Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 2 février 2018 du préfet de l'Isère portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignation du pays de renvoi.
Par un jugement n° 1801257 du 12 avril 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 2 février 2018 et a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. B...une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans les délais de, respectivement, quinze jours et deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 avril 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M.B....
Il soutient que :
- l'arrêté du 2 février 2018 ne porte pas refus de séjour ;
- le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble ne pouvait pas retenir les moyens tirés de l'erreur de droit et du défaut d'examen de la situation de M. B...qui n'avait jamais fait état de ses problèmes de santé auprès de ses services ;
- c'est également à tort qu'il a considéré que l'arrêté en litige méconnaissait le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que M. B... n'établit ni qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine où il peut compter sur la présence de sa compagne et de ses trois enfants mineurs, ni l'origine de ses troubles psychiatriques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2018, M.C..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête, à ce que l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Grenoble soit assortie d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le préfet n'a pas vérifié sa situation avant de lui opposer une obligation de quitter le territoire français ; au vu des pièces produites en première instance, il aurait pu décider de retirer son arrêté ;
- il a méconnu son droit d'être entendu prévu par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il appartenait au collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'apprécier son état de santé avant que le préfet ne se prononce ;
- l'arrêté en litige ne précise pas qu'il pouvait prendre un avocat ou s'en voir désigner un d'office pour le contester devant la juridiction administrative ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Lesieux ;
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né en 1992, est entré en France à la date déclarée du 25 mars 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 21 novembre 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 5 décembre 2017. En conséquence, après avoir relevé que l'intéressé ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire national, le préfet de l'Isère a pris à son encontre, le 2 février 2018, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fixant le pays de destination en cas d'éloignement forcé. Par un jugement du 12 avril 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. B...et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement.
2. Ainsi qu'il vient d'être dit, l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. B...est fondée sur les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoient qu'un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français si la reconnaissance de la qualité de réfugié lui a été définitivement refusée. Il en résulte qu'en relevant à l'article 1er de son arrêté que la reconnaissance de la qualité de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire ont été définitivement refusés à M. B...et que ce dernier ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français, le préfet de l'Isère n'a pas, par l'arrêté en litige, entendu refuser à l'intéressé son admission au séjour au titre de l'asile contrairement aux mentions portées dans le jugement attaqué.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Il ressort des pièces du dossier et des énonciations même du jugement attaqué que, pour contester l'arrêté du 2 février 2018, M. B...a invoqué les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a produit devant le tribunal un certificat médical d'un psychiatre praticien hospitalier et une attestation d'une infirmière de secteur psychiatrique en date des 28 février et 2 mars 2018, postérieurs à l'arrêté du 2 février 2018 en litige. Le préfet de l'Isère soutient, sans être contesté, que l'intéressé n'avait porté à sa connaissance, avant qu'il ne prenne son arrêté, aucun élément relatif à son état de santé. Dès lors, contrairement à ce qu'a jugé le magistrat désigné du tribunal, le préfet, qui s'est prononcé au vu des éléments portés à sa connaissance, n'a pas entaché son arrêté d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. B...au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de M. B...pour annuler son arrêté du 2 février 2018.
5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B...tant devant le tribunal que devant elle.
Sur les autres moyens :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par M. Yves Dareau, secrétaire général adjoint de la préfecture, qui a reçu délégation à cette fin par arrêté du préfet de l'Isère du 3 novembre 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 6 novembre 2017. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination manque donc en fait.
7. En deuxième lieu, dès lors qu'aucun élément concernant l'état de santé de M. B... n'avait été porté à la connaissance du préfet avant qu'il ne prenne l'arrêté attaqué, le requérant ne peut utilement soutenir que cet arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, en l'absence de saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).
8. En troisième lieu, M. B...soutient qu'il a été privé de son droit d'être entendu avant l'édiction de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Toutefois, lorsqu'il sollicite l'admission au séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. À l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnu un droit au séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui est loisible de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise à la suite du refus définitif de sa demande d'asile.
9. M. B...qui a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile, n'établit pas qu'il aurait été empêché de présenter au préfet de l'Isère, à l'occasion du dépôt de sa demande ou en cours d'instruction de celle-ci, tous éléments pertinents relatifs à sa situation et en particulier son état de santé, avant l'intervention de la mesure d'éloignement en litige. Le moyen tiré de ce qu'il été privé du droit d'être entendu au sens du principe général du droit de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ". Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision attaquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.
11. Il ressort des pièces du dossier et, en particulier des certificats et attestations des 28 février et 2 mars 2018 produits en première instance, complétés par une attestation du 9 juillet 2018 d'un second médecin psychiatre qui le prend en charge depuis le 20 juin 2018, que M. B...présentait, à son arrivée en France, un tableau de syndrome post-traumatique qui s'est progressivement transformé en syndrome dépressif mélancolique majeur avec hallucinations auditives lui donnant injonction de se tuer. L'intéressé a été hospitalisé en psychiatrie du 19 avril au 12 mai 2017 et a bénéficié depuis sa sortie d'un suivi psychiatrique à raison en moyenne de 2 séances par semaine ainsi que d'un traitement médicamenteux à base d'antidépresseur, antipsychotique, neuroleptique et anxiolytique. Le préfet de l'Isère ne conteste pas que le défaut de prise en charge médicale de M. B...pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais fait valoir que l'intéressé ne démontre pas qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié, alors que celui-ci est disponible dans son pays d'origine. M. B...se borne à produire devant la cour des courriers et courriels de médecins psychiatres de République démocratique du Congo selon lesquels la majorité de la population n'a pas accès aux soins spécialisés, les prix des psychotropes sont excessifs et il n'existe pas de sécurité sociale. Cependant ces pièces ne suffisent pas à établir qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier, compte tenu de sa situation personnelle, d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par ailleurs, M. B... n'établit pas, par les pièces qu'il produit, alors que sa demande d'asile a été rejetée, qu'il existerait un lien entre les troubles dont il souffre et des évènements qui auraient eu lieu dans son pays d'origine, où il n'est au demeurant pas dépourvu de " personne ressource " contrairement aux mentions portées sur le certificat médical du 28 février 2018 puisqu'y résident son épouse et ses trois enfants mineurs.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la demande d'asile de M. B...a été rejetée en dernier lieu par la CNDA le 5 décembre 2017. L'intéressé qui se borne à soutenir qu'un retour dans son pays signifierait d'être confronté aux menaces qu'il a fuies, ne se prévaut devant la cour d'aucun élément nouveau sur les risques encourus personnellement en cas de retour en République démocratique du Congo. Il en résulte que la décision fixant le pays de destination, au demeurant suffisamment motivée, ne méconnaît ni l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. En dernier lieu, M. B...soutient que si l'arrêté en litige porte mention des voies et délais de recours, il ne précise pas qu'il pouvait se faire assister d'un conseil et demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour contester cet arrêté devant le tribunal administratif. Cette circonstance est cependant sans incidence sur la légalité de la décision en litige et ce alors, en tout état de cause, que l'intéressé a pu saisir le tribunal administratif de Grenoble et qu'il a, pour se faire, été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 2 février 2018 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B.... Par suite, ce jugement doit être annulé et la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions présentées devant la cour tendant à assortir l'injonction prononcée en première instance d'une astreinte et celles tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme à verser à son conseil au titre des frais liés au litige, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801257 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble du 12 avril 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C...et au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, président,
M. Chassagne, premier conseiller,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 avril 2019.
Le rapporteur,
S. LesieuxLe président,
C. Michel
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 18LY01824