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09/04/2019 | FRANCE | N°17LY00752

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 09 avril 2019, 17LY00752


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association "Lucenay-le-Duc Environnement", Mme AI... AL..., Mme O...H..., M. N...H..., M. M...P..., M. et Mme I...R..., M. et Mme Q...X..., M. N...Y..., M. AC...K..., M. et Mme B...S..., Mme W...T..., M. et Mme G...AD..., M. et Mme C...U..., M. et Mme F...V..., Mme AH...D..., M. V...AA..., M. AB...A..., M. G...AF..., Mme L...AF..., Mme W...AF..., Mme Z...AF..., Mme E...AF..., Mme AM...AJ...et Mme AE...AG...ont demandé au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler les arrêtés du 31 janvier 2014 par

lesquels le préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'Or, a dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association "Lucenay-le-Duc Environnement", Mme AI... AL..., Mme O...H..., M. N...H..., M. M...P..., M. et Mme I...R..., M. et Mme Q...X..., M. N...Y..., M. AC...K..., M. et Mme B...S..., Mme W...T..., M. et Mme G...AD..., M. et Mme C...U..., M. et Mme F...V..., Mme AH...D..., M. V...AA..., M. AB...A..., M. G...AF..., Mme L...AF..., Mme W...AF..., Mme Z...AF..., Mme E...AF..., Mme AM...AJ...et Mme AE...AG...ont demandé au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler les arrêtés du 31 janvier 2014 par lesquels le préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'Or, a délivré à la société Eole Res deux permis de construire dix-neuf éoliennes et huit structures de livraison sur le territoire des communes de Lucenay-le-Duc et de Chaume-lès-Baigneux (Côte-d'Or), ainsi que la décision du 28 mai 2014 par laquelle le préfet a implicitement rejeté leur recours gracieux ;

2°) de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1402566 du 20 décembre 2016, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande et mis à la charge de l'association " Lucenay-Le-Duc Environnement" et autres le versement solidaire d'une somme de 2 500 euros à la société Eole Res au titre des frais non compris dans les dépens.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 février 2017, 29 janvier 2018, 15 février 2018 et 20 mars 2018, ce dernier n'ayant pas été communiqué, l'association " Lucenay-le-Duc Environnement", Mme AI...AL..., Mme O...H..., M. N...H..., M. I...R..., M. AC...K..., M. et Mme B...S..., M. et Mme G...AD..., M. et Mme F...V..., Mme AH...D..., M. V...AA..., M. AB... A..., M. G... AF...et Mme AM...AJ..., représentés par Me Monamy, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 décembre 2016 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Côte-d'Or du 31 janvier 2014 et sa décision du 28 mai 2014 mentionnés ci-dessus ;

3°) de mettre à charge de l'Etat et de la société Eole-Res une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le préfet de la Côte-d'Or était incompétent pour statuer sur les demandes de permis de construire des éoliennes terrestres dont la société Eole-Res l'avait saisi ;

- les arrêtés et décision en litige méconnaissent les dispositions de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme en ce que le préfet n'a pas, avant de délivrer les autorisations contestées, recueilli l'avis de la commission départementale de la consommation des espaces agricoles ; cette irrégularité a été susceptible d'exercer une incidence sur le sens des décisions prises et a privé les intéressés d'une garantie ;

- l'avis de l'autorité environnementale a été émis dans des conditions irrégulières en ce que c'est la même autorité qui a exercé la compétence consultative en matière environnementale et la compétence visant à la délivrance des permis en litige ; les dispositions de l'article R. 122-1-1 du code de l'Environnement méconnaissent, à cet égard, l'article 6 de la directive n° 85/337/CEE du 27 juin 1985 codifiée par la directive du 13 décembre 2011 et 1'article L. 122-1 du code de 1'Environnement ; cette irrégularité a privé le public d'une garantie ;

- l'étude d'impact présente, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 122-3 du code de l'Environnement, des insuffisances et omissions en ce qui concerne l'étude acoustique, l'étude avifaunistique, l'étude floristique et l'étude paysagère, qui ont nui à l'information complète de la population et ont privé l'autorité compétente de la possibilité de statuer en connaissance de cause ;

- les arrêtés et décision en litige sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme ;

- ils procèdent également d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, devenu l'article R. 111-27.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 janvier 2018 et 23 février 2018, la société par actions simplifiée Res, représentée par Me J..., de LPA CGR Avocats, avocate, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au sursis à statuer le temps de la régularisation par une autorisation modificative et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de chacun des requérants en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable en ce que les requérants ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;

- aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2018, le ministre de la cohésion des territoires conclut, à titre principal, au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, au sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

Il fait valoir que :

- à titre principal, aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- à titre subsidiaire, si la cour estimait fondé le moyen tiré de l'absence d'autonomie fonctionnelle de l'autorité environnementale, elle pourrait surseoir à statuer en application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, le temps que ce vice soit régularisé par l'émission d'un nouvel avis d'autorité environnementale par la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) créée par le décret n° 2016-519 du 28 avril 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'Environnement, modifiée par la directive 97/11/CE du 3 mars 1997 ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'Environnement ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'Environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'Environnement ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 modifié, relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;

- le décret n° 2009-235 du 27 février 2009 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales de l'Environnement, de l'aménagement et du logement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me Monamy représentant les requérants, et celles de Me J... représentant la société Eole Res ;

Une note en délibéré a été produite le 25 mars 2019 pour la société Res.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'Or, a, par deux arrêtés du 31 janvier 2014, délivré à la société par actions simplifiée (SAS) Eole Res, devenue Res, deux permis de construire, d'une part, dix-sept éoliennes et sept postes de livraison sur le territoire de la commune de Lucenay-le-Duc et, d'autre part, deux éoliennes et une structure de livraison sur le territoire de la commune de Chaume-lès-Baigneux. L'association " Lucenay-le-Duc Environnement" et autres ont demandé le retrait de ces arrêtés. Du silence gardé par le préfet, est née une décision implicite de rejet de ce recours gracieux le 28 mai 2014. L'association " Lucenay-le-Duc Environnement" et autres relèvent appel du jugement du 20 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 31 janvier 2014 et de la décision du 28 mai 2014.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société Res :

2. En premier lieu, selon l'article 2 de ses statuts, l'association " Lucenay-le-Duc Environnement" a pour but de défendre la qualité de vie des habitants de Lucenay-le-Duc et des communes environnantes, de protéger les espaces naturels, les paysages et le patrimoine architectural de la commune de Lucenay-le-Duc et de ses environs, de sauvegarder l'identité culturelle des paysages et défendre leur intérêt patrimonial, touristique et social, de contribuer à la promotion du patrimoine local, culturel et historique de la commune de Lucenay-le-Duc. Compte tenu de son objet, l'association dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre des permis de construire des éoliennes sur le territoire de la commune de Lucenay-le-Duc et des communes environnantes.

3. En deuxième lieu, dès lors que l'association " Lucenay-le-Duc Environnement" dispose d'un intérêt pour agir, la requête est recevable sans qu'il soit nécessaire pour la cour de se prononcer sur l'intérêt pour agir, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, des personnes physiques associées à la requête.

4. En troisième lieu, l'intimée fait valoir que la requête est irrecevable dès lors qu'elle est " dirigée " contre le préfet du département de la Côte d'Or alors que les permis de construire en litige ont été accordés par le préfet de la région Bourgogne, en faisant valoir que, dans ces conditions, la requête tend à l'annulation d'une décision inexistante. Toutefois, et en tout état de cause, la requête mentionne que les actes dont l'annulation est demandée ont été pris par le préfet de la Côte-d'Or, préfet de la région Bourgogne.

5. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la société Res doivent être écartées.

Sur la légalité des arrêtés du 31 janvier 2014 et de la décision du 28 mai 2014 :

En ce qui concerne la consultation de l'autorité environnementale :

6. D'une part, la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programme sur l'Environnement comme la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'Environnement, telle que modifiée par la directive 97/11/CE du 3 mars 1997, ont pour finalité commune de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'Environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l'étude d'impact des projets, publics ou privés, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'Environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la CJUE dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10, et à la finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle " des autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'Environnement ", il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 1985 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d'ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné.

7. D'autre part, les dispositions en cause de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 étaient transposées, à la date des arrêtés en litige, par l'article R. 122-1-1 du code de l'Environnement, lequel, dans sa rédaction alors en vigueur, déterminait les autorités administratives de l'Etat compétentes en matière d'Environnement pour rendre les avis requis sur les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'Environnement ou la santé humaine et fixait la procédure à suivre pour émettre ces avis. Toutefois, les dispositions de l'article R. 122-1-1 étaient, en tout état de cause, incompatibles avec les objectifs de la directive en tant qu'elles désignaient le préfet de région comme autorité compétente pour émettre un avis, sans que soit prévu un dispositif propre à garantir que, notamment dans les cas où il était compétent pour autoriser les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements, l'avis soit rendu par une entité, même interne, disposant d'une autonomie réelle à son égard.

8. Il résulte des pièces du dossier que l'avis rendu le 15 mars 2010 par le préfet de la Côte-d'Or, préfet de la région Bourgogne, en qualité d'autorité environnementale, a été préparé par la direction régionale de l'Environnement de l'aménagement et du logement de Bourgogne. Ni l'article R. 122-1-1 du code de l'Environnement, dans sa rédaction alors en vigueur, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, n'a prévu de dispositif propre à garantir que, dans les cas où le préfet de région est compétent pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région en vertu de l'article 7 du décret précité du 29 avril 2004, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité interne disposant d'une autonomie réelle à son égard. Dans ces conditions, l'avis de l'autorité environnementale ne répond pas aux objectifs du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 27 juin 1985 et a été rendu dans des conditions irrégulières. Cette irrégularité a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact :

9. Aux termes de l'article L. 122-1 du code de l'Environnement, dans sa rédaction applicable à la date des arrêtés et de la décision en litige : " Les travaux et projets d'aménagement qui sont entrepris par une collectivité publique ou qui nécessitent une autorisation ou une décision d'approbation, ainsi que les documents d'urbanisme, doivent respecter les préoccupations d'Environnement. ". Aux termes de l'article R. 122-3 du code de l'Environnement, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'Environnement. II. - L'étude d'impact présente successivement : 1° Une analyse de l'état initial du site et de sonAK..., portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ; 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'Environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l'eau, l'air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'hygiène, la santé, la sécurité et la salubrité publique ; 3° Les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'Environnement, parmi les partis envisagés qui font l'objet d'une description, le projet présenté a été retenu ; 4° Les mesures envisagées par le maître de l'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'Environnement et la santé, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes ; (...) ". Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

10. Il résulte de l'étude acoustique jointe à l'étude d'impact qu'elle a été réalisée sur la base d'un modèle d'éolienne dont la puissance unitaire est de 2 MW, alors qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des écritures en défense de la société Res, que la puissance des aérogénérateurs faisant l'objet des permis de construire en litige sera de 2,5 MW, ce que ne mentionnent ni l'étude d'impact ni l'étude acoustique. Il résulte d'un rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'Environnement et du travail (AFSSET) intitulé " Impact sanitaire du bruit généré par les éoliennes ", réalisé en mars 2008, dont un extrait est versé aux débats, que " l'augmentation des niveaux de bruit des machines est faible en comparaison de celle des puissances électriques ", le quadruplement de la puissance entraînant un doublement du bruit. Les requérants, se fondant sur le même rapport, démontrent qu'en augmentant la puissance unitaire des machines de 2 à 2,5 mégawatts, le bruit généré par leur fonctionnement devrait augmenter de plus de 1,087 dB (A). Il ressort des constats réalisés dans le cadre de l'étude acoustique que, si la plupart des émergences globales diurnes se situent très en deçà de la limite maximale de 5 db (A), celles qui ont été relevées à proximité de l'habitation " Ferme Gautrot " sont, pour des vitesses de vent de 6 m/s et 7 m/s, très proches de cette valeur. S'agissant des émergences globales nocturnes, elles sont également très proches du niveau admis de 3 db (A) aux Emorots avec un vent de 8 m/s et à Lucenay-le-Duc avec des vitesses de vent de 5 m/s et 6 m/s. La commission d'enquête a d'ailleurs considéré que " les émergences de bruit sont très limites en différents points de mesure " et que " les valeurs estimées sont trop proches de celle de 5 db (A) autorisée par la loi ". Dans ces conditions, il ne peut être tenu pour établi qu'une étude réalisée sur la base d'une machine de 2 MW et non de 2,5 MW correspondant à la puissance des aérogénérateurs projetés aboutit à un résultat satisfaisant au regard de la législation relative aux nuisances sonores.

11. En outre, il ressort du rapport de la commission d'enquête publique, et notamment des réponses apportées par la société Res aux questions de cette commission que " la campagne de mesures de bruit de fond a été réalisée par le tiers expert " Bureau Veritas ", dont la prestation a compris l'installation des sonomètres, l'enregistrement du bruit de fond global et par bandes d'octaves, la caractérisation de l'Environnement sonore pendant la période des mesures et le filtrage et prétraitement des données. Eole-Res s'est ensuite chargée de l'expertise acoustique, dont le but est de déterminer la contribution du projet proposé à l'Environnement sonore existant et de vérifier que cet impact soit conforme à la réglementation en vigueur. Ce travail inclut la corrélation entre les niveaux de bruit mesurés aux habitations et la vitesse de vent, la simulation du niveau de bruit émis par les éoliennes et sa propagation dans l'espace, la détermination des niveaux de bruit résultants aux différents lieux d'habitation et le calcul des émergences par rapport à la situation actuelle. ".

12. La manière de procéder qui vient d'être décrite, qui confie au pétitionnaire lui-même l'interprétation des résultats des mesures, ne peut être regardée comme présentant des garanties d'objectivité suffisantes, alors surtout que, ainsi que cela a été relevé au point 11 ci-dessus, les conclusions de cette étude, menée à partir d'une machine d'une puissance inférieure à celles qui seront installées, ne peuvent être tenues pour satisfaisantes au regard des obligations légales relatives aux nuisances sonores. Les requérants sont, dans ces conditions, fondés à soutenir que l'étude acoustique n'a pas été menée dans des conditions propres à garantir une correcte appréciation de l'impact sonore du projet et que de telles insuffisances, portant tant sur l'objectivité que sur la fiabilité des conclusions qui en ont été tirées, ont été de nature à nuire à l'information complète du public.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme :

13. Aux termes de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date des arrêtés en litige : " Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'Environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'Environnement. Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'Environnement. ". Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'Environnement, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation. II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. (...) ".

14. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme qu'elles ne permettent pas à l'autorité administrative de refuser un permis de construire, mais seulement de l'accorder sous réserve du respect de prescriptions spéciales relevant de la police de l'urbanisme, telles que celles relatives à l'implantation ou aux caractéristiques des bâtiments et de leurs abords, si le projet de construction est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'Environnement. A ce titre, s'il n'appartient pas à cette autorité d'assortir le permis de construire délivré pour une installation classée de prescriptions relatives à son exploitation et aux nuisances qu'elle est susceptible d'occasionner, il lui incombe, en revanche, le cas échéant, de tenir compte des prescriptions édictées au titre de la police des installations classées ou susceptibles de l'être.

15. Les requérants soutiennent que le site d'implantation des futures éoliennes présente des sensibilités avifaunistique et chiroptérologique incompatibles avec la présence de telles installations et qu'en délivrant les permis de construire, sans les assortir de prescriptions propres à assurer la préservation des espèces directement menacées par la construction des machines, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des intérêts protégés par l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme.

16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'étude chiroptérologique, que la plupart des espèces de chiroptères observées sur le site font l'objet d'une protection stricte au titre de l'annexe IV de la directive susvisée 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992 dite " Habitats, faune, flore ". Ont ainsi notamment été contactées la Pipistrelle commune, préférant les forêts, bosquets, villages et bâtiments isolés, la Barbastelle, à proximité des bois de Bèze et de la Goulotte, des linéaires de haies et des bosquets de la Combe des Brosses, et la Pipistrelle de Nathusius, quasi menacée en France, dont il est indiqué que leurs interactions avec les éoliennes sont fortes à très fortes et, s'agissant des deux dernières, qu'elles présentent des niveaux de rareté et de vulnérabilité élevés. Par ailleurs, a été relevée la présence de nombreuses colonies de mise-bas et d'un site d'hibernation de Barbastelles, Petits Rhinolophes, Grands Rhinolophes et Rhinolophes euryales à proximité immédiate du périmètre d'étude rapprochée ou dans les communes proches, avec la forte probabilité qu'au moins le Petit Rhinolophe, dont plusieurs colonies de mise-bas représentant 200 individus ont été identifiées dans un rayon de moins de cinq kilomètres, soit un hôte familier de ce périmètre. L'étude relève que l'activité chiroptérologique est très faible sur les secteurs cultivés mais élevée voire très élevée sur certaines lisières. Elle recommande particulièrement le maintien de la connectivité entre le village de Lucenay-le-Duc et les bosquets de la " Combe des Brosses " par des aménagements spécifiques, par exemple des plantations de haies, en vue de canaliser les déplacements des chiroptères et de les maintenir à l'écart des éoliennes. Toutefois, outre que le permis de construire dix-sept éoliennes et sept postes de livraison sur le territoire de la commune de Lucenay-le-Duc ne comporte aucune prescription en ce sens, il ressort de l'étude d'impact que la société Res envisage au contraire de couper à cet endroit quarante mètres de haies en vue de la création de l'aire de grutage de l'éolienne A4 et que, si elle entend, à titre compensatoire, " replanter entre 80 et 130 mètres de haies d'essences similaires à celles déjà présentes ", aucune indication n'est fournie sur l'emplacement de cette plantation. Par ailleurs, alors que l'étude chiroptérologique indique que la sensibilité est forte pour la grande majorité des boisements et de leur lisière jusqu'à au moins cent mètres, l'étude d'impact admet que les éoliennes D3 et G2, cette dernière étant située à proximité de Chaume-lès-Baigneux, sont proches de lisières. En outre, et alors que la société Res se borne à indiquer qu'aucune machine n'est située à moins de cinquante mètres de lisières, il ressort des cartes produites que les éoliennes B5, D1, D2 et D5 se situent non loin de boisements ou de bosquets. Enfin, il est constant que la commission d'enquête publique a relevé que " l'implantation d'éoliennes peut entraîner la perte des terrains de chasse, ainsi qu'une mortalité directe des chiroptères par collision avec les pales ", que ces impacts seront irréversibles et que " les préconisations des expertises spécifiques ne sont pas prises en compte ". Dans ces conditions, et même s'il ressort des pièces du dossier que les bois seront préservés et qu'aucun défrichement ne sera réalisé, le préfet de la région Bourgogne, en n'assortissant pas les permis de construire en litige de prescriptions spéciales destinées à limiter les incidences du projet sur l'Environnement, et en particulier sur les chiroptères, a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme.

17. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués par les requérants n'est susceptible d'entraîner l'annulation des arrêtés et de la décision contestés.

18. Il résulte de ce qui précède que l'association " Lucenay-le-Duc Environnement" et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Res le versement d'une somme en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " Lucenay-le-Duc Environnement" et autres, qui ne sont pas parties perdantes, la somme que la société Res demande au titre des frais non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1402566 du tribunal administratif de Dijon du 20 décembre 2016 est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du 31 janvier 2014 par lesquels le préfet de la région Bourgogne a délivré à la société Eole Res deux permis de construire dix-neuf éoliennes et huit structures de livraison sur le territoire des communes de Lucenay-le-Duc et de Chaume-lès-Baigneux (Côte-d'Or) ainsi que la décision du 28 mai 2014 par laquelle le préfet a implicitement rejeté le recours gracieux contre ces permis de construire sont annulés.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Lucenay-le-Duc Environnement", Mme AI...AL..., Mme O...H..., M. N...H..., M. I...R..., M. AC...K..., M. et Mme B...S..., M. et Mme G...AD..., M. et Mme F...V..., Mme AH...D..., M. V...AA..., M. AB...A..., M. G...AF..., Mme AM...AJ..., à la société par actions simplifiée Res et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera adressée au préfet de la région Bourgogne, préfet de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2019 à laquelle siégeaient :

M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,

Mme Virginie Aubert-Chevalier, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère.

Lu en audience publique, le 9 avril 2019.

10

N° 17LY00752


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY00752
Date de la décision : 09/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-025-02-02-01-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Nature de la décision. Octroi du permis. Permis assorti de réserves ou de conditions. Objet des réserves ou conditions. Protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Nathalie PEUVREL
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : LPA CGR Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-04-09;17ly00752 ?
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