Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune de Chaleins a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner in solidum la société Epteau et la société Socafl à lui verser la somme de 262 255,20 euros en réparation des désordres affectant la chaussée du Chemin du Barnu.
Par un jugement n° 1505041 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon a condamné in solidum la société Epteau et la société Socafl à verser à la commune de Chaleins la somme de 94 942,28 euros toutes taxes comprises, condamné la société Epteau à garantir la société Socafl de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 15 % et mis à la charge solidaire de ces deux sociétés les frais de l'expertise, d'un montant de 6 936 euros.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 8 juin 2018, et un mémoire enregistré le 9 août 2019, la société Socafl, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2018 ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la commune de Chaleins devant le tribunal ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Epteau et la commune de Chaleins à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
4°) de condamner la commune de Chaleins à supporter les frais d'expertise à hauteur de la quote-part de sa responsabilité ;
5°) de mettre à la charge de toute partie succombante les dépens et le versement d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'intensité anormale des fortes pluies survenues le 21 juin 2012 constitue un événement de force majeure qui l'exonère totalement de sa responsabilité ;
- le fait que la commune ait eu connaissance des risques en cas de pluie d'importance décennale dès l'avant-projet détaillé de la société Epteau révèle une faute de nature à l'exonérer totalement de sa responsabilité ;
- les désordres ne sont pas imputables à l'enduit monocouche qu'elle a mis en oeuvre mais au débordement du bassin de stockage du fait de son sous-dimensionnement ;
- la commune avait accepté que le revêtement soit réalisé en monocouche et non en bicouche après scarification ;
- les travaux provisoires réalisés sont de nature à réparer les désordres affectant la voirie et la somme de 105 972 euros retenue par le tribunal est sans lien avec les désordres allégués ;
- la commune et la société Epteau doivent la garantir au moins à hauteur de 50 % chacune des condamnations prononcées à son encontre ;
- les frais d'expertise doivent être mis également pour partie à la charge de la commune.
Par un mémoire enregistré le 5 septembre 2018, la société Epteau, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre les dépens et la somme de 2 000 euros à la charge de la société Socafl au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Socafl ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés le 19 octobre 2018 et le 26 novembre 2019, la commune de Chaleins, représentée par la société d'avocats SEDLEX, demande à la cour :
1°) d'écarter en partie le rapport d'expertise judiciaire ;
2°) de condamner solidairement la société Epteau et la société Socafl à lui verser la somme de 271 877,20 euros TTC en réparation de son préjudice et à titre subsidiaire la somme de 175 068,20 euros TTC ;
3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Epteau et Socafl les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions des points 4, 5 et 7 en page 30 du rapport de l'expertise judiciaire doivent être écartées dès lors que le rapport d'expertise est insuffisant dans son analyse des désordres et se fonde sur les pièces annexes 27 à 29 alors que celles-ci n'ont pas été communiquées contradictoirement dans le cadre de l'expertise ;
- des désordres sont apparus dès le mois d'août 2011 avant ceux subis par la chaussée à la suite des fortes pluies du 21 juin 2012 ;
- elle conteste le caractère contractuel de l'avant-projet détaillé de la société Epteau, les risques qu'il évoque n'ayant jamais été portés à sa connaissance ;
- elle doit être indemnisée de l'intégralité de son préjudice soit 233 182 euros au titre des travaux incluant la reprise de l'assainissement et le doublement de la colonne d'évacuation, 22 800 euros au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre et de la consultation d'entreprises, 12 681 euros au titre des frais engagés pour remédier aux désordres à titre provisoire et conservatoire et 3 415,15 euros au titre des frais d'expertise et d'huissier.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme C...,
- et les observations de Me A..., pour la société Socafl et celles de Me E..., pour la commune de Chaleins ;
Considérant ce qui suit :
1. Afin de remédier aux problèmes de ruissellement et d'érosion affectant le hameau de Fournieux, la commune de Chaleins a engagé à partir du mois d'octobre 2010 des travaux de pose d'une canalisation de collecte des eaux pluviales et de ruissellement. Les travaux ont été confiés à la société Socafl, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Epteau. La réception des travaux de pose d'une canalisation enterrée et de réfection d'un enduit de chaussée, sur le chemin dit du Barnu a été prononcée le 19 juin 2011 sans réserve, avec effet au 17 juin 2011. A la suite d'un orage violent survenu le 21 juin 2012, le nouvel enrobé s'est désolidarisé de la sous-couche. Par un jugement du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon a, à la demande de la commune de Chaleins, condamné in solidum la société Epteau et la société Socafl à verser à la commune la somme de 94 942,28 euros toutes taxes comprises, condamné la société Epteau à garantir la société Socafl de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 15 % et mis à la charge solidaire de ces deux sociétés les frais de l'expertise, d'un montant de 6 936 euros. La société Socafl relève appel de ce jugement. Elle demande son annulation et à titre principal le rejet de la demande présentée par la commune devant le tribunal, et à titre subsidiaire à être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre , à hauteur au moins de 50 % et que les frais d'expertise soient mis à la charge de la commune de Chaleins à hauteur de sa quote-part de responsabilité. La commune de Chaleins conclut pour sa part à ce que le rapport d'expertise judiciaire soit écarté des débats, à la réformation du jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à sa demande et à la condamnation solidaire de la société Epteau et de la société Socafl à lui verser la somme de 271 877,20 euros TTC, ou, à titre subsidiaire, celle de 175 068,20 euros TTC, en réparation de son préjudice.
Sur le rapport d'expertise :
2. Contrairement à ce que soutient la commune de Chaleins, il résulte des termes mêmes du rapport d'expertise que l'expert désigné par le tribunal a intégralement rempli les missions qui lui ont été confiées, et en particulier la description des désordres, qui ont été soit constatés sur le site, soit appréciés à partir de photographies montrant l'état du Chemin du Barnu avant la réalisation des travaux provisoires de réfection par la société Socafl.
3. Il résulte de l'instruction, et des écritures mêmes de la commune de Chaleins, que contrairement à ce qu'elle soutient, les pièces annexées au rapport d'expertise judiciaire sous les numéros 27 à 29 lui ont été communiquées dans le cadre de l'expertise, au mois d'octobre 2014, alors même que la pièce n° 29 ne comporte qu'une seule page de la note hydraulique de l'avant-projet détaillé établi le 10 juin 2010 par la société Epteau.
4. Par suite, il n'y a pas lieu d'écarter des débats le rapport d'expertise judiciaire.
Sur la responsabilité décennale des sociétés Socafl et Epteau :
5. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui sont en quelque manière imputables.
6. Les désordres affectant le Chemin du Barnu, qui consistent en des décollements et soulèvements par plaques du revêtement nouvellement posé, sont apparus, alors que des malfaçons avaient déjà été identifiées, à la suite d'un violent orage survenu le 21 juin 2012. Compte tenu de leur importance, établie notamment par le procès-verbal de constat d'huissier du 22 juin 2012, ces désordres, qui n'étaient pas apparents à la réception des travaux, sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.
7. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que ces désordres ont été causés par une insuffisance d'adhérence du revêtement de la chaussée, qui bien que prévue en bicouche après scarification, a été réalisée en monocouche par la société Socafl. Les désordres sont aussi imputables à une réalisation insuffisante de l'ouvrage qui tient, d'une part, à l'absence de couloir imperméable en glacis depuis l'aval de la crête du bassin jusqu'au chemin et, d'autre part, à celle d'un caniveau de collecte ainsi qu'à un effet d'érosion prévisible. Il en résulte que ces désordres sont imputables à la société Socafl qui a réalisé les travaux et à la société Epteau qui en a assuré la maîtrise d'oeuvre.
8. Si la société Socafl soutient que les désordres sont dus au violent orage du 21 juin 2012, constitutif selon elle d'un événement de force majeure de nature à l'exonérer de sa responsabilité dès lors que la commune de Chaleins a été reconnue en état de catastrophe naturelle pour les inondations et coulées de boue du 21 juin 2012 par un arrêté du 18 octobre 2012 du ministre de l'intérieur, il résulte de l'instruction, notamment des relevés de Météo France ainsi que de l'arrêté reconnaissant l'état de catastrophe naturelle, que ces pluies présentent un caractère décennal et n'étaient ainsi pas imprévisibles.
9. Il résulte de l'instruction, notamment de l'avant-projet détaillé établi par la société Epteau, que le projet a été conçu compte-tenu d'une "pluie de projet" correspondant à la pluie décennale, la société Epteau ayant d'ailleurs modifié la capacité des canalisations et bassins de rétention par rapport aux prévisions initiales de la direction départementale des territoires (DDT). Si l'absence de mise en oeuvre d'ouvrage préventif pour pallier le phénomène de déversement direct des eaux sur le Chemin du Barnu et ses conséquences prévisibles, dont l'érosion ou le décollement des revêtements routiers, a été anticipée par la société Epteau dans sa note hydraulique précitée, la mise en garde ainsi formulée par le maître d'oeuvre concernait les événements pluvieux "d'importance supérieure à la pluie de projet", soit "la pluie de temps de retour décennale". Ainsi, selon cette note hydraulique établie par la société Epteau, le revêtement du chemin devait supporter la pluie décennale du 21 juin 2012. Dès lors, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal qui a retenu la responsabilité de la commune à hauteur de 20 % pour ce motif, cette dernière ne peut être regardée comme ayant accepté en toute connaissance le risque d'occurrence de l'évènement survenu à cette date.
10. Si le compte rendu de chantier du 14 juin 2011 indique que "Socafl transmet à la mairie de Chaleins un engagement écrit garantissant la bonne tenue de l'enduit monocouche à liant élastomère mis en oeuvre sur la chaussée entre le hameau de Fournieux et la départementale", la facture établie par la société Socafl porte sur un revêtement bicouche. En outre, les courriers adressés par la société Epteau à la société Socafl durant l'hiver 2011-2012 concernant la reprise de certains secteurs défectueux du revêtement du chemin mentionnent de façon précise la nécessité de reprise du revêtement bicouche. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait accepté le remplacement du revêtement bicouche après scarification du revêtement existant prévu au contrat par le simple revêtement monocouche qui a finalement été réalisé par la société Socafl.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité des sociétés Epteau et Socafl est engagée du fait des désordres de nature décennale affectant le Chemin du Barnu, sans que la force majeure ou les agissements de la commune ne viennent les exonérer même partiellement de cette responsabilité. La société Socafl ne saurait ainsi, en tout état de cause, demander à être garantie par la commune de tout ou partie des obligations réparatrices mises à sa charge.
Sur les préjudices subis par la commune :
12. La société Socafl fait valoir que la commune lui a notifié le décompte général et définitif et a réceptionné les travaux sans réserve, et que les travaux de réfection de la chaussée du Chemin du Barnu qu'elle a effectués en 2013 ont permis de remédier aux désordres ainsi que l'a relevé le rapport d'expertise judiciaire. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi qu'il a été dit précédemment, que la commune n'avait pas validé le remplacement du revêtement bicouche initialement prévu par un enduit monocouche et que cette modification n'était pas apparente lors de la réception des travaux. Il résulte également de l'instruction, en particulier de la facture adressée par la société Socafl à la commune le 10 septembre 2013, que les travaux de réfection effectués par la société Socafl afin de rendre le chemin praticable ne constituaient pas une reprise définitive de la chaussée mais seulement une réfection provisoire. Dès lors, la société Socafl n'apporte aucun élément pour remettre en cause l'appréciation du tribunal sur l'indemnisation des préjudices correspondant au nettoyage et à la réfection provisoire de la chaussée du Chemin du Barnu.
13. Si la commune de Chaleins demande à être indemnisée du coût des travaux de doublement de la colonne d'évacuation et des frais de maîtrise d'oeuvre et de consultation des entreprises pour la réalisation des travaux, il résulte de l'instruction que ces travaux, préconisés par l'expert, n'étaient pas prévus par le contrat initial et sont de nature à apporter une plus-value à l'ouvrage. Ils ne présentent donc pas un caractère indemnisable. Alors que les travaux correspondant à la mise en place d'un revêtement bicouche sur la chaussée du chemin du Barnu ont été définis par la société Epteau et que les travaux nécessaires aux travaux préparatoires, le terrassement, et la réalisation d'un revêtement bicouche figurent au devis du 2 mars 2015 de l'entreprise Brunet TP, la commune ne justifie pas d'un préjudice lié aux frais de maîtrise d'oeuvre et de consultation des entreprises pour la réalisation des travaux de réfection de la chaussée du Chemin du Barnu.
14. Si la commune de Chaleins réclame une somme de 3 232,20 euros toutes taxes comprises au titre des frais de l'expertise privée qui a été réalisée à son initiative en produisant les factures correspondantes, cette expertise, qui suggère la réalisation de travaux plus importants que ceux initialement prévus par le contrat et qui sont de nature à apporter une plus-value, ne présente pas d'utilité dans le cadre du présent litige.
15. Il résulte de tout ce qui précède, et notamment du point 11, que la commune de Chaleins est seulement fondée à demander que la somme de 94 942,28 euros toutes taxes comprises que les sociétés Epteau et Socafl ont été condamnées par le jugement attaqué à lui verser soit portée à 118 677,85 euros.
Sur l'appel en garantie présenté par la société Socafl :
16. Compte tenu des causes concurrentes des désordres précédemment exposées et de la part respective pouvant être imputée à chaque intervenant, il y a lieu de confirmer l'analyse du jugement sur ce point et de condamner la société Epteau à garantir la société Socafl à hauteur de 15 % de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur les frais d'expertise :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge in solidum des sociétés Epteau et Socafl les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 6 936 euros par l'ordonnance du président du tribunal en date du 20 février 2015.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Socafl n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lyon a retenu sa responsabilité envers la commune de Chaleins, qui est pour sa part seulement fondée à soutenir que c'est à tort que ce même jugement a limité le montant de la condamnation prononcée in solidum à l'encontre des sociétés Epteau et Socafl, qui doit être porté à la somme de 118 677,85 euros toutes taxes comprises.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
19. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par l'ensemble des parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 94 942,28 euros toutes taxes comprises que les sociétés Epteau et Socafl ont été condamnées à verser à la commune de Chaleins par le jugement n° 1505041 du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2018 est portée à 118 677,85 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1505041 du tribunal administratif de Lyon du 5 avril 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Socafl, à la société Epteau et à la commune de Chaleins.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2020, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme F..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 juillet 2020.
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N° 18LY02103