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11/07/2019 | FRANCE | N°18LY01737

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 11 juillet 2019, 18LY01737


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 19 octobre 2017 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1707578 du 8 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 5 mai 2018, M. B..., représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 19 octobre 2017 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1707578 du 8 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 5 mai 2018, M. B..., représenté par Me Delbes, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 8 janvier 2018 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet a entaché ses décisions d'erreur de droit, faute d'avoir procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et tenu compte de la résidence régulière en France de sa compagne durant l'examen de sa demande d'asile ;

- les documents qu'il a produits en première instance attestent de l'existence d'attaches familiales en France, de l'ancienneté, la stabilité et l'intensité de sa relation avec sa compagne, qui bénéficie avec les enfants d'un hébergement en qualité de demandeur d'asile, et de sa participation effective à l'éducation et l'entretien des enfants ;

- eu égard à ses attaches familiales qui se situent principalement en France, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle ;

- les décisions ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant interdiction de retour est entachée d'une erreur de droit dans l'application du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu du caractère disproportionné de cette mesure au regard de sa situation personnelle ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit d'observations.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clot, président,

- les observations de Me Delbes, avocate de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant de Bosnie-Herzégovine né le 23 juillet 1980, a été interpellé 15 mai 2013 par les services de la police nationale à la suite d'un vol et a fait l'objet, le même jour, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai. Son recours contre cette décision a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 mai 2013 et par un arrêt de la cour du 9 janvier 2014. Le 18 octobre 2013, il a sollicité l'asile et le 21 mars 2014, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) lui a opposé un refus, confirmé par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 22 juin 2015. Le 3 juin 2014, il a fait l'objet de décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Son recours contre ces décisions a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 novembre 2014. L'intéressé, qui a rejoint, par la suite, la Bosnie-Herzégovine, déclare avoir regagné le territoire français au cours du mois de mars 2016. Le 22 mars 2016, il a sollicité le bénéfice du statut de réfugié mais sa demande, restée incomplète, n'a pas été enregistrée par l'OFPRA. Le 19 octobre 2017, les services de la gendarmerie nationale l'ont placé en retenue administrative afin de vérifier son droit à séjourner sur le territoire français. Le même jour, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé un pays de destination et lui a fait interdiction de retour pour une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 8 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 19 octobre 2017.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

3. Pour décider de faire obligation à M. B... de quitter le territoire français, le préfet a relevé que l'intéressé, démuni de passeport et de visa, ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français en mars 2016. Il se trouvait, par suite, dans le cas prévu au 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans lequel le préfet peut décider d'obliger un étranger à quitter le territoire français. Le préfet a également relevé que, si l'intéressé a présenté une attestation de demande d'asile en procédure accélérée valable du 22 mars 2016 au 21 avril 2016, délivrée par la préfecture de l'Isère, il n'a pas démontré avoir déposé un dossier auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors, M. B... ne peut se prévaloir d'un droit au séjour en tant que demandeur d'asile, qui ferait obstacle à son éloignement.

4. Il ressort des pièces du dossier que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B....

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. "

7. Si M. B... fait valoir que la décision contestée ne fait pas mention de la situation de sa compagne, de la fille de celle-ci et de leur fils présents sur le territoire français, et se prévaut de l'examen en cours de la demande d'asile de celle-ci, il n'existe pas entre eux de communauté de vie et s'il soutient contribuer à l'éducation et à l'entretien des enfants, il ne démontre pas disposer d'un emploi régulier et stable, ni de ressources suffisantes pour assurer leur existence. S'il se prévaut à la date de la décision contestée de l'hébergement régulier de sa compagne et des enfants dans l'attente de l'examen de sa demande d'asile, il ne justifie pas, quant à lui, d'une résidence durable et stable en France. La décision d'éloignement sans délai qu'il conteste n'a pas pour effet de séparer de manière définitive le requérant de son enfant et ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La circonstance qu'à la date de la décision en litige, sa compagne résidait légalement en France en qualité de demandeur d'asile ne constitue pas une circonstance particulière de nature à justifier l'octroi d'un délai de départ volontaire. Par suite, en décidant d'obliger M. B... à quitter sans délai le territoire français, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Sur la légalité du refus d'un délai de départ volontaire :

8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " " (...) II. (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. / L'autorité administrative peut faire application du troisième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... avant de décider de lui refuser un délai de départ volontaire.

10. Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés ci-dessus dans le cadre de l'examen de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français, la décision refusant à M. B... un délai de départ volontaire ne méconnaît ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes motifs, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle est susceptible de comporter pour la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) /La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) L'étranger à l'encontre duquel a été prise une interdiction de retour est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B....

13. Pour décider d'interdire à M. B... le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet s'est fondé sur le fait que, malgré la circonstance que sa présence ne constitue pas une menace à l'ordre public, dès lors que son séjour revêt un caractère récent en France, qu'il ne justifie pas d'une communauté de vie avec sa concubine et qu'il a déclaré lors de son audition ne pas avoir d'enfant à charge, l'intéressé, qui n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Bosnie-Herzégovine, où il séjourné pendant l'essentiel de son existence, n'établit pas être dans l'impossibilité d'y résider. Eu égard aux conséquences de cette décision sur sa situation personnelle et familiale, et au regard des circonstances de l'espèce, en décidant de lui interdire le retour sur le territoire français pendant deux ans, le préfet de la Haute-Savoie n'a méconnu ni les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au le préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Dèche, premier conseiller,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique le 11 juillet 2019.

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N° 18LY01737


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY01737
Date de la décision : 11/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02-02 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne. Droit au respect de la vie privée et familiale.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : DELBES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-07-11;18ly01737 ?
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