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07/01/2019 | FRANCE | N°18LY03560

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 07 janvier 2019, 18LY03560


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 6 juillet 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1805013 du 16 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 septembre 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
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2°) de rejeter la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 6 juillet 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1805013 du 16 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 21 septembre 2018, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 août 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B...devant le tribunal administratif.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'Italie avait cessé d'être responsable de la demande de protection internationale de M.B....

Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2018, M. B..., représenté par Me Combes, avocat, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile dans le délai de quinze jours suivant l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

- à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que:

- il résulte de l'article 13 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 qu'à la date de la demande visant à sa reprise en charge, l'Italie avait effectivement cessé d'être responsable de l'examen de sa demande d'asile ;

- il s'est vu remettre les brochures en langue française, et non en arabe ;

- il existe en Italie des défaillances systémiques dans l'accueil des demandeurs d'asile.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Clot, président ;

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., ressortissant soudanais né le 1er février 1992, est entré irrégulièrement en France une première fois en juin 2017. Il a sollicité l'asile le 21 juin 2017 auprès de la préfecture de l'Essonne. Ses empreintes ayant été enregistrées antérieurement dans le fichier Eurodac lors de son entrée en Italie, il a été remis aux autorités italiennes le 22 janvier 2018. Revenu en France, il a formé une nouvelle demande d'asile auprès de la préfecture de l'Isère le 22 février 2018. Saisies le 29 mars 2018 d'une nouvelle demande de reprise en charge de l'intéressé, sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités italiennes ont donné un accord implicite le 29 mai 2018. Le 6 juillet 2018, le préfet de la Haute-Savoie a ordonné le transfert de M. B... aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet fait appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.

2. Le paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit que : " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi [...] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.". En application du 4 de l'article 24 du règlement (UE) 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, les demandeurs d'une protection internationale visés à l'article 9, paragraphe 1 dudit règlement qui font l'objet d'un relevé d'empreintes digitales, sont enregistrés dans le système central Eurodac sous la catégorie 1.

3. Il résulte clairement des dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 que la détermination de l'Etat membre en principe responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toutes à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date. Il résulte également de la combinaison des dispositions précitées que les critères prévus à l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres et qu'en particulier, les dispositions de cet article ne s'appliquent pas, lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un Etat membre après avoir déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, que cette dernière ait été rejetée ou soit encore en cours d'instruction.

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier des services du ministère de l'intérieur du 21 février 2018 communiquant au préfet le résultat positif des recherches effectuées dans le fichier Eurodac, sous la catégorie 1, que M. B...a sollicité l'asile en Italie, où ses empreintes digitales ont été relevées le 26 février 2017. Par suite, les critères précités de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 n'étaient pas applicables à la demande d'asile présentée postérieurement par M. B... en France, le 22 février 2018, qui ne constituait pas une première demande d'asile présentée sur le territoire de l'Union Européenne. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut être utilement invoqué à l'encontre de la décision de transfert contestée. C'est donc à tort que le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de ces dispositions pour annuler la décision en litige.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M.B....

S'agissant de la compétence du signataire de la décision contestée :

6. La décision contestée a été signée par Mme Florence Gouache, secrétaire générale de la préfecture de Haute-Savoie, qui dispose à cet effet d'une délégation de signature du préfet, du 30 avril 2018, publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture le 9 mai 2018.

S'agissant de l'application de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :

7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.

8. Il ressort des pièces du dossier que lors de l'entretien qu'il a eu le 21 février 2018 avec un agent de la préfecture de l'Isère, M. B...a déclaré comprendre le français. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que les brochures d'information en français qui lui ont été remises à l'issue de cet entretien auraient dû être en langue arabe.

S'agissant de l'application de l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :

9. Il ressort des pièces du dossier que l'exigence d'un entretien préalable avec un agent qualifié, dans une langue comprise par l'intéressé, résultant de l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013, a été satisfaite.

S'agissant du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :

10. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ".

11. M. B... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie du fait de l'afflux massif de demandeurs d'asile dans ce pays, avec des capacités d'accueil qui seraient dépassées et des autorités qui recourraient à des violences et des expulsions illégales. Toutefois, les informations d'ordre général qu'il invoque, ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont implicitement donné leur accord à la demande de prise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ces documents ne permettent pas non plus d'établir que M. B... encourrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige.

13. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

14. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. B...au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 16 août 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. B...sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 janvier 2019.

N° 18LY03560 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY03560
Date de la décision : 07/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : COMBES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-01-07;18ly03560 ?
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