion commis le 1er avril 2015, la seule mise en cause récente de ce dernier ne suffit pas à caractériser une menace grave et actuelle à l'ordre public au sens des dispositions de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de nature à justifier le maintien des effets de la mesure d'expulsion qui avait été prise à l'encontre de l'intéressé. Par suite, M. D... est fondé à soutenir qu'en refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion prononcée à son encontre le 19 août 2008, le préfet de l'Isère a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus énoncé, le présent arrêt n'implique pas nécessairement, pour son exécution, que le préfet de l'Isère abroge l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. D... le 19 août 2008 mais seulement qu'il se prononce à nouveau sur sa situation. Il y a lieu en conséquence de lui enjoindre d'y procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

9. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble et le refus implicite du préfet de l'Isère d'abroger l'arrêté d'expulsion du 19 août 2008 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de procéder au réexamen de la demande d'abrogation de l'arrêté du 19 août 2008 prononçant l'expulsion de M. D... du territoire français, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me A... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère

Délibéré après l'audience du 9 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 10 septembre 2020.

2

N° 20LY00098


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SELARL BS2A - BESCOU et SABATIER

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 10/09/2020
Date de l'import : 02/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20LY00098
Numéro NOR : CETATEXT000042353352 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-09-10;20ly00098 ?
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