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13/06/2019 | FRANCE | N°18LY03886

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre - formation à 3, 13 juin 2019, 18LY03886


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 21 août 2018 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1805394 du 24 septembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions refusant d'accor

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 21 août 2018 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1805394 du 24 septembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions refusant d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an (article 2) et rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 3).

Procédure devant la cour

I/ Par une requête enregistrée le 25 octobre 2018 sous le n° 18LY03886, M. B..., représenté par Me Djinderedjian, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2018 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée portant obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit d'observations.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 novembre 2018.

II/ Par une requête enregistrée le 25 octobre 2018 sous le n° 18LY03889, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions de M. B... tendant à l'annulation des décisions du 21 août 2018 refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Il soutient que les déclarations de l'intéressé concernant son lieu de résidence sont vagues et contradictoires ; il ne peut être regardé comme disposant des garanties de représentation suffisantes à prévenir le risque de fuite.

La requête a été communiquée à M. B...qui n'a pas produit d'observations.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2019.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Dèche, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées par M. B... et par le préfet de la Haute-Savoie présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

2. M. B..., né le 2 septembre 1992, ressortissant du Kosovo, est entré irrégulièrement en France le 28 décembre 2014. Le 6 novembre 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, a rejeté sa demande d'asile. Ce rejet a été confirmé le 11 mai 2018 par la Cour nationale du droit d'asile. Le 21 août 2018, suite à l'interpellation de l'intéressé à l'occasion d'un contrôle routier, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'un an. M. B... fait appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel de ce même jugement en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions refusant d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un an.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

4. M. B... se prévaut de sa présence depuis décembre 2014 en France ainsi que de sa situation de concubinage depuis décembre 2016 avec une compatriote titulaire d'une carte de séjour temporaire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français et a été interpellé, le 21 août 2018, alors qu'il était au volant d'un véhicule sans être titulaire d'un permis de conduire. Ainsi, et alors que M. B... a passé la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine, le préfet de la Haute-Savoie, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. En deuxième lieu, il résulte des circonstances de fait énoncées au point précédent, qu'en obligeant M. B... à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences que cette décision est susceptible de comporter pour la situation personnelle de l'intéressé.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". La décision portant obligation de quitter le territoire français ne désigne pas le pays de destination. Dès lors, le moyen tiré, contre cette décision, de la méconnaissance de ces stipulations est inopérant.

7. M. B... fait valoir qu'en raison de son appartenance à la communauté ashkali, il a fait l'objet de mesures discriminatoires et de menaces dans son pays d'origine. Toutefois, il n'apporte pas, à l'appui de ses allégations, d'éléments suffisamment probants de nature à démontrer le caractère réel, personnel et actuel des risques allégués qui feraient légalement obstacle à son éloignement vers le Kosovo. Par suite, à supposer qu'il soit dirigé contre la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la méconnaissance, par cette décision, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :

8. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° Si l'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. / L'autorité administrative peut faire application du troisième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa. "

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'audition du 21 août 2018 que M. B... a déclaré " dormir chez sa copine ", à Saint-Julien-en-Genevois, lorsque sa mère n'est pas là et que cette dernière a indiqué qu'il n'habitait pas chez elle. Il a également indiqué qu'il dormait chez un ami à Annecy, dont il ne connaît pas l'adresse. Compte tenu de ces déclarations vagues et contradictoires, même si M. B... est titulaire d'une carte d'identité en cours de validité, délivrée par les autorités kosovares, il ne justifie pas de garanties de représentation suffisantes. Dès lors, il existe un risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. Par suite, le préfet a pu légalement refuser de lui accorder un délai de départ volontaire. En conséquence, c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance des dispositions précitées pour annuler la décision refusant un délai de départ volontaire et, par voie de conséquence, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... contre les décisions refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.

11. Pour les motifs indiqués ci-dessus dans le cadre de l'examen de la légalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, la décision refusant d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire ne méconnaît pas les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français durant un an :

12. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

13. M. B... s'est vu légalement refuser tout délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre. Il n'établit l'existence d'aucune circonstance humanitaire qui aurait pu justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, et alors même que l'intéressé ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas commis d'erreur d'appréciation en prononçant une telle interdiction.

14. En second lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, l'interdiction de retour sur le territoire ne saurait faire l'objet d'une annulation par voie de conséquence.

15. Il résulte de ce qui précède que, d'une part, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du préfet de la Haute-Savoie portant obligation de quitter le territoire français. D'autre part, le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du même jugement, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions refusant d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire et portant interdiction de retour sur le territoire français.

16. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

17. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. B... au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2019 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Dèche, premier conseiller,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 juin 2019.

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N° 18LY03886, 18LY03889


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY03886
Date de la décision : 13/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: Mme BOURION
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-06-13;18ly03886 ?
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