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09/07/2020 | FRANCE | N°18LY04341

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 09 juillet 2020, 18LY04341


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La pharmacie du Drapeau a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 8 mars 2018 par laquelle le directeur régional de l'agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a interdit, pour une durée de cinq mois à compter du 15 mars 2018, au site internet www.parapharmadirect.com, rattaché à la licence de l'officine de pharmacie située 90 avenue du Drapeau à Dijon dont M. A... est le titulaire, toute activité liée à la vente de médicaments et de mettre à la charge d

e l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La pharmacie du Drapeau a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 8 mars 2018 par laquelle le directeur régional de l'agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a interdit, pour une durée de cinq mois à compter du 15 mars 2018, au site internet www.parapharmadirect.com, rattaché à la licence de l'officine de pharmacie située 90 avenue du Drapeau à Dijon dont M. A... est le titulaire, toute activité liée à la vente de médicaments et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1800783 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er décembre 2018, la pharmacie du Drapeau, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800783 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Dijon ;

2°) d'annuler la décision du directeur régional de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté du 8 mars 2018 interdisant, pour une durée de cinq mois à compter du 15 mars 2018, au site internet www.parapharmadirect.com, rattaché à la licence de l'officine de pharmacie située 90 avenue du Drapeau à Dijon dont M. A... est le titulaire, toute activité liée à la vente de médicaments ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport des pharmaciens inspecteurs ne comportait aucune annexe de nature à établir les faits reprochés, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 5411-1 du code de la santé publique ; les droits de la défense ont ainsi été méconnues ;

- la circonstance que l'administration a estimé non satisfaisantes les explications fournies en défense, sans autre motivation, révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- l'auteur de la décision contestée a commis une erreur de droit en estimant que le lieu de stockage de la pharmacie du Drapeau ne répondait pas à l'exigence de proximité prévue à l'article R. 5125-9 du code de la santé publique ;

- la décision contestée, en introduisant une prétendue méconnaissance d'une exigence de proximité immédiate et alors qu'en l'espèce les médicaments vendus en ligne sont préparés au sein de l'officine, est contraire aux règles européennes relatives à la libre concurrence, à la liberté d'installation garantie par les articles 49 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre garantie par le bloc de constitutionnalité ;

- les locaux qui lui appartiennent à Saint-Apollinaire n'ont pas d'autre usage que celui de stockage, contrairement à ce qui résulte des motifs de la décision attaquée ;

- l'activité de logistique ne contrevient pas aux exigences de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique ;

- elle n'a pas été mise en demeure de mettre fin à la pratique du dépôt en point-relais de médicaments commandés via son site internet ; ainsi, la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 5472-2 du code de la santé publique ;

- la pratique reprochée est conforme aux prescriptions de l'arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments, lequel renvoie en matière de livraison aux conditions et modalités prévues aux articles R. 5125-47 à R. 5125-49 du code de la santé publique et qui ont été respectées ;

- il n'est pas porté atteinte au secret médical lors du traitement des commandes de médicaments, de sorte que les dispositions des articles R. 4235-5 du code de la santé publique et 226-13 du code pénal n'ont pas été méconnues ;

- tous les collaborateurs salariés n'ayant pas la qualité de pharmacien sont soumis au secret professionnel, ainsi que l'exigent les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;

- les collaborateurs salariés n'ayant pas la qualité de pharmacien n'entrent pas dans le champ de l'article R. 1110-1 du code de la santé publique ; en outre, les informations dont ils ont connaissance, qui ne portent que sur le numéro de commande et l'identité du client, respectent les prescriptions de cet article ;

- le fait qu'elle ne respecte pas le nombre de pharmaciens prescrit par l'arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments au regard de son chiffre d'affaires résulte de circonstances indépendantes de la volonté du pharmacien titulaire alors qu'il est justifié de sa recherche active de pharmaciens adjoints ; la sanction infligée est ainsi disproportionnée au regard des faits reprochés ;

- l'absence alléguée de validation systématique des bons de préparation des analysés réalisés par les étudiants en pharmacie pour les commandes de médicaments réalisées via le site internet est entachée d'inexactitude matérielle, dès lors que l'existence d'un contrôle par un pharmacien avant l'acheminement des commandes vers le site de Saint-Apollinaire a été constaté par huissier ; des étudiants en pharmacie peuvent réaliser des opérations s'agissant des bons de préparation des analyses pour les commandes de médicaments réalisées via le site internet dès lors qu'ils sont, comme en l'espèce, sous la surveillance d'un pharmacien ;

- un système de blocage conforme aux dispositions de l'annexe 7.2 de l'arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments.

Par ordonnance du 28 avril 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 15 mai 2020, en application du II de l'article 16 de l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, modifiée.

La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive n° 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- la directive n° 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 1er août 1991 relatif au nombre de pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires ;

- l'arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d'officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l'article L. 5121-5 du code de la santé publique, modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., pharmacien, titulaire de l'officine de pharmacie du Drapeau à Dijon, a été autorisé le 8 avril 2013, par une décision du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne, à créer un site internet de commerce électronique de l'officine, permettant la vente en ligne de médicaments. Le 6 décembre 2017, le président du conseil de l'ordre des pharmaciens de Bourgogne a demandé, en application du dernier alinéa de l'article L. 4232-5 du code de la santé publique, au directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté de faire procéder à une enquête sur l'officine de M. A.... Un contrôle inopiné réalisé le 11 janvier 2018 par deux pharmaciens inspecteurs de santé publique dans les locaux de la pharmacie du Drapeau, situés 90 avenue du Drapeau à Dijon et 4 rue Champ aux Pierres à Saint-Apollinaire, a donné lieu à un rapport d'inspection en date du 18 janvier 2018 relevant plusieurs manquements, en lien notamment avec l'activité de commerce électronique de l'officine. Au vu de ce rapport, le directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté a mis en demeure M. A..., par un courrier du 19 janvier 2018, de se conformer aux prescriptions qui y étaient jointes, de présenter, dans un délai de quinze jours, ses observations ainsi que les mesures de mise en conformité qu'il aura prises, et l'a avisé qu'il était susceptible de prononcer la fermeture temporaire du site internet de commerce électronique de médicaments pour une durée maximale de cinq mois pouvant être renouvelée. Après la présentation d'observations par M. A... par un courrier du 6 février 2018, le directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté a, par une décision du 8 mars 2018, prononcé la fermeture provisoire, pour une durée de cinq mois à compter du 15 mars 2018, du site internet de commerce électronique de médicaments rattaché à l'officine de la pharmacie du Drapeau. Cette dernière interjette appel du jugement du 28 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 mars 2018.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du 9° de l'article L. 5424-4 du code de la santé publique, constitue un manquement soumis à sanction financière le fait " pour l'un des pharmaciens mentionnés à l'article L. 5125-33, de méconnaître les règles applicables au commerce électronique de médicaments prévues au chapitre V bis du titre II du livre Ier de la cinquième partie du présent code et les règles de bonnes pratiques de dispensation mentionnées à l'article L. 5121-5 ". Aux termes de l'article L. 5472-2 de ce code : " I. - En cas de manquement prévu au 9° de l'article L. 5424-4, le directeur général de l'agence régionale de santé territorialement compétente peut après, sauf en cas d'urgence, avoir mis en demeure dans un délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à huit jours, l'auteur du manquement de se conformer à ses prescriptions et de présenter ses observations : 1° Prononcer la fermeture temporaire du site internet de commerce électronique de médicaments pour une durée maximale de cinq mois ; (...) ". Aux termes de l'article L. 5411-1 du même code : " Dans les locaux, lieux, installations et véhicules auxquels ils ont accès en application de l'article L. 1421-2, ainsi que dans les lieux ouverts au public, les pharmaciens inspecteurs de santé publique et les inspecteurs des agences régionales de santé ayant la qualité de pharmacien habilités et assermentés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ont qualité pour rechercher et constater les infractions aux lois et règlements relatifs à l'exercice de la pharmacie et de la biologie médicale, ainsi qu'aux activités et aux produits mentionnés à l'article L. 5311-1, ainsi qu'aux dispositions du titre II du livre Ier du code de la consommation lorsque l'infraction porte sur un de ces produits. A cet effet, ils disposent des pouvoirs prévus à l'article L. 1421-3 ".

3. Il est constant que M. A... s'est vu adresser, par un courrier du 19 janvier 2018, l'intégralité du rapport d'inspection du 18 janvier 2018 ainsi que ses annexes, composées de photographies des lieux et d'une liste de dix-sept prescriptions. Aucune disposition, notamment pas celles de l'article L. 5411-1 du code de la santé publique invoquées par la pharmacie du Drapeau, n'impose au pharmacien inspecteur de santé publique de joindre à son rapport d'inspection des pièces complémentaires de nature à corroborer les éléments factuels relevés dans ce rapport. Au demeurant, les dispositions dont se prévaut la requérante sont relatives à la constatation d'infractions pénales et non à la recherche, comme en l'espèce, de manquements soumis à sanction financière, tels que ceux relevant du 9° de l'article L. 5424-4 du code de la santé publique. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a, par courrier du 6 février 2018, fait valoir ses observations sur les manquements qui lui étaient reprochés. Par suite, la pharmacie du Drapeau n'est pas fondée à soutenir que les droits de la défense ni, en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 5411-1 du code de la santé publique auraient été méconnues.

4. En deuxième lieu, il ressort des mentions de la décision contestée que le directeur général de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a visé et analysé les observations écrites présentées par M. A.... La circonstance qu'il les a estimées " non satisfaisantes " sans apporter d'autre précision, n'est pas de nature à révéler un défaut d'examen particulier de la situation de la pharmacie du Drapeau, contrairement à ce qu'elle soutient. D'ailleurs, le directeur général de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a, par un courrier du 28 février 2018, antérieur à la décision contestée, répondu de manière circonstanciée aux observations qui avaient été formulées par M. A.... Dès lors, il ressort des pièces du dossier que le directeur général de l'ARS a procédé à un examen particulier de sa situation.

5. En troisième lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sans faire obstacle, aux termes de l'article 36 de ce traité, " aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons (...) de protection de la santé et de la vie des personnes (...). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Aux termes du 1. de l'article 85 quater, inséré dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain par la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 et transposé par l'ordonnance du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments : " Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l'offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l'information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information (...) ". Aux termes du 2. du même article : " Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information ". La directive 2011/62/UE, dont les considérants 22 et 23 se réfèrent à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 mai 2009 dans les affaires Apothekerkammer des Saarlandes et autres contre Saarland C-171/07 et C-172/07, a ainsi entendu prendre en considération le caractère très particulier des médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement de toute autre marchandise, et la responsabilité des États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Toutefois, ainsi que le rappellent ses considérants 21 et 24, les États membres ne peuvent imposer des conditions pour assurer la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l'information que dans le respect des stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

6. Aux termes de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique, pris pour la transposition de la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 : " On entend par commerce électronique de médicaments l'activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. L'activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d'une officine de pharmacie. (...) ". Aux termes du point 7.6.1. de l'annexe de l'arrêté visé ci-dessus du 28 novembre 2016, intitulé " Préparation de la commande " : " La préparation des commandes liées au commerce électronique de médicaments, ne peut se faire qu'au sein de l'officine concernée, dans un espace adapté à cet effet. L'activité de commerce électronique est réalisée dans le respect des conditions générales d'installation de l'officine prévues par la réglementation, notamment par l'article R. 5125-9 du code de la santé publique. Les locaux sont adaptés à l'ensemble des activités de la pharmacie et permettent un service optimal ". Aux termes de cet article R. 5125-9 : " La superficie, l'aménagement, l'agencement et l'équipement des locaux d'une officine de pharmacie sont adaptés à ses activités et permettent le respect des bonnes pratiques mentionnées à l'article L. 5121-5. Les locaux de l'officine forment un ensemble d'un seul tenant y compris pour ce qui concerne les activités spécialisées d'optique-lunetterie, d'audioprothèse et d'orthopédie. Toutefois, des lieux de stockage peuvent se trouver à proximité immédiate, à condition qu'ils ne soient pas ouverts au public et ne comportent ni signalisation, ni vitrine extérieure. (...) ".

7. Par les dispositions de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique, le législateur a entendu que l'activité de commerce électronique de médicaments soit exercée à partir du site internet d'une officine de pharmacie afin, d'une part, de lutter contre le risque de commercialisation de médicaments falsifiés par le moyen de la vente à distance et, d'autre part, de garantir le respect par le pharmacien de son devoir particulier de conseil, impliquant notamment qu'il assure dans son intégralité l'acte de dispensation du médicament et agisse, lorsqu'il délivre un médicament qui ne requiert pas de prescription médicale, avec la même vigilance que le médicament soit délivré dans l'officine ou à distance. A ce titre, le pharmacien titulaire de l'officine, auquel incombe une responsabilité particulière, doit être en mesure de s'assurer effectivement, par une présence suffisante dans les locaux où elle a lieu, que la dispensation des médicaments tant au comptoir de son officine que par le biais du site internet de celle-ci soit conforme aux obligations que le code de la santé publique fait peser sur lui, sur les pharmaciens qui l'assistent et sur les préparateurs en pharmacie autorisés à les seconder. L'exigence de contiguïté des locaux de l'officine et de proximité immédiate des lieux de stockage résultant de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique, auquel renvoie le point 7.6.1. de l'annexe de l'arrêté du 28 novembre 2016, est justifiée par le besoin que le pharmacien titulaire soit effectivement en mesure de contrôler la qualité de la dispensation des médicaments par l'ensemble des personnes qui l'assistent et le secondent. Au surplus, son application y compris à l'activité de vente en ligne de médicaments garantit que cette activité conserve un caractère complémentaire à la vente au comptoir de l'officine, pour préserver une répartition équilibrée des officines de pharmacie sur le territoire et assurer ainsi un approvisionnement de l'ensemble de la population en médicaments sûr et de qualité, y compris dans les parties du territoire jugées peu attractives. Une telle exigence ne soumet pas le commerce électronique de médicaments à une contrainte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

8. Il suit de là que l'obligation fixée par le deuxième alinéa de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique ne porte pas une atteinte disproportionnée à la libre concurrence, à la liberté d'installation garantie par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à la liberté d'entreprendre.

9. Il ressort des pièces du dossier que les locaux dédiés à l'activité de commerce en ligne de médicaments de la pharmacie du Drapeau sont situés à une distance de 3,8 kilomètres de l'officine, et non, comme le soutient la requérante, de 2,8 kilomètres, laquelle correspond à la distance orthodromique entre ces deux sites et non par la route. Les lieux de stockage, ainsi distants de 3,8 kilomètres de l'officine et ne se trouvant dès lors pas dans les environs immédiats de celle-ci, ne peuvent être regardés comme " à proximité immédiate " des locaux de l'officine au sens de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique. A cet égard, est sans incidence sur la légalité de la décision en litige la circonstance que des exigences logistiques et en termes de capacité de stockage rendaient indispensables le recours à des locaux situés dans la zone industrielle la plus proche de l'officine. De même, l'avis de l'autorité de la concurrence n°16-A-09 du 26 avril 2016 relatif à deux projets d'arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Par suite, la décision contestée n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique, ni en tout état de cause des principes mentionnés au point 8.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 5121-5 du code de la santé publique : " (...) La dispensation, y compris par voie électronique, des médicaments doit être réalisée en conformité avec des bonnes pratiques dont les principes sont définis par arrêté du ministre chargé de la santé. Ces bonnes pratiques prévoient notamment les modalités de suivi permettant d'assurer, à l'occasion de chacune des opérations susmentionnées, la traçabilité des médicaments ". Aux termes du point 7.6.2. de l'annexe à l'arrêté visé ci-dessus du 28 novembre 2016 : " Le médicament est envoyé par l'officine de pharmacie concernée, sous la responsabilité du pharmacien, dans le respect du RCP (conditions particulières de conservation) et selon les modalités et conditions définies aux articles R. 5125-47 à R. 5125-49 du code de la santé publique. Le patient peut également se déplacer à l'officine concernée pour se voir délivrer le médicament commandé sur le site internet de l'officine (...) ". Aux termes de l'article R. 5125-49 du code de la santé publique, inséré dans une sous-section relative à la " livraison à domicile " : " Le transporteur effectue le transport des médicaments, produits ou objets mentionnés à l'article L. 4211-1 dans des conditions garantissant leur parfaite conservation ; ces médicaments, produits ou objets ne peuvent être stockés et sont livrés directement au patient ".

11. D'une part, le directeur général de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a mis en demeure M. A... de mettre en conformité son activité de commerce électronique de médicaments avec les règles prescrites au chapitre V bis du titre II du livre 1er de la cinquième partie du code de la santé publique ainsi qu'avec les bonnes pratiques de dispensation mentionnées à l'article L. 5125-5 de ce code, notamment au regard de la pratique de la pharmacie du Drapeau consistant en la " possibilité de retrait des médicaments dans des points-relais en dehors de l'officine ". De plus, contrairement à ce que soutient la requérante, le rapport d'inspection relève, dans sa conclusion, que le " retrait des médicaments commandés par internet en dehors de l'officine " constitue un manquement devant, selon les pharmaciens inspecteurs, faire l'objet de mesures correctives immédiates. Dans ces conditions, la pharmacie du Drapeau n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas été invitée à se mettre en conformité et à présenter ses observations, en application de l'article L. 5472-2 cité ci-dessus, au regard de sa pratique tendant à déposer dans des points-relais les médicaments commandés par les patients au moyen de son site internet.

12. D'autre part, il résulte des dispositions précitées du point 7.6.2. de l'annexe à l'arrêté du 28 novembre 2016 et de l'article R. 5125-49 du code de la santé publique que le médicament commandé par voie électronique et qui ne fait pas l'objet d'un retrait sur place à l'officine, doit être livré directement au domicile du patient par le transporteur, sans pouvoir être stocké de quelque manière que ce soit. Il suit de là, contrairement à ce que soutient la pharmacie du Drapeau, que les médicaments qu'elle livre par voie de transporteur ne peuvent être déposés, en l'absence du patient de son domicile, dans un point-relai dans l'atteinte de leur retrait par le patient. La pharmacie du Drapeau, qui au demeurant ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés, n'est par suite pas fondée à soutenir que ces modalités de livraison des médicaments en points-relais ne seraient pas contraires aux dispositions citées au point 10.

13. En cinquième lieu, au soutien du moyen tiré ce que les règles relatives aux obligations attachées au secret professionnel n'ont pas été méconnues dans le traitement des commandes de médicaments par les logisticiens en charge de la préparation des commandes, la pharmacie du Drapeau ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas la réponse qui lui a été apportée par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

14. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 5125-20 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Le pharmacien titulaire d'une officine doit exercer personnellement sa profession. En toutes circonstances, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien, ou sous la surveillance directe d'un pharmacien. Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe, après avis du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le nombre des pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires ". Aux termes du point 4 de l'annexe à l'arrêté susvisé du 28 novembre 2016, relatif au " Personnel de l'officine " : " 4.1 Responsabilité. L'article R. 4235-13 du code de la santé publique prévoit que l'exercice personnel auquel est tenu le pharmacien consiste pour celui-ci à exécuter lui-même les actes professionnels ou à en surveiller attentivement l'exécution s'il ne les accomplit pas lui-même. Les préparateurs en pharmacie et les étudiants en pharmacie régulièrement inscrits en troisième année d'études dans une unité de formation et de recherche de sciences pharmaceutiques sont autorisés à seconder le titulaire de l'officine et les pharmaciens qui l'assistent dans la délivrance des médicaments mais " ils assument leurs tâches sous la responsabilité et le contrôle effectif d'un pharmacien " (articles L. 4241-1et L. 4241-10 du code de la santé publique). Conformément à l'article L. 5125-20 du code de la santé publique et à l'arrêté du 1er août 1991 modifié relatif au nombre de pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires, un nombre suffisant de pharmaciens adjoints au regard du chiffre d'affaires doit être prévu. La qualité de la dispensation des médicaments au sein de l'officine repose sur l'ensemble du personnel. Pour cette raison, le pharmacien doit s'entourer d'un personnel qualifié et en nombre suffisant pour mener à bien toutes les tâches qui lui incombent (...) ". Aux termes de l'arrêté visé ci-dessus du 1er août 1991, dans sa version applicable au litige : " Le nombre de pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires annuel est fixé : - à un pharmacien adjoint pour un chiffre d'affaires annuel hors taxe à la valeur ajoutée compris entre 1 300 000 et 2 600 000 euros ; - à un deuxième pharmacien adjoint, pour un chiffre d'affaires annuel hors taxe à la valeur ajoutée compris entre 2 600 000 et 3 900 000 euros ; - au-delà de ce chiffre d'affaires, à un adjoint supplémentaire par tranche de 1 300 000 euros supplémentaires ". Enfin, aux termes du point 7.3. de l'annexe à l'arrêté du 28 novembre 2016, relatif au " Contrôle pharmaceutique " : " Conformément à l'article R. 4235-13 du code de la santé publique, le pharmacien assure lui-même, ou surveille attentivement, la dispensation des médicaments par voie électronique. Les dispensations effectuées au moyen du site internet peuvent être retranscrites dans le fichier patient du logiciel d'aide à la dispensation selon une procédure normalisée ".

15. Il n'est pas contesté que l'officine de M. A... réalisait au moment des faits un chiffre d'affaires qui exigeait la présence de cinq pharmaciens adjoints alors que la pharmacie du Drapeau n'en disposait que de trois. Le chiffre d'affaires à prendre en compte pour l'application des dispositions citées au point précédent étant le chiffre d'affaires total réalisé par l'officine, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les activités liées à la préparation et à la vente de médicaments et les activités commerciales annexes, la pharmacie du Drapeau n'est pas fondée à se prévaloir de la part prépondérante dans son chiffre d'affaires de la vente de produits de parapharmacie et de l'activité de vente en ligne pour justifier de l'absence de respect du nombre de pharmaciens assistants requis. En outre, la double circonstance que l'un des quatre pharmaciens assistants a quitté l'officine à la fin de l'année 2017, alors au demeurant qu'à cette date la présence de cinq adjoints était requise, et que la soutenance de la thèse de l'un des étudiants en pharmacie employés par la pharmacie du Drapeau a été reportée au mois d'octobre 2018, n'est pas de nature à justifier le non-respect par la requérante des règles de bonnes pratiques de dispensation relatives au nombre de pharmaciens assistants selon le chiffre d'affaires telles qu'elles résultent des dispositions de l'article L. 5121-5 du code de la santé publique et du point 4 de l'annexe à l'arrêté du 28 novembre 2016. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, lors de l'inspection sur place, les pharmaciens inspecteurs ont relevé une " absence de contrôle pharmaceutique formalisé lors des commandes de médicaments par internet " et ont précisé que ces commandes, préparées par l'un des six étudiants en pharmacie employés par la pharmacie du Drapeau, ne sont effectivement validées par un pharmacien adjoint qu'en fonction de la nature de la commande elle-même, s'agissant en particulier des quantités de médicaments commandés, ou des réponses apportées au questionnaire médical. La production, par la requérante, d'un constat d'huissier effectué le 31 janvier 2018, soit postérieurement au contrôle inopiné, n'est pas de nature à contredire les constatations opérées par les inspecteurs selon lesquelles toute commande ne faisait pas l'objet d'un contrôle effectif de la part de l'un des pharmaciens de l'officine. Dès lors, la pharmacie du Drapeau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a écarté le moyen tiré de ce que le grief relatif à l'insuffisance d'encadrement du personnel n'était pas établi.

16. En septième lieu, aux termes du point 7.2. de l'annexe à l'arrêté susvisé du 28 novembre 2016, relatif au " Quantités maximales recommandées " : " La quantité maximale à délivrer recommandée est conforme à la durée du traitement indiquée dans le résumé des caractéristiques du produit. La quantité ne peut excéder un mois de traitement à posologie usuelle ou la quantité maximale nécessaire pour les traitements d'épisode aigu. La consultation médicale doit être recommandée si les symptômes persistent. Les quantités doivent respecter la dose d'exonération indiquée pour chaque substance active concernée conformément à la réglementation en vigueur. Un dispositif d'alerte du pharmacien ou un dispositif de blocage est prévu lorsque les quantités de médicaments commandés conduisent à un dépassement de la dose d'exonération indiquée pour chaque substance active concernée conformément à la réglementation en vigueur. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la quantité maximale à délivrer ainsi mentionnée constitue une recommandation, destinée à assurer le respect des obligations déontologiques du pharmacien tenant à l'interdiction de toute incitation à une consommation abusive de médicaments et à l'adaptation du conseil qui doit accompagner la délivrance à la situation particulière du patient auquel le médicament est destiné. Elles ne font pas obstacle à ce que le pharmacien apprécie, au cas par cas, le besoin du patient et les risques pouvant s'attacher à la délivrance d'une quantité plus élevée que celle correspondant à la durée du traitement, sous réserve d'être en mesure de justifier du bien-fondé de la décision prise au terme de son analyse et de respecter la limite d'un mois de traitement à posologie usuelle.

17. Les pharmaciens inspecteurs ont relevé, lors du contrôle inopiné, qu'une commande en ligne de trente boites de médicaments à base de lopéramide avait été enregistrée et avait donné lieu à un échange entre le patient et un étudiant en pharmacie en charge de la préparation des commandes pour en connaître les motifs, alors que, selon les inspecteurs, une telle commande aurait nécessairement dû être bloquée sans même faire l'objet d'un échange avec le patient en vue du traitement de la commande, la quantité maximale à délivrer sans ordonnance médicale se limitant à une seule boite de douze gélules au vu de la dose d'exonération des substances vénéneuses contenues. Au vu de cette constatation opérée lors du contrôle, et en l'absence de tout élément produit par la pharmacie du Drapeau, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce qu'elle soutient tant en première instance qu'en appel, qu'elle aurait mis en place un dispositif de blocage sur son site internet, alors au demeurant qu'elle s'y était engagée à l'appui de sa demande d'autorisation de vente en ligne de médicaments. Il n'est pas davantage établi, ni même allégué, qu'un dispositif d'alerte du pharmacien au sens du point 7.2. de l'annexe à l'arrêté susvisé du 28 novembre 2016 aurait été mis en place. Dès lors, le directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté n'a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle en retenant qu'aucun dispositif d'alerte ou de blocage, prescrit par le point 7.2. de cette annexe, ne permettait de limiter les quantités maximales commandées, en particulier pour les médicaments contenant des substances vénéneuses à doses exonérées.

18. En dernier lieu, si l'activité de logistique exercée sur le site annexe de stockage de Saint-Apollinaire est, ainsi que l'a jugé le tribunal, inhérente à l'activité même de stockage et par suite ne peut être regardée comme contraire aux dispositions de l'article R. 5125-9 du code de la santé publique, il résulte de l'instruction que le directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté aurait pris la même décision en se fondant sur les motifs cités aux points 5 à 17.

19. Dans ces conditions, eu égard à la nature et à la gravité des manquements aux règles de bonnes pratiques de dispensation mentionnées à l'article L. 5121-5 du code de la santé publique et prévues à l'annexe de l'arrêté du 28 novembre 2016 et compte tenu du risque présenté pour la santé publique, en infligeant la sanction financière de la fermeture temporaire pour une durée de cinq mois du site internet de commerce électronique de médicaments rattaché à l'officine de pharmacie du Drapeau, dont M. A... est le titulaire, le directeur général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté n'a pas pris une sanction disproportionnée.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la pharmacie du Drapeau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présence instance, la somme dont la pharmacie du Drapeau sollicite le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la pharmacie du Drapeau est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la pharmacie du Drapeau et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 9 juillet 2020.

2

N° 18LY04341


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04341
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Santé publique.

Santé publique - Pharmacie - Exercice de la profession de pharmacien.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SELARL BASTIEN JEAUGEY TELENGA ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-07-09;18ly04341 ?
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