La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2020 | FRANCE | N°17LY01909

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 27 février 2020, 17LY01909


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La communauté de communes du Beaufortin a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hugues à lui verser la somme de 2 618 397 euros assortie des intérêts au taux légal en indemnisation des désordres affectant la station d'épuration du Beaufortain, et subsidiairement de condamner l'Etat sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de maître d'oeuvre.r>
Par un jugement n° 1406031 du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Greno...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La communauté de communes du Beaufortin a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hugues à lui verser la somme de 2 618 397 euros assortie des intérêts au taux légal en indemnisation des désordres affectant la station d'épuration du Beaufortain, et subsidiairement de condamner l'Etat sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de maître d'oeuvre.

Par un jugement n° 1406031 du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 4 mai 2017 et des mémoires enregistrés le 9 novembre 2018 et le 26 novembre 2018, la communauté d'agglomération Arlysère, venant aux droits de la communauté de communes du Beaufortin, représentée par la SELARL A... et Macagno, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 14 mars 2017 ;

2°) de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hugues à lui verser la somme de 2 618 397 euros assortie des intérêts au taux légal en indemnisation des désordres affectant la station d'épuration du Beaufortain ;

3°) subsidiairement, de condamner l'Etat à lui verser cette même somme sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de maître d'oeuvre ;

4°) de prescrire en tant que de besoin une expertise complémentaire ;

5°) de condamner solidairement l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hugues aux dépens ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Degrémont France Assainissement et de la société Baker Hugues une somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le procédé du Centridry pour le séchage des boues n'est pas adapté à la configuration et la nature de l'environnement ce qui rend la station d'épuration impropre à sa destination comme le démontre l'intervention de deux incidents en 2004 et 2006 ;

- les désordres sont imputables à l'Etat, à la société Degrémont et à la société Baker Hughes, qui ne peuvent se prévaloir d'aucune cause exonératoire ;

- la responsabilité contractuelle de l'Etat est engagée en sa qualité de maître d'oeuvre compte tenu de l'inadaptation du procédé épuratoire retenu ;

- ses préjudices, correspondant à la reconstruction de la station d'épuration avec la mise en place d'un nouveau procédé de traitement des boues, au remboursement de l'investissement initial dans un procédé inadapté et aux frais ainsi occasionnés ainsi qu'à son préjudice moral et à ses troubles de jouissance doivent être évalués à la somme de 2 618 397 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 24 octobre 2018 et le 9 novembre 2018, la société Baker Hughes, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de se déclarer incompétente pour statuer sur les conclusions de la communauté d'agglomération Arlysère et de la société Degrémont dirigées contre elle ;

3°) de mettre les dépens, ainsi qu'une somme de 50 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la charge de la communauté d'agglomération Arlysère.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur les conclusions présentées contre elle dès lors qu'elle avait la qualité de sous-traitante ;

- les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Arlysère ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 octobre 2018, la société Degrémont, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) de rejeter requête ;

2°) de condamner l'Etat et la société Baker Hughes à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Arlysère et de toute partie déclarée responsable in solidum la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en ce qu'elle ne comporte pas de critique du jugement et en ce que la communauté d'agglomération requérante ne produit pas de délibération habilitant son président à la représenter ;

- les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Arlysère ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 novembre 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Arlysère ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme D...,

- et les observations de Me A..., représentant la communauté d'agglomération Arlysère, celles de Me C..., représentant la société Degrémont et celles de Me B..., représentant la société Baker Hugues.

Une note en délibéré, enregistrée le 13 février 2020, a été produite pour la communauté d'agglomération Arlysère.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes du Beaufortain, aux droits de laquelle vient la communauté d'agglomération Arlysère, s'est engagée fin 1997 dans un projet de construction d'une station d'épuration intercommunale comportant un système d'élimination des boues. L'État a assuré la maîtrise d'oeuvre et les travaux ont été confiés en 2000 à la société Degrémont France Assainissement. Le marché a été modifié par un avenant n°1 qui a prévu la construction d'un atelier de séchage thermique des boues selon le procédé "Centridry", en remplacement de 1'une des deux centrifugeuses prévues dans le contrat initial. La société Degrémont France Assainissement a sous-traité la réalisation de cet atelier à la société Baker Hughes. A la suite d'un incident survenu le 18 juillet 2006, la communauté d'agglomération a décidé de ne pas remettre en fonctionnement l'atelier de séchage de boues. La communauté d'agglomération Arlysère relève appel du jugement du 14 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire, sur le fondement de la garantie décennale, de l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hugues à lui verser la somme de 2 618 397 euros assortie des intérêts au taux légal en indemnisation des désordres affectant la station d'épuration, et subsidiairement de condamner l'Etat à lui verser cette même somme sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de maître d'oeuvre.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Le présent litige trouve son origine dans l'exécution d'un marché de travaux publics, alors même que la société Baker Hughes est intervenue en qualité de sous-traitante. Cette dernière société était cependant liée par un contrat de droit privé avec la société Degrémont. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée par la société Baker Hughes doit dès lors être accueillie uniquement en tant qu'elle concerne l'appel en garantie dirigée contre elle par la société Degrémont.

Sur les conclusions de la communauté d'agglomération Arlysère au titre de la garantie décennale :

3. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Par ailleurs, un constructeur dont la responsabilité est recherchée par un maître d'ouvrage n'est fondé à demander à être garanti par un autre constructeur que si et dans la mesure où les condamnations qu'il supporte correspondent à un dommage imputable à ce constructeur.

4. La communauté d'agglomération critique le rapport d'expertise judiciaire pour avoir attribué l'origine de l'incident survenu en 2006 à une erreur de manipulation humaine en soutenant que la société Degrémont France Assainissement exposait dans le mémoire technique à l'appui de son offre que le Centridry pouvait être entièrement automatisé et fonctionner de manière autonome. Elle n'apporte toutefois aucun élément précis et circonstancié de nature à contredire le rapport d'expertise, qui explique que c'est la fermeture du groupe hydraulique par un agent de la communauté d'agglomération qui a causé l'explosion du 18 juillet 2006. Si la communauté d'agglomération reproche à l'expertise judiciaire de ne pas avoir retenu son argumentation selon laquelle le procédé du Centridry n'était pas adapté aux effluents à traiter, qui ne seraient pas de même nature que ceux habituellement traités par des stations d'épuration équipées de ce procédé, il n'est pas établi que le procédé du "Centridry" présentait une incompatibilité radicale avec le projet. En particulier, le seul fait que les effluents d'industries et d'équipements locaux, tels que des abattoirs ou des fromageries, doivent être traités par la station d'épuration communautaire ne suffit pas à établir que l'inadaptation du procédé retenu à cet environnement est révélé par les dysfonctionnements subis. Dans ces conditions il n'y a pas lieu d'écarter les constats et conclusions du rapport d'expertise judiciaire du 15 avril 2014.

5. Le 17 février 2004, une explosion s'est produite dans le local de séchage des boues de la station d'épuration occasionnant des dégâts matériels et répandant une épaisse fumée dans les locaux. Les conséquences de cet accident ont été réparées par la société Degrémont France Assainissement, à ses frais. Les réserves formulées dans le cadre de la réception du 9 décembre 2003 ont été levées le 15 mars 2006 avec effet au 30 juin 2005. Le 18 juillet 2006, un autre incident s'est produit, caractérisé par une explosion avec dégagement d'une intense chaleur situé entre la reprise d'air du circuit "Centridry" et l'amont du ventilateur d'extraction placé en tête de l'unité de désodorisation. Les dégâts ont été intégralement pris en charge et réparés par le constructeur et son assureur. La communauté d'agglomération a alors pris la décision de ne plus utiliser le "Centridry".

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que le sinistre survenu le 17 février 2004, pendant la phase d'essais de garantie, sur le ventilateur principal du Centridry, est dépourvu de lien avec l'explosion du 18 juillet 2006 et que les incidents recensés en mars et mai 2005, également durant la phase d'essais de garantie, ont eux aussi été traités par la société Degrémont France Assainissement. Le rapport d'expertise, qui relève par ailleurs que les enregistrements des alarmes dans la station d'épuration avant le 13 juin 2007 ont été effacés par la communauté d'agglomération, conclut que l'accident survenu le 18 juillet 2006, après la levée des réserves et alors que l'établissement avait pris en charge la gestion de l'équipement, est probablement dû à une " erreur de manipulation " que révèle " la fermeture du groupe hydraulique à 23h40 [qui a] induit une hausse des températures au niveau du laveur / de la boucle de séchage, normalement refroidie par de l'eau ". Dans ces conditions, la persistance d'un danger intrinsèque de l'installation et son inadaptation fondamentale à traiter les effluents collectés ne sont pas établies.

7. En l'absence d'impropriété de l'ouvrage, l'Etat, la société Degrémont France Assainissement et la société Baker Hughes, qui en tout état de cause avait la qualité de sous-traitant ainsi qu'il a été dit au point 2, ne sauraient être solidairement tenus, sur le fondement de la garantie décennale, d'indemniser la communauté d'agglomération Arlysère des conséquences de l'arrêt puis du remplacement du "Centridry".

Sur les conclusions de la communauté d'agglomération Arlysère au titre de la responsabilité contractuelle de l'Etat :

8. Aux termes de l'article 11 du décret du 29 novembre 1993 : " L'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement a pour objet : a) D'organiser les opérations préalables à la réception des travaux ; b) D'assurer le suivi des réserves formulées lors de la réception des travaux jusqu'à leur levée c) De procéder à l'examen des désordres signalés par le maître de l'ouvrage (...) ".

9. Le maître de l'ouvrage peut utilement invoquer la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre à la condition qu'un manquement de ce dernier à ses obligations de conseil en phase d'assistance aux opérations de réception ait eu directement pour effet de le priver du droit d'obtenir de l'entreprise la reprise des malfaçons qui étaient apparentes en exécution du marché de travaux.

10. D'une part, la requérante n'indique pas davantage en appel qu'en première instance en quoi la levée des réserves assortissant la réception de l'atelier de séchage des boues l'aurait privée d'une garantie relative au fonctionnement de cet ouvrage tel qu'il avait été évalué lors des essais. D'autre part, l'ouvrage n'aurait pu faire l'objet de réserves sur la technique d'épuration et le maître d'ouvrage n'aurait pu contraindre la société Degrémont France Assainissement à modifier à ses frais l'ouvrage dès lors qu'il a été livré conformément à la commande. La communauté d'agglomération Arlysère n'est dès lors pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de l'Etat au motif que le Centridry serait un procédé inadapté, ce qui n'est pas établi.

11. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 321,72 euros ont été mis par le tribunal la charge de la communauté d'agglomération. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de laisser ces frais d'expertise à la charge définitive de celle-ci.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise ni de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la société Degrémont France Assainissement, que la communauté d'agglomération Arlysère n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Degrémont France Assainissement, la société Baker Hughes et l'Etat, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à la communauté d'agglomération Arlysère une somme au titre des frais liés au litige. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de communauté d'agglomération Arlysère une somme de 2 000 euros à verser à la société Degrémont France Assainissement et la même somme à verser à la société Baker Hughes.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la communauté d'agglomération Arlysère est rejetée.

Article 2 : La communauté d'agglomération Arlysère versera la somme de 2 000 euros à la société Baker Hughes et la somme de 2 000 euros à la société Degrémont France Assainissement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Arlysère, à la société Degrémont France Assainissement, à la société Baker Hughes et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré après l'audience du 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme F..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 27 février 2020.

2

N° 17LY01909


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17LY01909
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Véronique VACCARO-PLANCHET
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : AARPI SPHERE AVOCATS MES BASSET - MACAGNO

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-02-27;17ly01909 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award