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22/10/2018 | FRANCE | N°18LY02014

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre b - formation à 3, 22 octobre 2018, 18LY02014


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au président du tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du préfet de Saône-et-Loire du 26 mars 2018 de le transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1801019 du 26 avril 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 31 mai 2018 et un mémoire enregistré le 17 août 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande

à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 26 avril ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au président du tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du préfet de Saône-et-Loire du 26 mars 2018 de le transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1801019 du 26 avril 2018, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 31 mai 2018 et un mémoire enregistré le 17 août 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 26 avril 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le président du tribunal administratif.

Il soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il a bien justifié de la réalité de la saisine des autorités italiennes.

Par un mémoire enregistré le 9 août 2018, M. B..., représenté par Me Clemang, avocat, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il n'a pas pu bénéficier de l'assistance d'un interprète présent lors de l'entretien, l'interprétariat ayant été réalisé par téléphone à distance, dans des conditions qui ne peuvent pas être considérées comme conformes aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le préfet n'établit pas que l'entretien a été réalisé par un agent compétent dont l'identité doit être révélée notamment devant le juge administratif ;

- le préfet a méconnu l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, compte tenu de l'état de santé de sa mère, Mme C..., et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant arménien, né le 27 février 1997, est entré en France le 23 novembre 2017 accompagné de sa mère, MmeC..., et s'est présenté le 28 décembre 2017 à la préfecture de Saône-et-Loire pour demander l'asile. La consultation du fichier Visabio a révélé qu'ils avaient obtenu des autorités italiennes un visa valable du 18 novembre au 11 décembre 2017. Le 26 mars 2018, le préfet de Saône-et-Loire a décidé son transfert vers l'Italie pour l'examen de sa demande d'asile. Ce préfet fait appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

3. Il résulte de ces dispositions que le réseau de communication DubliNet permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

4. D'autre part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'accusé de réception électronique émanant de la cellule française chargée du réseau de communication électronique DubliNet du 28 décembre 2017 et du formulaire de demande de prise en charge, puis du courriel du 5 mars 2018 de constat d'un accord implicite que les autorités italiennes ont été effectivement saisies d'une demande visant à la prise en charge de M. B... pour l'examen de sa demande d'asile, sur le fondement du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de l'absence d'une telle demande de prise en charge.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....

7. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "

8. Si M. B... allègue que l'entretien individuel dont il a bénéficié à la préfecture n'a pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, il ressort des pièces du dossier qu'il a été reçu à la préfecture de Saône-et-Loire le 28 décembre 2017 par un agent du service. Dès lors, l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Ce texte n'impose pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a conduit.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié, lors de cet entretien individuel en préfecture, des services téléphoniques d'un interprète en langue arménienne. Si cet interprète est intervenu par téléphone, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance a fait obstacle à ce qu'une bonne communication s'instaure entre l'intéressé et l'agent ayant mené l'entretien.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

11. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

12. Si M. B...fait valoir que sa mère, qui l'accompagne et dont le père vit en France, souffre d'un cancer de la thyroïde, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mère de l'intéressé ne pourrait pas recevoir en Italie les soins qui lui sont nécessaires. Dès lors, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement.

13. En quatrième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ".

14. M. B... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, ses allégations de caractère général ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord implicite à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et que M. B... courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013.

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a annulé la décision en litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 26 avril 2018 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B...devant le tribunal administratif de Dijon est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Il en sera adressé copie au préfet de Saône-et-Loire et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Dèche, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2018.

4

N° 18LY02014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre b - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY02014
Date de la décision : 22/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SCP CLEMANG-GOURINAT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-10-22;18ly02014 ?
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