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11/07/2019 | FRANCE | N°19LY01536

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 11 juillet 2019, 19LY01536


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 12 mars 2019 par lesquelles le préfet du Rhône a prescrit sa remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Rhône pour une durée maximum de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1901869 du 26 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour
r>Par une requête enregistrée le 18 avril 2019, le préfet du Rhône demande à la cour :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 12 mars 2019 par lesquelles le préfet du Rhône a prescrit sa remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Rhône pour une durée maximum de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1901869 du 26 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 18 avril 2019, le préfet du Rhône demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 26 mars 2019 ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de réadmission dans les délais, comme en atteste la date de leur saisine, le 23 janvier 2019, après un enregistrement au guichet unique, le 10 janvier 2019, date figurant sur l'attestation de demande d'asile remise à l'intéressée.

Par un mémoire enregistré le 4 juin 2019, Mme B..., représentée par Me Cadoux, avocate, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de l'autoriser à séjourner en France afin de lui permettre de déposer une demande d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le même délai ;

- de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la preuve de la réception de la demande de reprise en charge par les autorités italiennes n'est pas apportée ; dès lors, l'administration ne peut se prévaloir d'un accord implicite ;

- la décision de transfert méconnaît les articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clot, président,

- les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante nigériane, née le 5 mai 1995, déclare être entrée en France le 5 janvier 2019. Elle s'est présentée aux services de la préfecture du Rhône le 14 janvier 2019 afin de solliciter l'asile. Le 12 mars 2019, le préfet du Rhône a décidé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence. Ce préfet relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

2. Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement. (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse. "

3. Il résulte de ce qui précède que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

4. L'article 19 du même règlement prévoit que : " 1. Chaque Etat membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé de réception pour toute transmission entrante. "

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est présentée le 14 janvier 2019 aux services de la préfecture du Rhône pour déposer une demande d'asile. Le système Eurodac a révélé que ses empreintes ont été relevées en Italie le 30 décembre 2016 sous le numéro IT 1 CAOOQSI. Les services de la préfecture ont formulé une demande de reprise en charge par les autorités italiennes. Devant le premier juge, l'intéressée a fait valoir que les autorités italiennes n'ont pas été saisies d'une telle demande à défaut de production de l'accusé de réception par elles de la demande adressée par les autorités françaises. Le préfet s'est borné à produire le formulaire de demande, deux courriels du 23 janvier 2019 attestant d'échanges entre la préfecture et le point d'accès national français et deux courriels du 7 février 2019 entre la préfecture et le point d'accès national français concernant le constat de l'accord implicite des autorités italiennes. Si le préfet n'a produit, avant la clôture de l'instruction, aucune pièce relative aux échanges entre le point d'accès national français et le point d'accès national italien, il n'a été fait état ni devant le tribunal administratif ni devant la cour d'aucun élément permettant de penser que les autorités italiennes n'auraient pas été effectivement saisies, le 23 janvier 2019, d'une demande de reprise en charge et, le 7 février 2019, du constat d'un accord implicite. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert et, par voie de conséquence, la mesure d'assignation à résidence en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'il n'est pas établi que les autorités italiennes ont accepté tacitement la reprise en charge de Mme B....

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B....

S'agissant du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

7. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : "(...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable (...) ".

8. Les allégations de caractère général de Mme B... ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord à sa reprise en charge, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et que l'intéressée courrait en Italie un risque réel d'être soumise à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013.

S'agissant de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

9. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

10. La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

11. Si Mme B... fait valoir qu'elle a été victime d'un réseau de prostitution en Italie, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait pas recevoir dans ce pays la protection dont elle a besoin. Dès lors, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet à un Etat d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement.

S'agissant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de Mme B... en Italie l'exposerait au risque de subir des traitements prohibés par ces stipulations.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions en litige.

14. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de Mme B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de Mme B... au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 26 mars 2019 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de Mme B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B....

Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Dèche, premier conseiller,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juillet 2019.

6

N° 19LY01536


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 19LY01536
Date de la décision : 11/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

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Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : CADOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-07-11;19ly01536 ?
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