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02/04/2020 | FRANCE | N°18LY01775

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 02 avril 2020, 18LY01775


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... H... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon (HCL) le versement à Mme H... de la somme de 7 866,38 euros en réparation du préjudice subi et à Mme H... et M. B... la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance d'avoir pu réfléchir à la pertinence de conduire une grossesse à son terme en raison du défaut de dépistage des poly-malformations de leur enfant A... B....

La caisse p

rimaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, appelée à l'instance, a demandé au tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... H... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon (HCL) le versement à Mme H... de la somme de 7 866,38 euros en réparation du préjudice subi et à Mme H... et M. B... la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance d'avoir pu réfléchir à la pertinence de conduire une grossesse à son terme en raison du défaut de dépistage des poly-malformations de leur enfant A... B....

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Lyon de mettre à la charge des HCL le versement de la somme de 37 274,82 euros au titre des prestations servies et à lui verser la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1600319 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mai 2018, Mme H... et M. B..., représentés par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les HCL à verser à Mme H... la somme de 7 866,38 euros en réparation des préjudices subis dans les suites de son accouchement et à verser à Mme H... et M. B... la somme de 25 000 euros en raison d'une perte de chance d'avoir pu réfléchir à la pertinence de conduire la grossesse à terme ou à tout le moins d'avoir pu se préparer à accueillir un enfant lourdement handicapé, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date du dépôt de la requête initiale ;

3°) de mettre à la charge des HCL la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

S'agissant du défaut de diagnostic des malformations de l'enfant A... :

- s'agissant du défaut de diagnostic d'agénésie partielle du corps calleux et de l'agénésie des organes génitaux, le service de pédiatrie qui a pris en charge A... a retrouvé une glossoptose et une pharyngomalacie entraînant des troubles alimentaires ; il présente également des bradycardies et des apnées, une surdité, une anomalie des organes génitaux avec chryptorchidie et verge coudée, une agénésie partielle du corps calleux qui entraîne des anomalies psychologiques et un retard psychomoteur, une dysmorphie faciale ; la polymalformation de l'enfant n'a pas été dépistée avant la césarienne alors que, selon l'expert, les bradycardies et le retard de croissance pouvaient être évocateurs ; selon l'expert, si les malformations présentées par l'enfant ne pouvaient pas être vues à coup sûr lors des échographies de dépistage, l'agénésie partielle du corps calleux et les anomalies des organes génitaux pouvaient être reconnues par échographie sur une coupe sagittale et une suspicion échographique devait conduire à pratiquer une IRM cérébrale foetale dont les résultats auraient permis de discuter de l'interruption thérapeutique de la grossesse compte tenu du diagnostic à type de déficience mentale et de troubles neurologiques ; l'existence de bradycardies et d'un retard de croissance potentiellement évocateurs de malformations exigeaient une analyse minutieuse et des investigations poussées devant permettre de détecter la présence d'une agénésie partielle du corps calleux et des malformations des organes génitaux ; il convient également de relever qu'elle était atteinte d'une leucémie et que les conditions de sa grossesse nécessitaient une surveillance accrue associée à la prescription d'examens plus poussés ;

- s'agissant du défaut d'information, le défaut d'information sur l'existence d'un risque de pathologie grave du foetus est constitutif d'une faute caractérisée ; ils n'ont pas été informés de la présence de ces anomalies ; en fonction des informations qui leur auraient été délivrées, ils auraient été amenés à prendre une décision quant à leur aptitude à élever un enfant porteur d'un handicap et, le cas échéant, de se préparer à la situation ; ce défaut d'information est à l'origine d'une perte de chance d'avoir pu réfléchir à la pertinence de conduire une grossesse jusqu'à son terme ou à tout le moins d'avoir pu se préparer à accueillir un enfant lourdement handicapé ;

- la perte de chance sera évaluée à 25 000 euros ;

S'agissant de la faute de l'opérateur à raison de la ligature de l'uretère de Mme H... :

- s'agissant des manquements dans la réalisation du geste : selon l'expertise, cette ligature malencontreuse de l'uretère droit est une faute technique qui était évitable par le procédé appliqué à gauche, à savoir l'isolement de l'uretère ; si le tribunal administratif a adopté la position du docteur Chemla qui a indiqué, dans son rapport critique, que l'expert a fait une interprétation erronée des recommandations du collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) qui n'imposerait pas le repérage préalable des uretères en cas d'hystérectomie d'hémostase subtotale, la position du docteur Chemla n'est ni impartiale ni objective ; une lecture des recommandations du CNGOF établit que le docteur Chemla a trompé le tribunal en prêtant aux recommandations du CNGOF de 2010 des affirmations qu'elles ne contiennent pas et le CNGOF recommande dans les deux formes d'hystérectomies de repérer les uretères ; par suite, les conclusions de l'expert judiciaire sont conformes aux recommandations du CNGOF en 2010 ; l'urgence de la situation ne peut justifier le manque de précision dès lors qu'une hystérectomie d'hémostase est un geste d'urgence vitale, seule alternative pour endiguer une hémorragie ; les recommandations du CNGOF édictent une conduite à tenir dans la réalisation d'un geste par nature très urgent ;

- s'agissant du retard tardif de la ligature ; l'expert a rappelé l'utilité de repérer plus précocement cette complication ; or la ligature n'a été diagnostiquée que cinq jours après l'intervention lors d'un scanner ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices patrimoniaux résultant de la ligature intempestive :

- les frais d'assistance se sont élevés à 750 euros ; les frais de transport pour se rendre à la réunion d'expertise du 2 avril 2015 se sont élevés à 242,38 euros ;

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux résultant de la ligature intempestive :

- le déficit fonctionnel temporaire total sera évalué à 506 euros ; le déficit fonctionnel temporaire de classe II sera évalué à 368 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à 4 500 euros ; le préjudice esthétique sera évalué à 1 500 euros.

Par un courrier, enregistré le 23 août 2018, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône déclare ne pas intervenir dans l'instance.

Par un mémoire enregistré le 8 août 2019, les HCL, représentés par Me J..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- il se déduit de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles qu'une faute caractérisée doit être démontrée pour que puisse être engagée la responsabilité d'un établissement hospitalier envers les parents d'un enfant né avec un handicap qui n'aurait pas été décelé pendant la grossesse ; une telle faute est reconnue en cas de négligence particulièrement grave et inexcusable de la part de l'équipe médicale ; selon les termes du rapport d'expertise, le suivi de la grossesse de la parturiente a été exemplaire ; les praticiens du centre hospitalier se sont montrés réactifs ès lors qu'une anomalie avait été détectée ; selon le rapport d'expertise, l'agénésie partielle du corps calleux n'a pas été mise en évidence et les anomalies sont peu apparentes ; si les bradycardies et le retard de croissance pouvaient être évocateurs, il n'en demeure pas moins que toutes ces anomalies ne sont pas imputables à l'équipe qui suivait la patiente ; les malformations présentées ne pouvaient pas être vues à coup sûr lors des échographies de dépistage ; le docteur Chemla a indiqué que l'enfant présente depuis sa naissance un syndrome polymalformatif et neurologique indétectable in utero dont la cause est inconnue ; les recommandations des bonnes pratiques médicales ne prescrivent pas la mise en oeuvre d'examens complémentaires dans ces conditions ; aucune faute caractérisée ne peut être reprochée à l'établissement ; il est constant que le retard de croissance et l'anormalité du rythme cardiaque n'ont été constatés qu'à huit mois de grossesse et c'est à ce stade que le déclenchement de l'accouchement a été provoqué ;

- le centre hospitalier n'a pas manqué à son obligation d'information ; le défaut d'information d'une pathologie grave du foetus n'est constitutif d'une faute caractérisée que dans l'hypothèse où les examens prénataux menés laissent soupçonner une affection grave ; or l'expert a relevé que l'information a été conforme aux règles en vigueur dès lors que les examens médicaux ne permettaient pas de soupçonner les pathologies présentées par A... ;

- si la cour admettait une faute caractérisée, la somme demandée devra être ramenée à de plus justes proportions ;

- s'agissant du rapport critique du docteur Chemla, le principe du contradictoire a été respecté ; aucun principe procédural n'impose à une juridiction administrative de prendre en compte les conclusions du rapport d'expertise ; le docteur Chemla a expliqué pourquoi il ne pouvait être reproché aux médecins de ne pas avoir procédé au repérage de l'uretère droit au cours de l'hystérectomie réalisée en urgence en précisant que ce repérage n'était pas requis dans le cas d'une hystérectomie subtotale et l'urgence interdisait à l'équipe médicale de tarder en procédant à un repérage de l'uretère droit ; l'équipe médicale s'est conformée aux bonnes pratiques en gynécologie-obstétrique ; dans tous les cas, le pronostic vital de Mme H... nécessitait d'agir en urgence ; les requérants ne justifient pas des raisons pour lesquelles les frais qu'ils ont engagés devraient être mis à leur seule charge ; la prétendue perte de gains professionnels de Mme H... ne saurait être indemnisée en l'absence d'élément probant et de chiffrage des préjudices ; les sommes demandées au titre des préjudices extrapatrimoniaux seront ramenées à de plus justes proportions.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., représentant Mme H..., et de Me I..., représentant les Hospices Civils de Lyon.

Considérant ce qui suit :

1. Mme H..., née le 19 novembre 1981, est atteinte d'une leucémie myéloïde chronique diagnostiquée en 1998 ayant fait l'objet d'une récidive en 2008. Après avoir eu deux enfants, elle a débuté une troisième grossesse le 26 octobre 2013 dont le suivi a été réalisé au sein du service gynécologie de l'hôpital de la Croix-Rousse dépendant des Hospices civils de Lyon (HCL). A la troisième échographie de contrôle, il a été noté un retard de croissance du foetus, et une surveillance par monitoring a mis en évidence des anomalies du rythme cardiaque foetal à type de bradycardie. Le 26 juin 2014, il a été décidé de procéder au déclenchement de l'accouchement et Mme H... a accouché par césarienne d'un enfant, A... B.... Dans les suites immédiates de son accouchement, Mme H... a dû subir une hystérectomie d'hémostase pour éviter une grave hémorragie liée à la présence d'un placenta de type accreta, anormalement adhérent. Devant les douleurs présentées par la patiente, le 1er juillet 2014, un scanner a été réalisé et a objectivé une hydronéphrose droite de dix-huit millimètres résultant d'une ligature malencontreuse de l'uretère droit durant l'opération d'hystérectomie. Le 21 juillet 2014, elle a fait l'objet d'une réimplantation urétéro- vésicale droite. Le 25 juillet 2014, elle a été autorisée à regagner son domicile avec le jeune A.... Le service de pédiatrie a diagnostiqué chez le jeune A... un syndrome brady-apnéique et des troubles de l'oralité attribués à une glossoptose et une pharyngomalacie ainsi qu'une surdité, une anomalie des organes génitaux et une agénésie partielle du corps calleux qui entraîne des anomalies psychologiques, un retard psychomoteur et une dysmorphie faciale. Les 24 septembre et 27 novembre 2014, Mme H... et M. B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon de prescrire une expertise pour déterminer les causes et les conséquences des complications consécutives à la prise en charge de Mme H... et de celle de son enfant A... à l'hôpital de la Croix-Rousse. Par ordonnance du 7 janvier 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné le docteur Malbranche-Aupecle, gynécologue-obstétricien, en qualité d'expert. Mme H... et M. B... relèvent appel du jugement du 13 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la condamnation des HCL à indemniser Mme H... en raison des fautes commises lors de l'hystérectomie d'hémostase et à indemniser Mme H... et M. B... en raison de la faute caractérisée commise du fait du défaut de diagnostic des malformations de leur enfant à naître, A....

Sur la responsabilité des HCL en raison du défaut de détection des malformations du foetus :

2. Aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. ".

3. Il résulte de ces dispositions que la responsabilité d'un établissement public de santé ne peut, en tout état de cause, être recherchée ni pour indemniser le préjudice personnel que l'enfant subit du fait de ce handicap, ni pour inclure dans le préjudice indemnisable de ses parents les charges particulières en découlant. Seul peut, le cas échéant, être indemnisé le préjudice subi personnellement par les parents pour avoir été privés de la possibilité de recourir, dans les conditions prévues à l'article L. 2213-1 du code de la santé publique, à une interruption volontaire de grossesse justifiée par une affection de l'enfant à naître d'une particulière gravité et reconnue comme incurable, à la condition que la non-détection du handicap lors de la grossesse procède d'une faute caractérisée.

4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la grossesse de Mme H... a été " suivie selon les règles de l'art et les échographies de dépistage recommandées sont effectuées pour le foetus ". A la suite de la troisième échographie qui a mis en évidence un retard de croissance du foetus et de la surveillance par monitoring qui a révélé quelques anomalies du rythme cardiaque foetal à type de bradychardies, l'accouchement a été déclenché le 26 juin 2014. L'expert souligne également que " les échographies n'ont pas révélé les anomalies morphologiques foetales " et que " l'agénésie partielle du corps calleux n'a pas été mise en évidence (ce qui est très délicat) et les anomalies génitales n'ont pas été signalées ; l'enfant est donc poly-malformé même si les anomalies sont peu apparentes et il n'est pas possible de savoir si les médicaments pris pour le traitement de leucémie sont en cause ". Il indique également que " l'état de l'enfant est la conséquence d'une poly-malformation non dépistée avant la césarienne. Seuls les bradycardies et le retard de croissance pouvaient être évocateurs ", pour conclure : " la naissance d'un enfant qui se trouve être handicapé n'a pas été prévue comme telle car les malformations présentées ne pouvaient pas être vues à coup sûr lors des échographies de dépistage. L'agénésie partielle du corps calleux peut être reconnue par échographie sur une coupe sagittale ainsi que les anomalies des organes génitaux. Les agénésies partielles ou totales sont assez souvent rencontrées (1/2000), la conduite à tenir restant délicate car le pronostic est variable à type de déficience mentale et la suspicion échographique s'accompagne d'une IRM cérébrale foetale ". Il s'ensuit que les anomalies dont le foetus était porteur étaient peu apparentes lors des échographies de contrôle.

5. Si les requérants font valoir que l'existence de bradycardies et d'un retard de croissance potentiellement évocateurs de malformations exigeait une analyse minutieuse et des investigations poussées devant permettre de détecter la présence d'une agénésie partielle du corps calleux et des malformations des organes génitaux, il résulte de l'instruction que ce n'est que lors de la troisième échographie de contrôle qu'un retard de croissance du foetus et des anomalies du rythme cardiaque ont été détectés et ont conduit à la décision de procéder au déclenchement de l'accouchement sans qu'il soit établi que les recommandations médicales préconisaient en pareil cas de pratiquer, avant toute tentative d'extraction du foetus, des examens complémentaires de type échographie sur une coupe sagittale et une IRM cérébrale foetale pour s'assurer que le foetus ne présentait pas de malformations.

6. Si les requérants font valoir que Mme H... étant atteinte d'une leucémie, sa grossesse nécessitait une surveillance accrue associée à la prescription d'examens plus poussés, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas du rapport d'expertise, qui, comme il a précédemment indiqué, souligne que " le suivi de la grossesse a été attentif " sans relever que l'état de santé de la parturiente aurait nécessité un suivi spécifique, que sa pathologie rendait nécessaire une surveillance particulière et plus poussée de sa grossesse et ce alors qu'elle avait déjà pu donner naissance à deux autres enfants qui n'ont présenté aucun handicap. Par ailleurs, il n'est pas établi que les traitements dont Mme H... a bénéficié pour traiter sa leucémie auraient exposé l'enfant à naître à un risque accru de développer les troubles dont il est atteint.

7. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les HCL auraient commis des manquements dans le suivi de la grossesse de Mme H..., qui par leur intensité et leur gravité, constitueraient une faute caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles.

8. Si les requérants font valoir qu'ils n'ont pas été informés des anomalies dont était atteint le foetus, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, ainsi qu'il a été précédemment indiqué, que ces anomalies étaient peu apparentes lors des échographies de contrôle et n'ont, par suite, pas été signalées. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les HCL auraient commis une faute caractérisée en ne leur délivrant pas d'information sur les malformations dont le foetus était atteint.

Sur la responsabilité des HLC en raison de la ligature de l'uretère lors de l'hystérectomie d'hémostase :

9. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes, de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils apportent la preuve d'une cause étrangère. ".

10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'" au moment de la délivrance manuelle, un placenta anormalement adhérent est diagnostiqué de type accreta sur la face antérieure de l'utérus. (...) Il n'est pas possible de temporiser afin d'éviter une grave hémorragie qui ne pourrait être compensée par une transfusion adéquate faute de produits adaptés. Le pronostic vital se trouve alors engagé. L'hystérectomie est alors effectuée et le descriptif montre qu'il y a d'abord une ligature du pédicule utérin droit alors que du côté gauche, côté infiltré par le placenta, un repérage de l'uretère est fait. (...) Eviter de blesser l'uretère est un objectif essentiel lors de toute chirurgie pelvienne. (...) Le trajet urétéral est donc proche du pédicule utérin et l'hystérectomie d'hémostase sur utérus gravide qui conserve le col utérin conduit à un repérage prudent de l'uretère soit par dissection et mise sur un lac soit en utilisant sa capacité de " péristalter " en le stimulant avec l'extrémité d'une pince. ". L'expert poursuit en soulignant que " la ligature de l'uretère droit est une faute technique qui était évitable par le procédé appliqué à gauche : isolement de l'uretère afin de faire l'hémostase de l'artère utérine sans risquer de blesser cet organe qu'il est du devoir du chirurgien d'éviter. Il aurait été utile de repérer immédiatement cette complication et d'en effectuer la réparation sur sonde JJ avec suture " et précise que " la prévention de la ligature accidentelle de l'uretère repose sur un bon repérage visuel ou palpatoire ". L'expert conclut que " le contexte de placenta accreta est une situation gravissime pour laquelle le pronostic vital de la patiente était en jeu avec un risque hémorragique et les conditions de transfusion n'étaient pas optimum (groupe sanguin rare). Parmi les complications survenues la ligature urétérale était la seule évitable. (...) L'hystérectomie d'hémostase conserve le col et les ovaires et l'urgence qui l'entoure ne dispense pas (au contraire) d'une vigilance accrue pour éviter une lésion urétérale qui n'est pas exceptionnelle et fait partie des risques principaux décrits pour le geste d'hystérectomie. Les connaissances anatomiques et l'adaptation lors des variantes font partie du savoir-faire chirurgical car cette spécialité à risque comporte des complications, la gestion de celles-ci en particulier la reconnaissance immédiate de la complication et sa réparation (par un spécialiste de l'organe lésé) reste conforme aux règles de l'art. La complication opératoire évitable par les procédés de prévention décrits a été prise en charge secondairement et a généré une fatigue immense ".

11. Les HCL contestent les conclusions de l'expert judiciaire en se fondant sur un avis critique du docteur Chemla, soumis au débat contradictoire des parties, qui indique, en se référant aux recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français publié le 10 décembre 2010 que " c'est parce que le repérage et la mise sur lacs systématique des uretères ne fait pas partie des pratiques recommandées en cas d'hystérectomie d'hémostase subtotale que le faire dans le cas présent, sans qu'aucun risque particulier ne le justifie, eût fait perdre un temps précieux risquant d'aggraver encore l'hémorragie alors qu'on ne disposait plus de sang pour la compenser. L'hémorragie du postpartum est une éventualité rare. Sa survenue chez une patiente présentant un placenta percreta ayant par ailleurs une leucémie myeloïde chronique dont le traitement a entraîné une spécificité de prise en charge imposant l'utilisation de sang irradié dont on ne disposait pas en grande quantité est une situation très exceptionnelle qui imposait encore plus chez cette patiente que dans les autres cas d'être rapide en ne faisant que les gestes indispensables et recommandés. La ligature de l'uretère droit constatée en post opératoire ne résulte donc pas d'une faute technique mais d'un accident imprévisible et inévitable dû en toute hypothèse à un trajet aberrant de l'uretère qui était inconnu des chirurgiens qui ont pris en charge cette patiente au moment où ils l'opéraient. Il n'y a pas de manquement à reprocher au centre hospitalier les Hospices civils de Lyon ".

12. Il résulte de l'instruction que les recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français relatives à l'hystérectomie d'hémostase précisent que " L'hystérectomie sur utérus gravide doit tenir compte de nouveaux rapports anatomiques liés à des modifications volumétriques et structurales conditionnant des rapports plus étendus, une hypervascularisation intrinsèque et extrinsèque et l'individualisation à terme du segment inférieur. Ces modifications anatomiques et physiologiques liées à la grossesse génèrent certaines difficultés et spécificités dans l'approche chirurgicale. (....) Les blessures ou ligatures de l'uretère doivent être toujours présentes à l'esprit, l'uretère pouvant être pris lors de la ligature du ligament lombo-ovarien. Le risque le plus important se situe au niveau des ligatures de la base du ligament large. (...) Ces blessures ou ligatures urétérales peuvent être prévenues par repérage de l'uretère mis sur lac pour ne pas le perdre de vue lors des ligatures vasculaires. ". Cette recommandation est mentionnée dans la partie " complications " qui ne fait pas état d'une distinction entre l'hystérectomie d'hémostase subtotale et totale et préconise ce repérage de l'uretère pour éviter sa ligature en prenant en compte les modifications anatomiques liées à la grossesse et l'urgence à réaliser le geste d'hystérectomie dans un contexte d'hémorragie. Il s'ensuit que ce défaut de repérage de l'uretère qui a conduit à la ligature de l'uretère droit constitue une faute de nature à engager la responsabilité des HCL.

13. Mme H... fait également valoir que la ligature n'a été diagnostiquée que cinq jours après l'intervention lors d'un scanner. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que " dans les suites immédiates, la patiente a présenté de violentes douleurs de la fosse iliaque droite alors qu'elle est en réanimation et un scanner demandé à J5 a révélé une hydronéphrose droite de 18 mm dont l'origine est la ligature malencontreuse de l'uretère droit durant l'intervention d'hystérectomie ". Si l'expert indique qu'" il aurait été utile de repérer immédiatement cette complication et d'en effectuer la réparation sur sonde JJ avec suture ", il souligne néanmoins que " la reconnaissance immédiate de la complication et sa réparation (par un spécialiste de l'organe lésé) reste conforme aux règles de l'art ". Par suite, les requérants n'établissent pas que le diagnostic de la ligature de l'uretère droit, cinq jours après l'hystérectomie d'hémostase, constituerait un retard fautif de nature à engager la responsabilité des HCL.

14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'il y a lieu de condamner les HCL à indemniser Mme H... des préjudices subis du fait de la ligature de l'uretère droit.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant aux dépenses de santé :

15. Mme H... ne fait valoir aucune dépense de santé restée à sa charge.

Quant aux frais divers :

16. Mme H... justifie de frais d'assistance à l'expertise par le docteur Grégoire pour la somme, qui n'apparaît ni excessive ni injustifiée, de 750 euros.

17. Il y a lieu de mettre à la charge des HCL la somme de 70 euros correspondant aux frais de déplacement exposés par Mme H... pour se rendre aux opérations d'expertise qui ont eu lieu à Dijon le 26 mai 2015.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

18. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du docteur Malbranche-Aupecle que la date de consolidation de l'état de santé de Mme H... a été fixée au 27 août 2014 et correspond à l'ablation de la sonde. L'expert a retenu que " la période d'arrêt de travail a été du 24 juin au 20 juillet 2014 avec deux jours en réanimation, puis du 20 au 25 juillet à la suite de la réimplantation urétérale, puis jusqu'au 27 août, date de l'ablation de la sonde JJ, DFTP du 5 au 25 juillet (hospitalisée en urologie). La patiente est de toute façon en arrêt pour congé post-natal soit 18 semaines avec 4 semaines supplémentaires possible pour suite de couches pathologiques soit 22 semaines ". A la suite d'un message électronique du conseil de Mme H... du 1er juillet 2015, l'expert a précisé que " les dix jours d'arrêt pour hystérectomie sont inclus dans son congé-post natal avec arrêt pathologique supplémentaire de 14 jours " et a indiqué qu'il ne lui paraissait pas opportun de modifier les taux fixés pour la gêne durant la convalescence.

19. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du diagnostic de ligature de l'uretère, une sonde de néphrostomie a été placée et qu'une réimplantation urétéro-vésicale droite a été réalisée le 21 juillet 2014, l'expert précisant que " la patiente une fois opérée est soulagée et peut quitter le service le 25 juillet 2014 " et qu'il convient de prendre en compte les suites habituelles d'une hystérectomie correspondant à 10 jours d'hospitalisation. Il s'ensuit qu'à compter du 7 juillet et jusqu'au 25 juillet 2014, Mme H... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total en lien avec la ligature de l'uretère et qu'il y a lieu de retenir au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel avec un taux de classe II (25 %) la période du 26 juillet au 27 août 2014. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel en l'estimant à 600 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

20. Il résulte de l'instruction que l'expert a évalué les souffrances endurées à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme H... la somme de 3 500 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

21. Il résulte de l'instruction que l'expert a évalué le préjudice esthétique subi par Mme H... à 1 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme H... la somme de 1 000 euros.

22. Il résulte de ce qui précède que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande indemnitaire et est seulement fondée à demander la condamnation des HCL à lui verser la somme de 5 920 euros en réparation des préjudices subis du fait de la ligature de l'uretère droit lors de l'hystérectomie d'hémostase.

Sur les intérêts :

23. Mme H... a droit, comme elle le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 5 920 euros à compter du 20 janvier 2016, date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur les dépens :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive des HCL, partie perdante, le montant des frais d'expertise de première instance liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par ordonnance du 31 août 2015 du président du tribunal administratif de Lyon.

Sur les frais non compris dans les dépens :

25. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des HCL le versement à Mme H... et à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 13 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les HCL sont condamnés à verser à Mme H... la somme de 5 920 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 20 janvier 2016.

Article 3 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par ordonnance du 31 août 2015 du président du tribunal administratif de Lyon sont mis à la charge des HCL.

Article 4 : Les HCL verseront la somme de 1 500 euros à Mme H... et M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme H... et M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... H..., à M. C... B..., aux Hospices civils de Lyon et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 avril 2020.

2

N° 18LY01775


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY01775
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : PICHON

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-02;18ly01775 ?
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