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04/12/2018 | FRANCE | N°17LY04293

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre - formation à 3, 04 décembre 2018, 17LY04293


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société à responsabilité limitée (SARL) Kileno Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des pénalités correspondantes ainsi que la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er août 2008 au 28 février 2013 et des pénalités correspondantes.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société à responsabilité limitée (SARL) Kileno Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des pénalités correspondantes ainsi que la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er août 2008 au 28 février 2013 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1505947-1505950 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2017, la SARL Kileno Méditerranée, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL Kileno Méditerranée soutient que :

- sa demande de décharge de la taxe sur la valeur ajoutée collectée par voie de compensation doit être accueillie ;

- l'interlocuteur départemental avait accepté de retenir les attestations établies sur le modèle requis par l'administration quelque soit la date d'établissement ; en les rejetant, l'administration fiscale a méconnu les prescriptions de la charte Copé ;

- l'incidence des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en matière d'impôt sur les sociétés justifie la décharge par voie de compensation ;

- la sanction appliquée est disproportionnée ;

- l'administration fiscale ne peut justifier son refus d'accéder à sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés fondées sur la remise en cause de l'inscription comptable de créances en pertes déclarées à la clôture des exercices 2011 et 2012 au seul motif tiré de l'absence de fourniture des certificats d'irrecouvrabilité, ce fondement n'étant pas légalement opérant ; elle apporte la preuve de ces créances et le bien-fondé de ses écritures comptables ;

- en l'absence de minoration des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée, la sanction n'est pas fondée, faute d'élément intentionnel ; le manquement délibéré n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre expose qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A..., première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la SARL Kileno Méditerranée ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la SARL Kileno Méditerranée, qui exerce une activité de travaux spécialisés dans la construction, a été assujettie au titre des exercices clos les 31 juillet 2010, 2011 et 2012 à des compléments d'impôt sur les sociétés et, au titre de la période du 1er août 2008 au 28 février 2013, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, notifiés selon la procédure contradictoire, assortis de majorations pour manquement délibéré dont, après le rejet de sa réclamation, elle a sollicité la décharge devant le juge de l'impôt. Par un jugement joint du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. La SARL Kileno Méditerranée relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La SARL Kileno Mediterranée soutient qu'en jugeant que l'existence de créances n'est pas établie, le tribunal administratif de Grenoble a entaché son jugement d'irrégularité, alors que l'administration fiscale s'était bornée à mettre en doute le caractère irrécouvrable de ces créances, comptabilisées comme telles. En statuant ainsi, le tribunal a procédé à une substitution de motifs, sans y avoir été invité par l'administration, entachant son jugement d'irrégularité. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur le bien-fondé des suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration des créances irrécouvrables.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la SARL Kileno Mediterranée tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration de cette créance et, par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante en première instance ainsi qu'en appel.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

4. En vertu du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. (...) ". Il résulte des dispositions combinées de ces deux articles, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice net est établi sous déduction des charges, comprenant notamment les pertes sur les créances devenues définitivement irrécouvrables à la clôture d'un exercice postérieur à celui de leur naissance. Pour être déductibles des résultats imposables, les pertes résultant de l'irrecouvrabilité de créances doivent se rapporter à des créances régulièrement constatées en comptabilité. L'entreprise doit établir le caractère définitif de la perte de ses créances en démontrant qu'elles ont fait l'objet de vaines démarches en vue de leur recouvrement.

5. Au vu des pièces produites par la SARL Kileno Méditerranée, se bornant à évoquer les difficultés de recouvrement des créances Helion sans établir l'insolvabilité du client, l'administration fiscale a estimé que la société ne démontrait pas le caractère irrécouvrable des créances inscrites en comptabilité en pertes, et déclarées comme définitivement perdues à la clôture des exercices en 2011 et 2012. En l'absence de preuve par tout moyen du caractère définitivement irrécouvrable de ces créances à la clôture des exercices vérifiés, c'est à bon droit que l'administration fiscale a procédé à leur réintégration au résultat imposable de la SARL Kileno Méditerranée et aux rectifications d'impôt sur les sociétés dus au titre de chacun des exercices contrôlés.

En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ". La compensation en matière de taxes sur le chiffre d'affaires doit s'effectuer entre impositions dues et payées au cours de la période d'imposition couverte par l'avis de mise en recouvrement en litige.

7. La SARL Kileno Méditerranée se prévaut de la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée collectée qu'elle a spontanément déclarée en mars 2013 et versée le 19 avril 2013 au Trésor. Toutefois, le versement de la taxe due en dehors de la période concernée par l'avis de mise en recouvrement des rappels de taxe réclamés par l'administration fiscale qui s'étend du mois d'août 2008 au 28 février 2013 ne peut être pris en compte au titre de la compensation.

8. En second lieu, en vertu des dispositions de l'article 279-0 bis du code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit sur " les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation, achevés depuis plus de deux ans ". Le 3 de l'article dispose " Le taux réduit prévu au 1 est applicable aux travaux facturés au propriétaire ou, le cas échéant, au syndicat de copropriétaires, au locataire, à l'occupant des locaux ou à leur représentant à condition que le preneur atteste que ces travaux se rapportent à des locaux d'habitation achevés depuis plus de deux ans et ne répondent pas aux conditions mentionnées au 2. Le prestataire est tenu de conserver cette attestation à l'appui de sa comptabilité./ Le preneur doit conserver copie de cette attestation, ainsi que les factures ou notes émises par les entreprises ayant réalisé des travaux jusqu'au 31 décembre de la cinquième année suivant la réalisation de ces travaux. ".

9. Pour bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée sur des travaux prévu par les dispositions de l'article 279-0 bis du code général des impôts, dérogatoire au taux normal prévu à l'article 278 du même code, le client doit remettre au prestataire, avant le commencement des travaux ou au plus tard au moment de la facturation, une attestation remplie, datée et signée par lui, mentionnant que l'immeuble est achevé depuis plus de deux ans, qu'il est affecté à usage d'habitation et que les travaux ne concourent pas à la production d'un immeuble neuf ou n'aboutissent pas à la création de surfaces significatives. La délivrance d'une attestation exigée par le législateur constitue une condition de fond pour l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée qui doit par suite être satisfaite à la date du fait générateur de la taxe, soit à la date de l'achèvement des travaux immobiliers et au plus tard à la date de facturation et que la personne qui réalise ces travaux et qui établit la facturation, conserve cette attestation à l'appui de sa comptabilité. S'il peut être admis que le contribuable produise postérieurement à la vérification de comptabilité des attestations antérieures à celle-ci, c'est à la condition que ces documents aient date certaine. De même en cas de versement d'un acompte, en vertu des dispositions des 1 et 2 de l'article 269 du code, si le fait générateur de la taxe reste l'achèvement des travaux, la taxe est exigible, le cas échéant, lors de l'encaissement de l'acompte. Dans un tel cas, l'entreprise ne peut faire application du taux réduit que si, au moment où elle encaisse cet acompte, elle est en possession de l'attestation établie par le preneur et portant sur ces travaux. Les mêmes règles sont applicables pour les travaux réalisés au bénéfice de personnes publiques.

10. L'administration fiscale a remis en cause l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée sur des factures de travaux au motif qu'elles n'étaient pas accompagnées de l'attestation prévue par le législateur ou de la non-conformité de l'attestation produite notamment compte tenu de la globalisation des interventions concernées. La SARL Kileno Méditerranée justifie ces omissions par la carence de ses clients, principalement des personnes publiques, qui n'ont pas répondu à ses relances pour l'établissement des attestations justifiant l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée. Cette circonstance est, cependant, sans incidence sur le bien-fondé des rappels qui résultent de l'application des principes précédemment exposés, l'administration fiscale étant fondée à remettre en cause l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux travaux pour lesquels l'attestation a été produite après l'achèvement des travaux et la facturation.

11. A titre exceptionnel et dans un souci de conciliation, l'administration fiscale a pris en compte les attestations conformes produites par la société le 13 juin 2014, au stade de l'interlocution. Elle a, toutefois, à bon droit et sans méconnaître le principe de loyauté, écarté les attestations délivrées par le client après le commencement des travaux ou après la facturation, par suite non conformes à la règle de droit, que la SARL Kileno Méditerranée a produit au soutien de sa réclamation du 29 janvier 2015.

12. La société appelante ne peut utilement se prévaloir des prescriptions de la charte " Copé " qui ne sont pas opposables à l'administration fiscale au sens des dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, ni invoquer le principe de loyauté pour contester le refus de l'administration d'admettre les attestations non conformes, produites tardivement ou n'ayant pas date certaine.

13. A supposer que la société appelante ait entendu invoquer sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 80 A ou de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, la garantie prévue par ces dispositions ne s'étend, en tout état de cause, pas à la procédure d'imposition. La contribuable n'est en droit d'invoquer une telle garantie, lorsque l'administration procède à un rehaussement d'impositions antérieures, que s'agissant des interprétations ou des appréciations antérieures à l'imposition primitive. Les opinions émises par les agents des services fiscaux lors d'une procédure d'imposition conduisant à l'établissement d'impositions supplémentaires ne peuvent, en tout état de cause, être invoquées dès lors que ces opinions ne sont pas antérieures aux impositions primitives.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

14. Si l'administration a constaté l'existence d'un profit sur le Trésor imposable à raison de la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre de l'exercice au cours duquel elle a été indûment conservée par la SARL Kileno Méditerranée, l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée n'a occasionné aucun profit sur le Trésor imposable à l'impôt sur les sociétés. Les conclusions à fin de décharge de suppléments d'impôt sur les sociétés qui en résulteraient ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les pénalités :

15. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".

16. Il résulte de l'instruction qu'en relevant le caractère délibéré et réitéré des minorations de taxe sur la valeur ajoutée déclarée et l'importance des montant de taxe sur la valeur ajoutée collectée que la SARL Kileno Méditerranée s'est abstenue de reverser sur toute la période vérifiée, l'administration fiscale apporte la preuve qui lui incombe de l'existence d'un manquement délibéré justifiant l'application aux impositions supplémentaires en découlant de la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées.

17. Il résulte de ce qui précède que la SARL Kileno Méditerranée est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a, en procédant d'office à une substitution de motifs sans y avoir été invité, rejeté ses conclusions tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie résultant de la réintégration à son résultat imposable des créances comptabilisées comme irrécouvrables non justifiées. Elle n'est toutefois, pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application en appel de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2017 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la SARL Kileno Méditerranée tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration des créances irrécouvrables.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Kileno Méditerranée est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Kileno Méditerranée et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée au directeur du contrôle fiscal de Rhône-Alpes-Bourgogne.

Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Menasseyre, présidente-assesseure,

Mme A..., première conseillère.

Lu en audience publique le 4 décembre 2018.

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