La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2019 | FRANCE | N°17LY04287

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 14 novembre 2019, 17LY04287


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Eiffage TP, devenue Eiffage Génie Civil, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme et la société Atelier 3A à lui verser, in solidum, la somme de 104 477 euros au titre du chantier du centre d'incendie et de secours de Die, augmentée des intérêts et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1406664 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le servi

ce départemental d'incendie et de secours de la Drôme à verser 4 926 euros à la soci...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Eiffage TP, devenue Eiffage Génie Civil, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner solidairement le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme et la société Atelier 3A à lui verser, in solidum, la somme de 104 477 euros au titre du chantier du centre d'incendie et de secours de Die, augmentée des intérêts et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1406664 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme à verser 4 926 euros à la société Eiffage TP, avec intérêt à compter du 5 novembre 2014 et capitalisation de ces intérêts à compter du 5 novembre 2015.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 décembre 2017 et 10 décembre 2018, la société Eiffage Génie Civil, représentée par la SCP Ducrot et associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2017 ;

2°) de faire droit à l'intégralité de ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Drôme et de la société Atelier 3A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le jugement est entaché d'irrégularités en ce que les premiers juges se sont fondés sur une fin de non-recevoir non communiquée, qu'ils ont statué ultra petita et ont considéré à tort qu'une partie de ses demandes était forclose ;

- en tout état de cause, ses autres prétentions sont recevables et le jugement sera confirmé sur ce point ;

- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de direction du marché de maîtrise d'oeuvre ; cette faute est à l'origine du préjudice qu'elle a subi du fait de l'allongement des délais de chantier occasionnant des surcoûts de main-d'oeuvre, des surcoûts liés à l'encadrement du chantier, des surcoûts liés à la grue de chantier, au petit matériel de chantier, à l'intervention de l'ingénieur méthodes, et ce pour un montant total de 77 896 euros HT ;

- elle a également subi un préjudice du fait des travaux supplémentaires s'agissant des regards, du revêtement de façade du lot n° 2, de l'enlèvement d'un joint polystyrène, de la fourniture et la pose d'un tampon à carreler et des travaux sous-traités à la société Angelino, ce qui représente un montant de 17 665 euros HT ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les pénalités de retard d'une montant de 4 926 euros n'étaient pas dues ; en revanche, elle ne saurait se voir appliquer deux fois 2 000 euros de pénalités au titre des absences aux réunions de chantier sous prétexte qu'elle était titulaire de deux lots ; en tout état de cause, l'organisation de réunions supplémentaires auxquelles elle n'a pas assisté découle du retard pris du fait de la faute du SDIS ;

- si par extraordinaire, la cour ne retenait pas la faute du SDIS, elle ne pourrait que constater le bouleversement de l'économie du contrat ;

- la responsabilité de la société Atelier 3A peut être recherchée sur un fondement quasi-délictuel, les fautes qu'elle a commises dans la conception des travaux et le suivi du chantier sont à l'origine de ses préjudices.

Par deux mémoires, enregistrés les 21 mars 2018 et 7 mai 2019, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme, représenté par la SELARL Legitima, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) de condamner la société Atelier 3A et la société Paul Vollin Ingénierie (PVI) à la garantir intégralement et solidairement des condamnations prononcées à son encontre ;

2°) de mettre à la charge in solidum des parties qui succombent une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement est régulier ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le caractère intangible du décompte rend toutes les réclamations de la société appelante irrecevables ; par ailleurs, il ne peut être porté devant la juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans le mémoire en réclamation ; or, la réclamation de la société ne fait pas état d'une quelconque faute du maître d'ouvrage ;

- il ne peut être tenu pour responsable des fautes commises par le groupement de maîtrise d'oeuvre et n'a commis aucune faute dans le cadre de la direction du marché de maîtrise d'oeuvre ; en tout état de cause, le préjudice dont se prévaut la société n'a aucun lien de causalité direct avec la faute qu'elle lui impute ;

- la société appelante ne démontre pas que les différents travaux supplémentaires dont elle fait état n'étaient pas inclus dans le marché ; elle ne démontre pas non plus que ces travaux ont été indispensables à l'exécution du contrat dans les règles de l'art, qu'ils ont été commandés irrégulièrement mais se sont révélés utiles, ni même qu'ils découlent de sujétions imprévues ayant entraîné un bouleversement de l'économie du marché ; en tout état de cause, ses demandes ne sont pas justifiées ;

- s'il devait être condamné, il est fondé à demander à être garanti par les sociétés membre du groupement de maîtrise d'oeuvre, et en particulier par la société Atelier 3A, mandataire solidaire et titulaire de la mission OPC ; en revanche, les conclusions d'appel en garantie présentées par cette société ne pourront qu'être rejetées.

Par deux mémoires, enregistrés les 19 avril 2018 et 4 avril 2019, la société Atelier 3A, représentée par la SELARL Deniau Avocats Grenoble, conclut au rejet des conclusions des parties dirigées à son encontre et demande à la cour :

1°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de la société Eiffage Génie Civil ou tout autre succombant une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- la demande de première instance était irrecevable au regard des stipulations des articles 50-22 et suivants du CCAG-Travaux ;

- à supposer avérées les erreurs de la maîtrise d'oeuvre, elles ne lui sont pas imputables ; seul le BET devra répondre, le cas échéant, des conséquences indemnitaires de ses propres défaillances ;

- les surcoûts allégués du fait de l'allongement des délais de chantier ne sont pas justifiés ;

- il appartenait à la société appelante d'évaluer correctement son marché ; elle ne peut prétendre au paiement de travaux supplémentaires, en réalité compris dans le forfait ; ni elle, ni le maître d'ouvrage ne sauraient être tenus au paiement des travaux réalisés de la seule initiative de la société ; cette dernière ne démontre pas que les travaux concernés étaient indispensables au respect des règles de l'art ; en tout état de cause, il appartient au maître d'ouvrage de supporter le coût de réalisation de travaux réalisés à son profit ;

- les retards pris dans l'exécution des travaux sont imputables à la seule société appelante qui doit supporter les pénalités qui lui ont été appliquées à ce titre ; elle est également seule responsable de ses absences aux réunions de chantier ;

- si elle devait être condamnée, elle est bien fondée à appeler en garantie le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme en ce qu'il n'a pris aucune mesure visant à sanctionner le BET défaillant ; les conclusions d'appel en garantie du SDIS à son encontre ne pourront qu'être rejetées ;

La procédure a été communiquée à Me D..., mandataire liquidateur de la société Paul Vollin Ingénierie qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics alors en vigueur ;

- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

- le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... ;

- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., représentant la société Eiffage Génie Civil, celles de Me E..., représentant le SDIS de la Drôme et celles de Me B..., représentant la société Atelier 3A Infra Structura.

Considérant ce qui suit :

1. Par un marché conclu le 17 décembre 2007, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Drôme a confié la maîtrise d'oeuvre de l'opération de restructuration/extension du centre d'incendie et de secours de Die à un groupement solidaire composé des sociétés Atelier 3 A, mandataire et Paul Vollin Ingénierie (PVI). Les lots n°s 1 " démolition, désamiantage, VRD " et 2 " gros oeuvre " ont été attribués à la société Eiffage TP, devenue société Eiffage Génie Civil, par des marchés conclus le 30 juin 2009. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 24 août 2011. Dans le projet de décompte final établi le 3 novembre 2011 et son mémoire en réclamation du 27 juillet 2012, la société Eiffage TP a demandé à la maîtrise d'oeuvre l'intégration dans le décompte général du lot n° 1 de la somme de 2 700 euros hors taxe (HT) pour des travaux supplémentaires ainsi que la décharge de pénalités d'un montant de 2 889,76 euros HT, et dans le décompte général du lot n° 2, l'intégration des sommes de 11 883 euros HT pour des travaux supplémentaires, de 3 072,92 euros HT pour des prestations sous-traitées, de 77 896 euros HT pour l'allongement de la durée du chantier ainsi que la décharge de pénalités d'un montant de 6 036,62 euros HT. En l'absence de réponse à sa réclamation, la société Eiffage TP a saisi le comité consultatif pour le règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics (CCIRA) de Lyon puis le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation du SDIS de la Drôme à lui verser la somme de 104 477 euros HT. Par un jugement, dont la société Eiffage Génie Civil relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé cette société des pénalités de retard mises à sa charge, au titre des lots n°s 1 et 2, pour un montant de 4 926 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur l'application de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par le décret du 21 janvier 1976 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) applicable au présent litige : " 50.11. Si un différend survient entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, L'entrepreneur remet au maître d'oeuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations. / 50.12. Après que ce mémoire a été transmis par le maître d'oeuvre, avec son avis, à la personne responsable du marché, celle-ci notifie ou fait notifier à l'entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend, dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par le maître d'oeuvre du mémoire de réclamation. / L'absence de proposition dans ce délai équivaut à un rejet de la demande de l'entrepreneur. (...) 50.21. Lorsque l'entrepreneur n'accepte pas la proposition de la personne responsable du marché ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette proposition ou de l'expiration du délai de deux mois prévu au 12 du présent article, le faire connaître par écrit à la personne responsable du marché en lui faisant parvenir, le cas échéant, aux fins de transmission au maître de l'ouvrage, un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus. (...) "

3. Le tribunal administratif de Grenoble a, faisant droit à une fin de non-recevoir contractuelle opposée par le SDIS, rejeté la demande présentée par la société Eiffage TP au titre de l'allongement de la durée du chantier au motif que cette société avait formé une réclamation, le 3 mai 2011, en cours d'exécution du chantier, qu'elle avait adressé une réclamation au SDIS avec copie au mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre et que la date de réception de ce courrier par le SDIS, le 16 mai 2011, avait fait courir le délai au terme duquel une décision implicite de rejet était née. En l'absence de production, par la société Eiffage TP d'un mémoire complémentaire au plus tard le 16 octobre 2011, le tribunal administratif a considéré qu'elle était forclose pour contester le rejet de sa demande de paiement des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution du chantier du lot n° 2 dans le cadre d'une contestation portant sur le décompte général. Toutefois, la simple transmission au maître d'oeuvre d'une copie de la réclamation adressée au maître d'ouvrage ne peut pas faire regarder celle-ci comme élevant un différend entre l'entreprise et la maîtrise d'oeuvre au sens de l'article 50.11 du CCAG-Travaux précité. Ainsi, dès lors que sa réclamation du 3 mai 2011 n'a pas fait l'objet d'un règlement définitif, la société Eiffage TP pouvait saisir le tribunal administratif de Grenoble de cette demande, reprise dans son mémoire en réclamation du 27 juillet 2012 à l'encontre du décompte général. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondée sur ce motif pour rejeter la demande d'indemnisation de la société Eiffage TP, par le SDIS de la Drôme, au titre des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution.

4. En second lieu, il ressort des stipulations de l'article 13.44 du CCAG-Travaux applicable au présent litige, que l'entrepreneur dispose, selon les cas, d'un délai de trente ou quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général par le maître de l'ouvrage pour faire valoir, dans un mémoire en réclamation, ses éventuelles réserves, le règlement du différend intervenant alors selon les modalités précisées aux articles 50.22, 50.23 et 50.3. S'il ressort de l'article 50.3 que l'entrepreneur peut saisir le juge administratif en l'absence de décision du maître de l'ouvrage dans le délai de trois mois, il n'est forclos à le faire qu'à l'expiration d'un délai de six mois suivant la décision expresse du maître de l'ouvrage.

5. Il résulte de l'instruction et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que le SDIS de la Drôme n'a adressé à la société Eiffage TP aucune décision expresse en réponse au mémoire en réclamation qui lui a été adressé le 27 juillet 2012. Par suite, la demande enregistrée le 5 novembre 2014 au greffe du tribunal administratif de Grenoble, après la saisine du CCIRA de Lyon et le refus du SDIS de suivre l'avis rendu par ce comité le 16 décembre 2013, n'était pas tardive. La société pouvait saisir, sans condition de délai, le tribunal administratif compétent et porter devant lui, comme elle l'a fait, les chefs et motifs de réclamation énoncés dans sa lettre du 27 juillet 2012 reprenant s'agissant de sa demande d'indemnisation des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution du lot n° 2, sa lettre du 3 mai 2011.

Sur l'indemnisation des surcoûts liés à l'allongement des délais d'exécution du lot n° 2 :

6. En premier lieu, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique, commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

7. Il résulte de l'instruction que tant le SDIS de la Drôme que la société Atelier 3A, architecte, mandataire du groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre, reconnaissent que le bureau d'études techniques (BET) PVI a commis des erreurs et n'a pu mener à bien les missions qui lui ont été confiées et ce, dès avant le démarrage des travaux. Ces défaillances sont directement à l'origine d'un allongement de la durée d'exécution du lot n° 2, prévue initialement pour neuf semaines et qui a duré près de cinq mois, occasionnant des surcoûts à la société Eiffage TP, ainsi qu'il en résulte notamment du courrier du 15 décembre 2010, que la société Atelier 3A a adressé au SDIS.

8. Il résulte de l'instruction que le SDIS a régulièrement, et ce dès le 23 octobre 2009, signalé à la société Atelier 3A les insuffisances du BET et lui a demandé, à échéances régulières, de lui rendre compte. Si par un courrier du 18 juin 2010, le SDIS a informé la société Atelier 3A de son intention de prononcer une résiliation aux torts du groupement de maîtrise d'oeuvre, il n'y a pas donné suite. Par plusieurs courriers, la société Atelier 3A a reconnu les erreurs de son cotraitant, cause de retards de chantier, et a demandé au SDIS, le 23 novembre 2010, de bien vouloir mettre un terme à cette cotraitance. Le SDIS a refusé de prononcer une résiliation partielle du marché de maîtrise d'oeuvre faisant valoir que le groupement était solidaire et qu'il appartenait à la société Atelier 3A d'assurer la bonne exécution du marché. Ainsi, s'il résulte de l'instruction que le SDIS a usé de ses pouvoirs de contrôle dans l'espoir d'obtenir la bonne exécution du marché, il n'a pas mis en oeuvre, et ce malgré les aveux réitérés de défaillance du groupement de maîtrise d'oeuvre, ses pouvoirs de sanction qui auraient permis, à tout le moins, de limiter les préjudices subis par la société Eiffage TP.

9. Cette dernière fait valoir, sans être sérieusement contestée, qu'elle a subi un préjudice d'un montant de 77 896 euros HT correspondant à un surcoût de main-d'oeuvre (52 650 euros HT), un surcoût d'encadrement (4 117 euros HT), l'immobilisation de la grue pendant douze semaines et demie au lieu des six semaines prévues (10 500 euros HT), l'immobilisation du matériel de chantier pendant six semaines supplémentaires (4 500 euros HT), une perte de 15 % sur le prix des fournitures commandées en urgence ou en plusieurs séquences suite à des modifications des études et plans (2 177 euros HT) et le temps passé par un ingénieur pour revoir ou refaire les plans (3 952 euros HT). Il y a lieu de faire droit à sa demande et de condamner le SDIS à lui verser la somme qu'elle demande.

10. En second lieu, lorsque l'une des parties à un marché de travaux a subi un préjudice imputable à la fois à l'autre partie, en raison d'un manquement à ses obligations contractuelles, et à d'autres intervenants à l'acte de construire, au titre de fautes quasi-délictuelles, elle peut demander au juge de prononcer la condamnation solidaire de l'autre partie avec les coauteurs des dommages. Si la société Eiffage Génie Civil demande la condamnation solidaire du SDIS et de la société Atelier 3A au titre des surcoûts qu'elle a supportés du fait des défaillances du BET PVI, elle n'établit ni même n'invoque aucune faute quasi-délictuelle de l'architecte. Par suite, et dès lors que la société Eiffage Génie Civil ne saurait se prévaloir d'aucune solidarité entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre à son égard, ses conclusions dirigées contre la société Atelier 3A doivent être rejetées.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eiffage Génie Civil est seulement fondée à soutenir qu'elle a droit au paiement, par le SDIS de la Drôme, de la somme de 77 896 euros HT au titre du lot n°2.

Sur les travaux supplémentaires :

12. L'entrepreneur a le droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art. La charge définitive de l'indemnisation incombe, en principe, au maître de l'ouvrage, lequel est fondé, le cas échéant, à appeler en garantie le maître d'oeuvre. Il en résulte que la société Eiffage Génie Civil n'est pas fondée à diriger des conclusions à ce titre à l'encontre de la société Atelier 3A.

En ce qui concerne le lot n° 1 :

13. La société Eiffage Génie Civil demande le paiement de la somme de 2 700 euros HT au titre de la pose de regards non prévus au marché. Il résulte de l'instruction, d'une part, que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoyait, s'agissant du séparateur hydrocarbure, que le prix rémunère " la fourniture et mise en place de tampons et leur mise à niveau du sol ". La société n'établit pas que les deux regards PEHD Ø 600 EP n'étaient pas inclus dans le prix forfaitaire. D'autre part, deux regards béton 40x40 étaient prévus au marché. La société Eiffage Génie Civil ne conteste pas que l'un a été payé et que l'autre n'a pas été mis en place conformément aux prescriptions techniques du marché. Enfin, la société Eiffage Génie Civil n'établit pas que la pose d'un regard hydraulique Ø 1 000 EP, à mi-longueur du réseau, était indispensable à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Par suite, la société Eiffage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande sur ce point.

En ce qui concerne le lot n° 2 :

14. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier de l'analyse faite le 11 octobre 2012 par la société Atelier 3A de la réclamation de la société Eiffage TP, que le marché prévoyait la réalisation de 55 m2 de revêtement de façade et que la société Eiffage TP en a réalisé 320 m2. Il y a donc lieu, compte tenu d'un prix au m2 non contesté de 27,20 euros HT, de condamner le SDIS à verser à la société appelante la somme de 7 208 euros HT.

15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la modification de la position des canalisations des eaux usées de la remise sanitaire, nécessitant la mise en place d'un tampon à carreler supplémentaire dans le local ménage sous escalier, a été réalisée à l'initiative de la société Eiffage TP sans que cette dernière établisse que cette modification aurait résulté d'une erreur sur les plans établis par la maîtrise d'oeuvre ni que cette modification aurait reçu l'aval du maître d'ouvrage. Dans ces conditions, elle ne peut prétendre au paiement de la somme de 675 euros HT qu'elle demande au titre de la pose d'un tampon à carreler supplémentaire.

16. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'enlèvement d'un joint polystyrène a été réalisé à la demande du bureau de contrôle. Dans son courrier du 11 octobre 2012 auquel renvoie le SDIS, la société Atelier 3A reconnaît que la demande de la société Eiffage TP est justifiée. Par suite, en l'absence de contestation précise sur le montant de la somme demandée à ce titre, il y a lieu de condamner le SDIS à verser à l'appelante la somme de 600 euros HT qu'elle réclame.

17. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que la société Eiffage TP a, à la demande de la maîtrise d'oeuvre, sous-traité à la société Angelino, qui a obtenu le paiement direct de cette prestation, la réalisation d'une chape dans l'entrée principale du centre d'incendie et de secours. Toutefois, la société Eiffage Génie Civil ne conteste pas que ces travaux ont été rendus nécessaires du fait de son oubli de mettre en oeuvre l'isolant sous dallage prévu au CCTP. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à demander à ce que la somme de 3 072,92 euros HT, payée par le SDIS à la société Angelino, soit réintégrée dans le montant total du marché qui lui était confié.

18. Il résulte de ce qui précède que la société Eiffage Génie Civil est seulement fondée à soutenir qu'elle a doit au paiement, par le SDIS de la Drôme, de la somme de 7 808 euros HT au titre du lot n°2.

Sur les pénalités :

19. En premier lieu, le SDIS de la Drôme demande à la cour, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamné à verser à la société Eiffage Génie Civil la somme de 4 926 euros correspondant aux pénalités de retard au titre des lots n°s 1 et 2. Il résulte cependant de ce qui a été dit aux points 7 et 8, que les retards dans l'exécution des marchés ne sont pas imputables à l'entrepreneur. Il y a lieu, par suite, de décharger la société appelante du paiement de la somme de 4 926 euros.

20. En second lieu, les décomptes généraux mettent à la charge de la société Eiffage Génie Civil, la somme de 2 000 euros au titre à la fois du lot n° 1 et du lot n° 2 pour absence à vingt réunions de chantier. Si la société appelante fait valoir que l'exécution des travaux ne devait durer que quelques semaines et qu'elle a duré plusieurs mois du fait des défaillances de la maîtrise d'oeuvre, elle n'était pour autant pas dispensée de participer aux réunions de chantier jusqu'à la fin des travaux, au titre de chacun des lots dont elle était attributaire. Elle n'est par suite pas fondée, ainsi que l'a jugé le tribunal, à demander à être déchargée de la somme de 4 000 euros.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que la société Eiffage Génie Civil a droit, outre la décharge des pénalités de retard mentionnée au point 19, au versement de la somme de 81 704 euros HT au titre des lots n°s 1 et 2, déduction faite des pénalités pour absence aux réunions de chantier restant à sa charge, sous réserves des acomptes déjà versés par le SDIS de la Drôme.

Sur les intérêts moratoires et la capitalisation des intérêts :

22. En premier lieu, il résulte du I de l'article 1er du décret du 21 février 2002 relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics alors applicable, que " pour les marchés de travaux, le point de départ du délai global de paiement du solde est la date de réception du décompte général et définitif par le maître d'ouvrage ". Pour l'application de ces dispositions, reprises à l'article 2 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, lorsqu'un décompte général fait l'objet d'une réclamation par le cocontractant, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage. Il suit de là que la société requérante a droit aux intérêts moratoires contractuels à compter du 5 septembre 2012, soit quarante jours après la réception par le SDIS, à la date non contestée du 27 juillet 2012 retenue par les premiers juges, de la réclamation de la société Eiffage TP contre le décompte.

23 En second lieu, la capitalisation des intérêts a été demandée à compter du 5 novembre 2014, date à laquelle était due au moins une année d'intérêts. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

24. En premier lieu, si la réception d'un ouvrage avec ou sans réserve met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage, elle est sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution d'un marché de maîtrise d'oeuvre et ne fait pas obstacle à ce que le maître de l'ouvrage appelle en garantie le maître d'oeuvre à raison des fautes commises par ce dernier dans l'exécution de son marché.

25. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 et 9 du présent arrêt que les retards pris dans l'exécution du lot n° 2 par la société Eiffage TP résultent des carences du BET PVI dans l'exécution des missions confiées au groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre. Il sera fait une juste appréciation de l'importance respective des fautes commises par le maître de l'ouvrage, qui n'a pas mis en oeuvre ses pouvoirs de sanction, et les sociétés Atelier 3A et PVI, engagées conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage, et qui ont contribué à la réalisation des préjudices subis par la société appelante du fait de l'allongement des délais d'exécution du lot n° 2, en faisant peser la charge finale de leurs conséquences à raison de 85% sur le groupement solidaire de maîtrise d'oeuvre et de 15% sur le SDIS de la Drôme.

26. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 12, le maître de l'ouvrage, à qui incombe la charge définitive de l'indemnisation des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art, est fondé, en cas de faute du maître d'oeuvre, à l'appeler en garantie. Il en va ainsi lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par le maître d'oeuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps utile. Il en va de même lorsque, en raison d'une faute du maître d'oeuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'oeuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux montants.

27. Si le SDIS de la Drôme demande la condamnation solidaire des sociétés Atelier 3A et PVI à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, y compris au titre des travaux supplémentaires, il n'assortit ses conclusions d'aucune précision, au regard de ce qui a été dit au point précédent, permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

Sur les frais liés au litige :

28. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La société Eiffage Génie Civil est déchargée du paiement des pénalités de retard au titre des lots n°s 1 et 2 pour un montant de 4 926 euros HT.

Article 2 : Le SDIS de la Drôme est condamné à verser à la société Eiffage Génie Civil la somme de 81 704 euros HT, sous réserve des acomptes déjà versés.

Article 3 : Cette somme portera intérêts moratoires à compter du 5 septembre 2012. Ces intérêts produiront eux-mêmes intérêts à compter du 5 novembre 2014 et à chaque échéance annuelle.

Article 4 : Les sociétés Atelier 3A et Paul Vollin Ingénierie sont condamnées solidairement à garantir le SDIS à hauteur de 85% de la somme de 77 896 euros HT mise à sa charge au titre de l'allongement de la durée d'exécution du lot n° 2.

Article 5 : Les articles 1 et 2 du jugement n°1406664 sont annulés.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Génie Civil, au service départemental d'incendie et de secours de la Drôme, à la société Atelier 3A et à Me D..., mandataire liquidateur de la société Paul Vollin Ingénierie.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.

2

N° 17LY04287


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17LY04287
Date de la décision : 14/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-02 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Rémunération du co-contractant. Indemnités.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : DPA DUCROT AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-11-14;17ly04287 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award