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12/03/2020 | FRANCE | N°18LY01680

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 12 mars 2020, 18LY01680


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de la Charité-sur-Loire à lui verser une somme de 100 000 euros, éventuellement à parfaire, en réparation des préjudices résultant de sa chute de la Tour Carrée des remparts de la ville le 26 septembre 2011 et d'ordonner une expertise avant dire droit afin qu'il soit procédé à une évaluation des différents postes de préjudices dont il souffre.

Par un jugement n° 1603558 du 8 mars 2018, le tribunal administratif

de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de la Charité-sur-Loire à lui verser une somme de 100 000 euros, éventuellement à parfaire, en réparation des préjudices résultant de sa chute de la Tour Carrée des remparts de la ville le 26 septembre 2011 et d'ordonner une expertise avant dire droit afin qu'il soit procédé à une évaluation des différents postes de préjudices dont il souffre.

Par un jugement n° 1603558 du 8 mars 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2018, M. B... E..., représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 mars 2018 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de condamner la commune de la Charité-sur-Loire à lui verser la somme de 100 000 euros, éventuellement à parfaire, en réparation des préjudices subis du fait de sa chute du haut de la Tour Carrée des remparts de la ville le 26 septembre 2011 ;

3°) d'ordonner une mesure d'expertise afin d'évaluer les différents postes de préjudice.

Il soutient que :

- à partir du moment où le tribunal administratif a retenu qu'il s'était hissé sur l'un des murs sommitaux de la Tour Carrée et s'en était laissé tomber les bras écartés, il ne pouvait s'agir d'une chute accidentelle due à un défaut de prudence élémentaire mais nécessairement d'un acte volontaire traduisant sa volonté de mettre fin à ses jours ; il était atteint de troubles du discernement le 26 septembre 2011 ; il a fait de fréquents séjours en hôpital psychiatrique lorsqu'il résidait en Pologne ; il lui a été prescrit un médicament indiqué dans le traitement de la schizophrénie et des épisodes maniaques modérés à sévères ; son père a sollicité l'ouverture d'une curatelle à l'égard de son fils ; par suite, et à défaut de discernement, aucune faute exonératoire de toute responsabilité de la commune, ne peut être retenue à son égard ; l'entière responsabilité de la commune doit être reconnue ;

- il présente des séquelles invalidantes et la commission des droits et de l'autonomie de la Nièvre lui a reconnu un taux d'incapacité de plus de 80% ; il bénéficie, depuis 2014, de l'allocation aux adultes handicapés et de la prestation de compensation du handicap ;

Par un mémoire enregistré le 29 mars 2019, la commune de la Charité-sur-Loire, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E....

Elle soutient que :

- elle conteste les constatations de la gendarmerie selon lesquelles le grillage bloquant l'accès à la partie haute de la tour Cuffy était éventré depuis plusieurs années ; les grilles sont surveillées régulièrement par les services techniques et sont réparées en cas de dégradation ; les services de la commune effectuent des patrouilles de surveillance ; elle démontre qu'elle a procédé à un entretien normal de l'ouvrage en cause ;

- aucun élément médical ne vient démontrer qu'à la date de la chute, M. E... présentait une fragilité psychologique ; le requérant ne pouvait ignorer les risques encourus en montant en haut de la tour dès lors qu'il a dû franchir plusieurs obstacles et qu'il connaissait les lieux ; il a commis une grave faute d'imprudence ; il a fait un usage anormal de l'ouvrage public ; la circonstance que la victime est atteinte d'un trouble mental ne suffit pas à l'exonérer des fautes commises ;

- s'agissant des préjudices, aucun élément médical ne permet d'envisager une provision d'un tel montant ; aucun chiffrage n'est proposé ;

- une expertise médicale serait inutile dans la mesure où le principe de sa responsabilité n'est pas fondé.

Par un mémoire enregistré le 11 février 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or, représentée par Me C... F..., conclut à l'annulation du jugement du 8 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon, à la condamnation de la commune de la Charité-sur-Loire à la rembourser des débours engagés au bénéfice de son assuré à hauteur de 41 329,33 euros et à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune de la Charité-sur-Loire en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de la Charité-sur-Loire n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'entretien normal de l'ouvrage public compte tenu de ce que le grillage était dégradé depuis plusieurs années ;

- la victime présentait au moment de l'accident un état psychique l'empêchant d'avoir tout discernement ;

- elle a engagé des frais hospitaliers à hauteur de 41 329,33 euros.

Par lettre du 23 janvier 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement en l'absence de mise en cause par le tribunal administratif de Dijon de la caisse primaire d'assurance maladie dont M. E... relève en méconnaissance des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2018.

Vu:

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me G..., représentant M. B... E....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E..., ressortissant polonais né le 29 novembre 1989, est venu rejoindre son père établi depuis plusieurs années dans la commune de la Charité-sur-Loire. Le 26 septembre 2011, il a pénétré dans la Tour Carrée située au niveau des remparts, est monté à son sommet et est tombé d'une hauteur de près de 20 mètres. Il a été transporté au centre hospitalier de Nevers pour y subir une intervention chirurgicale en raison notamment de fractures ouvertes des chevilles. Il demeure atteint d'un handicap permanent lié à l'amputation partielle de ses talons. Imputant sa chute à un défaut d'entretien de l'ouvrage public dont la commune de la Charité-sur-Loire est propriétaire, M. E... l'a saisie d'une réclamation indemnitaire le 21 décembre 2015 qui a été rejetée. M. E... relève appel du jugement du 8 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte d'Or, appelée à l'instance, demande l'annulation de ce même jugement et la condamnation de la commune de la Charité-sur-Loire à lui verser la somme de 41 329,33 euros en remboursement des débours exposés au bénéfice de son assuré et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel : " La personne victime, les établissements de santé, le tiers responsable et son assureur sont tenus d'informer la caisse de la survenue des lésions causées par un tiers dans des conditions fixées par décret. / L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt ". Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'ordonner la mise en cause des parties intéressées au litige.

3. Il ressort des pièces versées au dossier de première instance que, saisi de la demande de M. E... tendant à la réparation par la commune de la Charité-sur-Loire des préjudices subis à la suite de sa chute de la Tour Carrée, le tribunal administratif de Dijon n'a pas mis en cause les organismes de sécurité sociale dont relevait l'intéressé. Il a ainsi méconnu la portée des dispositions législatives ci-dessus rappelées. Il y a lieu dès lors pour la cour d'annuler le jugement attaqué, et après avoir mis en cause la CPAM de la Côte d'Or, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E....

Sur la responsabilité de la commune de la Charité-sur-Loire :

4. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

5. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal de synthèse réalisé par la compagnie de la gendarmerie nationale de Cosne-sur-Loire que, le 26 septembre 2011, M. E... a fait une chute depuis le sommet de la tour des remparts de la Charité-sur-Loire. Dans leur procès-verbal, les gendarmes ont constaté que " s'il existe des grilles de protection interdisant l'accès à la partie supérieure de la tour, ce grillage a été dégradé depuis plusieurs années par des jeunes pour leur permettre d'accéder et de se réunir en haut de cette tour ". La commune de la Charité-sur-Loire conteste ces constatations de la gendarmerie en faisant valoir qu'elle procède à l'entretien régulier des remparts et produit un relevé des interventions de ses services techniques qui indique que la dernière intervention avant l'accident subi par M. E... date du 31 mai 2011, soit environ 4 mois auparavant, et qu'elle a consisté en la réfection des joints des pierres du mur d'enceinte des remparts. Par suite, la commune de la Charité-sur-Loire n'établit pas que la dégradation du grillage était récente et qu'elle n'aurait pas été en mesure de prendre toutes les dispositions nécessaires pour procéder au remplacement de cet équipement de sécurité. Il s'ensuit qu'en l'absence d'un dispositif de sécurité en bon état interdisant l'accès au sommet de la tour des remparts, la commune de la Charité-sur-Loire n'établit pas, alors que la charge de la preuve lui incombe, avoir entretenu normalement l'ouvrage public que constitue la tour des remparts.

6. M. E... soutient qu'aucune faute d'imprudence ne peut être retenue à son encontre eu égard à son extrême fragilité psychologique. Toutefois, et nonobstant la circonstance qu'il a fait l'objet en Pologne de séjours en hôpital en raison de sa consommation de cannabis dont il serait sevré et qu'il a été hospitalisé dans le service de psychiatrie du CHU de Dijon du 29 août au 18 septembre 2017 pour décompensation psychotique dans le cadre d'une rupture thérapeutique, les fautes commis par M. E... peuvent lui être opposées.

7. Il résulte de l'instruction qu'après avoir franchi le grillage éventré, M. E... a dû, pour atteindre le sommet de la tour, grimper sur les pierres du mur d'une hauteur non contestée de 2,50 mètres. Par ailleurs, un témoin de l'accident indique " avoir vu un jeune homme, assis les jambes dans le vide, en haut de la tour Cuffy au niveau des remparts de la ville (...). Lorsqu'elle est arrivée à proximité, elle a vu le jeune homme se mettre debout sur le mur et se laisser tomber, les bras écartés. Elle assure qu'il s'agit d'un acte volontaire ". M. E... a indiqué, pour sa part, à la gendarmerie " qu'il a chuté accidentellement et que cette chute est dû à son imprudence " et a précisé qu'il était conscient d'avoir pris des risques. Par suite, compte tenu des caractéristiques du lieu qu'il connaissait, M. E... ne pouvait ignorer les risques qu'il prenait en grimpant jusqu'au sommet de la tour. Il s'ensuit que le comportement de M. E... constitue un usage anormal de l'ouvrage public et que les préjudices subis du fait de la chute dont il a été victime sont exclusivement imputables à son imprudence, qui est, en l'espèce, de nature à exonérer la commune de la Charité-sur-Loire de toute responsabilité.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. E... n'est pas fondé à demander la condamnation de la commune de la Charité-sur-Loire à l'indemniser des préjudices subis en raison de sa chute et que la CPAM de la Côte d'Or n'est pas davantage fondée à demander le remboursement des débours exposés et le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, au titre des frais exposés par la CPAM de la Côte d'Or et non compris dans les dépens, à la charge de la commune de la Charité-sur-Loire qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... le versement à la commune de la Charité-sur-Loire de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 8 mars 2018 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Dijon et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la CPAM de la Côte d'Or est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de la Charité-sur-Loire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à la commune de la Charité-sur-Loire et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or.

Délibéré après l'audience du 20 février 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 12 mars 2020.

5

N° 18LY01680


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY01680
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-01 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Notion de dommages de travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS PORTALIS ASSOCIES - CAPA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-03-12;18ly01680 ?
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