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07/02/2019 | FRANCE | N°17LY02068

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 07 février 2019, 17LY02068


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Kastel et M. A...D...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) de condamner la commune de Grenoble à leur payer respectivement la somme de 131 941 et la somme de 3 795 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ayant pour mission de chiffrer le préjudice.

Par un jugement n° 1504264 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande présentée par la société Kastel et M. A...D....

Procédure devant la cour

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ar une requête enregistrée le 19 mai 2017, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 19 février et le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Kastel et M. A...D...ont demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) de condamner la commune de Grenoble à leur payer respectivement la somme de 131 941 et la somme de 3 795 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ayant pour mission de chiffrer le préjudice.

Par un jugement n° 1504264 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande présentée par la société Kastel et M. A...D....

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 19 mai 2017, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 19 février et le 6 décembre 2018, la société Kastel et M. A...D..., représentés par la SCP Clément-Cuzin, Leyraud etF..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 mars 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner la commune de Grenoble à leur verser respectivement la somme de 131 941 euros et la somme de 33 795 euros en réparation des préjudices subis du fait des travaux réalisés par la commune de Grenoble ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ayant pour mission de chiffrer les préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Grenoble la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- ils sont tiers par rapport aux travaux en cause ;

- l'arrêt total de la venue de la clientèle a été constaté pendant la période des travaux réalisés par la commune de Grenoble ; pendant cette période, l'accès au restaurant était impossible dès lors que le restaurant a eu à subir les conséquences des travaux de voirie de 2011 au printemps 2013 ; le restaurant était situé au niveau de l'emplacement d'entrepôt des engins de chantier et des matériaux ; des plots ont été implantés devant le restaurant et un trou a été creusé au pied de la terrasse ;

- la durée des travaux ne fut pas celle initialement prévue et a été anormalement longue ; les travaux ont débuté en 2011 ; les nuisances se sont poursuivies jusqu'au printemps 2013 ; le restaurant a été concerné par les travaux place de la Cymaise de juin à septembre 2012 et par les travaux Quai Perrière d'octobre 2012 à mai 2013 ; avant juin 2012, la commune de Grenoble est à l'initiative directe des travaux de voirie préalable et cette période d'octobre 2011 à juin 2012 doit être prise en compte ;

- le restaurant a fermé ses portes le 30 juillet 2012 alors qu'il s'agit de la période la plus touristique ; il a pu être exploité du 1er juillet au 23 septembre 2012 puis il a dû être fermé du 23 septembre 2012 au 14 juin 2013 ; en 2013, il a ouvert du 15 juin au 13 octobre et à compter du 14 octobre, il a été fermé pour raison économique ; en 2014, le restaurant a été mis en location gérance ;

- le document comptable établi par la société Saratec n'est pas contradictoire ; ce document établi à la demande de la commune est partial et il n'est pas établi que la clientèle du restaurant du quai Perrière aurait été récupérée par le restaurant du boulevard Gambetta ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les dirigeants de la société avaient choisi, avant même les travaux, de transférer le nom commercial " L'arôme antique " et le chef de cuisine vers l'établissement situé boulevard Gambetta pour en faciliter le démarrage ; il n'y a pas eu de changement dans l'organisation du restaurant, les deux restaurants n'avaient pas vocation à se concurrencer ; le fait d'ouvrir plusieurs établissements a un impact positif et permet d'augmenter la clientèle ; l'activité du restaurant situé boulevard Gambetta ne résulte pas du transfert de l'activité du restaurant quai Perrière ; M. D... était le chef de brigade du restaurant boulevard Gambetta alors que M. B...E...était cuisinier ;

- l'acquisition du restaurant quai Perrière par la société n'a pas été un choix ni une stratégie d'optimisation fiscale et sociale mais la seule solution trouvée pour sauver le fonds de commerce du restaurant ;

- le restaurant " L'arome antique La panzeria " était ouvert depuis 2005 et avait pu développer sa clientèle ; du fait des travaux, le chiffre d'affaires a diminué ; le restaurant a été cédé à la société Kastel le 19 juillet 2012 ; le préjudice de M. D...est évalué à 3 795 euros qui correspond à la perte d'exploitation de septembre 2011 à février 2014 ; M. D...a également perdu la somme de 30 000 euros entre le prix de vente escompté du fonds de commerce et le prix d'acquisition par la société Kastel ; le préjudice de la société Kastel a été évalué à 134 757 euros ; les travaux d'embellissement réalisés par la commune n'ont pas valorisé le restaurant dès lors que la rue le long de l'Isère a perdu de son authenticité ; l'accès au restaurant est bien plus compliqué depuis les travaux compte tenu de ce que les piétons doivent faire un détour ;

- la commune ayant annoncé une date limitée de travaux, la société Kastel ne prenait pas a priori de risques en décidant d'acquérir le fonds de commerce du restaurant situé quai Perrière ;

Par un mémoire enregistré le 7 août 2017, et un mémoire complémentaire enregistré le 19 juin 2018, la commune de Grenoble, représentée par la SELARL Ligas-Raymond-Petit, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge solidaire de la société Kastel et de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'accès aux commerces a toujours été maintenu ;

- les travaux d'aménagement du quai de l'Isère pour le compte de la commune ont débuté le 2 juillet 2012 ; la durée des travaux a été de trois mois ainsi qu'en atteste un planning définitif ;

- si la société Kastel prétend avoir subi une perte de chiffre d'affaires à compter du jour d'acquisition du fonds de commerce le 19 juillet 2012 en raison des travaux, l'analyse des comptes de la société fait apparaître qu'entre le 16 mars 2012 et le 30 avril 2013, la progression est de 204 % ; le restaurant a été fermé plusieurs semaines durant les travaux et l'ouverture du restaurant boulevard Gambetta a permis de récupérer la clientèle fidèle du restaurant quai Perrière ; le cabinet Saretec a également conclu à une absence de perte d'activité sur la période litigieuse ;

- le personnel de " l'Arome antique Panzeria " a été transféré dans le second établissement " L'arome antique " ; le chef cuisinier pouvait être amené à exercer dans les deux établissements ; si une perte d'exploitation a été constatée, elle résulte de la volonté de M. D... et de la société Kastel de transférer la clientèle vers l'établissement situé boulevard Gambetta ; la baisse du chiffre d'affaire est imputable au choix de gestion opéré ; M. D...a réalisé une plus-value de plus de 37 000 euros sur la vente du fonds de commerce ; les travaux litigieux ont apporté de la valeur au fonds de commerce ;

- la société Kastel ne pouvait ignorer les risques qu'elle prenait en décidant d'acquérir le restaurant quai Perrière ;

- la demande d'expertise n'est pas justifiée ;

La commune de Grenoble a également produit un mémoire, enregistré le 14 décembre 2018, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caraës,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M.D..., et de MeC..., représentant la commune de Grenoble.

1. Considérant que la commune de Grenoble a entrepris des travaux de rénovation et de réaménagement des quais de l'Isère en vue de donner une nouvelle attractivité commerciale au quartier ; que M. D...exploitait, depuis 2005, un restaurant nommé " L'arome antique " situé 4 quai Perrière, face à la place de la Cymaise, sous la forme d'une entreprise individuelle ; que M. D...a cédé le 19 juillet 2012 à la SAS Kastel, qui a pour dirigeants M. et MmeD..., ce restaurant renommé " L'arome antique Panzeria " ; que M. D...et la SAS Kastel ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Grenoble à les indemniser des préjudices financiers qu'ils estiment imputables aux travaux réalisés ; qu'ils relèvent appel du jugement du 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ;

Sur la durée des travaux litigieux imputables à la commune de Grenoble :

2. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le projet de réaménagement des quais de l'Isère a été mené en deux phases ; que la phase préalable a consisté en des travaux de réseaux (électricité, gaz, eau et assainissement) réalisés par les concessionnaires de la ville ; que les travaux d'aménagement proprement dits ont ensuite été réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de la commune de Grenoble ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les travaux relatifs aux réseaux, qui ont été entrepris afin de ne pas avoir à réintervenir sur les espaces publics une fois les aménagements terminés, auraient été réalisés pour le compte ou sous la maîtrise d'ouvrage de la commune de Grenoble, qui ne saurait dès lors voir sa responsabilité recherchée à ce titre ;

3. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les travaux exécutés durant la phase d'aménagement sous la maîtrise d'ouvrage de la commune de Grenoble ont été réalisés à compter de juillet 2012 ; que si le planning prévisionnel des travaux d'aménagement des quais de l'Isère communiqué par la commune de Grenoble mentionne, pour le secteur Place de la Cymaise, une livraison des travaux en septembre 2012, les requérants produisent notamment une attestation du rédacteur en chef de l'édition de France 3 Grenoble certifiant que la retranscription écrite du reportage diffusé le 8 novembre 2012 faisant état à cette date de plots et d'un trou au pied du restaurant est conforme au reportage, permettant ainsi d'estimer que les travaux rendant difficile l'accès au restaurant n'étaient pas achevés en septembre 2012 ; qu'en revanche, les requérants n'établissent pas par la production d'attestations, peu précises quant à la date d'achèvement des travaux devant le restaurant ou encore par la production d'un article publié dans le " Dauphiné Libéré " le 26 février 2013, que des travaux empêchant tout accès au restaurant ou rendant difficile cet accès se seraient poursuivis au-delà du mois de novembre 2012 ; que, dans ces conditions, il y a lieu de retenir la fin du mois de novembre 2012 comme date de fin des travaux qui ont pu rendre difficile ou impossible l'accès au restaurant ;

Sur la responsabilité de la commune de Grenoble :

4. Considérant que la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers ; qu'il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;

5. Considérant que M. D...et la SAS Kastel soutiennent qu'ils ont subi un préjudice grave et spécial du fait des travaux entrepris pour réaménager les quais de l'Isère ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...exploitait le restaurant " L'arome antique " situé quai Perrière sous la forme d'une entreprise individuelle ; que la SAS Kastel, gérée par M. et MmeD..., a été créée le 16 mars 2012 en vue d'exploiter un restaurant nommé " L'arome antique " boulevard Gambetta et a racheté le fonds de commerce de " l'arome antique Panzeria " le 19 juillet 2012 ; que le chef de cuisine du restaurant situé quai Perrière, et dont les qualités professionnelles sont soulignées, a signé, le 1er juillet 2012, à une date où les requérants font valoir que la commune avait annoncé la fin des travaux pour septembre 2012, avec la société Kastel un nouveau contrat de travail dont l'article 6 stipulait qu'il exerçait son activité dans les deux établissements de la société ; que, dans leur dernier mémoire, les requérants indiquent que le restaurant quai Perrière a dû fermer du 30 juillet au 22 août 2012 puis du 23 septembre 2012 jusqu'au 14 juin 2013 sans qu'il soit établi que cette fermeture soit imputable à l'exécution des travaux litigieux ; que, par suite, les requérants ne peuvent sérieusement soutenir que les modalités de fonctionnement du restaurant situé quai Perrière seraient restées identiques à celles qui existaient avant les travaux entrepris sous la maîtrise d'ouvrage de la commune de Grenoble et que la société Kastel aurait été contrainte de procéder au rachat du fonds de commerce, le 19 juillet 2012, du restaurant situé quai Perrière en raison des travaux effectués par la commune ;

7. Considérant qu'il résulte également de l'instruction que le choix de gestion opéré par le dirigeant de la société Kastel en rachetant le fonds de commerce du restaurant quai Perrière et en fermant ce restaurant du 30 juillet au 22 août 2012 et du 23 septembre 2012 au 14 juin 2013, ce qui a conduit nécessairement au transfert du personnel et de l'activité au bénéfice du restaurant situé Boulevard Gambetta, a eu pour conséquence une interférence du fonctionnement des deux restaurants ; que, par suite, le tribunal administratif de Grenoble a pu, pour évaluer le chiffre d'affaires, prendre en compte l'analyse comptable produite par la société SARETEC qui indique qu'entre le 16 mars 2012 et le 31 décembre 2013, l'exercice comptable de la SAS Kastel est en progression de + 164 % ; que, par ailleurs, les difficultés d'accès au restaurant pendant la période des travaux réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de la commune de Grenoble ont été compensées par la nouvelle situation du restaurant à proximité immédiate du secteur totalement réaménagé des quais de l'Isère qui met en valeur ce site et fait une large part à la circulation piétonne ; qu'il n'est, par ailleurs, pas établi que l'accès au restaurant serait rendu plus compliqué ou malaisé à la suite des travaux ;

8. Considérant que, dans ces conditions, et même si les travaux d'aménagement des quais de l'Isère ont été de nature à rendre difficile, voire certains jours impossible, l'accès au restaurant situé quai Perrière et ont engendré d'importantes nuisances visuelles, olfactives et sonores en raison notamment de son emplacement à proximité de la place de la Cymaise où était entreposé le matériel et stationnaient les engins de chantier, les difficultés invoquées par la société Kastel et M. D...n'ont pas, en l'espèce, excédé les sujétions que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité pour la période litigieuse et il n'est pas établi que la perte de valeur du fonds de commerce soit imputable aux travaux litigieux ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Kastel et M. D...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ;

Sur les frais de l'instance :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Grenoble, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par la société Kastel et M. D...au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par la commune de Grenoble au même titre ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Société Kastel et de M. D...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Grenoble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kastel, à M. A... D...et à la commune de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président-assesseur,

Mme Caraës, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 février 2019.

4

N° 17LY02068


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17LY02068
Date de la décision : 07/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Régime de la responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SCP CLEMENT-CUZIN, LONG LEYRAUD et DESCHEEMAKER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-02-07;17ly02068 ?
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