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25/06/2019 | FRANCE | N°17LY03987

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 25 juin 2019, 17LY03987


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler la décision par laquelle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a, le 14 décembre 2016, installé une crèche de Noël dans le hall de l'hôtel de région, siège de la région Auvergne-Rhône-Alpes ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitution

nalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'arti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler la décision par laquelle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a, le 14 décembre 2016, installé une crèche de Noël dans le hall de l'hôtel de région, siège de la région Auvergne-Rhône-Alpes ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat résultant de l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans ses décisions du 9 novembre 2016 n° 395122 et 395223, commune de Melun c/ Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne et Fédération de la libre pensée de Vendée ;

3°) de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1609063 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, annulé la décision du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes d'installer une crèche de Noël dans les locaux de l'hôtel de région, mis à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes le versement à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, rejeté le surplus des conclusions de la requête et rejeté les conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 novembre 2017, 26 décembre 2017 et 16 mai 2019, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Briard (SCP Briard), avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2017 ;

2°) de rejeter la demande de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ;

3°) de mettre à la charge de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'est pas revêtu de la signature des membres de la juridiction ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions aux fins de non-lieu à statuer ;

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pris en compte, pour déterminer si l'installation d'une crèche de la nativité dans un emplacement public revêtait un caractère culturel, artistique ou festif excluant la reconnaissance d'un culte ou une préférence religieuse, que le lieu où était située la crèche et les usages locaux alors qu'ils devaient également tenir compte du contexte de l'installation et des conditions particulières de cette installation ; contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les usages locaux ne se limitent pas au lieu où a été dressée la crèche, mais au territoire dans son ensemble ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la crèche installée le 14 décembre 2016 est dépourvue de tout caractère religieux et présente un caractère culturel, artistique et festif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018 et un mémoire, enregistré le 12 décembre 2018, qui n'a pas été communiqué, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, représentée par Me Mazas, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la décision prise par le président du conseil régional d'installer une crèche de la nativité dans le hall d'entrée du conseil régional constitue une violation du principe de laïcité tel que défini par la loi du 9 décembre 1905.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me De Dreuzy, avocat, pour la région Auvergne-Rhône-Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait installer une oeuvre représentant une crèche de la nativité le 14 décembre 2016 dans le hall d'entrée de l'hôtel de région, siège de cette collectivité situé à Lyon. Par un jugement n° 1609063 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon, saisi par la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, a, en son article 1er, décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, en son article 2, annulé la décision du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes d'installer une crèche de Noël dans les locaux de l'hôtel de région, en son article 3, mis à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes le versement à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en son article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête et, en son article 5, rejeté les conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il ressort de ses écritures que la région Auvergne-Rhône-Alpes doit être regardée comme relevant appel de l'article 2 de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier transmis par le tribunal administratif que, contrairement à ce que soutient la requérante, la minute du jugement du 5 octobre 2017 comporte les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative.

3. En second lieu, la désinstallation de la crèche le 6 janvier 2017, qui n'a pas été prise en vue de donner satisfaction à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n'a ni pour objet ni pour effet de retirer la décision de procéder à son installation. La circonstance que la crèche a été désinstallée après les fêtes de fin d'année et que, de ce fait, la décision en litige aurait été entièrement exécutée, n'a pas pour effet de rendre sans objet la demande de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions de la région tendant au prononcé d'un non-lieu à statuer.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ". Pour la mise en oeuvre de ces principes, l'article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d'exposition.

5. Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public. Dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pendant la période des fêtes de la fin de l'année, du 14 décembre 2016 au 6 janvier 2017, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé de faire installer une oeuvre représentant une crèche de Noël dans le hall de l'hôtel de région à Lyon. L'installation de cette crèche dans l'enceinte de ce bâtiment public, siège d'une collectivité publique, ne résultait d'aucun usage local et il n'est pas établi que cette pratique se rattacherait à une tradition régionale. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'objectif poursuivi par la région aurait été d'organiser une exposition, en dépit de la présence, à proximité de la crèche, d'un panneau se référant au savoir-faire des artisans santonniers locaux qui l'ont réalisée. Si l'installation ne se limite pas à la scène de la nativité et comporte un décor plus large, intégrant un village médiéval ainsi qu'une partie boisée, il ne fait pas de doute qu'elle a pour objet de figurer une crèche et la vocation artistique et pédagogique apparaît secondaire par rapport à la symbolique religieuse. Enfin, la présence d'un sapin et de boules de Noël à proximité immédiate de la crèche ne suffit pas à inscrire celle-ci dans un ensemble de décorations festives de nature à lui ôter sa connotation religieuse. Il s'ensuit que le fait d'avoir procédé à cette installation dans l'enceinte de l'hôtel de région, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, méconnaît l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

7. Il résulte de ce qui précède que la région Auvergne-Rhône-Alpes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes d'installer une crèche de Noël dans le hall de l'hôtel de région et mis à la charge de la région une somme au titre des frais liés au litige.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, qui n'est pas partie perdante, la somme que demande la région Auvergne-Rhône-Alpes au titre des frais non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes le versement d'une somme de 800 euros en application des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la région Auvergne-Rhône-Alpes est rejetée.

Article 2 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la région Auvergne-Rhône-Alpes et à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2019, à laquelle siégeaient :

M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,

Mme Virginie Aubert-Chevalier, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère.

Lu en audience publique, le 25 juin 2019.

2

N° 17LY03987

mg


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY03987
Date de la décision : 25/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

01-04-03-07-02 Actes législatifs et administratifs. Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit. Principes généraux du droit. Principes intéressant l'action administrative. Neutralité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Nathalie PEUVREL
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CABINET BRIARD Sarl

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-06-25;17ly03987 ?
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