Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Par une requête et des mémoires enregistrés le 12 décembre 2014, le 10 mars 2016 et le 13 octobre 2016, M.D... F..., représenté par MeC..., a demandé au tribunal administratif de Grenoble dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, à lui verser la somme de 102 716,01 euros, à défaut de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser cette somme ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1407449 du 4 avril 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ainsi que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er juin 2017, M.D... F..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 avril 2017 ;
2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, à lui verser la somme de 102 716,01 euros ;
3°) à défaut de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser cette même somme de 102 716,01 euros ;
4°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice constitué par le défaut d'information et du préjudice moral d'impréparation ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble les entiers dépens ainsi que la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridique.
Il soutient que :
- bénéficiant d'une excellente vision de près, il portait des lunettes pour la vision de loin et n'avait pas de difficulté pour exercer son activité d'électricien ; il a été opéré le 29 octobre 2002 pour une cataracte de l'oeil droit avec des suites douloureuses qui a entrainé une réintervention sur cet oeil ; il a été opéré le 3 décembre 2002 pour une cataracte de l'oeil gauche ; le 22 juin 2003, il a été hospitalisé en urgence au centre hospitalier universitaire de Grenoble pour un décollement de la rétine de l'oeil droit ; après plusieurs opérations, il a été constaté une quasi-cécité des deux yeux : après plusieurs arrêts maladie successifs, il a été placé en invalidité ; il continue de souffrir de vives douleurs et continue à faire l'objet d'interventions, d'hospitalisation et de soins quotidiens ; les conséquences graves et invalidantes dont il reste atteint doivent être regardées comme des conséquences anormales de l'acte médical que constitue cette opération de la caractère et comme entrant dans le champ des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; la seule mention d'un risque de 20% d'un état antérieur ne saurait suffire à écarter une indemnisation par la solidarité nationale ; compte tenu des périodes d'hospitalisation puis de son placement en invalidité, le critère de gravité est rempli ;
- le centre hospitalier universitaire a commis plusieurs fautes dans le cadre de sa prise en charge ; la première faute est liée au manque de prudence des médecins à avoir réalisé ces deux opérations dans un laps de temps court alors qu'avait été constatée une mauvaise réaction de son oeil droit lors de la première opération ; la seconde faute est constituée par un défaut d'information sur les risques liés à l'opération de la cataracte que ce soit avant sa première opération de l'oeil droit ou avant son opération de l'oeil gauche et par l'absence de recueil d'un consentement éclairé sur les risques spécifiques liés au décollement du vitré et de la rétine qu'il encourait eu égard à son âge et à son sexe alors que le centre hospitalier universitaire avait une obligation d'information ; du fait de l'absence d'information, il a subi une perte de chance de refuser l'opération dès lors que celle-ci n'était pas impérieusement requise en l'espèce à savoir une simple baisse de vision ne l'empêchant pas de travailler et d'avoir une vie normale ; en plus de la quasi-cécité, il souffre de douleurs très importantes et irréversibles dont s'il avait été informé de leur risque de survenance l'aurait incité à renoncer ou à retarder cette opération ; son consentement n'a pas été recueilli ;
- il subit un préjudice moral propre lié au défaut d'information et à l'impréparation à de tels risques ; il n'a pas pu prendre des dispositions relatives à de tels risques ;
- le préjudice lié au défaut d'information et à la perte de chance de renoncer à cette opération peut être évalué sur la base d'un taux de perte de chance de 80 % ;
- son préjudice économique salarial peut être évalué par rapport à un différentiel de salaires par rapport aux indemnités journalières de maladie et aux indemnités de sa caisse de prévoyance à la somme de 8 751,71 euros ;
- du fait de son placement en invalidité pendant 78 mois, il a perdu une somme de 53 964,30 euros ;
- le calcul de sa pension de retraite ayant été minoré du fait des arrêts de maladie et du placement en invalidité, ce préjudice devra être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;
- son préjudice d'agrément du fait de sa quasi-cécité peut être évalué à 10 000 euros ;
- son préjudice moral, lié à la diminution de ses capacités, peut être estimé à 10 000 euros ;
- l'expert a retenu un niveau de souffrances de 4 sur une échelle de 7 et un taux de déficit fonctionnel permanent de 65% qui devront être indemnisés à hauteur de 10 000 euros ;
- pour le préjudice spécifique d'impréparation, il doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;
Par un mémoire enregistré le 3 août 2017, l'ONIAM, représenté par Maîtres Saumon et Roquelle Meyer, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le dommage subi par le requérant n'est pas anormal dès lors qu'en matière d'anormalité, il faut comparer les complications intervenues et l'évolution prévisible de la cataracte sans intervention ; M. F...a été victime d'un échec thérapeutique, ce qui n'est pas indemnisable par l'ONIAM ; l'expert a considéré qu'en l'absence d'intervention, M. F... aurait été très probablement exposé à un décollement de la rétine dès lors qu'il présentait avant cette opération un décollement de vitré partiel ; cette opération n'a fait qu'accélérer de futures complications ophtalmologiques ; le dommage dont il souffre ne peut pas être considéré comme plus grave que celui auquel pouvait conduire l'évolution de sa maladie en l'absence d'intervention ;
- l'occurrence du risque n'était pas faible dès lors que dans le cas de patients du même type, la chirurgie de la cataracte peut conduire dans 75% des cas à un décollement postérieur du vitré pouvant conduire lui-même à un décollement de la rétine ;
Par lettre du 18 février 2019, le centre hospitalier universitaire de Grenoble a été mis en demeure de produire.
Par un mémoire enregistré le 13 mars 2019, le centre hospitalier universitaire de Grenoble, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il s'en remet à la sagesse de la cour concernant une indemnisation par la solidarité nationale ;
- il n'existe pas de lien de causalité entre la chirurgie de la cataracte et les préjudices de M. F...dès lors que le décollement du vitré, qui est un phénomène physiologique apparaissant au cours du vieillissement de l'oeil avait commencé dès juillet 2002 et est susceptible d'aboutir à un décollement de la rétine ; le décollement de ce vitré peut donc être à lui seul à l'origine du décollement de rétine subi ; en l'absence de toute chirurgie, M. F...présentait un fort risque de décollement de la rétine ; M. F...était particulièrement exposé du fait de son sexe et de son âge à un tel décollement de la rétine ; le long délai entre les interventions et ce décollement est peu compatible avec un lien de causalité ;
- aucun manquement aux règles de l'art n'a été commis ;
- le défaut d'information n'a pas entrainé de perte de chance dès lors que cette opération était impérative, le patient ayant une acuité visuelle de 2/10e après correction le 23 juillet 2002 et la cataracte entraine une opacification du cristallin conduisant à troubler la vision dont les reliefs et les contrastes ; la cataracte est une pathologie évolutive qui dans le cas du requérant a été d'évolution rapide ; même si l'opération n'était pas vitale, il n'avait pas de possibilité raisonnable de la refuser ; il n'existe pas d'alternative moins risquée ; les interventions se sont bien déroulées et le patient a recouvré une vision optimale à la suite de ces opérations.
Par une lettre enregistrée le 27 mars 2019, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère indique ne pas intervenir dans la procédure en appel et s'en remettre à la juridiction sur le bien fondé de la requête de M.F....
Par une décision du 3 juillet 2017, une aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25% a été accordée à M.F....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cottier, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Terrade, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 juillet 2001, le DrB..., médecin ophtalmologue, qui assurait le suivi de M. F..., a constaté que ce dernier, né le 20 novembre 1951, myope depuis l'enfance, et ayant depuis 1999 une acuité visuelle de 9/10e après correction, subissait une importante baisse de l'acuité visuelle aux deux yeux, celle-ci n'étant plus que de 2/10e après correction. Le Dr B... diagnostique alors une cataracte bilatérale d'apparition très rapide. M. F...a été opéré de la cataracte de l'oeil droit le 29 octobre 2002 au centre hospitalier universitaire de Grenoble, cette opération faisant l'objet d'une reprise opératoire d'un seidel le 9 novembre 2003. Une opération de la cataracte de l'oeil gauche a été réalisée le 3 décembre 2002 dans le même établissement public de santé. Le 22 juin 2003, il a été hospitalisé en urgence pour un décollement de la rétine de l'oeil droit. Le 20 août 2003 a été diagnostiqué un décollement de la rétine de l'oeil gauche nécessitant une hospitalisation. Malgré les différentes opérations dont il fera ensuite l'objet, M. F...reste affecté d'une très importante perte d'acuité visuelle, à savoir, en 2012, une vision de 2/10e à l'oeil droit et une quasi-cécité de l'oeil gauche, seule une perception de la lumière étant possible sur certaines zones de cet oeil.
2. M. F... a saisi le 21 décembre 2012 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) Rhône-Alpes d'une demande tendant à l'indemnisation de la perte d'acuité visuelle connue dans les suites des deux opérations de cataracte réalisées au centre hospitalier universitaire de Grenoble. Le professeur Carole Burillon, ophtalmologue, a été désigné comme expert. Elle a conclu à l'absence de faute de la part du centre hospitalier universitaire de Grenoble et à l'existence d'un aléa thérapeutique (iatrogène) tout en mentionnant que peut être chiffrée à " 20% la participation causale de l'état antérieur à la réalisation du dommage ". La CRCI, par avis du 15 avril 2014, a estimé qu'il n'y avait pas de faute du centre hospitalier universitaire de Grenoble et que le dommage subi ne remplissait pas la condition d'anormalité tant au regard de l'état de santé antérieur de M. F...que de l'évolution prévisible de celui-ci et ne pouvait ainsi ouvrir droit à indemnisation. Le centre hospitalier universitaire de Grenoble a rejeté, le 20 octobre 2014, la demande indemnitaire de M.F.... Le tribunal administratif de Grenoble, par jugement du 4 avril 2017, a rejeté les conclusions indemnitaires formulées par M. F...à l'encontre de l'ONIAM, sur le fondement de la solidarité nationale, au titre de l'aléa thérapeutique, et à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Grenoble sur le terrain de la faute. M. F...fait appel de ce jugement.
Sur les fautes du centre hospitalier universitaire :
3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) /En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".
4. Si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. Dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif. Si un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1, et présentent notamment le caractère de gravité requis, l'indemnité due par l'ONIAM est réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.
5. En pareil cas, l'article L. 1142-1 du code de la santé publique confère à la réparation par la solidarité nationale un caractère subsidiaire par rapport à l'indemnisation due par l'établissement de santé responsable au titre de la perte de chance. Par suite, lorsque le montant des indemnités réclamées par la victime ou ses ayants droit est inférieur au montant du dommage corporel tel qu'il est évalué par le juge, l'indemnisation incombe en priorité à l'établissement dans la limite de son obligation, déterminée en appliquant le pourcentage de la perte de chance au montant du dommage corporel. L'ONIAM assume uniquement, le cas échéant, la part de l'indemnité demandée qui excède l'obligation de l'établissement.
Sur le défaut d'information :
6. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance.
7. M. F...soutient qu'il n'a reçu aucune information des médecins du centre hospitalier universitaire de Grenoble, que ce soit à l'occasion de la première opération de la cataracte de l'oeil droit ou à l'occasion de l'opération de la cataracte de l'oeil gauche, sur les risques d'une telle opération et notamment sur les risques accrus du fait de son profil médical. Comme l'ont constaté les premiers juges, le centre hospitalier universitaire de Grenoble, qui ne le conteste d'ailleurs pas, n'apporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, qu'une information, notamment sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles de l'intervention, avait été donnée à ce patient, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.
8. M. F...fait valoir que ce défaut d'information lui a occasionné une perte de chance d'éviter les complications survenues à la suite de ces deux opérations de la cataracte dès lors qu'il n'était pas dans une situation d'urgence vitale et que s'il avait connu les risques d'un décollement du vitré et de cécité induit par les opérations de cataracte à chacun de ses yeux ainsi que les violentes douleurs y étant associées, et alors au demeurant que la première opération de la cataracte sur l'oeil droit a nécessité une opération de reprise sous forme de suture pour résorber un seidel, il aurait préféré éviter d'avoir à supporter de telles douleurs, quitte à présenter une vision altérée et aurait renoncé à chacune de ces deux opérations ou les auraient reportées pour ne les subir qu'à un âge plus avancé. Le centre hospitalier universitaire de Grenoble oppose que, compte tenu de la dégradation rapide de son acuité visuelle, aussi bien l'opération de la cataracte de l'oeil droit que celle de l'oeil gauche étaient impérieusement requises et que ce défaut d'information n'a pu entrainer aucune perte de chance pour l'intéressé. Au soutien de ses allégations, le centre hospitalier universitaire de Grenoble se prévaut d'un " rapport critique " du Dr A...indiquant que du fait de la baisse de son acuité visuelle, M. F...était dans l'impossibilité de conduire et qu'une acuité réduite à moins de 2 /10e et se péjorant rapidement représente une indication opératoire impérative.
9. Il résulte de l'instruction que la circonstance que M. F...ne puisse pas conduire un véhicule du fait de la baisse de son acuité visuelle préalable à ces deux opérations est sans incidence au cas d'espèce dès lors que l'intéressé indique sans être contredit qu'il n'a pas le permis de conduire et qu'il se rendait à son travail à pied. Par ailleurs, M. F...fait état d'une acuité visuelle de 2/10e lors de son opération de l'oeil gauche, de la non-production par le centre hospitalier universitaire de Grenoble des comptes-rendus préopératoires sur son acuité visuelle avant ses opérations et se prévaut des éléments d'information figurant dans le courrier du 30 juillet 2012 du Dr B...adressé au centre hospitalier universitaire de Grenoble, à savoir une acuité visuelle égale à 2/10e,, un fond d'oeil ne montrant pas de lésion rétinienne particulière et un seul décollement postérieur du vitré (DPV) avec remaniement. Il résulte de l'instruction que si le Dr G...B..., dans ce même courrier, mentionne que cette cataracte a été d'évolution rapide, elle ne fait état d'aucun caractère d'urgence de l'opération de la cataracte à l'un ou l'autre de ces yeux ou aux deux yeux. En l'espèce, les critiques argumentées de M. F... sur le manque d'éléments étayés médicalement relatifs à une acuité visuelle de l'oeil gauche qui serait inférieure à 2/10e avant l'opération et l'absence d'éléments quant à l'évolution de la dégradation de la vision de son oeil droit et de son oeil gauche en l'absence de toute opération, ne permettent pas de retenir comme certaine l'assertion du Dr A...selon laquelle l'intéressé se trouvait dans une situation qui représentait une indication opératoire impérative.
10. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ".
11. Compte tenu de ce qui a été exposé au point 9 et les pièces versées au débat ne permettant pas de déterminer l'évolution d'une dégradation de l'acuité visuelle de chacun de ses deux yeux en l'absence d'opération, il y a lieu, pour apprécier si l'une ou l'autre des opérations en cause ou les deux étaient ou non impérieusement requises et si M. F...avait une possibilité raisonnable de refus, et évaluer l'ampleur de la chance qu'il aurait, le cas échéant, perdue de se soustraire au risque opératoire du fait du défaut d'information lors de chacune des deux opérations de la cataracte, d'ordonner avant-dire-droit une expertise aux fins précisées ci-après. Il y a également lieu compte tenu des divergences entre l'expertise de la CRCI et les allégations de l'ONIAM sur le caractère anormal de l'aléa thérapeutique dont aurait été victime M. F...à l'occasion de chacune de ces deux opérations compte tenu de son profil de risque propre et des risques encourus par l'intéressé pour chacune des deux opérations, de faire procéder avant-dire-droit à une expertise complémentaire aux fins précisées ci-après.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de réserver tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt.
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. F..., procédé à une expertise contradictoire en présence de M.F..., de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, de l'ONIAM et du centre hospitalier universitaire de Grenoble.
L'expert aura pour mission :
1°) après s'être fait communiquer le dossier médical de M. F...et avoir procédé à un examen de ce dernier, de décrire l'état de ses deux yeux et de son acuité visuelle avant le 23 juillet 2001, le 23 juillet 2001 lors de la consultation auprès du DrB..., lors de la visite pré-opératoire de son oeil droit au centre hospitalier universitaire de Grenoble, lors de l'opération de la cataracte de l'oeil droit et à l'issue de celle-ci à 15 jours, à un mois et avant la visite pré-opératoire de l'oeil gauche, lors de la visite pré-opératoire de l'oeil gauche au centre hospitalier de Grenoble et à l'issue de celle-ci, à 15 jours et à un mois, puis en juin et août 2002, en 2012 et actuellement.
2°) de décrire, compte tenu de ses constatations, des éléments cliniques et de la littérature médicale, l'acuité visuelle de M. F...lors des visites préopératoires, d'indiquer quelle aurait été l'évolution de la dégradation (dans le temps et dans son ampleur) en cas d'absence d'opération à chacun des deux yeux, d'indiquer, compte tenu de l'acuité visuelle, des contraintes personnelles et professionnelles de l'intéressé et de son profil de risque propre, si l'une des opérations ou les deux aurai(en)t pu être différée(s) notamment au vu de la reprise de son oeil droit (seidel et suture) après l'opération de cataracte ou si l'une ou l'autre ou les deux étaient impérieusement requises, de mentionner les conséquences d'une programmation différée de l'opération de la cataracte de l'oeil droit et de celle de l'oeil gauche et de préciser si un décollement postérieur du vitré avait déjà eu lieu avant chacune des deux visites préopératoires et si oui à quelle date.
3°) d'évaluer, compte tenu du profil de risque spécifique de M. F...et des décollements éventuels du vitré qui auraient eu lieu avant les opérations en cause, les pourcentages de risques encourus par M. F...de subir non seulement un décollement du vitré mais d'être victime dans le cadre d'une opération de la cataracte d'un décollement postérieur du vitré lui-même à l'origine de déchirures et de décollement de la rétine lesquels sont à l'origine des troubles visuels de l'intéressé, ceci pour chacun des yeux et pour les deux yeux.
4°) de fixer la date de consolidation de l'état de santé de M.F..., d'évaluer le taux d'incapacité temporaire totale et partielle, le taux d'incapacité permanente partielle et son éventuelle incidence professionnelle, l'importance des souffrances endurées sur une échelle de 1 à 7 et l'ensemble des préjudices en lien direct avec cet accident dont préjudice sexuel, esthétique, d'agrément.
5°) de préciser si M. F...était atteint de déficits fonctionnels permanents avant ces opérations de la cataracte, le 29 octobre 2002, de l'oeil droit et, le 3 décembre 2002, de l'oeil gauche et de différencier ceux existant avant ces opérations et ceux exclusivement en lien avec ces opérations.
6°) de faire toute constatation utile et notamment d'indiquer si la nécessité de réaliser une reprise de son oeil droit (Seidel et suture) est une conséquence habituelle ou rare d'une opération de la cataracte et d'évaluer la fréquence d'une telle reprise et de préciser dans quels délais une opération de la cataracte est habituellement pratiquée sur l'autre oeil dans le cas où, comme en l'espèce, la première opération a fait l'objet d'une reprise chirurgicale
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 3 : Les frais d'expertise seront pris en charge par le centre hospitalier universitaire de Grenoble.
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert communiquera un pré-rapport aux parties, en vue d'éventuelles observations, avant l'établissement de son rapport définitif. Il déposera son rapport au greffe en deux exemplaires.
Article 7 : Des copies de son rapport seront notifiées par l'expert aux parties. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...F..., aux caisses primaires d'assurance maladie de l'Isère et du Rhône, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et au centre hospitalier universitaire de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2009 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 juin 2019
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N° 17LY02236