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20/12/2018 | FRANCE | N°15LY03113

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 3, 20 décembre 2018, 15LY03113


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le syndicat mixte d'élimination, de traitement et de valorisation des déchets Beaujolais Dombes (SYTRAIVAL) a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner à titre principal sur le fondement de la garantie décennale la société Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), à titre subsidiaire sur le fondement des principes dont s'inspirent l'article 1792-4 du code civil cette même société et la société Peter Brotherood Ltd (PBL), à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de la

responsabilité contractuelle la société CNIM et, à titre plus infiniment subsi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le syndicat mixte d'élimination, de traitement et de valorisation des déchets Beaujolais Dombes (SYTRAIVAL) a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner à titre principal sur le fondement de la garantie décennale la société Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), à titre subsidiaire sur le fondement des principes dont s'inspirent l'article 1792-4 du code civil cette même société et la société Peter Brotherood Ltd (PBL), à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité contractuelle la société CNIM et, à titre plus infiniment subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle les sociétés CNIM et PBL à lui verser la somme de 8 818 077, 55 euros HT en réparation des préjudices résultant des désordres affectant le turbo-alternateur de l'usine de traitement et valorisation des déchets ménagers de Villefranche-sur-Saône, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1201217 du 2 juillet 2015, le tribunal a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la société CNIM à lui verser la somme de 5 720 810 euros HT assortie des intérêts légaux à compter du 23 février 2012 et de leur capitalisation, a mis à la charge de cette société la somme de 1 500 euros au titre des frais du litige et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête, un mémoire en réplique et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 16 septembre 2015, 5 septembre 2016 et 6 avril 2018, la société CNIM, représentée par Me H..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ou, subsidiairement, de ramener la somme HT de 5 720 810 euros à celle de 1 904 287 euros ou très subsidiairement, à celle 4 343 454 euros ;

2°) de condamner la société ACE Europe à prendre en charge toutes les condamnations prononcées à l'encontre des défendeurs au bénéfice du SYTRAIVAL ;

3°) de mettre à la charge de toute partie succombant la somme de 15 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le tribunal n'a pas répondu aux moyens en défense soulevés s'agissant du bien-fondé de l'appel en garantie formé contre la société ACE Europe au titre du contrat d'assurances " Tous Risques Montage Essai " ;

- le tribunal a écarté sans preuve la fin de non-recevoir tirée de ce que le SYTRAIVAL a été indemnisé par son assureur, la société ACE Europe, alors que le bris de machine survenu le 4 janvier 2004, qui a la même cause que celui survenu le 26 mars 2003 qui a été indemnisé par son assureur, s'est produit également pendant la période de garantie de la police " Tous risques chantier montage essais " ; en outre, il n'est pas établi que le SYTRAIVAL serait encore propriétaire des installations et aurait qualité pour rechercher la responsabilité décennale des constructeurs ;

- c'est à tort qu'il a été jugé que les dysfonctionnements du groupe turbo-alternateur compromettaient la destination de l'ouvrage dans son ensemble : le groupe turbo-alternateur est un élément accessoire de l'usine dont le dysfonctionnement n'a pas compromis sa destination principale d'incinération des déchets ;

- l'imputabilité technique des désordres majeurs invoqués par le SYTRAIVAL incombe exclusivement à la société PBL qui a remis en état la turbine après l'avarie du 4 janvier 2004 et dont l'intervention est également à l'origine de l'incident de manutention du 23 mai 2007 et du bris de machine du 16 octobre 2008 ; le défaut de soutirage et les arrêts sur vibrations hautes sont des conséquences directes des avaries survenues les 26 mars 2003 et 4 janvier 2004 ;

- sa responsabilité contractuelle peut être retenue tout au plus au titre du fonctionnement de la turbine sans sous-tirage moyenne pression du 13 décembre 2006 au 14 mars 2008 ;

- la société XPBL n'est pas fondée à opposer l'exception d'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur le principe de sa responsabilité contractuelle à l'égard du SYTRAIVAL ;

- elle n'est pas fondée à exciper d'une clause contractuelle d'exclusion/limitation de responsabilité applicable aux seules hypothèses de retards dans l'exécution de ses obligations qui produirait un effet voisin d'une clause de renonciation pour limiter l'indemnisation de dommages inhérents aux défauts de fabrication de sa turbine ; quoi qu'il en soit, la gravité de ses manquements fait échec à son application ;

- la durée réelle de l'arrêt de la turbine consécutif à l'incident du 4 janvier 2004 a été de 110 jours ; le préjudice immatériel en résultant s'élève à la somme de 418 730 euros, de sorte que le montant total des dommages immatériels subis par le SYTRAIVAL s'élève à la somme de 1 382 842 euros HT ;

- c'est à tort que le tribunal a accueilli l'exception d'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions d'appel en garantie concernant le contrat d'assurance " Tous risques sauf... ", dans la mesure où, d'une part, il se rapporte à l'édification et à l'exploitation d'ouvrages publics et, d'autre part, les marchés publics d'assurances constituent des contrats administratifs par détermination de la loi ;

- l'exception de prescription biennale opposée par la société ACE Europe ne peut être accueillie ;

- elle doit intégralement prendre en charge le coût du bris de machine du 4 janvier 2004 qui est la prolongation de celui survenu le 26 mars 2003 et qui doit donc être rattaché à la même garantie " en cours de travaux ", mobilisée pour ce premier sinistre ; elle ne démontre pas que la garantie " en période de maintenance " et la police " Tous risques sauf... " ne sont pas mobilisables en l'absence d'essais de performance et cette condition de garantie n'est pas assimilable à une exclusion ; l'exclusion prévue à l'article 1.4 du contrat d'assurance " Tous Risques Montages Essai... " et celles opposées au titre de la police " Tous risques sauf... " concernant le bris de machine n'ont pas vocation à s'appliquer.

Un mémoire enregistré le 13 juillet 2018 présenté par la société CNIM n'a pas été communiqué.

Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 9 décembre 2015 et 5 avril 2018, la société ACE Europe, aux droits de laquelle vient la société Chubb European Group Limited, représentée par MeG..., conclut au rejet de la requête et des conclusions d'appel en garantie formées à son encontre et à ce que soit mise à la charge des sociétés CNIM et XPBL la somme de 10 000 euros au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- les appels en garantie formés à son encontre sont irrecevables devant la juridiction administrative puisque les polices d'assurances souscrites auprès d'elle par le SYTRAIVAL et la société TIRU ont le caractère de contrats de droit privé ; c'est donc à tort que le tribunal s'est déclaré compétent pour en connaître ;

- en tout état de cause, la prescription biennale est acquise au plus tard au mois de septembre 2006 ;

- subsidiairement, le sinistre du 5 janvier 2004 et les sinistres ultérieurs sont intervenus hors de la période de garantie montages-essais qui avait expiré au plus tard le 15 décembre 2003, faute de réception et de test de performance, les polices souscrites ne garantissent pas les désordres de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au titre des articles 1792-1 et 2270 du code civil, ni les frais destinés à corriger des défauts de conception et ni les préjudices immatériels ;

- quoi qu'il en soit, les montants des dommages directs et immatériels causés par l'incident du 4 janvier 2004 ne sauraient excéder respectivement les sommes de 41 900,70 euros et 418 730 euros.

Un mémoire enregistré le 21 octobre 2016 présenté par la société ACE Europe n'a pas été communiqué.

Par des mémoires en défense et une mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 5 janvier 2016, 16 juin 2016, 22 septembre 2016 et 22 mars 2018, le SYTRAIVAL, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société CNIM la somme de 15 000 euros au titre des frais du litige.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable faute de moyens dirigés contre le jugement attaqué ;

- seul le sinistre survenu du 26 mars 2003 a été indemnisé et il justifie être le propriétaire de l'unité de valorisation énergétique de Villefranche-sur-Saône ;

- sur le terrain de la responsabilité décennale les moyens soulevés sur la société CNIM ne sont pas fondés et sur celui de la responsabilité contractuelle ils sont inopérants.

Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif produit après l'invitation prévue par l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 11 mai 2016 et 6 avril 2018, la société X Peter Brotherood Ltd (XPBL), venant aux droits de la société PBL, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du SYTRAIVAL la somme de 15 000 euros au titre des frais du litige ou, subsidiairement, à l'annulation du jugement attaqué ou, très subsidiairement, au rejet des conclusions dirigées contre elle ou, infiniment subsidiairement, à la réformation du jugement attaqué et à ce que la somme de 5 720 810 euros HT que la société CNIM a été condamnée à verser au SYTRAIVAL soit ramenée à 1 419 845,90 euros HT.

Elle fait valoir que :

- la société CNIM est responsable des désordres en sa qualité de concepteur de l'ensemble des installations ;

- subsidiairement, les conclusions dirigées contre elle sont irrecevables devant la juridiction administrative compte tenu de ce qu'elle est une société de droit privé et le SYTRAIVAL, eu égard aux garanties " Tous risques chantier montage-Essais " et "Tous risques sauf... " et à son choix de ne pas souscrire de police dommages ouvrage, n'a pas intérêt et qualité à agir ;

- quoi qu'il en soit au titre de la responsabilité solidaire des constructeurs, toute action dirigée contre elle est irrecevable car le groupe turbo-alternateur qu'elle a fourni est un élément d'équipement dissociable des ouvrages bénéficiant de la garantie biennale et un quelconque dysfonctionnement du groupe ne porte pas atteinte à la solidité de l'usine ni ne compromet sa fonction de bâtiment ;

- au titre de la responsabilité biennale, l'action est prescrite ;

- le SYTRAIVAL justifie son préjudice dans la limite de 1 419 845,90 euros HT ;

- la clause limitative de responsabilité prévue à l'article 8 du contrat du 11 septembre 2000 a vocation à s'appliquer puisqu'elle exclut les dommages consécutifs à une perte de production et la société CNIM ne démontre pas qu'elle aurait commis des fautes lourdes ;

- le cas échéant, sa condamnation devrait être limitée aux seuls dommages matériels à hauteur de 521 445,9 euros HT ;

- le tribunal a retenu à juste titre la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société ACE Europe et elles ne sont pas frappées de prescription ;

- les polices souscrites ont vocation à être mobilisées et à prendre en charge les désordres et à la couvrir des conclusions dirigées contre elle compte tenu de sa qualité d'assuré au titre de la police " Tous risques montage essais ".

Par un courrier du 9 novembre 2018, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il a omis de se prononcer sur la charge définitive des dépens.

Le SYTRAIVAL et la société CNIM ont produit des mémoires en réponse à ce moyen d'ordre public, enregistrés respectivement les 15 et 22 novembre 2018.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des assurances ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, notamment son article 2 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Michel,

- les conclusions de MmeF...,

- et les observations de MeE..., représentant la société CNIM, celles de Me B..., représentant le SYTRAIVAL, et celles de MeA..., représentant la société Chubb European Group Limited.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat mixte d'élimination, de traitement et de valorisation des déchets Beaujolais Dombes (SYTRAIVAL) a lancé le 6 juin 1998 une procédure d'appel d'offres sur performances portant sur l'extension et la mise aux normes de son usine de traitement et de valorisation des déchets ménagers située à Villefranche-sur-Saône, avec notamment la rénovation de la ligne d'incinération et de génération de vapeur existante et l'installation d'une seconde ligne et d'un turbo-alternateur alimenté par les deux lignes. Par un acte d'engagement du 18 février 1999, il a confié au groupement conjoint d'entreprises constitué entre autres de la société Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), mandataire et par ailleurs maître d'oeuvre pour l'ensemble de l'opération, la réalisation des lots n° 1 à 4 comprenant principalement les études, la construction et l'installation sur le site d'une nouvelle ligne d'incinération avec une chaudière et un groupe turbo-alternateur, dite ligne 2. La société britannique Peter Brotherood Ltd (PBL), sous-traitante de la société CNIM, a fourni le groupe turbo-alternateur, dont la turbine a subi des désordres de fonctionnement après la réception avec réserves, prononcée le 23 juillet 2003, des deux lignes d'incinération. A la demande du SYTRAIVAL, un expert judicaire a été désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon. La société CNIM a quant à elle fait assigner en référé-expertise devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare la société PBL, aux droits de laquelle est venue la société X Peter Brotherood (XPBL). Le président de ce tribunal, par une ordonnance du 11 octobre 2004, a déclaré les opérations d'expertise de M. C...communes et opposables à la société PBL. L'expert a déposé son rapport le 7 janvier 2011. Par un jugement du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à la demande du SYTRAIVAL en condamnant la société CNIM, sur le fondement de la responsabilité décennale, à lui verser la somme de 5 720 810 euros HT assortie des intérêts légaux à compter du 23 février 2012 et de leur capitalisation. Le tribunal a par ailleurs rejeté les conclusions d'appel en garantie présentées par la société CNIM à l'encontre de la société ACE Europe, auprès de laquelle le SYTRAIVAL avait souscrit deux polices d'assurances. La société CNIM demande à titre principal l'annulation de ce jugement ou, subsidiairement, la minoration de sa condamnation.

Sur la régularité du jugement :

2. La société CNIM soutient en premier lieu que le tribunal n'a pas répondu aux moyens soulevés en défense relatifs au bien-fondé de l'appel en garantie formé contre la société ACE Europe au titre du contrat d'assurances " Tous Risques Montage Essai ". Dans la mesure où le tribunal a rejeté ces conclusions au motif que les dommages de nature décennale sont exclus des risques couverts par ce contrat, il n'avait pas à répondre aux moyens de la société CNIM tirés de ce que les exclusions conventionnelles de garanties invoquées par la société ACE Europe n'étaient pas fondées.

3. En second lieu et d'une part, en vertu de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier et de l'article 29 du code des marchés publics dans sa rédaction alors applicable, un contrat passé par une des personnes morales de droit public soumises aux dispositions du code des marchés publics, notamment par un établissement public tel que le SYTRAIVAL, présente le caractère d'un contrat administratif. Si l'action directe ouverte par l'article L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage contre l'assureur de l'auteur responsable du sinistre tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance. Dès lors que, comme en l'espèce, le contrat d'assurance n° 1.050.758 dit " Tous Risques Montage Essai " (TRME) souscrit par le SYTRAYVAL auprès de la société ACE Europe présente le caractère d'un contrat administratif et que le litige n'a pas été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001, l'action en garantie exercée par la société CNIM contre cet assureur relève de la compétence de la juridiction administrative. La société CNIM n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu l'exception d'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions d'appel en garantie concernant ce contrat d'assurance. D'autre part, il résulte de l'instruction que le contrat d'assurance n° 780.010.42 dit " Tous risques sauf ... " a été souscrit par l'exploitant de l'usine de traitement des déchets ménagers de Villefranche-sur-Saône, la société anonyme TIRU. Ce contrat ayant été passé entre deux personnes privées, les conclusions d'appel en garantie de la société CNIM à l'encontre de la société ACE Europe au titre de ce contrat ne peuvent pas être portées devant la juridiction administrative. Le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient irrégulièrement rejetées ces conclusions comme étant irrecevables doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ; que la responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que seul le sinistre, qui est hors litige, survenu le 26 mars 2003, a été indemnisé par la société ACE Europe au titre de la garantie TRME. En revanche, elle n'a pas indemnisé l'incident du 4 janvier 2004, de sorte que le préjudice n'a pas disparu. Par ailleurs, en sa qualité de maître d'ouvrage, le SYTRAIVAL, dont le président, au stade de l'appel, atteste que le syndicat est le propriétaire de l'usine de traitement et de valorisation des déchets ménagers de Villefranche-sur-Saône, dispose par principe du droit de mettre en jeu la garantie décennale d'un constructeur.

6. En deuxième lieu, le tribunal est entré en voie de condamnation en retenant qu'il résultait du rapport d'expertise que la turbine du groupe turbo alternateur de la ligne 2 d'incinération et de " génération " de vapeur a connu des désordres dus notamment à la rupture de rivets en sommets d'ailettes sur son premier étage le 4 janvier 2004, faisant suite à celle survenue le 26 mars 2003, à l'endommagement de certaines aubes des derniers étages, le 23 mai 2007, à la rupture de l'aube n° 22 de son septième étage, le 16 octobre 2008, à la détérioration du jeu des paliers, conséquence des avaries des 26 mars 2003 et 4 janvier 2004, et à l'indisponibilité de sa fonction soutirage (moyenne pression) pendant la période courant du 9 octobre 2005 au 14 mars 2008. Ces désordres, survenus pour partie en cours d'expertise, ont empêché le groupe turbo-alternateur, à plusieurs reprises et parfois pendant plusieurs mois, d'être en mesure d'assurer la transformation des gaz produits par l'incinération des déchets en électricité destinée à l'auto-alimentation de l'usine et à la revente à EDF. Les désordres affectant la turbine ont fait obstacle au fonctionnement normal du turbo-alternateur et ont rendu le site de Villefranche-sur-Saône, dont l'activité consistait avant même sa rénovation à la valorisation des déchets par la génération de vapeur permettant la production d'électricité, impropre à sa destination. Il ressort du rapport d'expertise qu'aucune des réserves émises lors de la réception du groupe alternateur et la réception globale des installations n'était en rapport avec la turbine et ces désordres. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que le SYTRAIVAL était fondé à rechercher la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.

7. En troisième lieu, la société CNIM soutient que l'imputabilité technique des désordres majeurs invoqués par le SYTRAIVAL incombe exclusivement à la société PBL qui a remis en état la turbine après l'avarie du 4 janvier 2004 et dont l'intervention est également à l'origine de l'incident de manutention du 23 mai 2007 et du bris de machine du 16 octobre 2008. Elle impute aussi directement aux avaries survenues les 26 mars 2003 et 4 janvier 2004 l'absence de soutirage et les arrêts sur vibrations hautes.

8. Toutefois, la circonstance que ces désordres de nature décennale seraient imputables à un sous-traitant, qui n'a pas la qualité de constructeur, est sans influence sur la situation de l'entrepreneur et n'est pas de nature à exonérer ce dernier de sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage. Par suite, et comme l'a jugé le tribunal administratif, la société CNIM est responsable à l'égard du SYTRAIVAL des désordres tenant à des vices de conception intrinsèques au groupe turbo-alternateur, à un incident de manutention, à l'absence de vérification et de réglages ainsi qu'à des carences dans les préconisations de remise en service de la turbine.

9. En quatrième lieu, le tribunal, en l'absence de critique sérieuse de la pertinence de la méthode retenue par l'expert, a fixé l'indemnisation due au SYTRAIVAL au titre du préjudice financier résultant de la perte de vente d'électricité à EDF à la somme de 4 004 310 euros hors taxe. La société CNIM entend préciser en appel que la durée réelle de l'arrêt de la turbine consécutif à l'incident du 4 janvier 2004 a été de 110 jours et non de 645 jours comme l'a retenu l'expert judiciaire. Toutefois, il ressort du rapport qu'elle produit que les avaries sur vibrations hautes pendant la période du 1er septembre 2005 au 16 octobre 2006 étaient dues à une détérioration du jeu des paliers, qui sont elles-mêmes la conséquence des avaries des 26 mars 2003 et 4 janvier 2004. Les arrêts survenus pendant cette période et qui procèdent ainsi de ces avaries sur vibrations hautes peuvent donc être imputés à la société CNIM et ne sont pas la conséquence de décisions d'arrêt de fonctionnement prises unilatéralement par le SYTRAIVAL. Dès lors, il n'y a pas lieu pour la cour de modifier le montant de l'indemnisation due au SYTRAIVAL de ce chef.

10. Comme il a été dit au point 3, les conclusions d'appel en garantie présentées par la société CNIM à l'encontre de la société ACE Europe, aux droits de laquelle vient la société Chubb European Group Limited, sont irrecevables devant le juge administratif s'agissant de la police d'assurance " Tous risques sauf... ". S'agissant de la police TRME, les mêmes conclusions doivent être rejetées comme non-fondées dès lors que, ainsi que l'a indiqué le tribunal administratif, les dommages que la société CNIM est condamnée à indemniser ont un caractère décennal, exclus de cette garantie.

11. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le SYTRAIVAL, que la société CNIM n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ni sa réformation par minoration de sa condamnation.

Sur les frais du litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société CNIM la somme de 1 500 euros à verser au SYTRAIVAL, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du SYTRAIVAL qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées sur ce même fondement par les sociétés XPBL et Chubb European Group Limited doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société CNIM est rejetée.

Article 2 : La société CNIM versera au SYTRAIVAL une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Constructions industrielles de la Méditerranée, au syndicat mixte d'élimination, de traitement et de valorisation des déchets Beaujolais Dombes, à la société X Peter Brotherood et à la société Chubb European Group Limited.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme Michel, président assesseur,

M. Chassagne, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 décembre 2018.

9

N° 15LY03113


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15LY03113
Date de la décision : 20/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : SELARL MOUREU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-12-20;15ly03113 ?
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